Pourpre (Mystrade)
Désolé pour le temps que j'ai mis à poster cet OS... il ne voulait pas se laisser écrire, le fourbe!
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Greg serra un peu plus son manteau autour de lui et accéléra le pas. Ses pieds avancèrent automatiquement. Ses pensées étaient ailleurs.
Ce matin, pour la première fois, il avait rencontré le Mycroft Holmes dont John lui parlait si souvent, et dont il avait finit par douter de l'existence. Sherlock, un grand frère ? Allons donc, comme si l'univers pouvait en supporter autant ! Et pourtant...
Ce Mycroft était, physiquement, très différent de Sherlock. Il avait indéniablement plus de classe. Et plus de charisme, aussi, c'était certain. Bon sang, la façon dont il se tenait, dans ce costume impeccable, légèrement appuyé sur son parapluie noir, son regard perçant, hautain, lorsqu'il s'était tourné vers lui, Gregory... Il déglutit. Pourvu qu'il n'ait pas découvert son secret...
Mais non, personne ne pouvait déduire une chose pareille rien qu'en le regardant. Si, en plusieurs années, Sherlock ne s'en était pas douté, un parfait inconnu n'avait rien pu deviner.
Il bifurqua dans une ruelle insalubre et sonna à la troisième porte ; deux coups secs, un long.
Il n'empêche, cet homme lui avait fait un drôle d'effet. Pourquoi se mentir : il l'avait troublé. Et cela faisait bien, bien longtemps, que Gregory Lestrade n'avait plus ressentit de trouble pour un autre.
La porte à laquelle il avait frappé s'ouvrit en silence. Il se coula dans l'ouverture.
L'intérieur était radicalement différent de ce que la façade décrépit laissait supposer. Il s'agissait d'un club anglais des plus traditionnels, murs en lambris, bar, fauteuils de cuir et vieux tableaux compris. Quelques hommes et femmes discutaient tranquillement autour des tables, tandis que d'autres lisaient le journal ou trainait sur leur portable, confortablement installés.
Le policier s'approcha du bar.
-Greg ! le salua la barman avec un sourire. Ça fait une paie qu'on ne t'a pas vu par ici !
-Salut Jessica. J'essaie de me restreindre, s'expliqua-t-il en s'asseyant tandis qu'elle lui préparait sa boisson habituelle, qu'il sirota avec délectation. Mais là, je n'en peux plus des poches congelées. Il me faut du frais, Jess ! Il doit bien y avoir un ou deux donneurs dans la salle, ce soir...
-Peter est occupé avec un autre, lui apprit la jeune femme, mais j'ai vu Ted, tout à l'heure. Je lui ai fait les tests habituels, bien sûr. Il est clean. Allez, mon beau, le pressa-t-elle en reprenant le verre vide, va te remplir la panse en te détendant un peu. Je suis absolument sûre que Ted ne s'en plaindra pas...
-Ben voyons, ironisa gentiment l'inspecteur en se tournant vers l'autre bout de la salle, d'où un beau jeune homme d'une vingtaine d'année lui adressa un sourire ravis
Un quart d'heure plus tard, ils étaient tous les deux nus, allongés dans le lit d'une des chambres de l'étage, et Greg plongeait avec délectation ses canines dans la gorge offerte de son jeune partenaire, qui soupira d'extase.
Le policier lécha avec délectation le sang chaud qui perlait de la blessure en faisant durer sur sa langue les saveurs familières. Une trainée pourpre glissa sur la peau pâle. Il l'essuya de ses lèvres, faisant gémir son partenaire. Il aimait bien Ted, il le connaissait depuis quelques années, déjà. L'affection qu'ils se portaient l'un à l'autre n'allait pas au-delà de la bonne entente, mais c'était déjà bien plus que ce qu'il pouvait espérer du reste de l'univers. La vie d'une créature telle que lui était solitaire.
Il goûta encore longuement le sang de sa consentante victime, qui ronronnait d'extase, survolté par les vertus aphrodisiaques de la salive vampirique. Greg sentit son entrejambe se contracter et se durcir. Pour une obscure raison, l'image de Mycroft Holmes, si beau dans son costume noir, passa devant ses yeux, enflammant ses joues.
Il se délecta de quelques gorgées supplémentaires de sang chaud avant de rompre l'échange pour ne pas trop affaiblir son partenaire, qui grogna de mécontentement et sombra presque aussitôt dans un sommeil profond, dont il ne sortirait que dans quelques heures.
