Le lundi suivant, Jeongin arriva de nouveau en avance au bureau. Il se rendit dans la kitchenette afin de lancer la machine à café, puis retrouva son bureau afin de récupérer les documents et les enveloppes qu'il avait laissés en plan. Il s'était remis à la tâche depuis quelques minutes seulement quand Hyunjin sortit de l'ascenseur.

— Salut Jeongin ! Je viens chercher les enveloppes…

Il se figea en constatant que le stagiaire n'avait pas terminé.

— Mais qu'est-ce que t'as fichu ! Je t'avais dit que c'était urgent vendredi !

— Oui, je sais mais-

— Pourtant tu as plutôt l'air de quelqu'un sur qui on peut compter.

Jeongin baissa la tête aux paroles de son aîné.

— Il y a un problème Hyunjin ?

Ce dernier se tourna et tomba nez à nez avec Woojin qui venait tout juste d'arriver, il avait encore les clés de sa voiture dans la main. Hyunjin reprit la parole, sûr de lui.

— Pour tout te dire Woojin, oui il y a un problème. Vendredi j'ai confié une tâche urgente à Jeongin, et il ne l'a pas terminée pour aujourd'hui...

Woojin jeta un œil au bureau de Jeongin avant de regarder le jeune homme, il pencha la tête, circonspect, avant de se tourner de nouveau vers Hyunjin.

— C'est ça qui était si urgent ?

Le jeune PDG saisit un des courriers.

— Et pour information, c'est moi qui ai dit à Jeongin de rentrer chez lui, ajouta-t-il avant de marquer une pause puis de reprendre. Je suis un peu déçu par ton comportement Hyunjin... Malmener les stagiaires, je ne te pensais pas comme ça.

Il s'éloigna de quelques pas.

— Termine le travail de Jeongin, Hyunjin, enfin ton travail. Et toi Jeongin, viens avec moi, il faut que je te parle.

Jeongin jeta un coup d'œil rapide à Hyunjin qui avait l'air quelque peu sous le choc des paroles soudaines de son supérieur. Le stagiaire s'inclina légèrement et suivit Woojin jusqu'à son bureau.

— C'est la première fois ? demanda-t-il à Jeongin avant de poser ses clés de voiture sur son bureau.

— Pardon ?

— Que quelqu'un se comporte comme ça avec toi ?

Woojin s'était installé derrière son bureau, l'air grave.

— Euh oui. Enfin ça n'est pas grave, je ne pense pas qu'il voulait être méchant ou quoi que ce soit…

Jeongin essayait à la fois de se justifier et de prendre la défense de Hyunjin, il n'avait pas vraiment envie d'être responsable d'un passage de savon d'un autre employé.

— Jeongin, les seules personnes qui ont le droit de te donner des ordres ici sont Félix et moi. Tu n'as à obéir à personne d'autre. Surtout quand d'autres n'attendent qu'une chose : te confier leur travail pour être tranquilles…

Jeongin hocha la tête, il ne pouvait s'empêcher de stresser à l'idée de devoir refuser quelque chose qu'un autre employé lui demanderait de faire.

— Assieds-toi, lui demanda soudain Woojin.

Le stagiaire s'exécuta et prit place face à lui de l'autre côté du bureau.

— Pourquoi est-ce que tu as voulu devenir stagiaire chez PearBox ? le questionna le PDG.

Jeongin s'attendait à tout sauf à cette question, à vrai dire il s'était plutôt préparé à se faire gentiment remonter les bretelles à nouveau. Woojin le dévisageait en attendant sa réponse.

— C'est important ? s'entendit demander Jeongin en retour.

Woojin cligna des yeux, surpris par le courage soudain du jeune stagiaire. Il se redressa sur sa chaise de bureau et laissa échapper un petit rire.

— Eh bien… pour moi oui.

Jeongin fut rassuré par le visage souriant de son supérieur, il avait peur d'avoir été un peu trop rebelle.

— En fait, je voudrais… Enfin, j'aimerais beaucoup…

Il passa une main dans ses cheveux, un peu mal à l'aise de ce qu'il s'apprêtait à dire. Mais il croisa le regard de Woojin qui l'encourageait clairement à dire ce qu'il avait sur le cœur. Jeongin prit une profonde inspiration :

— J'aimerais moi aussi développer des applications mobiles… Vous êtes mon exemple monsieur Kim.

Woojin cligna des yeux, visiblement surpris par cette déclaration.

— En fait j'ai beaucoup d'idées, même des idées d'amélioration pour certaines de vos applications, mais mes parents n'ont pas beaucoup de moyens. Alors acheter du matériel qui me permettrait de créer des applications, ça coûterait trop cher, je ne peux pas leur demander de financer ça, et encore moins de me payer une école spécialisée dans ce domaine.

