Le Thé Noir : Pour Quelques Gobelets Rouges
Précision : Ce texte m'a servi à participer au concours de JusteViviana, et il se trouve que j'ai été parmi les trois sélectionnés en première place. Suite aux nombreux retours positifs que j'ai pu lire, je le poste ici...
Je pensais que tu savais que je déteste attendre sous la pluie. Mes cheveux, je les lisse soigneusement tous les jours, et la moindre goutte d'eau les fait instantanément boucler. Bref, ça réduit tous mes efforts à néant. Mais bon, ça, tu t'en fiches, maintenant, non ?
Eh, vu du dessus, mon parapluie noir parmi toutes ces dalles blanches doit offrir un magnifique spectacle... Mais je suis sûre que, moi, j'ai l'air ridicule, hein ?
J'ai les yeux perdus dans l'obscurité du textile qui protège ma tête. Par transparence, je peux suivre du regard les gouttes qui heurtent le tissu, et, comme hypnotisée, je reste bêtement la tête levée, noyée dans mes pensées.
Roule, roule, petite goutte de pluie, le long de mon parapluie, et écrase-toi avec tes semblables, à mes pieds détrempés...
S'écraser à mes pieds... Tu sais, cette expression me rappelle l'attitude que j'avais, il y a de cela quelques mois.
Te souviens-tu, Céleste ?
Te souviens-tu de ce jour où tout a commencé ? Moi, je m'en souviens.
Nous étions un jeudi soir, et comme chaque semaine, je voulais aller à une de ces débiles soirées aux gobelets rouges emplis de Vodka. Et comme chaque semaine, j'insistais pour que tu m'accompagnes. Toi, fille timide, intello à lunettes, tu voulais juste passer ta soirée sur le canapé, à boire du thé en lisant Balzac. Mais je ne comptais pas te laisser m'échapper, ce soir-là. Je t'ai harcelée pendant de longues minutes, prétendant que, pendant que je perdais mon temps à te convaincre, d'autres s'amusaient à ladite soirée, dont j'allais d'ailleurs rater le meilleur.
Ce fut l'argument choc. Gentille fille, tu as cédé pour me faire plaisir. Ma tentative de culpabilisation avait réussi. Que veux-tu, je te connaissais trop bien...
Hélas, c'est à partir de là que la descente aux Enfers s'est enclenchée.
Ni une, ni deux, je t'ai fais enfiler une robe dont la vulgarité m'apparaît aujourd'hui, et je t'ai maquillée à tel point que je ne te reconnaissais plus. Tu n'avais pas besoin de tout ça pour être plus magnifique que je ne le serai jamais, crois-moi...
Arrivée à la fête, je t'ai rapidement perdue, trop occupée à dire bonjour à mes si nombreux « amis ». Et puis la nuit est passée, et je t'ai complètement oubliée. Comprends-moi : j'étais bourrée au possible, et j'avais fumé quelques joints. Je ne t'ai même pas cherchée quand je suis partie.
Ce n'est que le lendemain, lorsque je me suis réveillée chez nous, que j'ai réalisé que je ne t'avais plus revue depuis la veille au soir.
Paniquée, je t'ai cherchée partout dans l'appartement. Et quelle ne fut pas ma surprise en te découvrant dans ton lit, lovée dans les bras de Bryan, le gars que la veille encore tu m'affirmais haïr plus que tout au monde.
Te souviens-tu de la discussion que nous avons eu ce matin-là ?
Celle où tu m'assurais, avec de petits yeux malheureux et larmoyants, que tout allait bien, que Bryan t'avait simplement raccompagnée à cause de l'orage – dont tu avais la phobie - qui avait éclaté dans la nuit. Et lui, qui confirmait tout ce que tu disais d'un simple hochement de tête. Et, moi, conne comme je suis, je ne me suis pas interrogée sur le pourquoi du comment du magnifique coquard qui lui entourait l'oeil.
Non, je n'ai pas cherché à creuser plus la question. J'étais rassurée. Je suis donc partie deux mois en Floride l'esprit tranquille.
Ce n'est que plus tard que j'ai appris la vérité.
Le coquard, Bryan l'avait obtenu en tabassant un mec à la soirée. Parce qu'il était amoureux de toi. Et que le mec en question venait de te violer. Et moi, je t'ai cru quand tu m'as dit qu'il ne s'était rien passé. A croire que je ne te connaissais pas assez bien pour savoir quand tu mentais...
Mais ce n'est pas la fin de l'histoire, non. Si seulement ça n'avait été que ça...
Pendant que, moi, je me dorais la pilule au soleil, toi, tu découvrais que tu l'avais oubliée. Et tu apprenais dans la foulée que, félicitations !
Tu allais être maman. A dix-huit ans tout juste.
J'aurais été là, je t'aurais dit, je t'aurais suppliée de te faire avorter. Tu ne pouvais pas avoir d'enfant maintenant, surtout conçu... de cette manière. Mais je n'étais pas là. Non, moi, j'étais sur une plage, à me demander quel vernis à ongles irait le mieux avec mon bikini.