Gregory se lécha les lèvres dans l'espoir de capturer la moindre goutte de sang restante. Même en payant à prix d'or et en se rendant dans des clubs spécialisé, il devenait vraiment dur, aujourd'hui, de trouver des donneurs de confiance, qui n'allait pas ensuite raconter leur vie sur les réseaux sociaux. Le sang chaud se faisait rare.
Gregory soupira et s'assit au bord du lit. Pourquoi se sentait-il si las ? Peut-être était-ce la solitude. Peut-être était-ce ce vide que, comme la plupart des autres vampires présents dans le club, il n'avait jamais réussi à combler, malgré ses deux siècles d'existence.
-Déjà rassasié ? Intervint une voix.
Greg fit un bond spectaculaire qui faillit l'envoyer au sol, les quatre fers en l'air. Le cœur battant à tout rompre, il tourna lentement la tête vers la porte donnant sur la petite salle de bain adjacente. C'est impossible, se répéta-t-il, impossible... Impossible...
Mycroft Holmes – le même Mycroft Holmes dont il venait de fantasmer la présence – se tenait là, debout, dans l'embrasure. Sa main gauche était nonchalamment appuyée sur son parapluie noir. L'autre pointait dans sa direction le canon d'un revolver peu commun.
-Mes balles sont emplies de bois, lui apprit tranquillement l'aîné des Holmes. Au moindre geste suspect, vous vous retrouvez avec l'équivalent moderne d'un pieux dans le cœur. J'appartiens au Club Diogène. Vous savez que je ne mens pas.
Le sang de Gregory se figea dans ses veines. Le Club Diogène. La plus grande organisation de chasseurs de vampires. Responsable de la Grande Éradication qui a presque exterminé les miens, au siècle dernier.
Je vais mourir.
Le constat s'imposa de lui-même, simple, concis. Il allait mourir maintenant, dans cette chambre miteuse, dans le même lit qu'un homme qui lui était indifférent. Il allait mourir, et personne ne s'en soucierait vraiment. Quoique... Sherlock et John, peut-être...
-C'est vrai que Sherlock risque de poser un problème si je vous tue aussi crument, soupira le chasseur de vampire en entrant dans la chambre pour s'installer tranquillement sur la chaise d'en face, une jambe au-dessus de l'autre, son arme toujours pointé en avant. Mon petit frère ne sait rien de l'univers où nous évoluons, vous et moi. Et il n'en apprendra jamais rien.
-Comment allez-vous me tuer, alors ? Demanda le policier en recouvrant son intimité d'un drap froissé, dans une tentative désespérée de rassembler une quelconque dignité.
-Cela dépendra grandement de la fin de cet entretien, répondit Mycroft Holmes.
-Entretien ?!?
-Vous savez que la politique du Club Diogène envers les vampires a changé, n'est-ce pas, ces cent dernières années ?
-Tous les vampires connaissent l'accord de Transylvanie, rétorqua Gregory en fronçant les sourcils, incapables de comprendre où l'autre voulait en venir. Celui qui boira le sang d'une victime non consentante ou utilisera ses capacités pour blesser sera aussitôt exterminé. Suivit de toute une liste de restrictions plus ou moins oppressantes et dégradante envers mon espèce. Mais passons.
-Lorsque je vous ai vu, ce matin, j'ai aussitôt déduit votre véritable nature, enchaîna tranquillement Mycroft, ainsi que nombres d'autres choses, dont le club où vous avez vos habitudes. Je me suis donc rendu ici pour vous attendre, en choisissant le moment où vous seriez le plus vulnérable, pour m'assurer de deux choses. Premièrement, que vous n'étiez pas un danger pour Sherlock.
-Jamais ! s'exclama Greg, outré qu'on puisse simplement le suggérer.
-Deuxièmement, les membres du club Diogène disparaissent un par un, tous les trois jours, depuis exactement deux mois. Je veux que vous infiltriez les cercles vampiriques extrémistes pour me permettre de résoudre cette affaire.
-Vous voulez que je vous aide à sauver des chasseurs de vampires ? Répéta Greg, incrédule.
-Je ne veux pas, inspecteur. J'ordonne, et vous suivez. Les droits d'un vampire sont facilement révoqués, vous savez. Vous n'aimeriez pas que je vous chasse...