Woojin l'écoutait attentivement, surpris que Jeongin se montre soudainement si bavard. Il continua à donner des exemples de choses qu'il pensait pouvoir être améliorées sur certaines des applications de PearBox, en prenant en compte l'aspect financier et les intérêts des utilisateurs. Woojin se retrouva même à prendre des notes sur ce que lui disait Jeongin. Il avait clairement du potentiel. C'en était même impressionnant pour quelqu'un de son âge. Woojin lui demanda même s'il avait des idées concernant une application de messagerie prisée des ados, et il en avait. Le jeune PDG acquiesçait à chaque phrase que prononçait Jeongin, il continuait à prendre des notes, tel un élève durant une dictée.

Jeongin s'arrêta soudainement, prenant conscience qu'il avait beaucoup parlé et qu'il aurait peut-être mieux valu qu'il reste à sa place de stagiaire.

— Wow Jeongin, c'est incroyable, dit Woojin en parcourant ses notes, j'ai des équipes payées pour ça qui mettent des mois à faire ce que tu viens de faire en trente minutes…

Jeongin ne put s'empêcher de sourire, il fixa ses genoux, un peu embarrassé par la situation.

— Vraiment c'est…

Woojin n'arriva même pas à terminer sa phrase, il décrocha le téléphone posé sur son bureau avant de congédier Jeongin.

***

Le lundi suivant, Jeongin avait passé la moitié de la journée à imprimer des documents et à les mettre dans des pochettes pour les réunions de la semaine entière. Il venait d'agrafer la dernière pochette quand Woojin sortit de l'ascenseur, un grand sac en papier marron dans les mains, il s'avança vers le bureau de Jeongin et le lui tendit.

— Tiens, c'est pour toi, pour tes idées de la dernière fois, en remerciements.

Il rougissait presque.

— Tu l'ouvriras une fois chez toi.

Il s'éloigna rapidement et disparut dans son bureau. Jeongin resta quelques instants immobile à contempler le sac. Il pesait assez lourd et le jeune homme était désormais impatient de pouvoir l'ouvrir.

L'après-midi lui sembla interminable, et quand l'horloge afficha enfin dix-huit heures, Jeongin s'empressa de quitter le bureau en ayant au préalable vérifié qu'il avait bien terminé toutes ses tâches. Il se retint d'ouvrir le contenu du sac dans le métro, mais une fois chez lui, il se précipita dans sa chambre, prenant à peine le temps de saluer sa famille.

— Qu'est-ce que c'est ? demanda son frère cadet quand Jeongin fut assis en tailleur sur son lit, le sac entre les jambes.

— Un cadeau, lui répondit Jeongin en se retournant un peu pour l'empêcher de voir.

Il ouvrit précautionneusement le sac en papier et en extirpa deux boîtes, une grande et une petite. Il y avait également une enveloppe qu'il ouvrit en premier, une courte lettre manuscrite s'y trouvait :

"En remerciements pour ton travail. Je sais que tu sauras en faire bon usage.

Deviens un grand développeur.

Kim Woojin."

Jeongin ouvrit d'abord la plus petite des boîtes pour y découvrir un smartphone dernier cri. La moitié des revenus mensuels de ses parents aurait à peine suffi à payer le modèle d'entrée de gamme, et celui qu'il avait entre les mains était clairement d'une gamme supérieure. Jeongin posa délicatement la boîte sur son matelas et ouvrit l'autre paquet. Il écarquilla les yeux. Il contenait un ordinateur portable de la même marque que le téléphone, et lui non plus ne faisait pas partie des premiers prix.

— Purée Jeongin mais qui t'a offert ça ? s'écria son frère cadet, la tête par dessus l'épaule de son grand frère.

Jeongin s'empressa de cacher les présents sous sa couette et intima au plus jeune de se taire en posant un doigt sur sa bouche.

— Chut ! Tais-toi !

— MAMAAAN ! JEONGIN A REÇU DES SUPERS CADEAUX !

Le plus jeune traversa la pièce en courant et s'arrêta dans la cuisine où se trouvait sa mère. Il lui expliqua rapidement la situation et madame Yang se dirigea vers la chambre.

— Jeongin, qu'est-ce que c'est que cette histoire ?

Le jeune homme se tourna vers sa mère. Il savait déjà ce qui allait se passer : jamais elle n'accepterait qu'il ne garde ces cadeaux. Lorsqu'elle découvrit l'ordinateur et le téléphone, elle fit les yeux ronds. Le frère aîné arriva dans la chambre au même moment et le questionna sur la provenance des objets. Il était clairement impossible que Jeongin ait pu se les payer lui-même et quand le jeune homme admit finalement qu'il s'agissait de cadeaux de son patron, le visage de sa mère vira au rouge.

— Jeongin, tu ne peux pas les accepter ! Ça représente beaucoup trop d'argent ! Il faut que tu les rendes… Demain, tu iras les rendre.

Jeongin s'apprêtait à contredire sa mère quand elle reprit.

— Jeongin, à la première heure demain, tu iras rendre ces cadeaux.

