Ange ou démon?
(Damian)
— Bordel, mais je ne trouve pas le trou!
— Non, mais ça va pas? Ne parle pas comme ça, on n'est plus dans ta tanière, Damian!
Ma quoi?!? Merde, je savais que c'était une idée à chier. Mais, comme chaque fois, la jolie blonde a réussi à me retourner le cerveau pour me faire accepter ce plan à la noix. Elle s'est mis en tête de me faire accepter par ceux qu'elle appelle gentiment "ceux d'en haut". Moi, j'avais un nom beaucoup plus imagé avec un balai. Or, vu le regard noir qu'elle me lance à chaque fois que j'en parle, je préfère m'abstenir. Parce que cette jolie petite bouche à la moue adorable me refuse ses faveurs si elle estime que je manque trop de respect à son monde.
Alors me voilà, planqué dans sa chambre rose bonbon, à tenter de faire entrer cette minuscule tige en argent dans l'orifice de son lobe d'oreille. Moi qui fait trembler la moitié des Enfers, j'en suis réduit à aider un ange effronté à enfiler ses boucles d'oreilles. Et cerise sur le gâteau, je me fais enguirlander par la belle!
Gaby est surexcitée par cette journée. Ça fait des jours qu'elle en parle, à grands coups de comparaisons et de photos tirées de son portfolio. J'aime cet enthousiasme débordant. J'adore voir ses joues rosir sous l'effet de l'émotion. Mais j'aime surtout quand c'est moi qui la fait rougir ! Pour flatter mon ego, une fois cette satanée boucle d'oreille fermée, je dépose quelques baisers sur sa nuque gracile, en passant mes mains sur son ventre. Je l'entends soupirer lorsqu'elle pose ses mains sur les miennes et j'imagine ses yeux se fermer, prête à succomber... Mais je grogne de frustration quand elle se détache de moi.
— Damian, arrête un peu.
Cette fois, je commence à perdre patience.
— M..., je me rattrape en voyant son air courroucé. Gabyyy ! Ta fête là, c'est bien censé être celle de l'Amour?
Elle croise les bras, un air suffisant sur le visage.
— Oui, c'est bien cela. Une fête pour célébrer l'amour ! Pas pour faire des cochonneries sous le toit de mes parents!
L'amour... Le petit caillou sur notre chemin. Lorsqu'elle me regarde comme ça, avec ses grands yeux noisettes, je me surprends à ressentir une pointe d'amertume. Au départ, j'ai accepté de la suivre pour ne pas contrarier son frère. Il est déjà bien assez remonté contre moi. De son côté, j'imagine aisément que c'est non sans fierté qu'elle est remontée ici en me traînant derrière elle pour que je sois le porte-parole de sa réussite aux Enfers. Oh, nous nous sommes bien gardés de révéler ce à quoi nous avons occupé la majeure partie de nos journées. Et de nos nuits. D'accord, son père est magnanime et l'avoir invitée à revenir au bout de quelques années pour célébrer l'anniversaire de son cousin était une manière détournée de faire la paix avec Gabrielle. Mais je n'ose pas imaginer sa réaction s'il savait ce que je ressens après ces années à ses côtés.
Je pensais la garder pour moi encore un moment. Alors certes, entendre Lucifer hurler à tout bout de champ au moindre retard, ça devenait irritant. Mais au moins, enfermés dans mes appartements, il n'y avait qu'elle et moi. Et ça devait durer deux siècles ! Un battement de cils pour des êtres comme nous, mais je m'en serai contenté. Je serais passé à autre chose, enfin je crois... Merde, ressaisis-toi ! Bien sûr que tu serais passé à autre chose ! Là, j'ai l'impression qu'on m'a lésé sur une partie du contrat. Après tout, peut-être que ce n'est que justice? Parce que, moi aussi, j'ai fait une entorse aux règles...
*****
(Gabrielle)
Je me sens mal. Ce n'était pas une bonne idée. Maintenant que je le vois dans son smoking tiré à quatre épingles, je sais que je ne pourrais jamais résister à l'envie de me rapprocher de Damian durant cette soirée. Mince, il est canon, et il le sait!