Gregory déglutit, les joues soudain un peu plus chaudes. Mais qu'est-ce qui lui prenait ? Mycroft Holmes était dangereux. Il ne devait pas baisser sa garde. Même si ce danger était précisément ce qu'il y avait d'attirant chez lui...
-Je vous laisse vous rhabiller, conclut Mycroft en baissant enfin le canon de son arme. Vous avez dix minutes. Rejoignez-moi dans le couloir.
Et il sortit, aussi majestueusement que s'il quittait la salle du trône, laissant dans son dos un inspecteur légèrement dépassé par les évènements.
Lestrade attrapa ses habits. Sa vie venait de prendre un tournant complètement inattendu... Et étrangement excitant.
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Mycroft ferma son ordinateur d'un coup sec. Il allait s'autoriser une seconde de liberté lorsque son portable vibra, le coupant dans son élan. En temps normal, il n'aurait jamais accepté qu'un appareil lui dicte sa conduite et se serait accordé la pause qu'il estimait mériter. Mais il savait de qui venait le SMS qui venait d'arriver, et ne put s'empêcher de se jeter sur son portable pour le déverrouiller. Le coin de ses lèvres se releva, dans l'ébauche d'un sourire qui aurait étonné plus d'une de ses connaissances.
Voilà deux mois qu'il collaborait avec l'inspecteur Lestrade. Au début, leur relation était restée strictement professionnelle. Mycroft lui transmettait des ordres, le vampire les exécutait et lui relayait des informations en échange. Contrairement à ce que Mycroft avait supposé, l'inspecteur était loin d'être bête. Il ne possédait pas la même intelligence que lui, son frère, ou sa sœur maudite, bien sûr, mais une sorte d'instinct qui l'aidait à comprendre les motifs sous-jacents qui poussaient les gens à agir. Il fallait se l'avouer : c'était un excellent policier. Et ce n'était pas tout : il s'agissait aussi d'une personne foncièrement honnête, d'une façon désarmante. Malgré sa réaction de surprise initiale, il ne poursuivait pas les kidnappeurs de chasseurs parce que Mycroft le lui ordonnait, non, il agissait ainsi parce que c'était la bonne chose à faire, aussi stupéfiant cela soit-il. Ces chasseurs avaient exterminé et oppressé les vampires durant des siècles, il tenait à les sauver, même si ça revenait à accuser les siens. « Mais si l'on continue à perpétrer la haine, Monsieur Holmes, lui avait-il répondu lorsqu'il en avait fait la remarque, qui restera-t-il encore en vie à la fin ? Ma race, la vôtre, mon peuple, le vôtre... Si l'on admet pas qu'on est l'un comme l'autre capable des mêmes crimes et des mêmes bonnes actions, on s'en sortira pas. ». Cette intégrité allait à l'encontre de tous les stéréotypes de son espèce. Les vampires étaient censés être dissimulateurs, perfides et égoïstes...
Mycroft soupira. Plus le temps passait, plus il avait l'impression que le monde tournait à l'envers, et qu'il se trouvait autant, voir plus, d'hypocrisie et de perfidie chez les humains, particulièrement chez les chasseurs, que chez les buveurs de sang.
Le message de Lestrade s'afficha enfin à l'écran. « Hello ! J'espère que vous avez votre plus beau parapluie sous la main, car vous allez avoir du travail ! J'ai rencontré un buveur un peu trop enthousiaste tout à l'heure (je l'ai coffré, au passage, ce crétin transportait un kilo de drogue). Il paraît que les Descendants de Dracula (plus je répète ce nom, plus je le trouve idiot) vont se réunir ce soir pour planifier leur prochain gros coup. »
Le SMS s'arrêterait là. Il veut que je lui demande la suite, songea Mycroft avec un nouveau sourire fugitif. Car, oui, pour ne rien arranger, le plus improbable était arrivé : le vampire s'était mis à flirter avec lui. C'était si absurde – il était au sommet de la hiérarchie des chasseurs, tout de même – qu'il n'avait pas réagit tout de suite. Trop tard, il s'était rendu compte que le jeu l'amusait. C'était insensé (permettre à un vampire d'entretenir l'idée de le séduire !), et même très dangereux pour sa carrière et sa vie, car il évoluait dans un milieu des plus racistes envers les buveurs de sang, les loups-garous et les sorciers et sorcières, mais il ne pouvait s'empêcher de le relancer, et même parfois – mais ça il ne l'avouerait jamais – de quêter sur son visage la trace d'admiration et d'appréciation qui y apparaissait toujours lorsqu'ils étaient l'un en face de l'autre. Ce qui impliquait qu'il devait le voir, de temps en temps. Pour la mission. Simplement la mission.
