Pancakes & Maladresses
— Tu es sûre de toi ?
— Certaine !
— Certaine comme sûre et certaine ?
Je souffle d'exaspération, tout en levant les yeux au ciel, avant de tenter de fermer la valise qui se trouve sur mon lit, remplie d'une quantité assez importante de mes affaires.
— Putain Myriam, oui, je suis sûre et certaine !
Ma meilleure amie m'adresse une moue déçue avant de venir me serrer dans ses bras. Son étreinte est forte, tellement que je me demande si elle ne va pas me briser les côtes, me surprenant. J'ignorais que ce petit bout de femme, du haut de son mètre soixante et cinquante kilos tout mouillé, pouvait avoir une telle force.
— Si tu continues comme ça, je ne pourrais pas partir.
— Ce serait si mal que ça ?
— Je ne pourrais pas partir parce que je serais morte, mes poumons percés par mes côtes brisées à cause de ton câlin.
Elle râle, baragouinant un « T'es nulle » que je n'ai pourtant aucun mal à comprendre, mais relâche son étreinte pour aller s'asseoir sur ma valise.
— J'ai besoin de partir Myriam, soufflé-je, mes prunelles se plantant dans les siennes.
— Je ne m'assois pas sur ta valise pour que tu ne partes pas mais pour que tu puisses la fermer !
Je sourie avant de m'empresser d'aller fermer cette dernière qui, jusque-là, n'y mettait aucune bonne volonté.
Ceci fait, je me penche pour tirer mon second fardeau de sous mon lit, déclenchant un éclat de rire de Myriam et une gentille petite boutade.
— Heureusement que tu es limitée au niveau des bagages parce que sinon, tu aurais embarqué toute ta penderie je suis sûre !
Faisant preuve de toute ma maturité, je tire la langue à mon amie, avant de lui tourner le dos et de sortir de ma chambre, tête haute, en tirant mes deux - lourds - bagages, et tentant vainement de garder ma dignité... Qui s'échappe bien vite quand j'appelle Myriam à l'aide pour m'aider à descendre mes valises et les charger dans le coffre de son véhicule, direction l'aéroport !
☆
Tendue au possible, je m'effondre sur la banquette dans un soupir exaspéré.
Finalement, contrairement à ce que j'ai affirmé à Myriam avant de partir, je ne suis plus certaine de ma décision. Il aura suffit d'un vol en avion de plusieurs heures, suivi d'un échange au bureau des réclamations de l'aéroport pour me décourager et me faire déchanter.
Ma maladresse, ou plutôt ma malchance, me poursuit. Mes deux bagages se sont égarés !
Il n'y a qu'à moi que ces choses-là arrive. Pas une, mais bien mes deux valises se sont volatilisées ! La première est, d'après ce que j'ai compris - parce que, soyons francs, mon anglais est loin d'être à un top niveau ! - partie en voyage au Japon... Ne me demandez pas comment, ni pourquoi, elle a atterri au Japon alors que ma destination était le Texas.
Quand à la seconde, elle est restée à quai, à Paris, oubliée dans un coin sombre de l'aéroport par l'un des employés chargé du suivi des bagages.
Trois jours.
C'est le temps que je vais devoir attendre pour retrouver l'un de mes précieux biens. Avant, je vais être obligée de courir quelques magasins pour acheter le strict nécessaire et cela va de soi que ce n'était pas mon idée première !
Evidement, comme si cela ne suffisait pas, j'ai entendu le son distinctif d'un vêtement qui se déchire quand j'ai retiré mon pull. La chaleur de l'extérieure était écrasante par rapport à la fraicheur de l'avion et de l'aéroport que j'avais quitté quelques minutes plus tôt. Avant même de regarder les décors autour de moi, j'avais retiré mon pull sans remarquer que ce dernier était coincé dans la hanse de mon sac à main - heureusement pour moi, celui-ci était resté sagement entre mes mains durant le trajet - ... Un tout petit coup avait suffit pour que la couture craque !
Lasse de ces premières minutes au Texas, j'ai donc pris la direction d'un petit restaurant dans l'espoir de me restaurer et de laisser ces déboires derrière moi.
La décoration est telle que je l'imaginais, typique de l'endroit, exactement comme dans les films. Les banquettes rouges sont moelleuses et accueillent mon postérieur sans bruit. Des chapeaux de cow-boy sont accrochés, ça et là, sur les murs. Un juke-box est disposé dans un coin un peu en retrait, non loin des portes battantes qui donnent accès au WC.