J'ai dû développer une volonté sans pareille pour ne pas céder à ses avances pendant que je finissais de me préparer. Parce qu'il est comme ça, Damian... La vie est un jeu pour lui. il ne prend rien au sérieux. Alors mes doigts se crispent sur ma flûte en le voyant sourire à quelques mètres de moi. Les mains dans les poches, le dos droit, il semble tout à fait à sa place. Sauf que ce sourire, je le voudrais pour moi. Pas pour cette cruche de Pandore ! Je me morigène intérieurement de mon manque de gentillesse envers la belle brune quand une main posée sur mon épaule me fait sursauter.
— Gabrielle ! Tu es vraiment revenue?
J'essaie de sourire au roi de la fête. Mon cousin Valentin, un mètre quatre-vingt-dix de muscles, des boucles blondes et un sourire enjôleur. Alors qu'il pourrait être vaniteux, il s'amuse de voir ce que les humains font de lui en le représentant comme un angelot potelé. Et il continue de semer de l'amour dans leurs vies, en échange d'une journée par an dédiée à sa célébration. Valentin est l'un des rares parmi nous à avoir droit à cet honneur. J'en suis heureuse pour lui, et tous les ans, c'est avec bonheur que j'assiste à la fête grandiose organisée en son honneur. Grandes tentures blanches, des roses rouges par milliers, du champagne qui coule à flot, les meilleurs compositeurs classiques lui dédiant leurs œuvres les plus douces... C'est sans conteste la fête la plus réussie de l'année. Si on exclut Noël.
J'ai toujours rêvé de venir à cette fête au bras de l'homme que j'aime. Parce que même si le sexe n'est pas interdit ici, il reste tout de même légèrement tabou. Pas de relation extra-conjugale au Royaume Céleste ! On badine, mais guère plus. Alors, moi j'ai souvent espéré pouvoir venir avec mon prétendant officiel, pour comprendre la vraie signification de la fête de l'Amour. Avoir cette chaleur au creux de l'estomac lorsqu'il vous regarde. Sentir des papillons s'envoler lorsqu'il murmure votre nom jusqu'au bout de la nuit tout en vous mordillant la peau du cou parce qu'il sait que...
Stop ! On se ressaisit Gaby !
Valentin me regarde avec un air étonné, attendant que je lui apporte une explication au lieu de rester coite.
— Oui, je suis remontée pour l'occasion ! lui dis-je en l'enlaçant. Je n'aurais pas voulu rater ton anniversaire une fois de plus.
— C'est merveilleux. J'ai bon espoir de voir ton père changer d'avis pour te laisser revenir définitivement. Tu es venue avec un ami que je ne connais pas, il me semble?
Un ami... A quel moment ai-je cessé de le voir comme l'ennemi? A quel moment suis-je devenue l'imbécile qui a envie de faire avaler son petit-four à Pandore juste parce qu'elle rit à gorge déployée devant mon ami?
Mon coeur fait un bond à cet instant parce que Damian se tourne enfin vers moi. D'un simple sourcil relevé, il met le feu à mon esprit. A mes côtés, Valentin se met à rire.
— Oh, je vois.
— Comment ça, tu vois?
— Gabrielle ! Voyons ! Pas à moi !
Il dépose un dernier baiser sur ma joue avant de disparaître dans la foule des invités. Lorsque je reporte mon attention du côté du buffet, plus une trace de Damian ou de Pandore. Mince ! J'essaie de paraître la plus calme possible en parcourant l'assistance à la recherche de mon Démon. Alors que je commence à trépigner d'anxiété - et je dois dire, de jalousie - dans un coin de la pièce, je sens une main prendre la mienne et m'attirer derrière une colonne imposante. Avant que je n'ai le temps de protester, cette même main se saisit de la flûte que tiens pour la balancer je ne sais où, tandis que l'autre se glisse sur ma nuque. La voix chaude et rauque de Damian me souffle à l'oreille :
— Je veux ma récompense. Maintenant, mon Ange.