« Vous connaissez le nom de leur leader ? » envoya-t-il.
« Vous pourriez dire bonjour, tout de même ! Il paraît que c'est une femme, elle s'appelle Lucy. Vous croyez que c'est LA Lucy de Dracula ??? »
« Non, idiot, celle-là est morte il y a longtemps. Vous n'avez jamais lu de court d'histoires ? A. Stocker, le fondateur du club Diogène, l'a brulé vive »
« Les chasseurs ont toujours eu un certain sens de la fête... »
« Où sera la réunion de ce soir, inspecteur ? »
Quelques secondes s'écoulèrent avant que le prochain message ne s'affiche. Mycroft fronça les sourcils. Il n'aimait pas ça. Qu'est-ce qui faisait hésiter le policier ?
« Est-ce qu'on pourrait se voir, Holmes ? »
« Pourquoi ? »
« Pour profiter de mon inestimable présence ?... »
Mycroft ne daigna pas répondre.
« D'accord, d'accord », concéda l'inspecteur deux minutes plus tard, « J'aimerais vous parler à propos de ce soir, l'opération... Qu'allez-vous faire des vampires extrémistes, lorsque vous les aurez capturés ? »
« Ils seront jugés selon les accords de Transylvanie et éliminés », écrivit Mycroft sans hésitation.
« Je voudrais négocier. La prison à vie, mais pas la tuerie. Il y a eut assez de sang versé par nos deux camps (sans mauvais jeu de mot), et la plupart des vampires essaient si fort de mener une vie normale... Je ne veux pas d'une autre guerre ».
« Je ne peux pas vous promettre une chose pareille, Lestrade », répondit Mycroft, contrarié. Étrangement, il pouvait imaginer l'air qu'arborait le vampire à présent, un regard triste, à la fois fier et suppliant. Le regard de quelqu'un qui a vu trop de violence, et veut désespérément bâtir quelque chose de mieux.
« Holmes... Mycroft... Je vous en prie ! Si nous ne cessons pas maintenant le cercle vicieux des représailles, il ne s'arrêtera jamais ! On pourrait au moins essayer ! »
Mycroft tourna son visage vers la fenêtre de son bureau. Il faisait froid, dehors, et gris. Essayer... C'est vrai qu'il n'avait tenté de faire quoi que ce soit pour faire bouger le statue-quo.
Un mouvement attira son attention. La main crispée sur le révolver qui dépassait de sa poche, il se coula jusqu'à la fenêtre...
Une silhouette familière l'attendait, de l'autre côté de la rue. Une silhouette bien bâtit, vêtu d'un long manteau sombre. Un visage légèrement tanné, ou se devinait une barbe de quelques jours. Des cheveux argentés, comme le reflet d'une lame. Il est fou de s'aventurer si près du club ! Songea Mycroft en se précipitant hors de son bureau pour le rejoindre dans la rue.
Quelques instants plus tard, ils étaient face à face, dehors. Londres tournait encore, tout autour d'eux, mais eux restaient immobiles, incapables de trouver les mots.
-J'aimerais vous montrer quelque chose, déclara finalement Gregory d'un ton extrêmement doux.
Étrangement, Mycroft ne se méfia pas un instant. Il suivait un vampire, c'est vrai. Mais ce n'était pas n'importe quel vampire. C'était Gregory Lestrade.
Ils marchèrent en silence un petit quart d'heure avant de s'arrêter face à une grille ouvragée dont le lierre obscurcissait les failles, bloquant la vue. Gregory tira la petite clochette qui pendait sur le côté et la grille s'entrouvrit, juste assez pour laisser passer la tête d'un homme qu'on aurait estimé dans la quarantaine, mais que Mycroft situa plutôt dans la trois-cent cinquantième. Ils entraient dans une propriété vampirique. Pourtant, une nouvelle fois, Mycroft suivit l'inspecteur sans hésiter. Pourquoi ? D'où lui venait cette certitude absurde qu'il ne lui ferait pas de mal ?
