#1 : Who comes from the sea ?
Chaque jour, entre vingt heures et vingt heures vingt, elle était là. Sa longue robe blanche volait au vent et elle tenait les pans de sa veste en jean autour d'elle comme pour se protéger de quelque chose. Qu'importe la température, qu'il fasse chaud, froid, qu'il vente, qu'il pleuve, elle était là, dans sa robe blanche et sa veste en jean sur les épaules. Ses longs cheveux bruns étaient retenus par un simple élastique et relevé en queue de cheval, ce qui ne les empêchait de descendre jusqu'en bas de son dos.
Je n'avais jamais vu son visage, et pourtant, je ne pouvais m'empêcher d'être fasciné par cette fille. Je la contemplais de loin, m'imaginant toutes sortes de choses les plus insensé à son sujet. Était-elle une ado qui prenait un peu l'air après une énième dispute avec ses parents ? Peut-être était-elle tout simplement une habitante de la ville qui venait regarder l'océan ? Elle aurait très bien pu être une riche héritière venant prendre un peu de bon temps ici, ou une actrice américaine cherchant un peu d'intimité. Mon cerveau tournait à plein régime à chaque fois que je la voyais apparaître. Elle était d'une ponctualité remarquable. Chaque jour, elle arrivait de sa démarche singulière - comme si elle glissait sur les pavés de la rue – à vingt heure précise et repartait vingt minutes plus tard.
Pourquoi ? Qui était-elle ? Que venait-elle faire là ? Mon cerveau tournait à plein régime à chaque fois que je la voyais apparaître. J'aurai très bien pu aller la voir les soirs où je n'étais pas de service, mais je me trouvais des excuses, mettant mon incapacité à aller la voir sur le dos de mes études ou des soirées entre amis. Ceux-ci avaient remarqué que je n'étais plus tellement avec eux depuis deux ou trois mois et avaient mis ça sur le dos d'une amourette que je tenais cachée. Avaient-ils tort ? Je n'étais pas attiré par cette fille, j'étais intrigué. Je ne pouvais même pas lui donner un âge. Elle aurait très bien pu avoir treize ans, comme vingt-cinq ou quarante.
Aurais-je du aller lui parler ? Probablement. Mais je ne le fis pas, paralysé par la peur de ce que j'aurai pu découvrir. Et elle finit par disparaître, aussi mystérieusement qu'elle était apparu.
Le premier soir où elle n'est pas venue, je ne me suis pas inquiété, elle devait être malade et n'avait pas pu venir ce soir-là. Le lendemain, je ne m'inquiétais pas non plus, même si je sentais bien qu'au fond de moi, il y avait quelque chose qui clochait. Lorsqu'au bout d'une semaine elle n'était pas réapparue, j'avais dû me rendre à l'évidence : elle était partie.
Après cette révélation, je m'étais senti mal. Le poids de ma propre lâcheté pesait sur mes frêles épaules. Le patron, voyant que je n'étais pas dans mon assiette l'avait ordonné de prendre ma soirée et de rentrer chez moi. Affligé, j'avais enlevé mon tablier, l'avais rangé dans le vestiaire et enfilé ma veste, puis, comme un automate, j'étais sorti. Les derniers rayons du soleil avaient réchauffé mon visage, comme une caresse. J'étais resté debout sans bouger pendant une bonne dizaine de minutes avant de me décider à bouger. J'avais avancé comme une marionnette jusqu'au pont devant le restaurant, le pont où elle s'arrêtait chaque soir. Je m'étais arrêté et avais posé mes mains sur le bois moulu, attendant qu'un miracle se produise. Qui aurait cru qu'un miracle pouvait avoir l'apparence d'un vieillard appuyé sur une canne en bois qui paraissait presque aussi vieille que le pont ? Certainement pas moi. Et pourtant, il était là, devant moi.
Ses yeux bleus me fixaient sans me voir et un frisson m'avait parcouru. Cet homme était aveugle et pourtant, il semblait lire en moi comme dans un livre.
