Tango - 1 / 2
" Un pas en avant, un pas en arrière, le couple est un tango. L'important est de finir par se toucher... "
Christophe Chenebault
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Fred
Allongé de tout mon long sur le sol de la salle de répétition, je tente de reprendre ma respiration. Cela fait cinq jours que je subis le rythme effréné que m'impose mon nouveau partenaire. Je n'ai pas eu droit à un seul moment de répit et nous sommes qu'à notre première semaine d'entrainement. Là tout de suite, je suis bien décidé à ne plus faire un seul geste.
— Bouge-toi, nous avons encore du travail, exige Jae en me poussant du bout du pied.
Je refuse d'un mouvement de tête en fermant les paupières.
— Je suis épuisé. Laisse-moi mourir en paix.
Un ricanement m'arrive aux oreilles et me fait rouvrir un œil. Jae est penché au-dessus de moi et m'observe avec une expression railleuse.
— Tu n'en peux déjà plus après deux petites heures de répétition ? Le grand Fred qui a fait tomber toutes les femmes à un kilomètre à la ronde n'a pas autant d'endurance que je l'aurai cru.
Je referme aussi sec les yeux en grognant. Ce salaud qui remet en cause ma résistance... Pour avoir autant d'énergie, c'est qu'il ne doit pas en baiser beaucoup des femmes... ou peut-être qu'il n'en baise pas du tout...
— Dois-je te rappeler que j'ai aussi assuré tous les cours de la journée ? Sais-tu le nombre de fois où mes pauvres orteils ont été écrabouillés et mon dos malmené ? Il est vingt heures, nous sommes samedi soir, mes pieds sont en charpie et je meurs de faim. Je ne bougerai pas d'ici.
— Fred... gronde-t-il en m'enfonçant son pied dans les côtes . Je ne vais quand même pas devoir te forcer à te lever comme un gosse ?
Je me marre rien qu'en y pensant.
— Essaie toujours.
Il souffle bruyamment. J'entrouvre un oeil pour capturer son expression. Il est furax. Tant mieux.
— Paloma rentre bientôt. Ce sera beaucoup plus compliqué de répéter avec elle dans les parages. Nous devons profiter de toutes les occasions que nous avons avant son retour. Dois-je aussi te rappeler que je me suis libéré tous les après-midi pour te filer un coup de main pendant les entraînements. Le moins que tu puisses faire c'est de faire un effort.
Je soupire, dépité. Il me gonfle à avoir constamment raison. Pourtant je préfèrerais être dans un bar en train de draguer plutôt que de subir sa tyrannie. Même si je ne suis pas sûr que j'aurais la force de bouger. Je n'ai jamais fait autant d'efforts de toute ma vie et il n'est toujours pas satisfait, cet ingrat.
— Tu ne sais donc pas t'arrêter ? Tu sais, une petite pause de temps en temps ça permet de repartir du bon pied. Je ne reprendrai la répétition qu'après avoir mangé quelque chose et avoir bu un verre. Je t'invite, affirmé-je en tendant les doigts pour qu'il m'aide à me relever.
Il délibère une seconde avant de saisir ma main pour me tirer vers lui.
— Ok, mais vite fait et on s'y remet immédiatement.
— D'accord et tu me fais un massage des pieds en supplément ? Le nargué-je en souriant de toutes mes dents une fois face à lui.
Il lève les yeux au ciel en me lâchant.
— Même pas en rêve... Le dernier ne t'a pas suffi ?
Aussi bizarre que cela puisse paraître... non. Je réalise que même s'il s'est bien foutu de moi l'autre soir, je ne cracherais pas sur un moment en tête à tête avec ses doigts de fée. Ses massages sont un pur délice. Au moins, notre petit arrangement a au moins ce côté positif. Qu'il soit potentiellement gay ou pas ne change rien au fait que j'y ai pris goût.