Ayant visiblement reconnu le policier, le gardien les laissa entrer, referma la grille dans leur dos, et retourna s'enfermer dans la petite cabane qui jouxtait l'entrée. Mycroft ne dit rien. Devant lui s'étendait un vaste jardin, entouré de murs hauts de plusieurs mètres. Perçant allégrement l'herbe drue se tenait là, debout ou penché, tout un peuple de croix, de statues, et de pierres tombales, si nombreuses et si serrées qu'elles peinaient épargner un passage suffisant pour circuler.
-Un cimetière clandestin, constata le chasseur dans un souffle.
-Oui, confirma doucement Gregory sans le regarder. Durant des décennies, vous avez empêché que les vampires soient enterrés. Vous préfériez les brûler entièrement, afin qu'on oublie jusqu'à leur existence. La plupart de ces tombes sont vides. Mais cela fait du bien d'avoir un endroit où se recueillir. C'est... apaisant.
Il y avait tant de tristesse et de gravité, dans cette voix, que Mycroft se sentit traversé d'un frisson de compassion. Il était peut-être réputé de glace, mais pouvait-il voir un tel homme souffrir tant, et ne pas s'insurger contre pareille injustice ? Si le monde tournait rond, une personne comme l'inspecteur Lestrade serait heureuse et vivrait entouré de gens qui l'apprécieraient pour sa valeur. Il ne devrait pas souffrir. Il méritait tellement mieux...
-Combien en connaissiez-vous ? demanda-t-il en s'approchant d'une tombe.
-Beaucoup, répondit la voix éraillée du vampire. Beaucoup trop. Mes trois petites sœurs dorment ici. Tuées la même nuit, par le même chasseur.
La gorge de Mycroft se serra. Il n'osait imaginer ce qu'il ressentirait si Sherlock...
Une main se posa sur son épaule. Surpris, il se retourna. Gregory qui lui faisait face, un air déterminé sur son visage grave. Je préfère lorsqu'il sourit, songea fugitivement Mycroft.
-Mycroft... C'est pour cela que je veux arrêter cette guerre. Nous avons fait tant de progrès ces dernières années. Ne les gâchons pas pour un groupe d'extrémiste abrutis. Personne ne devrait perdre sa famille ainsi, ou ses amis, ou ses amants... Personne.
-Vous attendez beaucoup de moi, Gregory... Souffla Mycroft, perturbé – mais pourquoi ? – par cette main toujours posée sur son épaule.
-Parce que je sais que vous pouvez beaucoup, répondit le policier en s'approchant encore, jusqu'à ce qu'ils ne soient plus séparés que de quelques centimètres. Vous êtes l'être le plus extraordinaire que je n'ai jamais rencontré, Mycroft Holmes, et, croyez-moi, j'ai vu assez de personnes pour établir une bonne comparaison. Si quelqu'un peut faire cesser ce conflit, c'est vous.
-Gregory, je suis un chasseur, murmura Mycroft en plongeant ses yeux dans les siens, si proche, et vous êtes un vampire, vous...
-On s'en fout, le coupa le vampire en se penchant pour l'embrasser.
Ses lèvres étaient sèches et salées contre celles de Mycroft, qui se sentit traversé d'un frisson interdit, si violent qu'il lui bouleversa le cœur.
Le baiser ne dura que quelques secondes, à peine. Gregory se sépara, le souffle court, les joues rouges.
-Je ne voulais pas... Balbutia-t-il. Enfin, si, je voulais, mais je n'avais pas prévu de... de... Je veux dire...
Un doigt de Mycroft, posé sur ses lèvres, le fit taire.
Ils s'observèrent longuement, découvrant au fond de leur regard une attraction profonde qui les effrayait autant qu'elle les poussait l'un vers l'autre.
-Je donnerai l'ordre de ne tuer personne, dit Mycroft en retirant si doucement son doigt des lèvres du policier qu'on aurait pu croire à une caresse. Vous avez raison. Cessons cette guerre.
Gregory sourit et l'embrassa de nouveau, plus fort. Mycroft glissa ses mains dans ses cheveux pour mieux presser ses lèvres sur les siennes, mieux sentir son corps contre le sien...
-Oh, Mycroft... murmura le policier en se séparant de lui. Je voudrais tant... Je veux dire... Je...
