Chapitre 6 ... 06 /07/ 1994 21h20
Edward fixait la luminescence d'un lampadaire du centre-ville, le souvenir de l'altercation trente et une heures plus tôt le tourmentait encore. Il subissait l'inquiétude tant redoutée, comment joindre Juliette ? Le maître-chien s'était précipité à la mairie pour rester sur le devant. Il avait manqué de courage à faire irruption à l'intérieur, rechercher qui pouvait connaître la mère de Juliette dont il ignorait le prénom.
Il ne cessait de revivre l'intervention du père, la frayeur, la soumission de Juliette.
Edward regrettait amèrement l'interruption du père de Juliette. C'était pourtant un mélange réciproque, un partage accepté ! Cela ne faisait pas l'ombre d'un doute qu'il aurait pu obtenir plus que... Il ragea en silence. C'était comme apercevoir un billet de deux cents francs avant de le voir disparaître dans le caniveau.
Il était rentré affligé au camping ou son collègue avait dû l'abandonner pour faire une course urgente.
Un souvenir rassurant refit surface. Juliette connaissait son adresse, il se souvenait l'avoir partagé au cours d'une discussion.
Il avait tant espéré la voir pénétrer le jour même ou le surlendemain dans le camping, mais ce ne fut qu'un rêve utopique !
Il était parti travailler le soir avec des remords lui tordant l'estomac.
La patrouille avait été d'une tranquillité énervante, il n'avait cessé de repasser en boucles le souvenir malencontreux.
Cette journée avait été vide de sens pour Edward, il avait renoncé à l'idée de la revoir. C'était définitivement terminé. Comment son père avait-il pu les débusquer aussi vite ? La faisait-il surveiller ?
Il quitta le lampadaire du regard pour suivre son équipier qui traversait la route. Pourquoi le monde était-il si injuste ? Il était parvenu à faire une rencontre intéressante pour qu'on lui retire aussitôt ! Il avait dû prendre son courage à deux mains pour oser affronter une fille en compagnie de sa mère. Ce n'était pas un jeu de plateau, aucune seconde chance pour tenter à nouveau. Il trébucha du trottoir.
— Edward, sois plus concentré, s'exclama Roland, le policier municipal.
— Pardon, qui y a-t-il ?
— Alerte nuisance nocturne au trente-six rue de l'Aconit aux Couteaux !
— C'est loin ?
— À environ quatre cents mètres.
— Vous semblez connaître les lieux ?
Le policier municipal acquiesça du visage en plissant des lèvres.
Le maître-chien tira fermement la laisse de son chien traînant dans l'herbe. Il croisa un jeune couple enlacé tendrement, leurs gloussements, murmures, l'agacèrent. Il détourna le regard pour se concentrer sur son équipier bifurquant sur la gauche. Roland, habituellement si détendu, affichait une anxiété troublante dans son regard. L'intervention semblait ne pas être aussi anodine que prévu, son équipier ne cessait d'accélérer.
La musique résonnait en faisant trembler les branches des arbres. Une demeure de luxe avec arbustes taillés se dessina bientôt au trente-six rue de l'Aconit. Edward attarda son attention sur le mur de pavés entassés, le portail électronique en bois brut de deux mètres de haut. Roland approchait déjà du portail à barreaux métallique formant des nuages. Les buissons empêchaient de voir le rez-de-chaussée de la demeure.
Le maître-chien regarda avec insistance Roland pressant à plusieurs reprises la sonnette. Le policier détourna le regard vers son partenaire de patrouille.
— Je vais gérer la situation, rejoins le bout de la rue !
— Vous êtes...
Un verre s'éclata en mille morceaux contre le portail en coupant la parole à Edward. Une jeune femme en nuisette d'une vingtaine d'années contourna les buissons pour suivre le petit chemin menant au portail. La lumière du lampadaire de la rue permettait de voir la poitrine au travers de la transparence du vêtement de nuit. Elle prit la direction du policier en chancelant.
— Roland... c'est toi ? Tu te décides enfin à...
