« Écoute-moi, dit mon père calmement. J'ai cédé à ton caprice pour qu'Éva ne reste que le week-end, j'ai cédé au fait de ne pas la voir pendant deux ans et d'appeler sa mère en secret pour ne pas que tu t'énerves. J'ai aussi cédé à...

- Arrête ! interrompt la belle-mère. Elle pourrait tout entendre, qu'est-ce qu'il va se passer après ?

- J'en sais rien, et ça m'est égal de ce qu'il va t'arriver, c'est ton problème pas le mien ! Et puis... Si Éva entend tout, est-ce que je devrais m'inquiéter ? Je trouve que ce serait plutôt bien, en fait. Éva est ce qui m'est arrivé de mieux. Elle est toute ma vie et j'ai dû m'en priver par ce que... »

Malheureusement, je n'ai pas pu entendre la suite. Je n'ai pas pu parce que, comme par hasard, c'est à ce moment que Damien a commencé à parler.

« Je suis désolé pour tout ce qui arrive. Ils ne sont pas comme ça, d'habitude.

- C'est pas grave, j'ai l'habitude des gens qui se disputent.

- En fait, ma mère est folle, commence-t-il. Elle n'est pas normale, je te jure.

Je respire un grand coup, puis je dis :

- Je ne sais pas...

- Pourquoi tu ne sais pas ?

- Tout ça, c'est à cause de moi, pas vrai ?

- Non non, pas du tout ! T'es sympa je trouve... C'est juste elle qui va pas bien.

Je hoche la tête sans rien dire et il reprend :

- Même Madison a peur d'elle. En vrai, c'est moi qui m'occupe d'elle et ton père aussi, quand il est là.

- Mais pourquoi avez-vous peur de ta mère si d'habitude elle n'est pas comme ça ?

- Parce que... Parce qu'on a toujours peur qu'elle se mette dans tout ses états si on fait les mauvaises choses ou si on ne fait pas ce qu'elle dit.

- Ah d'accord... »

Il se lève et pose Madison sur le lit, puis vient s'asseoir par terre à côté de moi. Je le regarde en me demandant comment il pouvait être si différent de sa mère.
Il est blond, yeux bleus. Une boucle lui retombe sur le front et il est plutôt calme, il ne parle pas beaucoup. Mais sa voix est douce et quand il parle on a envie de l'écouter (je sais c'est bizarre de dire ça mais c'est vrai !)
Il me fait penser à... à Martin. Celui du pensionnat. Sauf que Martin, lui n'est pas aussi blond et il n'a pas une voix aussi calme et posée. C'est juste ses yeux bleus et cette boucle qui me font penser à lui.
Enfin bon...

« Au fait, tu vis ici tous les jours ? demandé-je.

- Oui, pourquoi donc ?

- Et bien... Qu'en est-il de ton père ?

- J'en sais trop rien. Mes parents se sont quittés à ma naissance et je n'aborde pas trop le sujet avec ma mère parce qu'elle essaie toujours de détourner la discussion et tout ça.

- Je... Je pense que mon père sait des choses.

- C'est ce que je pensais aussi, affirme alors Damien.

- Et sinon, j'ai entendu mon père dire qu'il s'est privé de vivre avec moi et ma mère...

- Ah oui, m'interrompt-il. Je sais...

- Quoi ? Tu sais quelque chose à ce propos ?

- Oui, c'est assez triste. Tu veux vraiment savoir ?

Je réfléchis un instant mais au final, je préfère plutôt savoir. Pourquoi se cacher de la vérité ?

- Oui vas-y, raconte.

- Et bien en fait, Benjamin, ton père et Caroline, ma mère se connaissent depuis que j'ai quatre ans. Maman n'allait toujours pas bien mais quand elle a rencontré ton père tout à changé pour elle. Elle est tombée folle amoureuse, on peut dire...

- Comment l'a-t-elle rencontré ?