Ses yeux brillaient sauvagement, plantés sur son cou vulnérable. Mycroft aurait dû être terrorisé, mais le regard était si brûlant qu'il transperçait son armure de glace et agitait son cœur de sentiments puissants, luxures, désir, affection...
-Nous verrons plus tard, trancha-t-il en tentant de se composer un air professionnel. D'abord, finissons le travail. Donnez-moi l'adresse et l'heure de la prochaine réunion organisée par « Lucy ».
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Mycroft se mordit les lèvres en faisant les cent pas dans son bureau. Quiconque serait entré aurait été stupéfait de le voir si anxieux, lui d'ordinaire si impassible. Mais ces espèces d'abrutis... Ces ânes bâtés... Ces idiots...
Mycroft cessa ses pérégrinations et prit une grande inspiration. Il avait donné l'ordre de ne tuer qu'en dernier recours. Mais la chasseuse qui commandait la force d'attaque avait débarqué au beau milieu de la réunion et tiré dans le tas au lance-flamme. L'imbécile avait été sévèrement punie, bien sûr, mais le mal était fait. Mycroft avait passé la nuit à contempler l'écran mort de son portable. Comment allait-il dire à Gregory que...
Une sonnerie feutrée brisa le silence, le faisant presque sursauter. Il se jeta sur l'appareil comme la faim sur le monde.
-Gregory ! s'exclama-t-il. Je voulais t'appeler...
Bon sang, mais que lui arrivait-il ? Il n'avait pas été si paniqué, si incohérent, depuis ses huit ans !
-Mycroft, lui répondit une voix assez glaciale pour figer le sang dans ses veines.
-Gregory, où es-tu ? Demanda Mycroft d'un ton qu'il n'espéra pas trop désespéré. Il faut que je te parle...
-Vraiment ? Et que voulez-vous me dire, Monsieur Holmes ?
Il y avait de la colère, dans cette voix, mais aussi de la détresse, comme une larme qu'on n'ose pas laisser s'échapper. Le cœur de Mycroft se serra. Il lui avait fait du mal. Tant de mal...
-Vous voulez m'expliquer que vous étiez sous couverture ? Continua le policier, sa voix se brisant un peu plus à chaque mot. Que votre mission était de me soutirer le lieu de la réunion, afin d'éliminer le plus de vampires possibles ? Que le reste... Tout le reste... Pensiez-vous au moins la moindre chose que vous...
-Gregory, le coupa Mycroft, je n'étais pas...
-Tiens donc, intervint une autre voix, au bout du fils. Ne serait-ce pas l'inspecteur Lestrade ?
-Qui êtes-vous ? Lâcha la voix du policier, redevenu froide et agressive.
-Nous sommes ce qu'il reste du clan de Lucy, connard ! Cria quelqu'un.
Un grognement de douleur étouffé empli le combiné, arrêtant momentanément le cœur de Mycroft.
-Le gardien du cimetière t'a vu traîner avec un chasseur, lâcha de nouveau la voix. Remarque, toi, t'as pas à t'en faire pour ta pierre tombale. On n'enterre pas les traîtres.
Nouveau cri de douleur.
-Embarquez-moi ça ! Lança la même personne.
L'appareil crissa, contre l'oreille de Mycroft, et la conversation coupa.
Il resta quelques secondes immobile, le téléphone contre l'oreille, la respiration retenue, le cœur battant à tout rompre. Puis il raccrocha.
Tu ne veux peut-être pas d'une guerre, Gregory, mais s'ils te touchent, je les massacre tous, jusqu'au dernier.
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Un point rouge pulsait devant ses yeux, propulsant dans son corps des ondes de douleur.
Gregory tenta de récupérer ses esprits. Que s'était-il passé ? Où était-il ? Pourquoi se sentait-il si lourd, et pourquoi sa tête bourdonnait-elle ainsi ?
Voyons voir... Petit un : je me suis fait enlevé par ces enflures de vampires extrémistes. Petit deux : je me trouve dans un endroit sombre, froid et humide, une cave, certainement. Petit trois : je suis torse nu, et suspendu au plafond par les pieds.
Cette dernière constatation lui procura un sursaut de panique. Sa tête se trouvait à plus d'un mètre de hauteur. Ses bras étaient attachés à un anneau, scellé au sol, qui l'empêchait de se redresser.