*****
(Damian)
Merde... Lucifer ne m'avait pas menti. Lorsqu'ils s'y mettent, les Coincés du fion mettent le paquet question mièvreries. J'ai toujours pensé que les humains étaient de grands malades de coller des décos multicolores partout à chacune de leurs stupides célébrations. Maintenant, je sais de qui ils tiennent ça ! Plus cliché, tu meurs ! Des roses, les fleurs les plus ennuyeuses de la Création, du blanc partout... Même le buffet est à mourir d'ennui ! Bon, je dois avouer qu'ils ont bien fait de jouer la carte des invités sur leur trente-et-un. J'aime évoluer au milieu de gens civilisés, ce n'est pas toujours le cas, en bas. Mais aucune de ces femmes n'est plus belle que ma Gaby. Elle a choisi une robe blanche bien entendu, vaporeuse à souhait, nouée sur une épaule avec une sorte de broche assortie à la ceinture. Une robe simple, qui me rappelle une princesse grecque que j'ai... Bref. Ses cheveux relevés et les fameux anneaux aux oreilles qui dansent à chacun des mouvements de sa tête finissent de me rendre dingue. Alors tout en essayant de faire des sourires polis à la grande brune qui n'a pas l'air décidée à me lâcher la grappe, je garde un œil sur mon Ange. Oui, mon Ange. Elle est à moi. Qu'elle le veuille ou non. Mon estomac se noue face à ce constat. Je sais parfaitement pourquoi je n'aborde pas ce sujet avec elle. Je ne suis pas prêt à accepter son refus. Alors, tel un homme des cavernes décérébré, je profite de chaque petite miette de son attention. Et clairement, de la voir sourire à ce grand dadet blond au physique de surfeur californien fait ressortir le pire en moi. J'ai juste envie de le frapper. Est-ce déplacé de lui péter les dents au milieu d'une réception? Certes, chez moi il n'y aurait pas grand monde pour s'en formaliser, du moment qu'on ne sabote pas le buffet. Mais ici...
Peu importe, je connais un autre moyen d'évacuer mes frustrations et de rassurer mon ego.
Alors que ma douce semble me chercher des yeux, j'attends patiemment qu'elle soit à bonne distance de la foule, dans un coin de la salle pour l'attirer à l'abri des yeux curieux. Le petit cri de surprise qu'elle pousse fait courir un frisson de plaisir le long de mon échine. Oh , ma douce Gaby... Lorsque je lui murmure à l'oreille, son corps réagit instinctivement et je sais qu'elle est aussi impatiente que moi.
Bloquant son corps contre l'immense colonne en marbre, c'est avec délectation que je caresse sa cuisse, laissant ma main remonter jusqu'au bord de sa culotte en dentelle. Elle semble réceptive puisqu'elle enroule ses bras autour de mon cou. Je pourrais la prendre là, au milieu d'une réception chicos chez les Coincés. Le démon que je suis serait extatique à l'idée de la faire jouir au nez et à la barbe des siens, tellement enfermés dans leur carcan d'apparente bienséance. Mais en la voyant haletante, prête à céder à la moindre de mes volontés, je me rends compte de mon égoïsme. Je ne peux pas. Pas ici, pas comme ça.
En marmonnant une flopée d'injures entre mes dents, j'attrape une nouvelle fois la main de Gabrielle pour la sortir de cette salle. Je vais bien finir par trouver... Contre toute attente, mon bel Ange tire ma main dans la direction opposée :
— Attends, viens par là.
Elle m'attire dans un petit bureau assez exigu. Je ne prends pas le temps de regarder autour de moi, tout ce que je remarque, c'est qu'il y a une porte, qui nous garantit un minimum d'intimité. Ma douce semble sur la même longueur d'ondes, puisqu'elle saisit mon satané nœud papillon qu'elle a mis une éternité à nouer et le détache sans le moindre scrupule. Elle déboutonne ma chemise à une vitesse folle, ses longs doigts s'activant avec une dextérité épatante. Mais ce sont ses mots qui mettent le coup de grâce à toute ma bonne volonté de retenue alors qu'elle s'attaque à ma ceinture :
— J'aurais aimé lui faire bouffer un cactus par le nez, à Pandore. Elle plante son regard dans le mien. Ne me laisse plus jamais de côté, Damian. Plus jamais.
Bordel. J'aime son côté possessif. Et en moins d'une seconde, j'oublie tout. J'oublie que pour elle, ce n'est qu'un jeu, un moyen de faire enrager son père. J'oublie le désespoir qui m'envahit quand je songe que tout cela finira bientôt. J'oublie tout quand elle enroule ses jambes autour de moi et que je m'enfonce en elle. Pas besoin de Paradis. Moi j'ai Gabrielle et c'est tout ce dont j'ai rêvé. Et enfin, je comprends la signification de toute cette mascarade de la Saint-Valentin : prouver son amour à la personne qui compte le plus dans notre vie. Et sans comprendre comment ni pourquoi, alors que je continue à lui faire l'amour contre un mur d'un quelconque bureau en plein territoire ennemi, je lui dis la première chose qui me passe par la tête à ce moment-là :
— Je t'aime, Gabrielle.
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