Je sors de ma contemplation de la salle pour me plonger dans celle du serveur qui se trouve à mes côtés, dans l'attente de ma commande. Ses yeux marrons sont amicaux et posés sur moi, ses cheveux blonds, sont attachés dans une queue de cheval basse, tandis que sa mâchoire, ronde, est imberbe. Je n'ai jamais été une grande fan des blonds, mais je dois avouer que celui-ci est plutôt mignon.
Mon analyse est interrompue quand il se racle la gorge tout en me désignant le menu que je tiens entre mes doigts dans un geste du menton. Un sourire moqueur se dessine sur ses lèvres. Une nouvelle fois, je déchante ! Il est beau et il le sait... Ce que je déteste ! Rien de pire qu'un mec arrogant et qui joue de sa beauté.
Dans un anglais approximatif, je commande des pancakes au chocolat et aux fraises. Je rêve de manger des bons pancakes américains depuis que j'ai réservé ce voyage !
Quelques minutes plus tard, une assiette gourmande est posée devant moi et je me jette dessus comme l'affamée que je suis, sous le regard dégouté du serveur.
Je m'en moque totalement, je ne suis pas là pour lui plaire, alors dans un élan de provocation, je lui adresse un beau sourire, la bouche pleine !
Seulement, notre bon dieu n'a pas dû aimer mon action puisque je fini par avaler de travers la fraise qui se trouvait dans ma bouche et m'étouffer.
☆
— Je suis désolée Madame, mais je n'ai aucune réservation au nom d'Amy Dubois.
Je ne peux m'empêcher de rire. Un éclat de rire qui résonne dans le hall de cette auberge accueillante, se transformant en rire nerveux, digne d'un film d'horreur. Celui qui vous fait froid dans le dos et vous donne des frissons le long de la colonne vertébrale.
— C'est une blague ?
Je vois le « non » se dessiner sur ses lèvres, avant qu'il ne réalise, pour la quatrième fois, une vérification... Mais la réponse demeure inchangée et reste la même que les trois premières fois. Aucune réservation enregistrée à mon nom.
C'est un cauchemar !
Mon rêve américain se transforme en cauchemar pur et dur et je craque.
Je m'effondre littéralement au sol, mes genoux venant de lâcher. Mon corps est parcourut de sanglots, tandis que mes larmes roulent le long de mes joues. Mes mots quittent mes lèvres sans même que je ne comprenne et puisse m'arrêter et lui déballe tout ce que j'ai sur le cœur.
Je lui dis à quel point ce voyage était une nécessité pour moi.
Un besoin vital pour reprendre pied et ne pas sombrer dans la folie ni dans la dépression, après avoir surpris mon mec dans notre cuisine, en train de se faire sucer par sa collègue de travail, alors que je me remettais à peine de la disparition tragique de mes parents dans un accident de voiture. Comment cette situation a achevé mon cœur, déjà totalement brisé, et m'a poussé à réaliser mon rêve et prendre la direction des Etats-Unis.
Mon besoin de souffler.
De changer d'air.
D'oublier.
Et je continue en lui expliquant que partir en voyage au Texas pour découvrir les ranchs, traverser les plaines à cheval, découvrir le pays des grandeurs a toujours été une envie, un rêve que je n'avais jamais réalisé. Que celui-ci s'est imposé à moi après toutes les épreuves qui me sont arrivées cette année. Et que, pourtant, mon rêve se transforme en cauchemar.
Je déblatère tout ce qui m'est arrivé depuis que j'ai posé un pied dans ce continent.
La perte de mes deux valises, la tâche sur mon tee-shirt en coton blanc dont j'ai écopé après que je me sois étouffée avec une fraise dans mes pancakes alors que je venais d'adresser un sourire moqueur et la bouche pleine au serveur. Comment j'ai ensuite trouvé un cheveu dans ces mêmes pancakes, me dégoutant de mon précieux mets.
Et aussi les tâches de merdes de chien sur mes chaussures et mon jean après que j'ai mis le pied puis glissé dans cette dernière et - comme si ce n'était pas suffisant ! - je me sois retrouvée les quatre fers en l'air, toujours dans ce même caca de chien ! Puis que je me suis faite arnaquer sur le rendu de la monnaie dans le magasin où je me suis arrêtée pour m'acheter un nouveau pantalon, tee-shirt et culotte et maintenant ça ! Cette réservation inexistante faisant de moi une SDF...