-Oh, mais notre ami est enfin réveillé ! s'exclama une voix. Comment ça va ? Le sang ne t'a pas trop monté à la tête, j'espère...
Gregory ferma les yeux et essaya de garder son calme. Il savait ce qui allait suivre. Il connaissait le sort traditionnellement réservé aux traitres chez les vampires.
Il allait mourir. C'était si bête... Deux mois plus tôt, il avait cru que Mycroft allait le tuer, lorsqu'il l'avait découvert dans sa chambre, au club. Puis il avait changé d'avis, et songé que le chasseur était peut-être, au contraire, son salut. J'avais eu raison dès le début, songea-t-il en tentant vainement de retenir quelques larmes brûlantes. Je n'étais qu'un pion pour lui. Je n'étais rien, rien qu'un autre vampire à tromper, utiliser, et abandonner le moment venu. Comment ai-je pu m'imaginer...
Une douleur cuisante à la joue le fit revenir au présent.
-Reste avec nous, le poulet, ricana l'un de ses agresseurs en lui frappant l'autre joue, pour la forme. Sinon, tu vas manquer toute la partie amusante... Je peux y aller, patron ?
Greg eut à peine le temps d'entendre la réponse positive qu'une douleur abominable lui transperçait l'estomac. Il hurla à s'érailler la voix, tandis que son tortionnaire enfonçait avec un plaisir sadique une barre de fer au milieu du ventre.
Par-delà l'atroce douleur, l'inspecteur sentit le sang chaud, poisseux, glisser en ruisseau abondant de sa blessure à sa clavicule, de sa clavicule à son menton, puis à son visage, puis au sol, où il commença à s'égoutter à une cadence vertigineuse.
Ils vont me saigner jusqu'à ce que la mort m'emporte, réalisa Greg juste avant de s'évanouir.
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Sept minutes plus tard, une explosion faisait trembler les fondations du bâtiment, suivit de cris de douleur, d'appel, et d'écho de balles lancées à bout portant.
Il fallut trois minutes à Mycroft pour comprendre où Gregory était retenu dans le bâtiment et s'y précipiter, sans arme ni escorte.
Lorsqu'il ouvrit la porte de cette cage insalubre, il crut que son cœur allait s'arrêter. La vision de cet homme qui le touchait tant, suspendu comme de la viande, et cette barre qui lui transperçait le ventre, et tout ce sang, bon sang, ce sang...
-Gregory ? Murmura-t-il en s'approchant, le ventre tordu d'angoisse à l'idée de ce qu'il pourrait trouver. Gregory ?
Sans prendre garde au reste de son équipe qui venait d'entrer dans la pièce, ou aux battements désordonnés de son cœur fou d'anxiété, il plaça sa main devant la bouche du vampire... de son vampire...
VIVANT ! s'exclama-t-il intérieurement en relâchant le soupir de soulagement le plus pesant de son histoire. Vivant ! Enfin, autant qu'un vampire peut l'être.
-Vous, là ! Invectiva-t-il deux hommes qui se tenait à l'écart. Détachez-le. Vite.
-Mais, Sir, c'est un vam...
Mycroft le regarda dans les yeux, coupant net la moindre protestation. L'homme se dépêcha de couper les liens qui entravaient Greg et l'allongea sur le sol.
Mycroft prit une grande respiration et referma la main autour de la barre métallique qui perçait la chair. Pour un humain, c'eut été meurtrier de l'enlever. Pour un vampire, qui cicatrisait en quelques minutes, c'était nécessaire.
Il fit le vide en lui, tenta de se détacher le plus possible de la situation... Et tira un grand coup.
La barre s'arracha à la chair avec un bruit spongieux qui retourna l'estomac du chasseur. Un flot de sang jaillit de la blessure, partiellement arrêté par le tissu que Mycroft pressa sur la plaie. En soi, la blessure, si elle était profonde, n'était pas bien large. Il faudrait à peine dix minutes à un métabolisme vampirique pour cicatriser. Après tout, ce n'était pas pour rien qu'ils étaient si dur à tuer...
Mycroft sentit quelque chose de froid infiltrer son pantalon, au niveau des genoux. Du sang. Il était agenouillé dans une mare de sang. Celui de Gregory.