« Lamar, m'avait-il appelé. C'est bien ton nom ? »
Abasourdi, je n'avais pu que hocher la tête en silence avant de me rappeler qu'il ne pouvait pas me voir et j'avais murmuré que c'était bien mon prénom, avant de lui demander comme il le savait et qui il était. Il s'était contenté de sourire avant de se retourner et de me dire que je n'avais qu'à le suivre si je voulais le savoir.
Je l'avais suivi dans un état second, nous avions dépassé les restaurants, le skate park et l'école de surf avant de descendre les escaliers pour arriver sur la plage. Le vieil homme s'était déchaussé et, tenant ses chaussures d'une main et sa canne de l'autre, s'était avancé sur le sable froid de ce début de soirée. Je m'étais empressé de faire de même et m'étais avancé de manière à être légèrement en retrait par rapport à lui. Cet homme m'impressionnait, je me sentais incroyablement petit par rapport à lui tant une aura de grandeur semblait l'entourer constamment.
Après avoir marché pendant une demi-heure et avoir laissé les lumières de la ville derrière nous, il finit par s'arrêter. J'étais obligé de plisser les yeux pour voir autour de moi car la nuit était tombée et la seule lumière nous venait de la Lune qui brillait au dessus de nous. Le vieil homme s'était assis sur le sable et avait croisé ses jambes, faisant preuve de beaucoup de souplesse pour quelqu'un qui ne se déplaçait qu'avec une cane.
À mi-voix, il m'avait indiqué de m'asseoir à ses côtés le temps qu'elle n'arrive.
Qu'elle arrive ? Qui ça ? J'avais ouvert la bouche dans l'espoir qu'il réponde à mes questions, mais un poids sur ma gorge me convainquit que ça ne servait à rien. Alors je m'assis à une distance respectable, et posa mes mains sur mes genoux. Je ne sais combien de temps nous restâmes comme ça, je somnolait un moment, bercé par le bruit des vagues, mais lorsque je reprit mes esprits l'eau avait monté et nous atteignait presque, le vieillard et moi.
Il s'était relevé, doucement, précautionneusement, comme s'il voulait éviter de faire peur à un petit animal. Je l'avais imité, me redressant à mon tour – et c'est alors que je l'ai vu.
Elle portait la même robe blanche que d'habitude, la même veste en jean, mais ses cheveux bruns étaient cette fois lâchés sur ses épaules et ils encadraient son visage, m'empêchant de bien la voir dans la pénombre ambiante.
Le vieil homme s'était reculé en baissant la tête, me laissant seul face à elle.
Puis elle avait relevé la tête, ses cheveux avaient glissé et avaient découvert son visage, me laissant tremblant face à cette apparition. Elle dégageait une déconcertante sérénité qui aurait poussé les plus réfractaires à la suivre jusqu'au bout du monde. Ses yeux émeraude brillaient d'une étrange lumière lorsqu'ils se posèrent sur moi. Elle tendit la main et prit la mienne dans la sienne.
« Lamar, murmura-t-elle. Je suis tellement désolée.
- Désolé, désolé de quoi ? »
Ma voix était rauque et faible. Tout son être me paralysait. Elle n'était pas humaine, ce n'était pas possible.
Elle plongea son regard dans le mien et j'eus pendant une fraction de seconde l'impression de voir le monde entier se dérouler sous mes pieds. Des filaments dorés courraient partout, se rejoignaient entre eux, puis se re-divisaient. J'aperçus mes amis, le patron du restaurant, les clients, mes parents, mes profs, et un paquet de gens que je ne connaissais absolument pas, tous étaient reliés par le fil doré et souriaient. Un sentiment d'urgence me pris : il fallait que je rentre chez moi, je n'avais rien à faire ici.
Je m'arrachais difficilement du regard émeraude et reculait d'un pas.
« Lamar, dit-elle de nouveau.
- Comment vous connaissez mon nom, dis-je doucement.
- Tu dois me suivre Lamar, je suis désolée. Cela fait déjà bien assez longtemps que j'ai laissé traîner cette histoire. »
Le sentiment d'urgence ne faisait qu'augmenter et je reculais d'un nouveau pas. Je devais partir. Immédiatement.