C'était non négociable, Jeongin l'avait bien compris, et il sentait son intestin se nouer à l'idée de devoir rendre les paquets à Woojin. Ne pas accepter de cadeaux était une chose, les rendre après les avoir déballés en était une autre…

***

Le réveil du lendemain fut compliqué pour Jeongin, il avait passé la nuit à jouer la scène dans sa tête. Qu'allait-il dire à Woojin ? Comment Woojin allait-il réagir ? Et au final, Jeongin se retrouva devant le bureau de Woojin, une heure et demie avant de commencer le travail. Il espérait pouvoir le voir seul et ne croiser personne le temps qu'il avait son paquet à la main. Heureusement pour lui, Woojin était toujours en avance et donc l'un des premiers à arriver au bureau. Il se figea lorsqu'il aperçut Jeongin, le sac à la main.

— Jeongin ? Tu es bien matinal… un problème ?

— Je peux vous voir, monsieur Kim ?

Woojin leva un sourcil et s'avança pour déverrouiller la porte de son bureau. Il fit entrer le jeune stagiaire et ferma derrière eux.

— Qu'est-ce qu'il y a Jeongin ? fit le jeune PDG en déposant ses affaires sur le bureau.

Jeongin baissa la tête et lui tendit le sac.

— Je suis désolé, je ne peux pas les accepter.

Woojin cligna des yeux, surpris par la déclaration du jeune homme.

— Mais, pourquoi ?

— C'est beaucoup trop… je ne peux pas les accepter.

— Bien sûr que si Jeongin, je te les ai offerts pour te remercier des services que tu as rendu à PearBox, se justifia Woojin. Tu as proposé des idées d'amélioration, considère ces cadeaux comme ton salaire pour le travail que tu as fourni.

Jeongin leva les yeux vers son patron qui semblait visiblement peiné qu'il ne refuse ses cadeaux. Il saisit néanmoins le sac et jeta un œil à l'intérieur.

— Je pensais que ça te serait utile pour devenir développeur…

Il saisit la boîte du téléphone et pencha la tête sur le côté quand il remarqua qu'elle avait déjà été ouverte.

— C'est le modèle qui ne te plait pas ?

Le visage de Jeongin devint cramoisi, il ne savait plus où se mettre.

— Non, non, pas du tout ! C'est parfait mais ma…. Enfin j-je ne peux pas les accepter…

Woojin posa le sac sur son bureau et s'approcha de Jeongin en soupirant.

— Jeongin, quand est-ce que tu vas me dire ce qu'il y a vraiment ?

Jeongin avala difficilement sa salive. Woojin croisa les bras, impatient de connaître la réponse du jeune stagiaire.

— Ma mère dit que je ne peux pas les accepter… Que c'est beaucoup trop, finit-il par avouer.

Woojin décroisa les bras et son expression s'adoucit.

— C'est donc ça…

Il tourna les talons et alla prendre place derrière son bureau.

— Très bien, je comprends.

— Je suis désolé, s'excusa Jeongin, les yeux rivés sur le sol.

— Non, c'est rien, tu peux y aller.

Jeongin s'inclina et quitta la pièce, il espérait ne pas avoir déçu son patron.

Ils ne se croisèrent plus de la journée, et Jeongin ne pouvait s'empêcher de penser qu'il avait gâché quelque chose avec Woojin et cette situation l'attristait grandement.

Il rentra chez lui, toujours pensif, il réfléchissait à une façon d'améliorer la situation avec Woojin mais rien ne lui venait en tête. Il déposa ses affaires dans l'entrée avant de se rendre dans sa chambre. Il ouvrit grands les yeux lorsqu'il vit deux paquets posés sur son matelas.

— Maman, qu'est-ce que…? commença-t-il en apportant les boîtes dans le salon.

— Ton patron m'a appelée ce matin, répondit sa mère depuis la cuisine, il m'a expliqué la raison pour laquelle il avait décidé de te les offrir. Tu aurais dû me le dire tout de suite, ça m'aurait évité de te mettre dans une situation embarrassante.

— Mais comment…?

— Quelqu'un est passé les déposer un peu avant que tu ne rentres, expliqua-t-elle.

Jeongin ne pouvait cacher sa joie, un grand sourire s'était dessiné sur son visage. Il s'installa dans le salon et déballa le téléphone. Son grand frère l'aida à le paramétrer, ainsi que l'ordinateur portable. Ça allait lui prendre du temps avant de savoir maîtriser la bête, mais rien que le fait de penser à tout ce qu'il allait pouvoir faire avec le rendait tout excité.

Il alla finalement se coucher, son nouveau téléphone dans les mains, il cherchait une sonnerie et un fond d'écran à mettre lorsqu'il reçut un message d'un numéro inconnu.

"Ne t'avise plus de me rendre un cadeau, ça m'a blessé.
Bonne nuit,
Woojin"

Jeongin écarquilla les yeux. Son cœur s'était mis à battre la chamade à la lecture du nom de son patron, et il ne put s'empêcher de sourire. Il enregistra immédiatement le numéro sous le nom de "Kim Woojin" et réfléchit à ce qu'il pouvait bien lui répondre. Après plusieurs minutes durant lesquelles il avait l'impression d'avoir à préparer un discours, il finit par taper un simple message et l'envoya avant de changer d'avis.

"Je suis désolé. Je vous remercie.
À demain,
Jeongin"