D'ailleurs, le sujet de ses préférences sexuelles me turlupine de plus en plus. Oserais-je lui demander franchement ? Ça ne remettrait absolument pas en question notre partenariat, ni notre relation, mais je m'interroge... Avec son physique, il ne doit pas avoir de mal à séduire, autant les femmes que les hommes. Alors pourquoi ne l'ai-je jamais vu avec quelqu'un ? De mon côté, ça fait quinze jours que je n'ai pas touché une femme, le manque et la frustration commencent à peser sur mon moral. Et lui ? Il est fait de marbre ou quoi ? Sexy comme il est, peut-il se contenter d'une vie si morne, quasiment monacale ? Je n'ai pas le temps de m'attarder sur cette épineuse question, qu'il récupère son portefeuille dans son sac, se dirige vers la porte et se retourne en me toisant avec impatience.
— On y va ? Nous n'avons pas toute la nuit.
— Ouais... grogné-je, irrité de son ton autoritaire.
Je le rejoins en trottinant et nous empruntons les escaliers qui nous mènent dehors. Il fait encore jour et l'air sent bon l'été en ce milieu du mois de juin. J'ai hâte de profiter de la douceur de cette soirée sur une terrasse avec une bonne bière fraîche.
— Tu as des nouvelles de Paloma ? m'interroge-t-il alors que nous nous engageons sur le trottoir.
— Non. Et toi ?
— Aucune...
— Bizarre. Je pensais que tu en aurais...
Son regard curieux se pose sur moi. Nous tournons au coin de la rue avant que je ne réponde à sa question silencieuse.
— Qu'elle ne me tienne pas au courant de ses recherches n'est pas étonnant. Elle n'est pas du genre à me ménager. Mais toi. Je pensais qu'elle t'envoyait un petit compte-rendu journalier.
Une fois encore, son attention s'attarde sur moi pendant que nous marchons côte à côte dans les rues animées du centre de Paris.
— Pourquoi le ferait-elle ?
Un rire désabusé m'échappe. J'enfonce mes poings dans mes poches et hausse les épaules.
— Nous savons, toi et moi, que tu es son petit préféré. Si elle s'obstine à nous trouver des partenaires, c'est surtout pour toi.
Il se place devant moi et m'oblige à m'arrêter. Je l'affronte sans ciller.
— Ne dis pas n'importe quoi. Nous sommes dans la même galère. Paloma se démène autant pour moi que pour toi.
— Ouais, si tu le dis, ricané-je en le contournant pour reprendre ma route.
Il reste immobile quelques secondes, le front plissé avant de me rejoindre.
— De toute façon, continue-t-il en se calant sur le rythme de mes pas, si nous n'avons pas de nouvelles, c'est mauvais signe. C'est que sa prospection ne donne rien. Et la question ne se pose même plus puisque nous dansons ensemble maintenant.
Cette fois-ci, c'est moi qui m'arrête au milieu du trottoir. Il avance de plusieurs pas avant de réaliser que je ne le suis plus. Il se retourne et lève un sourcil interrogateur.
— Et si elle nous trouve vraiment des partenaires...
Il ne répond pas et se contente de me fixer. Nous restons l'un en face de l'autre à nous dévisager pendant que les marcheurs nous dépassent. Cette possibilité est très mince, mais elle existe malgré tout, surtout quand il s'agit de Paloma et de sa détermination à toute épreuve. Que se passera-t-il si elle y arrive ? Notre petit duo disparaîtrait et avec lui notre amitié balbutiante ?
— Allons-y. Nous avons encore du travail qui nous attend, lance-t-il en reprenant sa route sans me répondre.
Mais voudrais-je seulement qu'il le fasse ? J'espère soudain que nous ne serons pas confrontés à ce choix, car le pincement dans ma poitrine me confirme que je ne veux pas perdre ce que nous sommes en train de construire, aussi délirant, improbable et fragile que ce soit.
J'avale ma gorgée de bière en soupirant de bien-être. J'avais bien besoin de cette petite sortie. Je repose ma pinte sur la table, pose nonchalamment le bras sur le dossier de ma chaise et prends le temps d'étudier l'homme qui m'accompagne. Tendu, il n'a pas du tout l'air dans son élément. Il jette des coups d'œil désapprobateurs à tout ce qui nous entoure en sirotant sa boisson. De mon côté, je me sens comme un poisson dans l'eau. Nous sommes sur la terrasse de mon bar préféré, les rayons du soleil couchant baignent d'une lueur chaude la rue piétonne où nous nous trouvons. C'est noir de monde, on s'entend à peine, mais l'ambiance est festive. Je pioche une frite du bout des doigts et la pointe vers Jae.
— Détends-toi ! Tout le monde est de bonne humeur alors que toi, tu tires une tronche de trois mètres de long.
Il affiche un air blasé en imitant mon geste et avale sa prise d'une seule bouchée.
— C'est une perte de temps, se plaint-il.
— Tu sais, manger et boire est indispensable à tout être humain...
Il plisse les paupières et m'assassine du regard. Par contre, moi, je me régale. Je fourre une nouvelle frite dans ma bouche en riant.
— Tu ne sors jamais ? Tu ne vas pas me faire croire qu'en dehors de la danse, tu ne fais que métro - boulot - dodo.
— Il n'y a aucune honte à ça ! J'ai un objectif et je me donne les moyens d'y arriver.
— Quelle tristesse ! Et pour... tu sais... la bagatelle, tu t'y prends comment ?
Nous voilà sur la bonne voie. Vais-je enfin obtenir un indice ? Je me penche imperceptiblement vers lui, impatient d'avoir sa réponse, tout en feignant de tremper mon morceau de pomme de terre dans la mayonnaise.
— Il n'y a aucune bagatelle chez moi.
— Ô pitié ! Tu ne me feras pas croire qu'un mec comme toi se contente d'une vie d'abstinence, affirmé-je en m'enfonçant dans mon siège.
— Comment ça, " un mec comme moi " ?
Je le désigne d'un geste de la main.
— Ben, tu sais...
— Non, je ne sais pas. Explique-moi, me défie-t-il de son air suffisant.
Ce salaud. Il va m'obliger à le dire. Je repousse ma bière sur le côté et me penche au-dessus de la table en le fixant droit dans les yeux.
— Tu sais très bien que tu es canon. Ne joue pas au con avec moi.
Un frémissement soulève le coin de sa bouche avant qu'il ne retrouve son air impassible. Je m'éloigne et croise les bras en le toisant.
— Sois sincère, continué-je, je suis sûr qu'il y a une personne dans cette pièce avec laquelle tu aimerais rentrer ce soir. Tu ne peux pas être aussi indifférent.
Il ne bronche pas, les yeux rivés sur moi. Putain, il ne va rien laisser filtrer. Je survole la terrasse d'un coup d'œil à la recherche d'une cible qui pourrait l'intéresser, mais ce n'est pas si simple puisque je n'ai aucune - aucune - idée de ses préférences.
— Là, regarde cette jolie demoiselle, m'exclamé-je en la désignant d'un geste du menton. Elle est mimi avec sa jupe plissée. Tout à fait ton genre.
Il ne prend même pas la peine de tourner la tête et reste focalisé sur moi. Ok. Essayons autre chose - ou un autre sexe... Je reprends ma recherche et tombe sur un mec aux muscles dessinés sous son t-shirt moulant et aux dents blanches, incroyablement bien alignées.
— Et lui ? Pour un mec, il est carrément beau gosse... c'est ton style ?
Aucune réaction. Bordel, je n'arriverai jamais à percer sa carapace.
— Sois cool, me lamenté-je. Joue le jeu. C'est juste pour rire.
Sur ce, il termine d'un trait sa bière, pose son verre et sort son portefeuille. Il se lève en déposant un billet sur la table.
— Ne t'inquiètes pas pour moi, susurre-t-il en se penchant à mon oreille. Je vais effectivement rentrer avec quelqu'un et cette personne finira dans mes bras.
Je refoule le frisson que son souffle chaud fait courir sur ma peau et m'éloigne pour le scruter.
— Ah oui ? Qui ?
Ses pupilles lumineuses me dévisagent, me laissant dans l'attente.
— Toi, finit-il par lâcher.
Scotché, je reste comme un con à le regarder regagner la sortie avant de bondir pour le rejoindre en riant car effectivement, c'est avec moi qu'il rentre. Et je vais inévitablement finir entre ses bras...
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