C'est la première fois que je m'approche si près de ce qui me retient prisonnier.

Je le vois, ce mur invisible. Je peux le toucher. Il tremble sous ma main, comme s'il avait peur de moi. Pourtant, je ne lui veux pas de mal... Je veux juste savoir pourquoi. Mais je ne pense pas que parler à un mur, aussi mystérieux soit-il, m'apportera la moindre réponse.

Alors je retire ma main, déçu.

- Elly ?

Je me retourne. La Prêtresse. Je ne suis même pas surpris de la voir. Elle sait tout, elle voit tout. Visible, invisible, matériel, immatériel, peu lui importe. Tout lui est accessible, même les pensées les plus profondes, celles que même l'individu à qui elles appartiennent ne connait pas encore.

Je reste immobile, mes yeux fichés dans les siens. Son regard, d'un magnifique bleu glace, presque blancs, reflète une immense sagesse. Elle s'approche moi. J'ai l'impression qu'elle ne marche pas. Comme si elle flottait à quelques centimètres du sol, mais sans perdre ce mouvement, ce petit roulement de hanche, qui caractérise la marche humaine. Mais ce qui est lourd et maladroit chez l'Humanité est pur et d'une fluidité absolu chez elle.

- Elly, répète-t-elle. Qu'est ce que tu vois ?

Je suis surpris. La Prêtresse ne pose jamais de questions, et n'y répond jamais non plus. C'est inutile, pour elle. Ce que vous voulez savoir, elle le sait déjà, et vous le révèle avant que vous n'ayez demandé quoi que ce soit. Et il est impensable qu'elle pose une question un jour. Elle sait. Elle est Vérité.

Sauf qu'elle vient de me demander quelque chose.

- Un mur. Un mur invisible, je lui dis.

Elle semble surprise. Encore une émotion que je ne lui connaissais pas. Mais elle se reprend vite, et pose sur moi un regard neuf, que je ne comprends pas.

- Je peux arrêter, si vous voulez.

- Elly, je ne peux pas te demander de mentir. Tu vois ce mur. Tu le vois. Ce n'est pas de ta faute. C'est ta particularité, ce qui te rends différent.

- C'est quoi, ce mur ? je demande.

- On l'appelle le mur de l'Impossible. Tu ne peux pas aller au-delà, Elly.

- Mais pourquoi ?

- Parce que c'est impossible.

La Grande Prêtresse sourit tendrement, consciente que ses paroles ne me satisfont pas.

- On m'a toujours dit que "impossible" n'était qu'un mot... je rétorque.

- Et c'est bien vrai, Elly.

Je soupire en baissant la tête, agacé par l'ambiguïté de ce qu'elle me raconte. Lorsque me redresse, elle a disparu. Je la cherche inutilement du regard. Elle n'est plus là, c'est évident. La Prêtresse n'est pas soumise aux mêmes lois que les simples humains...

Je pars, décidé à rentrer chez moi.

Le lendemain, je reviens.

Puis le jour suivant.

Je passe devant ce mur tous les jours.

Et les années s'écoulent, douces.

Je grandis, et ce mur grandit avec moi.

L'âge me fait le voir plus distinctement qu'avant. Il me paraît vraiment infranchissable. "Impossible".

Et pourtant... Je sais que je peux le briser d'une pichenette, si j'en ai envie.

Mais si je le fais...

Qu'est ce que je découvrirai derrière ?