Le Chocolat Chaud : Anniversaire
Bon... Pour vous donner une idée de ma situation actuelle, il est vingt-et-une heure douze, je suis dans la voiture avec ma femme, et je fais semblant de ne pas savoir qu'elle m'emmène à ma fête surprise d'anniversaire.
Je commence déjà à réfléchir à ce qui serait le plus approprié pour feindre la surprise...
Plutôt « Olala ! Mais quelle surprise ! Je ne m'y attendais absolument pas ! », « Wahou, vous êtes tous venus pour mon anniversaire ? C'est trop gentil ! » ou bien « Oh mon dieu, j'en reviens pas ! Merci beaucoup, ma chérie. » ?
C'est dur de trancher. Tellement dur que je ne le fais pas, d'ailleurs. Et on arrive chez nous - parce que oui, mon adorable femme a eu l'excellente idée de l'organiser chez nous - sans que je sache quelle attitude adopter.
- Allez, viens, chéri ! s'exclame Rebecca en sortant de la voiture. Je t'ai préparé un petit dîner aux chandelles...
Et la voilà qui trottine jusqu'à la porte d'entrée en gloussant comme une dinde. Sérieusement ? J'ai été amoureux et je suis censé toujours l'être de cette gourde ?
Oui, j'ai passé une mauvaise journée, et oui, je suis de mauvaise humeur. Non, je n'ai pas envie de fêter mon anniversaire parce que je suis arrivé à un âge où je vieillis, et non, je ne regrette absolument ce que j'ai pensé de Rebecca. Je compte divorcer d'ici peu. Quand j'aurai trouvé le courage d'affronter les geignardises auxquelles j'aurai droit pendant des heures après lui avoir annoncé que je la quittais. Ce genre de pleurs m'énervent au plus haut point.
Est-ce que vous sentez la bonne soirée arriver ?
- Chéri ! crie l'autre avec une voix suraiguë et surexcitée. Qu'est-ce que tu fais ? Tu viens ?
Avec un soupir, je descends de la voiture et tâche, tout en marchant vers la maison, de me ressaisir et de faire bonne figure.
Toutes les lumières sont éteintes. Comme c'est étonnant.
Allez... Un, deux, trois...
- Surprise !
Je me retourne vers les invités entassés dans le salon. Je choisis de jouer la surprise en les écoutant entonner Joyeux Anniversaire. C'est incroyable, ils chantent tous plus faux les uns que les autres. C'est intolérable.
Enfin, après quelques minutes de torture auditive, et d'immobilité gênante de ma part, ils se taisent. J'ai presque envie de les remercier pour ça...
Ils me fixent tous bizarrement, comme s'ils attendaient quelque chose. Et je sais très bien quoi. Ils veulent que je fasse une sorte de discours. Pour les remercier de gâcher une soirée qui aurait certainement été bien meilleure si j'avais été seul avec le chien.
- Eh bien, Charles, me dit Rebecca en glissant une main dans mon dos. Ne fais pas ton timide, dis quelque chose !
- Ouais ! Un discours, un discours, un discours ! commence à scander la bande d'imbéciles réunie dans mon salon.
Je lève les mains avec un tout petit sourire pour les faire taire. Allez, Charles. Contrôle-toi, fais semblant d'être content, et va te coucher dans une heure en prétextant être complément soûl. J'ouvre la bouche. Ils sont tous tendus comme des ressorts, attendant une parole de l'homme de la soirée.
- Eh bien, vous êtes venus nombreux, dites-moi. Qu'est-ce que ce sera le jour de mon enterrement...
Oh, et puis merde.
Je vois leurs visages se décomposer. Ils ne savent pour la plupart pas si c'est du lard ou du cochon, mais ceux qui me connaissent bien savent que ce n'était pas la bonne soirée.
Je vois Aliénor - la pauvre, sa mère a absolument tenu à l'appeler ainsi, et je n'ai rien fait pour l'en empêcher - se couvrir le visage de sa main. Dans la famille, ma fille aînée a toujours été celle qui me connaissais le mieux. Elle avait dû dire à sa mère que cette fête n'était pas une bonne idée. Mais cette chère Rebecca, croyant bien faire, croyant toujours bien faire, ne l'a pas écoutée et... voilà ce qui est arrivé.
- Mais enfin, chéri...
- Alors non, je l'interromps. Pas chéri, non. J'en peux plus que tu m'appelles chéri. En fait, figure-toi que je ne t'aime plus. Et depuis, un moment, déjà.
- Qu...quoi... ? elle bégaie en se couvrant la bouche d'une main. Mais qu'est ce que tu racontes ?
- Qu'est ce que tu ne comprends pas dans : « Je ne t'aime plus », Rebecca ? je m'agace. Je ne te supporte plus. Je veux divorcer, c'est peut-être plus clair ?
