Le retour se fait en silence. Matt, inquiet, a eu l'hôpital : Tout va bien.

- On appelle Peter ? lui demandé-je.

Il hoche la tête, soucieux, s'installe derrière l'ordi.

- Vas-y. Je fais des recherches rapides sur le net !

- Salut, Peter, dis-je en mettant le haut-parleur pour que Matt entende. Nous sommes à la maison. As-tu de nouvelles informations ?

- Oui. J'ai beaucoup de choses à vous dire. Je peux passer d'ici une heure ?

- Tu as une drôle de voix, ça va ?

- Écoute... je fais au plus vite et j'arrive.

Je n'ai jamais entendu Peter avec cette voix tendue. J'essaye de cacher mon angoisse pour ne pas tracasser Matt. Il se retourne vers moi, se lève et me serre dans ses bras. Je reste contre sa poitrine. La journée a été longue, riche en rebondissements et en émotions. Matt, décidément bien silencieux, soupire et se recule.

- Je te préviens, si Peter me sort un truc comme quoi on ne peut pas l'accueillir parce ce qu'on est homo, je vais tout casser !

- Je sais... Va prendre une douche, ça va te détendre.

- Si tu viens avec moi, je serais vraiment détendu ! plaisante-t-il avec un clin d'œil égrillard.

- Tu as raison ! dis-je en rigolant. Après tout, on ne sait pas de quoi demain sera fait.

- Même si elle vit avec nous, on pourra toujours prendre des douches pendant qu'elle dormira ! me répond-il en souriant.

- Il faudra juste faire plus attention. Ne perdons pas de temps, Peter arrive bientôt...

- Il ne rentrera que si on lui ouvre ! Tu ne lui as pas donné de clefs, hein ? m'interroge-t-il.

Il est nu en deux minutes et me mate pendant que je me déshabille à mon tour. Puis nos bouches, nos mains prennent le contrôle et toutes les tensions s'effaçent.

- Peter ne va pas tarder. Il faudrait peut-être t'habiller, tu ne crois pas ?  précisé-je à Matt vautré en travers du lit.

- Nan. Je reste à poil ! Peut-être changerais- je d'avis si tu m'embrasses ! essaye-t-il.

- Pas question. Lève-toi !

La sonnette retentit au même moment. Je fais entrer Peter, il a vraiment une sale tête. Matt arrive à son tour et l'examine.

- J'ai fini mon service et je prendrais bien un verre, déclare mon supérieur.

- D'accord, mais tu couches ici, précisé-je .

- Est-ce que ton état a quelque chose à voir avec la petite ? demande Matt d'une voix sourde.

- Elle s'appelle Ellie. Comme les initiales de Elisabeth, Line, Lou, Inès et Emma, répond Peter d'une voix sourde.

- Ellie, prononce Matt comme pour en apprécier le son. Vas-y raconte.

- Ça ne sort pas d'ici, nous sommes d'accord ? Tu lui as fait part des découvertes ? me demande Peter, les sourcils froncés.

- Non, j'ai préféré t'attendre, dis-je alors que Matt me fusille du regard.

- Donc, en résumé, dans le vieux bâtiment, on a trouvé une pièce cachée. Dans celle-ci, il y avait cinq paillasses. Et au dessus de chacune, un prénom gravé dans un morceau de bois.
La pièce n'avait aucune ouverture, ni eau, ni électricité. La scientifique étudie les prélèvements.

- Pourquoi dis- tu que c'est son prénom ?

- J'y viens, Tom, j'y viens. Nous avons fouillé tout le bâtiment, sondé tous les murs, et découvert  une autre pièce, fermée en deux par un rideau. Là, il y avait l'eau et l'électricité. Une baignoire. Un WC. Une caméra.

- Bordel ! grogne Matt.

- Et de l'autre côté du rideau ?

- Un lit, une table, des chaines, des menottes, des accessoires divers et variés. En gros, tout le matériel nécessaire  pour filmer du porno hard. Mais aucune trace des films ! Rien !
Par contre, il y avait un cahier avec des chiffres - sûrement des sommes - et à la fin quelques lignes.

<< Ces sales putes ne m'auront plus, avec la petite dès qu'elle sera en âge, que je l'aurai dressée, je me ferai des paquets de pognon. Je vais l'appeler Ellie, les initiales de ces cinq putes. >>

On ratisse tout le périmètre. Cela risque de prendre du temps, conclut Peter.