- Attends, laisse-moi finir. Mais ton père n'éprouvait pas ce même sentiment.
Et pour répondre à ta question ils se sont rencontrés lors d'une formation. Il y avait des gens de plusieurs entreprises différentes et nos parents y étaient. Enfin bref, ce n'est qu'un détail. À la fin de la formation ma mère est allée voir Benjamin et lui a demandé s'il voulait prendre un café avec elle mais il lui a dit "désolé je ne peux pas, ma femme est à l'hôpital et elle va bientôt accoucher, je ne peux pas louper la naissance de mon enfant".

- Ils se connaissent depuis tout ce temps ?

- Ouais... Ma mère était vénère quand il a répondu ça, en plus qu'elle n'avait toujours pas digéré la rupture avec mon père je pense.
Et puis, quatre ans après elle l'a croisé de nouveau dans la rue. J'étais présent ce jour-là d'ailleurs. Je crois que toi et ta mère étiez dans un magasin à ce moment car il était seul, ma mère a donc engagé la discussion mais il ne se souvenait pas d'elle.

- Et après ?

- Ta maman est arrivée et te tenait par la main. Elle a demandé qui nous étions, une réaction normale tu vois.

- Ouais.

- Ton père s'est souvenu, il a expliqué à ta mère quand ils se sont rencontrés et comment il avait refusé d'aller prendre un café. Ma mère l'a alors interrompu et a dit "tu me dois toujours un café d'ailleurs" avec un clin d'œil. Tu sais c'est anodin mais quand quelqu'un dit ça alors qu'il a refusé pour voir naître son enfant c'est normal et elle ne comprenait pas ça vu que mon père est parti sans jamais me voir.
Ensuite, elle a tapoté la joue de ton père comme si ils étaient complices et elle a dit " t'inquiète mon chou je te pardonne" et elle m'a entraîné avec elle et on est partis.

En voyant que je le regarde incrédule, Damien affirme :

- Je te l'avais dit elle est bizarre.
Et après ça, elle l'a suivi partout et c'est à cause d'elle que tes parents se disputaient. J'en suis désolé. Je pense qu'elle est devenue violente à cause de ça ET de mon père. Puis, il y a deux ans, ton père a cédé et il lui a fait un enfant après s'être marié avec elle. Enfin, pour ce qui est de la naissance de Madison je ne suis pas sûr que Benjamin soit le père.

- Madison est mignonne mais... La pauvre d'avoir une mère aussi cruelle.

- Et moi alors, on me plaint pas ?

- Mais siiii ! »

Je le bouscule un peu et il fait de même mais en plus fort du coup il me tombe dessus. Il est sur moi et je rigole, lui aussi se met à rire. Il se relève et s'excuse puis sans rien dire je pose ma tête sur lui. Il rit encore.

Je n'arrive pas à croire toutes ces histoires, ça ne peut pas être vrai...
Comment quelqu'un peut être aussi fou.
Je remarque qu'en bas, tout est calme. La dispute a pris fin, on dirait.
Damien l'a aussi remarqué parce qu'il me regarde en souriant et m'aide à le relever.

« Je pense que tu peux aller manger. »

Je descends les escaliers avec lui, Madison dans ses bras, et on va à la cuisine où on trouve papa tout seul assis sur une chaise.

« Je suis désolé pour tout ce qui arrive Éva... murmure-t-il. Je te dois des explications.

- C'est pas de ta faute, je ne t'en veux pas.

- Benjamin, je lui ai raconté... ajoute Damien.

- Ah d'accord, merci mon grand, je n'aurais pas pu le faire moi-même.
Ça peut peut-être paraître irréaliste mais ce qu'il t'a raconté est vrai, je n'aurais jamais dû faire cette formation, et j'aurais dû ne jamais rencontrer Caroline...

- Non, ce n'est pas grave papa, ne t'énerves pas. »

Il m'invite à m'asseoir devant une assiette où une part de pizza est déjà coupée. Damien s'assoit à côté de nous pour nous regarder manger.
Nous changeons de sujet mais savons très clairement que plus rien ne sera pareil depuis que je sais ce qui est arrivé.