L'île des carapaces (1/1)
Il était une fois, sur une île dont le climat avait toujours été estival, un changement de temps qui changea les gens. Le soleil avait toujours brillé et la pluie était inconnue des habitants, jusqu'au début de notre histoire. Sur cette île, pas de maison ni d'immeuble : juste des cabanes faites de branches et de feuilles. Le soleil passait à travers les branches et réveillait chaque matin les habitant d'une douce caresse. Quand la pluie commença à tomber du ciel, ce fut elle qui se mit à réveiller les gens en passant entre les branches de leurs cabanes. L'histoire commença donc par une goutte de pluie ; même si personne, à ce moment, ne se rendit encore compte qu'une histoire débutait.
*
Mais la goutte de pluie fut suivie d'une autre, puis d'une autre. Bientôt, toutes les cabanes furent détruites par l'eau. Notre héros, Minhua, un jeune homme sensible et intelligent, comprit très vite que la vie ne serait jamais plus comme avant sur leur île. Il anticipait que la pluie changerait tout, et présageait que ce changement serait une catastrophe. Minhua était inquiet, et la pluie continuait à tomber. L'eau montait jour à près jour et, au bout de quelques mois, les insulaires vivaient les pieds dans l'eau. Minhua, comme tout le monde, dormais désormais à l'air libre, perché sur un rocher.
La pluie tombait rarement pendant la nuit et, dans son sommeil, Minhua oubliait que le monde avait changé. Quand une goutte le réveillait, il se souvenait soudain de la réalité, et le poids lui en semblait trop lourd à porter. Des larmes tombaient de ses yeux et venaient se mélanger à l'eau de pluie. Chaque jour, l'eau montait un peu plus. Bientôt, elle leur arriva aux chevilles, puis à la taille. Il fallait trouver des rochers toujours plus hauts pour se percher pour la nuit, pour s'allonger sans être noyé. Il fallait nager toute la journée, car l'eau était trop lourde pour arriver à y marcher.
Tout cela semblait si triste pour Minhua, qui se souvenait avec regret du temps où la vie de l'île n'était que joie et bonheur, magnifiques humains se promenant sourire aux lèves et bronzés de la tête aux pieds. Il fallait désormais, toute la journée, lutter contre le courant et faire des efforts juste pour ne pas se noyer. Plus personne ne semblait profiter de la vie, sourire, ou rechercher de la beauté. Tout le monde nageait, pêchait, et avançait les sourcils froncés en semblant très affairé à l'on ne sait quoi.
Un jour où Minhua n'était pas seul à dormir sur le rocher qu'il s'était choisit pour la nuit, on le vit en train de pleurer lorsqu'ils se réveillait. Ceux que Minhua pensait pourtant être ses amis semblaient se moquer de ses larmes. Ils lui dirent que pleurer ne servait à rien et, qu'au contraire, ses larmes ne feraient qu'augmenter l'inondation. Mais Minhua ressentait le besoin de pleurer. Il trouvait horrible que tous s'activent sans émotion, sans aucune pensée émue pour le monde paradisiaque qu'ils devaient abandonner, ni pour les êtres humains plein de vie et de beauté qu'ils avaient autrefois été.
*
Minhua semblait être le seul à vouloir pleurer. On l'accusa de faire augmenter le niveau de l'eau avec ses larmes, mais il s'en fichait. Qu'est-ce que quelques larmes en plus pouvaient bien changer, alors qu'il y avait déjà tant de pluie et qu'elle ne s'arrêterait probablement jamais ? Il donnait peut-être à la pluie quelques heures d'avance, mais qui profitait de ces heures, de toute manière ? A entendre les gens, il fallait se montrer fort, chercher des solutions, et surtout pas se laisser submerger par l'émotion.