Les yeux émeraude ne brillaient plus, ils étaient ternes et semblaient sans vie. Elle me jeta un regard suppliant, me stoppant.
« Sais-tu ce que veux dire ton prénom ? Cela veut dire "Qui vient de la mer" en latin. Sais-tu pourquoi on t'a donné ce prénom Lamar ? Car tu étais destiné à me rejoindre.
- Vous rejoindre, avais-je murmuré. Vous rejoindre où ?
- Chez moi. »
Elle avait déclaré ces deux mots d'une voix mal assurée et les avait accompagnés d'un geste ample en direction de l'océan.
« Calypso, avait alors dit le vieillard, la sortant de ses pensées. C'est l'heure. »
Elle s'était redressée et m'avait tendu la main. Je l'avais prise comme dans un rêve, la laissant me guider, effaçant mes questions, gommant petit à petit toute trace de ce qu'il venait de se passer dans mon esprit tourmenté.
~ • ~
« Calypso, avait appelé la voix du vieillard. Qu'est-ce que tu fais ?
- Je ne peux pas faire ça, répondit-elle.
- Pourquoi Calypso ?
- Parce que je l'aime, et lui aussi, seulement, il ne le sait pas.
- Qu'as-tu fait ? »
Le vieillard semblait catastrophé et s'approcha à petits pas de la nymphe.
« J'ai effacé ses souvenirs, déclara-t-elle simplement. »
Elle était assise sur le sable, sa robe blanche en corolle autour d'elle, l'homme était allongé et avait sa tête posée sur ses genoux tandis qu'elle caressait avec tendresse sa joue.
« Tu ne peux pas faire ça, Calypso, déclara platement le vieil homme. Il vous tuera tous les deux.
- Oh, vraiment ? Et bien, ainsi soit-il. »
Le ciel commençait doucement à se teinter de rose. L'aube remplaçait peu à peu la noirceur de la nuit. Les oiseaux reprenaient leurs souffles, la ville au loin s'éveillait, tout comme Lamar. Il ouvrit ses yeux et un léger sourire se dessina sur ses lèvres lorsqu'il vit le doux visage de Calypso penché sur lui.
« Mon amour, dit-elle simplement. La fin est proche. Lorsque le soleil atteindra son zénith, nous ne serons plus.
- Je sais, lui répondit-il. Ce n'est pas un problème tant que je suis avec toi. »
Le vieillard cligna des yeux. L'amour qui émanait des deux jeunes gens couchés sur le sable qui se réchauffait peu à peu semblait réveiller en lui des souvenirs depuis longtemps oubliés.
La chaleur montait et le froid de la nuit finit par disparaître totalement. Le vieil homme se retourna, ramassa sa canne et partit, laissant derrière lui les deux jeunes gens à leurs destins.
Après tout, quoi de plus cruel que le destin, on cherche à le surpasser, mais au final, il reste le plus fort, celui qui dicte toutes nos actions, qui tire les ficelles. Croyaient-ils qu'ils arriveraient à le contourner ? Peut-être, mais pour l'instant, ils profitaient de leurs derniers instants ensemble.
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Bien le bonjour !
Je ne sais pas combien d'entre vous ont atteint cette note, ni combien ont lu jusqu'au bout, mais dans tous les cas je vous remercie ! Cet OS est complètement extravagant et ne veut pas dire grand chose n'est-ce pas ? À la base j'avais eu l'idée d'un homme qui voit tous les jours une femme accoudé à un pont l'été dernier, lorsque j'étais à Lacanau. Si certains d'entre vous y sont déjà allé, vous voyez sûrement à quoi ressemble le front de mer ;)
Anyway, l'idée de base c'était ça, et je me suis un peu laissé entraîner je crois XD
Pourquoi est-ce que j'ai inclus Calyspo dans l'histoire ? Aucune idée ! Le but ici est que vous vous fassiez votre propre avis de ce qu'il s'est passé et du pourquoi du comment.
Bref ! Cœur sur vous les roudoudou !
💙
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