D'ailleurs, il y a une chose que je ne sais toujours pas : pourquoi ? Pourquoi ne m'as-tu pas appelée ? Je t'aurais soutenue ! Je serais rentrée, même ! Peut-être que c'était pour ça, d'ailleurs. Peut-être que c'était parce que tu ne voulais pas gâcher mon mois sabbatique...
C'est vrai que je t'en avais tant parlé. Peut-être que tu avais surestimé l'importance de ces vacances à mes yeux. Tout ce que je peux te dire, c'est qu'elles ne te valaient pas, toi.
Tu as donc choisi de garder l'enfant. Décision absurde. Tu ne pouvais pas y arriver.
Mais tu avais sans doute songé que, avec Bryan – qui était entre-temps devenu ton petit ami – à tes côtés, tu pouvais renverser des montagnes.
Mais ce sont ces mêmes montagnes qui ont eu raison de ton unique soutien.
Un jour, alors qu'il rentrait de son petit boulot, il a voulu esquiver un lièvre qui traversait juste sous ses roues. Accident stupide. Il a dégringolé au fond du ravin, et c'est par miracle qu'il était toujours en vie lorsque les pompiers sont venus le chercher. Par contre, le diagnostic a été sans appel.
Coma profond. Pour une durée indéterminée, mais assurément longue.
Tu vois, lui aussi a été victime de son trop grand coeur.
Tu t'es retrouvée seule. Tes parents n'étaient jamais là, et c'était de toute façon hors de question de leur en parler. Ton petit ami ne semblait pas vouloir se réveiller. Et ta meilleure amie...
Ta meilleure amie ne voulait pas rentrer, pour rien au monde. Et c'est comme ça que, profitant de la fortune de mes parents, j'ai décidé de prolonger mes vacances d'un mois. Et je t'ai juste envoyé un pauvre texto.
Je pense très honnêtement que ce fut pour toi le coup de grâce.
C'était trop.
Tu étais seule. Seule avec un monstre né d'une horreur qui envahissait ton ventre, que seules les belles paroles pleines d'espoir de Bryan semblaient pouvoir faire passer pour un être humain.
Trop avancée pour avorter, incapable de trouver qui que ce soit pour en parler et trop éprouvée psychologiquement par le viol – pour lequel tu n'avais même pas osé porter plainte ! -, tu as fait le choix logique.
Le suicide.
Ta fibre littéraire et romantique s'est exprimée dans ce dernier acte que tu as magistralement orchestré. Robe blanche, pieds nus et cheveux lâchés battus par la pluie, tu as choisi la plus belle falaise, aux pieds de laquelle se tenaient les plus beaux rochers, pour plonger.
J'imagine et j'entends le craquement de chacun de tes os dans tous mes rêves.
Et chaque fois que je cligne des yeux, je vois ton corps désarticulé éclaté sur le roc grisâtre, léché par les remous des vagues, qui lavent inlassablement les flaques rouges que forment ton sang.
Mais je suis certaine que je suis bien loin de l'horreur que devait être ton cadavre esseulé, emmailloté dans un tissu dont le pourpre naissant dévorait avec appétit le blanc.
Personne n'est parvenu à me joindre pour me prévenir. J'avais évidemment explosé mon téléphone, et ma carte SIM dans le même temps. Alors, quand je suis rentrée comme une fleur de mon voyage, bronzée et souriante, je me suis demandée ce que j'avais encore fait pour mériter un groupe de têtes d'enterrement en guise de comité d'accueil.
D'ailleurs, j'ai réussi à rentrer trop tard, pour le tien, d'enterrement. Même pour ça, je n'étais pas présente...
Si tu savais comme je m'en veux. Je ne supporte pas de rentrer à l'appartement et de ne pas t'y trouver en train de lire tout en buvant un bon chocolat chaud, enroulée dans une couverture et pelotonnée sur le canapé. Tu... tu me manques, Céleste. Tu as créé un grand vide en t'en allant.
Mais à toute chose, malheur est bon. Même si, pour ce coup, la consolation est bien, bien maigre...
Ton décès m'a fait changer, Céleste. J'ai pris conscience de ton importance dans ma vie – comme quoi, c'est bien une fois qu'on a perdu les choses qu'on réalise à quel point elles nous étaient précieuses –, et surtout de ma puérilité.
Je n'irais plus dans ces soirées où je ne connais réellement personne. J'ai payé trop cher mes derniers gobelets rouges...
Alors, oui, la pluie peut bien tomber. Tant pis pour mes cheveux. Ils auraient bien finis par reboucler, de toute façon. Tu vaux bien une averse, Céleste. Surtout que je me présente devant ta tombe bien tard, et n'ai que pour cadeau que mes regrets et mes excuses. Fais au moins l'effort de les accepter, s'il te plaît, il ne me reste vraiment plus que ça à t'offrir...
Et puis, tu sais quoi ? Il n'y a pas que le ciel qui pleure, aujourd'hui.
Roule, roule, petite larme, le long de ma joue, et écrase-toi avec tes semblables, à mes pieds détrempés...
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