☆
Pénétrant dans les lieux, derrière mon hôte, je suis à l'affut de la prochaine déconvenue qui va m'arriver. Exactement cinq heures que je suis au Texas, et j'ai l'impression que je suis au maximum de ma maladresse et de ma malchance. Je suis habituée à ces petits inconvénients... Mais pas autant en si peu de temps !
Une fois dans le salon, il m'abandonne tandis que je contemple la table comme si cet objet sans conscience pouvait me répondre.
J'ignore combien de temps je reste immobile au milieu de cette pièce, dans l'attente d'une réponse qui ne viendra pas, mais lorsqu'il revient à mes côtés, il glisse ses doigts dans les miens pour me tirer à sa suite, me tirant ainsi de ma léthargie.
Sans rechigner, je le suis pour me retrouver dans la salle de bains. Elle est tout aussi simple que pleine de charme. Le plafond est blanc, tout comme les murs de la pièce. Un meuble en bois se trouve sous les deux vasques en pierre accrochées au mur, à droite de la pièce. Un autre meuble en bois se trouve contre le mur à l'opposé. Un sèche serviette chauffant sépare celui-ci de la baignoire d'angle... Baignoire qui laisse s'échapper des volutes de fumée, tandis qu'elle se remplit d'eau.
— J'ai pensé qu'un bain chaud te ferais du bien.
Je ne suis absolument pas perturbée par le tutoiement, totalement charmée par sa voix grave et son accent que je n'avais pas entendu jusqu'alors.
— Merci, balbutié-je, hébétée.
— Les serviettes sont le placard et je t'ai posé un tee-shirt et un short juste là, dit-il en me désignant les vêtements bien pliés, posés sur la machine à laver. Je vais préparer ta chambre. Elle est juste là.
Il pointe de son doigt la porte de la pièce qui sera ma chambre et, sans un mot de plus, il quitte la pièce, fermant la porte derrière lui. Encore sous le choc de mes mésaventures du jour, je me déshabille comme un automate, avant d'avoir une grimace de dégoût devant le constat des tâches de merde sur mon pantalon.
Totalement dévêtue, mon regard se plonge dans le reflet du miroir fixé au dessus des lavabos et une grimace se dessine sur mes traits devant le constat de mon apparence.
Tous mes petits cheveux sont ressortis et font des frisottis à cause de la transpiration, le reste de ma crinière étant totalement emmêlée suite à ma chute. Mon mascara à couler, certainement à cause des larmes versées, laissant de longues trainées noires sur mes joues. Mon fond de teint est porté disparu, de sorte que le ton de ma peau semble gris. J'espère que mon hôte - auquel je n'ai pas prêté attention - n'est pas mignon parce que ce n'est pas avec cette tête qu'il risque de craquer !
Encore plus dépitée, je me plonge dans l'eau chaude du bain et profite de l'odeur de coco qui s'échappe de celui-ci, soupirant de bien-être.
Après plusieurs minutes à profiter de cette sensation de béatitude et du calme ambiant, je prends conscience de ma situation. Je suis arrivée dans un pays inconnu, sans aucune connaissance et après une série de mésaventures, j'ai suivi un parfait inconnu, dont j'ignore le prénom, chez lui et me retrouve totalement nue dans sa baignoire.
Réellement, cette journée veut ma mort...
Avec ma chance, j'ai atterri dans l'antre d'un psychopathe et une fois que j'aurais fini mon bain, il m'égorgera comme on écorche un cochon.
☆
Fataliste, je regarde le plan de travail, entièrement recouvert de farine. Des coquilles d'œufs se dispersent tant sur ce dernier que sur le sol. Mon tee-shirt neuf n'a pas survécu à cette attaque non plus.
Après une bonne nuit de sommeil, heureuse d'être toujours en vie, j'ai décidé de faire pour mon hôte - que je n'ai pas revu hier, ce dernier étant absent lorsque j'ai quitté le calme de mon bain pour rejoindre ma chambre - des pancakes pour le remercier de son hospitalité.
Cependant, il s'avère que ce n'était pas une bonne idée, ma maladresse m'ayant poursuivie.
La cuillère m'a échappé des mains, laissant une trainée de jaune d'œuf sur son passage. Je me suis cognée en me baissant pour la ramasser et en me redressant rapidement à cause de la douleur, j'ai renversé le sachet de farine qui s'est empressé de se répartir partout, faisant chuter sur son passage les coquilles d'œufs abandonnées.
La constatation est inévitable. J'aime les pancakes, mais eux me détestent.
— Bonjour, bien dor...
La phrase de l'inconnu reste suspendue dans l'air quand il pénètre dans la cuisine et constate l'état de cette dernière.
— Je... Pardon.
Mes doigts s'emmêlent alors que je les fixe, ne voulant pas affronter le regard de mon interlocuteur.
— Je voulais faire des pancakes pour vous remercier mais ça n'a pas été une réussite. En plus d'avoir fouillé dans tous vos placards comme si j'étais chez moi, j'ai mis le bordel ! Désolée !
— Je pense qu'il serait préférable que je fasse les pancakes moi-même, dit-il en se penchant à mes pieds...
(What ? Déjà ?! Où c'est maintenant qu'il va m'égorger ?)
...pour ramasser la cuillère toujours au sol.
— Moi c'est Tyler. Tyler Scott.
Sa main est tendue vers moi et enfin, je pose mes yeux sur lui et je sombre. Totalement sous le charme.
Ses cheveux bruns sont en bataille, me donnant envie de plonger ma main dans sa tignasse. Sa mâchoire est carrée, terminée par un menton légèrement pointu. Sa barbe de trois jours lui donne un charme fou et accentue la couleur rose de ses lèvres pleines. Son nez retroussé me donne envie d'y déposer mes lèvres. Et je n'ai pas de mots pour décrire ses magnifiques prunelles vertes.
Je continue ma contemplation, en descendant mon regard sur ses bras musclés juste comme il faut. Son tee-shirt laisse deviner le dessin de ses pectoraux, puis de son ventre plat et ses jambes, tout aussi musclées que ses bras, sont mises en valeur par son jogging.
Ce mec est à damner à saint ! Et d'un coup, je déchante encore, me souvenant de l'état dans lequel j'étais hier et dans lequel je dois être actuellement. Oh mon dieu ! Je me suis ridiculisée...
Un léger rire me sort de ma transe.
— Amy. Amy Dubois, souris-je penaude en réponse, toute dignité envolée.
— Je sais, répond-il dans un sourire qui me fait chavirer.
Evidemment qu'il sait ! Comment oublier le nom de l'hystérique qui a tapé une crise dans l'établissement dont on est propriétaire et qu'on s'est senti obligé de ramener chez lui par pitié après que son employé soit aller le chercher totalement désespéré par l'énergumène assise en pleurs sur le sol et effrayant les autres clients ?
☆
Assise sur la balancelle, je contemple le levé du soleil qui se joue sous mes yeux. La nuit étoilée laisse place au rayon de l'astre brûlant, dévoilant des entendues de verdures, des pâtures dans lesquelles se trouvent les chevaux qui font la fierté de ce ranch.
Une douce odeur se glisse dans mes narines. Je m'arrache à ma contemplation pour poser mes yeux sur Tyler, prenant place à mes côtés, deux assiettes de pancakes au chocolat et aux fraises dans les mains.
Affamée, je me jette sur mon assiette, dévorant son contenu avec envie, tandis qu'une pensée me traverse en cette nouvelle journée.
Aucun regret.
Après ces deux années passées ici, au Texas, et malgré une première journée catastrophique, je ne regrette absolument pas mon voyage.
J'ai fini par récupérer mes deux valises, mais malgré l'arrivée de mes affaires, je n'ai pas cherché d'hôtel pour dormir. Je suis restée dans le ranch accueillant de mon hôte - qui s'est avéré ne pas être un psychopathe comme j'ai pu le penser à un moment donné - de façon définitive.
Au grand déplaisir de Myriam, je ne suis jamais revenue en France. Notre amitié est toujours aussi forte malgré la distance. Les appels en visio s'enchaînent même si c'est parfois compliqué avec le décalage horaire. Elle est venue me rendre visite deux fois. Et bientôt, ce sera à moi d'aller lui rendre visite.
Accompagnée de Tyler pour lui annoncer nos fiançailles et notre prochain mariage.
Mon regard se porte sur la bague que j'arbore fièrement depuis hier, avant de se poser sur mon fiancé.
Mon fiancé.
J'adore ces deux mots.
Un sourire se dessine sur mes lèvres avant que je n'aille les poser sur les siennes, dans un baiser doux et amoureux.
Il n'y a pas d'autres mots pour décrire ce que je ressens. Je suis tout simplement complètement, totalement amoureuse de cet homme qui m'a recueilli chez lui après ma crise d'hystérie comme on recueille un animal blessé, puis redonné confiance en l'amour, transformé mon cauchemar en rêve et aussi... Réconcilié avec les pancakes !
Finalement, mon rêve américain, je l'aurais vécu et ce, pour encore longtemps je l'espère.
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