-Luzie! Luzie! Regarde j'ai eu un zourire à l'école!

Une voix enfantine la fit émerger d'un sommeil sans rêve. La douce lumière qui filtrait à travers les légers rideaux la fit cligner des yeux. Une bouille souriante lui faisait face, inspirant la joie de vivre et l'insouciance. Le petit Enzo frôlait les quatre ans et tenait dans sa main une feuille où s'étalait un coloriage dont il était fier. Les couleurs étaient vives et l'ensemble se mariait assez bien mais à certains endroits, le feutre avait dépassé de son cadre. Mais pour rien au monde elle l'aurait dit à son neveu. Elle lui caressa la joue tendrement.

-C'est trop beau ! Je sais que tu es le plus fort!
-Mamaan ! Luzie a dit que je suis le plus fort!!

Et il partit en trombe en direction du couloir, laissant la jeune femme seule dans la chambre aux couleurs pastels. Elle se rallongea sur les draps en fermant les yeux, c'était moelleux et apaisant. Elle avait besoin d'une pause et ses nerfs la remerciaient bien de ce moment d'accalmie. Des flash-back lui revinrent en tête et elle se redressa aussitôt. Pas question de penser à ça! Si elle continuait à rester amorphe, elle allait ressasser ses souvenirs, chose qu'elle souhaitait éviter par dessus tout. Se levant doucement, elle s'étira avant de remarquer la présence d'une femme en peignoir adossée au mur du couloir, qui l'observait attentivement.

-Bien dormi ? J'avais l'impression que tu en avais bien besoin...

Lucie jeta un coup d'œil à son portable qui venait de vibrer, signe d'un message reçu. Le retour à la réalité. Sans le consulter, elle s'en empara, le fourrant dans la poche de son jean.

-Ce n'était pas qu'une impression Fanny.
-Ta mine ne me dit rien qui vaille, s'esclaffa sa sœur. Tu veux du thé? Ou du café?
-Du thé, ça ira très bien.

Ainsi, elle suivit sa sœur aînée jusqu'à la salle de séjour où elle retrouva Enzo devant un dessin-animé. Tandis que Fanny se dirigeait vers la cuisine, Lucie s'assit aux côtés du petit bout qui lui laissa généreusement une place. Il s'exprimait avec un entrain ce qui lui mit du baume au cœur, les enfants étaient décidément d'une bien meilleure compagnie que les adultes pour remonter le moral.

-Regarde, lui, il va avoir des pouvoirs.
-Ah bon?
-Oui et il est le plus fort! Il va les battre, tu vas voir! s'exclama Enzo, les yeux brillants.
-Mais il est pas dangereux alors? Parce que ça fait peur les pouvoirs quand même..

Le garçon secoua la tête en gardant un œil sur l'écran.

-Mais non, il va défendre son n'amoureuse!
-Oh! Je comprends mieux alors! Il est très gentil alors s'il la protège.

Il acquiesça mais il était à nouveau obnubilé par les aventures du héros déguisé en chevalier. Elle lui caressa ses boucles brunes tandis qu'il se lovait contre elle en serrant son ours en peluche tout neuf qui sentait bon la lessive. Il en avait de la chance... En soi, une peluche permettait aux enfants de les apaiser et d'avoir toujours quelqu'un à leurs côtés pendant les petits et grands chagrins. La respiration de son neveu contre elle la rassurait et elle se laissa aller à cette douce torpeur enfantine. Alors sans cesser de caresser délicatement la chevelure d'Enzo, elle le prit pour son doudou à elle. En effet, sans le savoir, il l'apaisait dans un moment de grande tristesse et de doutes.

-Toi tu as des choses à me raconter..., commença Fanny en posant le plateau de thé et biscuits sur la table basse.

Elle s'assit en tailleur, à même le sol et lança un regard d'avertissement à son fils qui avait déjà repéré les sablés. Puis, elle se tourna lentement vers sa petite sœur. Lucie si discrète, si secrète. Elle l'avait d'ailleurs toujours été, calme et si mature pour son âge. Toujours modeste, à se fondre dans la masse et fidèle à elle même. Elle ne faisait pas ses dix-neuf ans, elle en paraissait dix de plus.

Fanny en était même venue à se demander comment avait-elle réussi à former un couple avec Eric. Non pas qu'elle doutait que sa sœur soit attirante mais elle la voyait plutôt cheminer seule. Et elle était certaine qu'elle pourrait être célibataire sans que cela ne la dérange vraiment.

-Alors...? reprit Fanny.
-Alors quoi?
-Justement, à toi de me le dire. Je suis toute ouïe!
-Je n'ai rien à dire, c'est toi qui semble le penser.
-Mais oui, bien sûr. Allez crache le morceau. Je parie que c'est un soucis de coeur.

Elle en eut la confirmation lorsque Lucie ouvrit la bouche pour répondre mais elle resta muette. Fanny sourit, goguenarde et émit même une idée.

-J'irais même plus loin. Je dirais que ça ne concerne même pas Éric.
-Tu peux arrêter tes hypothèses farfelues ? assena-t-elle soudainement. T'es pas ma psy que je sache!

Lucie détourna le regard et resserra inconsciemment son étreinte sur Enzo, en guise de protection. Bingo, sa soeur avait eu du flair ! Elle n'était pas née de la dernière pluie pour comprendre que quelque chose clochait. Le soucis s'avérait bien plus complexe qu'une simple dispute de couple. Fanny soupira discrètement avant de demander tendrement:

-Et si tu me racontais Lucie...?