Sauf que Minhua ne trouvait pas que la solution que ces gens avaient trouvée soit la bonne. Il n'en avait malheureusement pas de meilleure, mais il trouvait celle-là si moche et si triste. Les amis de Minhua, comme tout les habitants de l'île, passaient leurs journées à récupérer des morceaux de roche et de coquilles en tous genres. Ils avaient dans l'idée de se fabriquer chacun une carapace, dans laquelle ils pourraient vivre au sec. Certains avaient déjà fabriqué la leur, qu'ils utilisaient comme une barque, leur permettant de naviguer paisiblement sur les eaux.
Minhua, lui, détestait les carapaces, se sentant désormais séparé de ceux qui s'en étaient constitués. Il les trouvait hideuses et, pour des raisons esthétiques, préférait ne pas en avoir, quitte à être mouillé. C'était en fait plus qu'une histoire de laideur ; c'était une histoire de beauté désormais cachée, ce qui était infiniment plus triste. Les bords des carapaces montaient si haut, qu'on ne voyait plus les gens qui étaient dedans.
Minhua semblait être le seul à ne pas ramasser de cailloux et coquilles. Il nageait toute la journée, sentant avec plaisir ses larmes se mélanger aux flots. Il savait que les gens se moquaient de lui, de son absence de carapace, de ses larmes et de sa nostalgie pour le monde qu'ils avaient connu avant la pluie. Minhua savait que les gens se moquaient de lui, mais il se disait que les gens avaient tort. En les voyant eux, dans leurs carapaces, se laisser porter par le courant et s'assécher jour après jour, il se moquait lui aussi. Ces gens lui semblaient tellement ridicules, si loin des êtres humains qu'ils avaient été autrefois.
*
Les jours passèrent, les mois passèrent, les années passèrent, et la pluie continua. Minhua regardait les gens de loin, continuant à pleurer et à se mouiller. Tout le monde lui disait de se faire une carapace, mais il refusait toujours. Ces gens étaient tellement secs que leurs corps semblaient rétrécir. Leurs carapaces les protégeaient de l'inondation, mais elles semblaient aussi leur retirer toute vie. Jour après jour, Minhua avait l'impression qu'ils devenaient plus petits que la veille. Il se disait qu'un jour, il ne resterait plus d'eux que les carapaces.
Un jour, la pluie cessa. Minhua continua de pleurer, convaincu qu'elle retomberait de nouveau le lendemain. Mais la pluie ne tomba pas le lendemain, ni les jours qui suivirent, et le soleil se remit à briller. Le soleil fut plus fort que jamais et, perchés sur leurs carapaces, les corps secs de tous les habitants semblaient souffrir de la chaleur. Leurs jambes et leurs joues les brûlaient. Alors, sortant brièvement de leurs carapaces, ils essayèrent de se rouler dans l'eau qui restait au sol pour se rafraîchir. Quand il n'y eut plus d'eau au sol, ils essayèrent d'aller se baigner dans la mer, mais le sel leur brûlait la peau. Minhua leur conseilla de pleurer, pensant que les larmes les soulageraient, mais ces gens semblaient être devenus incapables de pleurer.
Quelqu'un eut alors l'idée de prendre sa carapace à bout de bras pour la porter au dessus de la tête. Cela lui permit de se protéger du soleil. Un autre eut l'idée d'accrocher la sienne au bout d'un bâton pour faciliter se geste. Alors, les gens, très vite, eurent de nouveau chacun une carapace derrière laquelle ils se cachèrent.
Sauf Minhua, bien sûr, qui trouvait les êtres humains trop beaux pour se cacher derrière quoi que ce soit. Il se reconstruisit une cabane de branches et de feuilles et, chaque matin, quand il était réveillé par les caresses du soleil, des larmes continuaient à tomber de ses yeux. Le climat était revenu comme avant mais les gens, eux, avaient définitivement disparu. Des ces humains autrefois si beaux et vivants, Minhua semblait être le dernier. Il trouvait cela infiniment dommage et, en hommage aux disparus, il versait quelques larmes chaque matin.
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