Ils l'ont presque saigné à blanc, réalisa-t-il avec horreur, car c'était là la façon la plus cruelle d'occire un vampire. S'il ne reçoit pas de sang frais, il va mourir...
-Monsieur ? s'inquiéta l'un des hommes qu'il avait amenés avec lui.
-Taisez-vous, Gregson, fusa la réponse, coupante.
Il remonta la manche de son bras droit jusqu'au coude et prit une grande inspiration. Ce qu'il s'apprêtait à faire allait non seulement le mettre en posture vulnérable vis-à-vis du vampire, mais aussi bouleverser les codes de leurs deux mondes et mettre en péril sa place au Club, ainsi tout ce qu'il avait construit jusqu'ici. Mais Gregory souffrait à ses pieds, l'homme qui l'avait embrassé si tendrement la veille était en train de mourir, et c'était sa faute. Il ne pouvait pas laisser une chose pareille arriver.
Il ouvrit la bouche du policier inanimé et y glissa son poignet, de façon à ce qu'il appuie contre les canines qui, à première vue, ressemblaient à celles d'un simple mortel, mais coupait comme un rasoir. Il retint un gémissement de douleur lorsque l'émail coupa sa peau, libérant un mince filet de sang. Mycroft entendu des cris de stupéfactions, de l'autre bout de la pièce, mais son attention resta concentré sur ce visage froid, immobile. Et si c'était trop tard ? Et si...
Les lèvres se refermèrent sur son poignet et les dents s'enfoncèrent un peu plus profondément dans la plaie. Il retint un frémissement de douleur mais ne bougea pas, laissant le vampire toujours inanimé boire instinctivement le sang qui lui était offert.
Étrangement, la douleur s'évanouit, laissant la place à un grand calme, puis à une sensation de chaleur qui fit rougir furieusement le chasseur. Ce n'est pas le moment !
Gregory buvait toujours son sang. La salive de vampire l'empêchait d'en ressentir les effets, mais Mycroft savait qu'il allait bientôt atteindre ses limites. Il tenta de retirer sa main, lentement, mais les dents canines restèrent fixées dedans. Surtout, ne pas paniquer, songea Mycroft, ne pas laisser paraître le moindre signe suggérant que la situation n'est pas sous contrôle, où ils le tueront.
Il posa son autre main sur l'épaule du policier et se mit à la serrer, le plus fort possible. Réveille-toi... Réveille-toi...
Greg ouvrit lentement les yeux, très lentement, comme si ses paupières étaient faites de plombs Il se sentait faible, mais si bien... Un liquide chaud coulait dans sa gorge, un liquide absolument fabuleux, un sang qu'il avait rêvé de goûter depuis des mois, celui de...
-Mycroft ! s'exclama-t-il en relâchant sa prise sur le poignet du chasseur, qui récupéra sa main.
Il était pâle, mais sur son visage aux traits tirés dansait un soulagement immense.
-Mycroft, souffla le policier allongé sur le sol en tournant sa tête vers lui. Tu es fou... Tu as...
-Envoyé valser les règles pour construire une meilleure société, où les tiens et les miens seront des individus égaux, répondit négligemment Mycroft. Et aussi...
Il se pencha et l'embrassa tendrement, goûtant sur ses lèvres la saveur de son propre sang. Gregory glissa ses mains dans ses cheveux pour embrasser en retour le chasseur qu'il aimait depuis qu'il l'avait rencontré.
-Tu ne voudrais pas rester près de moi tout l'éternité, par hasard ? Souffla-t-il lorsqu'ils s'écartèrent.
-Commençons par la nuit prochaine, veux-tu ? Répondit Mycroft en se redressant.
Les autres chasseurs furent prit d'un frisson d'effroi. C'était la première fois qu'ils voyaient Mycroft Holmes sourire.
Une vibration se fit soudain entendre. Les sourcils froncés, Mycroft plongea la main dans sa poche pour se saisir de son téléphone.
-Ben voyons, soupira-t-il.
-Des problèmes ? S'inquiéta Lestrade. Sherlock ?
-Il semblerait que le Docteur Watson, je cite, « soit accidentellement devenu un loup-garou ».
-Il suffit qu'ils s'éloignent une semaine...
-Incroyable...
-Et bien sûr, qui va recoller les pots cassés ?
Ils lâchèrent en même temps un soupir exaspéré. Puis Mycroft se pencha et l'embrassa de nouveau, pour la forme.
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