Nous restons silencieux tous les deux, choqués.  Puis Matt, dans un accès de colère, éclate son verre contre le mur.

- Bordel ! Et après on s'étonne qu'elle se comporte comme un animal sauvage !

- Sais-tu si c'est le mec dans la maison ? demandé-je plus pragmatique.

- Non. Il faut attendre les résultats des analyses ADN.

- Mais qui l'a flingué ?

- Poignardé. Il a été poignardé, en plein cœur. Et non, on ne sait pas, Matt !

- En fait, vous ne savez pas grand chose ! crie Matt. Excuse-moi, Peter. J'ai juste grave les nerfs ! Elle vit dans cette merde depuis quatre ou cinq ans.

- Ce que je sais Matt, réplique mon collègue, c'est que sans ta satané curiosité, elle serait sûrement morte.

- Tu t'es renseigné ? Sur les possibilités qu'on la prenne chez nous ? 

- Personne ne connaît  son existence à part les forces de police et le toubib. Nous n'avons aucun renseignement pour l'instant sur une quelconque famille. Ce n'est peut-être pas réglo mais d'après ce que tu m'as dit, Tom, ils n'ont pas d'autres possibilités que l'asile vu son comportement. Alors si vous, vous vous en sentez capable, cela semble être la meilleure solution pour elle.

- Son comportement ? Si j'étais à sa place, je me contenterai pas de mordre, grommelle Matt.

- Je ne lui reproche pas, mais pour eux cela relève de la psychiatrie.

- Les muets sont fous maintenant ? Ils n'ont même pas fait d'examens pour voir si c'était de naissance ! Ils s'en branlent ! En fait je me demande même si quelque part, cela n'aurait pas été mieux pour eux qu'elle crève dans sa niche.

- Elle est toujours aussi agressive ?

- Non. Je pense qu'elle a compris que Matt ne lui ferait pas de mal. Elle lui sourit et elle lui a même fait une bise sur la joue !

- C'est vrai ? Elle a très mauvais goût, cette petite, se moque Peter pour détendre l'atmosphère. Elle comprend, cela veut dire que si elle est muette, elle n'est pas idiote. Donc elle évoluera vite.

- Oui, j'en suis sûr. Elle a un visage très expressif. Sa peur et sa joie se voient aussitôt. Elle a même accepté d'embrasser Tom...pour me faire plaisir ! réplique Matt en tirant la langue comme un gamin.

- Comment tu as fait pour l'apprivoiser avec ta grande gueule, c'est cela que je n'arrive pas à comprendre !

- Avec de la patience et ma belle voix, bien sûr, se vante Matt. J'ai cru avoir perdu sa confiance, tu sais : j'aurai dû être là à son réveil. Elle a dû être terrifiée !

- Vous lui avez dit que vous aimeriez qu'elle vive avec vous ?

- Oui. Elle nous a regardé l'un après l'autre et elle a sauté au cou de Matt. Je pense que c'est assez clair.

- En effet. Je ne sais pas si je pourrais obtenir une aide financière...

- Je crois qu'on arrivera à la nourrir sans aide financière, tu sais, Peter.

- Il n'y a pas que la bouffe. Les fringues, les soins médicaux... tout ça coûte cher. Je vais voir ce que je peux faire.

- Peter ! Tom a un bon salaire et même si je n'ai rien sur le feu actuellement, je peux toujours faire des traductions ! Je n'ai pas appris trois langues pour rien !

- C'est vrai.  J'avais oublié que sous ton air de voyou, tu es une tête. Mais elle sera avec toi, donc moins de temps libre voire pas du tout !

- Déjà je ne suis pas une tête, j'ai une facilité pour les langues, proteste-t-il. Et je peux bosser la nuit, je ne suis pas un gros dormeur.

- Bon, je vais rentrer. Je suis mort.

- Nan. Tu es HS et tu as bu. Tu reste là. Pas de discussion.

- J'ai bu deux verres Matt ! Je peux conduire.

- Ouais. Et t'endormir au volant. Tu restes là, fin de la conversation.

- Tom ? Il faudra que tu m'expliques comment tu peux le supporter.