Elle est ma compagne depuis tellement longtemps que je ne sais plus à quoi ressemble ma vie sans elle. Elle me murmure à l'oreille. Elle compte mes larmes qui coulent la nuit, quand personne d'autre ne regarde. Elle me pousse à réfléchir mille fois avant d'écrire une ligne. Alors quand il a fallu appuyer sur le bouton pour envoyer ce fameux mail, c'est la première que j'ai écouté. J'ai reconnu les premiers signes, annonciateurs de sa venue. Parce que chacune de ses prestations s'accompagne d'un ballet de sensations toutes plus désagréables les unes que les autres. Pourtant, je n'arrive pas à m'en défaire.

Oh, quand j'ai enfin réussi à soumettre mon travail, j'y ai cru! Elle était tellement sidérée de me voir franchir ce cap qu'elle s'est tue un moment. Mais bien vite, elle est revenue à la charge. Et durant des mois, elle est restée penchée au dessus de mon épaule, analysant chacun des mots que j'ai pu poser sur le papier. Elle s'est amusée de mes erreurs, a jubilé devant mes échecs. Elle a même réussi à me faire douter maintes et maintes fois. Elle a bien failli me faire céder. J'ai été à deux doigts de tout abandonner une bonne dizaine de fois. Malgré tout, j'ai voulu lui montrer. J'ai voulu lui prouver que je ne suis plus la gamine renfrognée en sweat trop grand et jean troué.

Durant des mois, j'ai essayé d'écouter mes amies. Elles m'ont toutes tellement répéter de lâcher prise... Alors cette bataille, je la mène pour moi mais aussi pour les autres. Pour leur prouver qu'elles ont eu raison de me faire confiance. La confiance... Cette amie-là, j'aimerais la rencontrer. La séduire. La garder.

Alors malgré tout, pendant que j'écris ces quelques lignes, je sais que mon angoisse est là. Non pas tapie dans l'ombre, mais posée sur mon épaule. Elle me murmure que jamais je ne serais capable de la quitter pour être cette fille sur la photo. Celle qui saute de joie, qui profite de la vie. Non, moi je serai éternellement celle qui se demande ce qu'elle fait là, comment elle a réussi à réaliser tant de choses avec si peu.

Je sais que le chemin sera long. Mais j'ai des rêves plein la tête. Alors au-delà des démons qui hantent mon âme, je veux donner vie aux héros qui peuplent mon esprit. Je veux les voir naître, grandir, aimer, se tromper, tomber et se relever. Bien sûr, ils sont marqués par mon propre parcours. Je ne suis pas capable de leur éviter les écueils que j'ai rencontrés. Or, je sais les guider pour qu'ils sortent plus forts de leurs épreuves.

Parce que malgré tout, que je vende dix ou mille exemplaires de mon travail, j'ai enfin la fierté de dire que j'ai surmonté ma peur. Je me suis fait confiance. Et c'est top!

Promis, en deux mille vingt-et-un, je vous fais la même photo!