Aliénor pousse un grand soupir et vide son verre d'une traite. Roger, le seul véritable ami que je peux voir parmi tous ces gens, éclate de rire.
- J'étais sûr que tu n'allais pas apprécier cette petite surprise ! s'exclame-t-il. C'est pour ça que je suis venu, d'ailleurs. Pour voir le show de Charles !
- C'est scandaleux ! tempête mon beau-père.
- Musique ! commente Roger en se rapprochant d'Aliénor, qui semble au bord du malaise.
Je croise les bras et lève un sourcil pour mieux profiter du spectacle de réactions exagérées qui s'offre à moi.
- Après tant d'années de mariage ! continue de beugler le père de Rebecca.
Il a le bout du nez un rougeâtre. Il n'est certainement plus très sobre...
- Voyons, chéri, calme-toi... tente de le tempérer sa femme, que la situation semble beaucoup amuser.
Elle a toujours été une vieille vipère commère vicieuse. Je ne l'ai jamais aimée, mais il faut bien avouer que c'est de loin la plus amusante des membres de cette famille de coincés.
- Pourquoi tu ne m'aimes plus ? sanglot derrière moi ma future ex-femme. Qu'est ce que j'ai fait ?
Je n'ai vraiment pas envie de lui répondre. En plus, je n'en sais rien.
Mais l'arrivée de quatre de ses amies collègues de bureau en renfort m'évite de devoir lui faire face. Elles me jettent un regard noir en passant et entraînent Rebecca dans la cuisine. Un problème de moins. Au suivant...
Ah, c'est le tour de Sammy, mon fils, apparemment. Il fonce sur moi comme une furie et se plante juste à quelques centimètres de mon visage.
- Tu peux pas faire ça... siffle-t-il assez près pour que je puisse sentir son haleine alcoolisée. Vous pouvez pas divorcer.
- Sam, on avait dit quoi à propos de l'alcool, déjà ? je le réprimande.
- Mais on s'en branle de l'alcool ! s'énerve-t-il. C'est pas ça qui est important ! Tu peux pas laisser Maman ! Tu l'aimes !
- C'est bien là le problème. Je ne l'aime plus. Je suis même pas sûr de l'avoir déjà aimé. En fait, elle m'exaspère.
Il rougit, et je vois ses yeux se charger d'éclairs. Il fait peur à sa mère quand il est énervé, mais ce n'est pas mon cas. Il joue au dur, mais ce n'est qu'un jeu, justement.
- T'es vraiment qu'un con ! crache-t-il avant de me bousculer pour certainement aller se réfugier dans sa chambre.
Un vrai gosse pourri-gâté. Je l'admets, j'aurais certainement dû être plus ferme avec lui durant ses jeunes années...
Sa petite amie se lève de son siège et se présente devant moi.
- Excusez-le, me dit-elle. C'est un peu soudain, et il a bu. Je suis sûre qu'il ne pensait pas ce qu'il vous a dit... Je vais essayer de le raisonner.
- Pas de soucis, je peux comprendre, effectivement.
Elle hoche la tête et s'engage à la suite de Sammy.
- Ah, et, Amélie ? je la rappelle.
Elle se tourne vers moi.
- Ce n'était pas à toi de t'excuser. Tu es trop gentille avec lui...
- Ça doit être parce que je l'aime, réplique-t-elle après un silence.
Elle repart. Je ne peux réprimer un sourire. Oui, j'ai connu ça un jour, moi aussi... Mais clairement plus maintenant.
- Tu es dans l'encadrement de la porte de sortie, m'indique une voix. Tu devrais t'écarter, je pense qu'il y a des gens qui voudraient partir mais tu leur bouche la route. Et comme t'adresser la parole les ferait être considérés comme des traîtres, ils n'osent pas te demander.
Je tourne la tête sur ma droite. Corentine, ma fille benjamine, a l'art et la manière de se faufiler partout sans que personne ne la repère, ce qui lui a d'ailleurs valu le surnom de « petite souricette ». Elle me tire par la manche pour me forcer à dégager le passage. Et, effectivement, une fois que je me suis écarté, une bonne partie des invités se précipite vers la sortie, et partent, non sans m'adresser un regard plein de reproches au passage. Plus que pour l'annonce un peu brutale du divorce, ils m'en veulent certainement de leur avoir fait perdre leur soirée pour rien...
Sandrine s'arrête devant moi.
- Bon... me dit-elle. Je serais bien restée, mais Damien ne veut même plus entendre parler de toi, et, moi, je tiens à rester mariée. Je me doute que tu vas perdre une bonne partie de tes soit-disants amis suite à cette... révélation, donc tiens.
Elle me tend un trousseau de clés.
