Invisible
La musique résonne dans la propriété, tapant dans ma boîte crânienne dans un rythme soutenu et insupportable. Mes yeux ne cessent de vagabonder entre les différents groupes, alors que je suis seule dans mon coin, un verre à la main.
D'abord, ils se posent sur mon frère et son quatuor, totalement absorbés dans la partie de jeux vidéo qu'ils ont commencé. Deux d'entre eux s'affrontent, alors que les trois autres scandent le nom de leur favori. Des paris ont dû être lancés, comme ils en ont l'habitude.
A quelques mètres d'eux se trouve un groupe de filles, toutes plus jolies les unes que les autres, alors que je suis d'une banalité affligeante. Les beautés de la soirée, auréolées de succès, de popularité. Elles se sourient, discutent, se chamaillent les faveurs de mon aîné et de ses compagnons.
Puis il s'arrête sur Jérémy, penché vers l'oreille de Laure, qu'il tente de charmer. Je devine sans mal qu'il marivaude, dans l'espoir de faire craquer cette amoureuse de l'histoire. Comme je le suis aussi, intéressée par nos ancêtres, désireuse d'apprendre, même s'il n'y a jamais prêté attention.
La soirée bat son plein. Le rez-de-chaussée est rempli de mes comparses qui, malgré leur nombre, ne font pas attention à moi. Il pourrait y avoir deux personnes, comme il pourrait y en avoir mille, le constat serait le même.
Je suis invisible.
Personne ne me remarque, ne me regarde, ne fait attention à moi. Mes amis – si je peux les appeler ainsi – ont, soit refusé l'invitation, soit sont occupés ailleurs.
Ma respiration devient laborieuse. Mon cœur se serre, alors que mon palpitant s'emballe. Le bourdonnement dans mes oreilles s'accentue, alors que ma vision se trouble. Je me sens mal.
Délaissée.
Angoissée.
Oppressée.
Détestée.
Ce sont des petites choses, des couches, des strates qui, jour après jour, enveniment cette sensation de mal être. Je suis de trop. La poussière qui, malgré les coups de plumeau, ne cesse de rester, de s'accrocher alors que pourtant, la seule chose que l'on veut, c'est se débarrasser d'elle.
Alors je quitte la pièce sans qu'on ne me prête attention, comme d'habitude. Mes pas connaissent la direction par cœur et je pénètre dans ma chambre.
La porte se ferme derrière moi, atténuant le son de la musique, éteignant les discussions dont je suis exclue. Je profite du calme bienfaiteur procuré par la pièce, cherchant à apaiser les battements de l'organe qui me tient en vie, à retrouver un souffle régulier.
Après des minutes qui me semblent des heures, mon regard se pose sur mon reflet, renvoyé par le miroir qui se trouve dans la pièce. Un rictus moqueur se dessine sur mes lèvres.
Je suis insignifiante.
Je suis la fille qu'on ignore dans les conversations. Je suis celle dont les messages sont écartés et n'obtiennent aucune réponse dans les échanges groupés, qu'ils soient écrits ou parlés. Celle dont les idées sont ignorées. Celle qui ne trouve jamais sa place, toujours dans l'ombre, et que personne ne cherche à amener vers la lumière. Celle qu'aucun ne siffle, sur qui personne ne se retourne dans la rue. Celle qui, les rares fois où on l'a remarque, exaspère et dont la présence est tolérée uniquement pour ne pas passer pour le méchant en me foutant dehors.
Je suis ce pesticide nauséabond qui pollue l'existence. Celle du peuple, celle de mes amis, celle de ma famille. La mienne. Le constat est là. Je suis un virus destructeur pour ma propre personne.
De nouveau, ma respiration s'emballe. Mes poumons se compressent à la recherche d'air que je ne trouve pas. Mes muscles se crispent. Mes mains deviennent moites. Ma mâchoire se serre, alors que mes dents se mettent à grincer. Les larmes au bord des yeux, elles finissent par franchir la barrière de mes paupières pour couler le long de mes joues.
Dans un geste rageur, mon poing s'écrase sur le miroir qui se brise sous l'impact. De minuscules cristaux s'infiltrent sous ma peau écorchée, picorée de rougeur, mais quelle importance ? Qui le remarquera à par moi ? Personne.
La pulpe de mes doigts glisse sur la glace. Je la caresse, la cajole, fini par en extirper un morceau tranchant. Je le contemple comme un amoureux fixe sa promise, comme une mère couve sa progéniture du regard.
La solution est là.
Mes halètements diminuent. Mon pouls reprend sa valse, calme et lente.
Le sang se met à couler dans la paume de ma main coupée à force que ma prise se serre sur cet objet. Mon regard, jusqu'alors fixé sur ma psyché, est désormais incapable de se détacher des veines qui se dessinent sur mon poignet.
Une pression. Une seule petite pression et tous mes maux disparaîtront.
Après tout, qui s'en souciera ?
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