Le policier municipal pointa sèchement l'extrémité de la rue au maître-chien.
— Va m'attendre là-bas !
Edward devait respecter la hiérarchie l'âge, il devait avoir au minimum six, huit ans de plus. Il partit tête basse avec son chien. Il détourna le regard une dernière fois pour apercevoir la jeune femme soulevant la nuisette dans l'entrebâillement du portail. Pourquoi ce genre de situation n'arrivait qu'aux autres ?
Le maître-chien aperçut plusieurs lumières s'allumant à différentes fenêtres de maison. Il fit demi-tour pour avertir Roland, mais celui-ci avait déjà pénétré dans le jardin. Il choisit de ne pas s'en préoccuper. Il prit son paquet dans la veste de sécurité pour attraper une cigarette. Le chien le fixait alors qu'il l'allumait.
— Quoi ? À mon avis j'aurais largement le temps de la fumer.
Le berger allemand s'assit pour le dévisager.
— C'est ma septième de la journée, tu ne vas pas m'en faire toute une histoire.
Il évita le regard de reproche de son chien pour observer les alentours. La route en cul-de-sac, les lampadaires en forme de cloche, l'emplacement de poubelles démontraient une résidence privée hors de prix. L'arrêt subit de la musique confirma que Roland avait dû pénétrer dans la demeure. Le maître-chien joignit ses doigts derrière sa nuque pour se détendre tout en fumant. Il prit alors conscience qu'il avait lâché la laisse. Il détourna immédiatement le regard vers son berger allemand pour découvrir qu'il n'avait pas bougé. Edward n'avait pas participé à son dressage, on lui avait administré un malinois pour son service maître-chien de dix mois. Rex avait été dressé au mordant, à la recherche sur zone par un autre maître-chien dont il avait oublié le nom. On lui avait rappelé le danger à posséder un tel animal dans le civil. Il était conscient que Rex pouvait tuer.
L'ambiance était paisible dans la résidence, il en aurait presque oublié l'altercation d'hier ! Le grognement soudain de Rex le fit sursauter, le chien quitta sa position calme pour celle d'attaque. Il se pencha pour récupérer la laisse quand il entendit des bruits de pas dans son dos. Le berger allemand contourna son maître qui serra fermement la laisse pour le stopper.
— Vous gardez la résidence, lui demanda une rouquine cheveux court en tee-shirt ?
— Je suis en patrouille avec la police, annonça fièrement Edward en évitant d'être remarqué comme simple agent de sécurité.
Il la jugea de haut en bas, les cuisses fermes sous le short, le tee-shirt moulant une assez forte poitrine, la cigarette qu'elle sortait sensuellement d'entre ses lèvres humides.
— Vous êtes venu vous occuper de la chienne de Jeanne ?
— Pardon ?
— Là où a disparu le policier municipal voilà cinq minutes !
Le maître-chien haussa les paupières. Il ne l'avait pas croisé par hasard, elle avait assisté à toute la scène.
— On nous avait avertis de la nuisance nocturne.
— Ah ça, les nuisances, elle en fait parti.
Edward ne put s'empêcher de sourire.
— Moi c'est Rosanne et toi ?
— Edward !
Le claquement du portail les fit sursauter, Roland marchait dans leur direction. La jeune femme se pencha sur Edward pour lui murmurer à l'oreille.
— J'habite la maison bleue sur la gauche, le vingt-trois rue de l'Aconit. Je t'attends demain à quatorze heures !
— Euh, OK ! À demain.
Il la regarda partir en souriant bêtement, il venait de se faire draguer pour la première fois.
— Que voulait-elle, demanda Roland ?
— Rien, juste nous remercier d'avoir stoppé le bruit.
Le policier n'en crut aucun mot, mais ne persista pas, il ne désirait pas venir sur la situation dont le maître-chien avait été témoin.
Ils poursuivirent leur patrouille calmement. Rien d'autre ne se produisit.
Edward n'avait désormais qu'une seule idée en tête, Rosanne !
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