- Rue Nouvelle, numéro 206, appartement 14, deuxième étage, m'indique-t-elle. Ça te dépannera le temps que tu trouves autre chose...
- Merci, Sandrine. C'est vraiment gentil de ta part.
- Tu parles, c'est rien du tout ! On n'a plus de locataires depuis deux mois. Et puis, entre nous... glisse-y-elle sur le ton de la confidence. Je te comprends et te soutiens à cent pour-cent ! Je n'ai jamais pu la supporter, et je ne m'en suis jamais cachée.
Elle m'adresse un sourire et un petit signe de la main, puis tourne les talons.
- Je suis contente que ce soit elle, ma marraine, commente Corentine. Presque tous les autres sont une bande de faux-culs, et je déteste ça...
Tiens, j'avais oublié qu'elle était là...
- Alors ? enchaîne-t-elle. Tu ne l'aimes vraiment plus ou bien c'est juste une excuse parce que tu as trouvé quelqu'un de plus jeune et jolie ? A moins que ce soit parce que tu as décidé de ne plus refouler ton homosexualité, évidemment...
- Corentine, d'où te viennent ces idées ? Je n'ai personne d'autre et je ne suis pas homosexuel... Je n'aime juste plus ta mère. Je n'en peux plus de faire semblant de l'apprécier alors que je ne peux plus la supporter.
- Et je te comprends... soupire-t-elle. Je ne peux pas faire comme toi, claquer la porte en disant : « J'en peux plus de toi, j'me casse ! », mais c'est pas l'envie qui me manque...
- Euh, Corentine... je la réprimande. C'est quand même de ta mère dont tu parles...
- Je suis au courant, merci... soupire-t-elle.
- Mais, Corentine... Qu'est-ce que c'est dans ton verre ?
- Du whisky-coca, pourquoi ? répond-elle d'un air innocent.
- Tu as treize ans ! je m'insurge. À treize ans, on ne boit pas de whisky-coca ! Enfin...
- Ah bon ? Tu en es sûr ? me demande-t-elle avec un petit sourire.
- Corentine, je suis ton père et je...
- Tu as autre chose de plus important dont te préoccuper que le contenu de mon verre, effectivement, me coupe-t-elle. Je ne t'en veux pas, t'inquiète. Moi, je me casse. Bon courage...
Elle s'éclipse discrètement, sans plus d'explications. Mais en voyant Armand, le frère de Rebecca arriver vers moi comme un rhinocéros, je comprends pourquoi elle a fui.
- Toi... souffle-t-il en m'empoignant par le col. Tu vas payer pour avoir fait ça à ma soeur...
Il lève son poing. Malgré ce que son doux prénom pourrait laisser penser, Armand est une montagne de muscles aussi haut que large, et, non il n'est pas nain. Autant dire que je n'ai pas envie de me prendre un coup de sa part...
Alors que la main de mon futur ex-beau-frère - un titre bien long pour un si petit esprit - se rapproche dangereusement de ma tête, un bras ami, que je reconnaîtrais entre mille parce que m'ayant déjà sauvé des dizaines de fois de situations similaires, s'interpose.
- Hola, doucement, l'ami ! s'amuse Roger.
Si Armand n'est pas nain, Roger est un géant, doté de la même morphologie que mon agresseur.
- Allez, file ! m'ordonne-t-il. Tu en as déjà assez fait, va !
- Merci, Gégé ! je lance en suivant son conseil.
Une fois dehors, la porte de la maison que j'ai moi-même achetée mais que je laisse volontiers à Rebecca claquée derrière moi, un grand soulagement m'envahit. Enfin... c'est fait.
Bon, par contre, comment je pars d'ici, moi ? Comme Rebecca était venue me chercher, je n'ai pas la voiture...
- P'pa, attends ! crie une voix que je reconnais aussitôt.
Aliénor accourt vers moi, les clés de sa Clio à la main.
- Je te dépose ? me propose-t-elle.
- Je ne suis pas contre l'idée, effectivement.
Elle me fait signe de monter.
- Sandrine est gentille de t'avoir prêté cet appartement, je trouve... commente-t-elle une fois assise au volant.
- Comment tu sais ça, toi ? je m'étonne.
- Petite souricette, se contente-t-elle de répondre comme une évidence.
- Ah, oui. Bien sûr...
Je marque une pause. Elle démarre la voiture.
- Tu n'es pas fâchée contre moi ? je lui demande, surpris qu'elle ne me fasse aucun reproche.
Pour toute réponse, elle hausse les épaules et soupire :
- Je lui avais dit que c'était une mauvaise idée, cette fête...
Je souris.
---
Alors, cette nouvelle couverture, vous l'aimez ? J'en ai changé pas mal ces derniers temps...
Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro