Chapitre 13
La dame le regarde. Elle semble réfléchir.
- Dites-moi.
Le noiraud lève les yeux vers elle. Il la scrute, redoutant ce qu'elle s'apprête à dire.
- Pensez-vous qu'il est utile que vous restiez ici encore longtemps ?
Bien ce qu'il attendait, il hésite. Que répondre ? Il n'aime pas cet endroit, il s'y sent oppressé, pas à sa place. Il ne s'y sent pas à l'aise. Cependant, quelque chose le retient, ou quelqu'un. Bien sûr que c'est Jisung, maintenant, que faire ? Est-ce que sa réponse aura un quelconque impact sur la décision qui revient à la dame ? Ensuite, devrait-il demander à rester ici, en dépit de ce que son conscient lui souffle ? Ou bien partir, ne jamais revenir, perdant la relation qu'il a avec le rouquin, cette relation qui l'a tant aidé ? Bien plus que ces rendez-vous, à son sens ? Il ne sait pas que répondre. Alors, comme il l'a toujours fait, il reste silencieux.
- Je m'en doutais.
Il la regarde, interrogé.
- Je pense que vous avez fait du chemin depuis que tu es ici. En revanche, je pense que vous devriez vous habituer à vivre ailleurs. Vous ne pourrez pas rester ici jusqu'à la fin de votre vie, vous comprenez ?
Ou jusqu'à la fin de la sienne.
Il hoche pourtant la tête, docile.
- Qu'en pensez-vous ?
Est-ce que répondre changerait quelque chose ? Devrait-il rester ? Partir ?
Rien.
Il ne répondra rien. Il est en droit de se demander pourquoi.
Peut-être que ce sont les dernières fois qu'il voit Jisung. Parce qu'il partira sûrement demain. Il retournera vivre chez sa tante, médecin de l'hôpital en cardiologie, reprendra les cours ou les études, sera rapidement forcé de quitter le cocon "familial", de se construire une vie. Tout ce dont il n'a pas envie, tout ce dont il a peur. Et il n'a pas envie. De retourner à une vie lambda qu'il devra se créer lui-même. Il n'a pas envie de quitter Jisung parce que, maintenant qu'il se pose la question, comment fera-t-il une fois qu'il ne sera plus là ? Qui le forcera à parler, à jouer avec lui, à manger, si le rouquin ne le fait pas ? Il se retrouvera rapidement embêté, sans personne avec qui partager quoique ce soit. Mais en même temps, rester ici ne pourra pas aider.
Car, s'il doit commencer une vie, certes dont il a peur, ce n'est pas en restant dans cet hôpital qu'il va réussir à se lever, marcher, ou même voler. Et puis, un problème se pose : la fin de Jisung. Le rouquin ne fait qu'en parler, ne fait que de le lui rappeler. Serait-il prêt à voir Jisung, son Jisung périr ? Est-il prêt ? En a-t-il même envie ? Bien sûr que non il n'en a pas envie. Alors, vaut-il mieux qu'il parte, ne revienne jamais, efface Jisung de sa vie et fait comme si de rien n'était ? Mais cette petite boule de joie en a tellement fait pour lui, il ne réussira jamais à l'abandonner, à l'oublier. Mais le faut-il ? Serait-ce mieux pour sa santé mentale ? Sans santé tout court ?
Mais si on pensait à Jisung ? Vaut-il mieux qu'il termine sa vie sans l'aide ou même la vue du noiraud ? Est-ce que ça lui ferait du bien de le voir à ses côtés lors de sa fin ? Ou préfèrerait-il qu'il soit loin, afin d'être soulagé de savoir que sa mort ne sera pas lourde sur les épaules de Minho, de son Minho ?
Ce sera dur, quoiqu'il se passe.
La dame dit quelque chose, mais Minho l'écoute de loin.
***
Jisung, de son côté, est allongé dans son lit. Les médecins sont venus jusqu'à lui pour lui annoncer une certaine nouvelle. C'est certainement de bon augure, selon leur tête plus qu'expressives, comme celles de tous les médecins.
Haha.
- Pas la peine de faire cette tête, je vais pas mourir tout de suite.
Le mauvais humour du rouquin fait grimacer plusieurs personnes, dont ses parents, mais personne ne relève. C'est vrai, de quel droit interdit-on les blagues d'une personne en fin de vie, et sur sa propre mort en plus. Pour peu qu'il en ai conscience, c'est de son choix.
- Malheureusement, il est trop tard pour une chimio-thérapie. Depuis longtemps en fait, les récents résultats nous l'ont montré.
Ses parents hochent la tête, la larme déjà à l'oeil.
- Il me reste combien de temps à peu près ? Une estimation ?
Jisung, pas besoin d'être insolent voyons.
- Et bien... Il vous resterait sans-doute environ deux mois.
Deux mois ? Seulement deux ? Qu'est-ce qu'il va bien pouvoir faire, deux mois allongé dans un lit ?
- Et je suppose que je ne pourrai pas me lever de ce lit ? Du moins tout seul ?
- Non. Vous serez en fauteuil roulant pour le reste. Des infirmières vous aideront dans les tâches quotidiennes, ou seront là pour vous emmener en promenade, selon vos désirs.
- Selon mes désirs ? le rouquin commence à perdre la tête, sous l'émotion abondante qui le traverse.
La salle reste silencieuse. Mais Jisung n'a pas fini, loin de là.
- Selon mes désirs vous dites ? Selon mes désirs, comme vous le dites, je n'aurais pas eu cette merde qu'on appelle cancer sarcome, je n'aurais pas des tâches sur tout le corps parce que pas très esthétique, pas très pratique pour attirer les garçons, comprenez ? Ensuite, puisque par malheur je l'ai attrapé, je n'aurais rien changé à ma décision de ne pas prendre de médocs. Tout le monde a été énervé contre moi, mais c'était pas décision, mon "désir" dans au moins un domaine où j'avais le choix. Pour continuer, selon mes désirs, je serais autre part que dans ce putain d'hôpital.
- Jisung chéri, tente d'intervenir sa mère, mais celui-ci la coupe, sans prendre en compte sa présence.
- Je serais en train de faire du surf, voir plein de monde, faire des fêtes, me bourrer la gueule jusqu'à en vomir, voir des potes que je n'ai pas parce que je suis coincé ici, dans un lit sur lequel je n'arrive même pas à me lever pour sauter dessus ! J'aurais eu plein de petits copains parce que je me serais entraîné à comment faire, j'aurais fait des magasins, joué à des jeux vidéos, aller en cours pour ne rien écouter, quitte à ce que mes parents m'engueulent. J'aurais eu une super vie, pas gâchée à cause d'une maladie de mes deux.
Il regarde tour-à-tour le médecin qui lui a annoncé la "super" nouvelle, les infirmières qui ne savent pas où se mettre, et aussi ses parents, déjà en train de pleurer parce qu'ils savent que dans à peine deux mois, ils n'auront plus de fils.
- C'est injuste monsieur, parce que j'ai rien demandé. J'ai rien fait de mal, j'ai été sympa toute ma vie, j'ai fait des bêtises, mais je n'ai pas mérité ça. Je ne l'ai pas mérité, et personne d'autre.
Le docteur le regarde, de la compassion aux yeux. Certes ce jeune homme est insolent, mais il réussi à toucher un médecin habitué à annoncer des mauvaises nouvelles à longueur de journée.
Jisung se sent impuissant. Faible. Il n'à plus qu'à se plaindre à un médecin qui n'a rien demandé, à des infirmières compatissantes et des parents malheureux. Son nez lui pique, sa vue se brouille, et il sent une infime goutte lui couler le long de la joue. C'est injuste, c'est affligeant, c'est mal. Il se met à franchement pleurer.
- Dites-moi comment ça va se passer. Comment vont se passer les dernières semaines de ma vie. Je veux savoir, vous me devez bien ça.
Il ne lui doit rien du tout. Pourtant, le médecin s'assoit au bord du lit, sur la couverture couvrant les jambes du rouquin.
- Tu vas commencer par te sentir faible, fatigué. Ensuite tu vas avoir froid tout le temps. Tu n'auras plus faim, parce que tes organes ne supporteront plus la digestion. Tu auras encore plus de mal à te redresser, te mettre assis ou juste à tourner la tête. Tu vas dormir plus souvent, plus longtemps. Tu vas peut-être commencer à penser qu'il est temps, que tu en as marre de vivre ainsi, et ce sera normal. Tu te sentiras de plus en plus mal, jusqu'à ce qu'un jour ton corps décide que c'est terminé. Et là, tu t'endormiras, pour toujours.
- Je ne demande qu'une chose, articule le rouquin entre reniflements et sanglots.
- Nous t'écoutons tous.
- Je ne veux pas être oublié. Je veux que les gens que j'ai rencontrés se souviennent de moi. Je veux être inoubliable.
- Personnellement, je ne t'oublierai pas, Jisung. Tu m'as fait une forte impression depuis que je te suis.
- Vousme le promettez ?
- Je peux essayer.
Le rouquin lève son maigre bras, l'avance vers le médecin et point fièrement son petit doigt en l'air, afin de sceller une promesse.
Le médecin la scelle. Il ne l'oubliera pas. C'est scellé.
***
Lorsque Minho retourne dans la chambre, Jisung n'est pas là. Il a dû se balader avec une infirmière, certainement. Il cache être un peu déçu que le rouquin ne l'ait pas attendu pour lui demander à lui, mais n'y pense pas plus et s'allonge dans son lit.
Une dizaine de minutes plus tard, le rouquin revient, en fauteuil roulant, et entre seul dans la chambre.
- T'es pas avec une infirmière ?
Le rouquin est dos à lui. Il tressaute puis se retourne. Aucun signe distinctif sur son visage : il sourit.
- Je lui ai dit que je pouvais rentrer tout seul. Tu veux bien m'aider à monter sur mon lit, s'te plaît ?
Jisung s'avance de son lit, Minho se lève et soulève son camarade, le pose dans son lit sous son remerciement discret, et reste planté là.
- Pas que tu me déranges, mais tu caches la vue du soleil. Donc bouge.
- J'ai un truc à te dire.
- Imagine que je suis un lion : encore une déclaration d'amour ? Tu vas me faire rugir.
Les deux se regardent dans le blanc des yeux.
- T'as compris ma blague ?
- C'est important.
- Pardon, s'empresse de rajouter le garnement.
Il s'assoit sur son lit, en étant dos à lui. De ce fait, Jisung a une belle vue sur son dos, ainsi que ses cheveux, qui ont poussés depuis qu'il est arrivé.
C'est marrant de voir l'évolution des autres. Comment ils changent, ou comment ils restent les mêmes. Minho, lui, a beaucoup évolué depuis qu'il est entré dans l'enceinte de l'hôpital. Il est moins effacé, plus lui-même. Même si Jisung ne l'a pas connu avant, il sait qu'il redevient la personne qu'il était, ça se sent. Plus tôt, au début, il ne parlait pas. Il n'était pas vraiment là. Mais Jisung a réussi, à sa manière et son échelle, à lui faire sortir la tête de l'eau. Jisung est content de l'avoir, et il espère que Minho l'est aussi de son côté.
- Je vais quitter l'hôpital.
Jisung ne répond pas. De ce fait, Minho reprend.
- Sous l'ordre de la psychiatre de l'hôpital.
Après un petit silence, le rouquin prend la parole.
- C'est super, tu vas pouvoir sortir d'ici !
Il s'attendait à tout, sauf à ça.
- Tu penseras à moi quand tu mangeras des sushis !
Son homologue se met à rire. Mais ce rire paraît tellement faux, tellement peu cohérent, que le noiraud se sent obligé de tourner la tête vers Jisung.
Sur les joues de celui-ci, des larmes coulent. Elles roulent, inlassablement. Comme des perles d'accablement, d'amertume.
- Jisung...
Celui-ci lui donne un petit coup dans l'épaule, avec son poing.
- Aller, je pleure vite-fait mais ça va passer. C'est super que ça aille mieux et que tu puisses sortir d'ici ? C'est tellement piteux ici. Tu seras mieux chez toi. Chez ta tante, c'est ça ?
Le noiraud ne trouve rien à répondre.
- Ouais.
- Parfait ! Je suis content pour toi, mon vieux.
Jisung ne l'a jamais appelé comme ça, et ça ne marche pas du tout. Ça résonne plus que faux, discordant même. C'est pour ça que son camarade lui offre un regard intrigué.
- Bah quoi ? On est potes non ?
Potes ?
Comment ça "potes" ?
Jisung est Jisung pour Minho. Minho est Minho pour Jisung. Il n'y a pas plus bizarre, étrange que de s'appeler l'un et l'autre "pote".
- Quel est le problème ?
- Qu'est-ce qui te fait penser qu'il y en a un ? rétorque du tac au tac Jisung.
- Je sais pas. Tu m'appelles "pote" ou "vieux". Tu m'as jamais appelé comme ça.
- Il n'est jamais trop tard pour commencer ! s'enjoue son camarade.
- Ça ne me plaît pas.
Silence. Et celui-ci n'est ni pesant, ni apaisant, simplement gênant. Pour Jisung, du moins.
- Ha. Oups ? Pardon ? Mais pourquoi ?
C'est vrai, pourquoi Minho ? Pourquoi ça ne va pas de se faire appeler comme un "copain" par Jisung ? Quelle peut bien en être la différence entre lui et les autres ? Qu'est-ce qu'il a de spécial, Jisung ?
Il est beau, gentil, amusant, mais comme nombre d'autres humains sur cette terre. Alors pourquoi Jisung est si différent de toutes les personnes qu'il a pu rencontrer jusqu'ici ? Est-ce que ça le dérangerait que d'autres personnes l'appelent par ces surnoms ? Oui, ça le dérangerait, mais pas de la même manière. Qu'est-ce qu'a Jisung de si étranger et inateignable ? Ça le dérange de ne pas savoir. Parce qu'il perd le contrôle, il perd ses moyens. Ce serait Jisung qui lui ferait perdre le contrôle ?
Après tout, Jisung l'a changé depuis. Bien ou mal, cela n'a que peu d'importance. Le fait est que pour ce, Minho a dû perdre les rennes à un moment ou un autre. Et ça devrait lui faire peur, exactement comme habituellement, lorsqu'il perd le contrôle. Parce que c'est effrayant, n'est-ce pas ?
Alors pourquoi, au contraire, Minho se sent bien ? Reconnaissant ? Alors qu'il ne devrait pas, il devrait être terrorisé, nerveux, énervé, décontenancé, toutes ces émotions en même temps. Et pourtant, c'est tout l'inverse. Il pourrait même penser qu'il est heureux que quelqu'un l'a aidé.
Mais bon sang, Jisung ne l'a pas aidé, il l'a changé, a altéré son mode de vie, l'a perverti. À cause de lui, il se retrouve à aller mieux. Mais il ne le mérite pas. Il n'est pas quelqu'un de bien, il est malhonnête, menteur, cachotier, pas quelqu'un de bien.
Alors pourquoi y sourit-il en pensant ?
Il n'a pas le droit. Il n'a pas le droit de vivre, et de laisser des personnes comme Jisung mourir.
Il n'a pas le droit de vivre, pas le droit de mourir. Il ne devrait rien être.
Alors pourquoi, au fond de lui, une petite voix lui rappelle qu'elle est heureuse qu'il soit encore en vie ?
Cette petite voix est comme une caresse, un soulagement. Elle le rassure, rit pour lui, parle pour lui. Vit pour lui. Et sa voix, c'est la sienne.
Non, pas celle de Jisung. La sienne, celle de Minho. C'est lui-même qui se rappelle qu'il a le droit et le devoir de vivre. Il réussi enfin à l'entendre. Comment ? Certainement parce qu'il était bien entouré ; de soins, de personnes présentes pour lui, de Jisung. Il devrait le remercier.
C'est alors qu'une pensée, suggérée par la petite voix, sa voix à lui, lui monte à l'ésprit.
Et si il se mettait à vivre ? Ne serait-ce pas un assez gros remerciement à toutes les choses qui ont pu l'aider ?
À Jisung ? Mais surtout à autre chose.
À lui-même ?
Ne devrait-il pas accepter ? S'accepter lui ? Tout en gratifiant ce qui l'a aidé, ceux qui l'ont aidé. Mais le plus important, le plus urgent, ce ne serait pas de s'y mettre ?
Vivre pour lui-même ?
Il tourne la tête vers Jisung. Il sourit, depuis longtemps. Il sourit sincèrement, et ça fait du bien.
- Pourquoi tu souris...?
Minho ne sait pas quoi répondre. En a-t-il vraiment besoin ? Est-ce nécessaire, au final ? Les mots sont-ils les seuls à pouvoir exprimer un sentiment ?
Des mains peuvent le faire, des battements de coeurs, des regards.
Des lèvres.
Alors, pour exprimer ses remerciements, son envie de s'en sortir, sa gratitude, il ne parle pas. Il fait tout autre chose.
Il dépose ses lèvres contre celles de Jisung. Qui surpris, garde les yeux ouverts quelques secondes avant de comprendre ce qui se passe. Il a juste le temps d'observer son camarade avant de répondre à son baiser et fermer les yeux.
Ça fait du bien.
De vivre. Juste,
vivre.
Comme c'est agréable, de ne pas se soucier de si l'on mérite de continuer, parce qu'on sait qu'on le mérite. Comme c'est agréable de juste vivre. Minho a encore du chemin à parcourir, un long chemin à parcourir, mais le déclic est là. Le déclic est arrivé, enfin arrivé. Maintenant, il va pouvoir se consacrer à lui, à son bien-être. Il en a peur, c'est vrai. Mais il est impatient de savoir ce que ça fait, de retrouver cette sensation de plénitude en son être, oublier cette boule de vide qu'il sent au plus profond de ses entrailles. Il est impatient, parce qu'un jour, il réussira à être fier de lui. Avant que les autres soient fiers de lui, il veut être fier lui, juste lui.
Dans ce baiser, Jisung sent. Il sent ce que Minho veut lui dire. Ça reste vague, mais Jisung le sent, le perçoit. Et il est heureux, agréablement surpris. Alors lorsque Minho se recule, il lui demande de recommencer.
Parce que ça fait du bien, de ressentir toutes ces émotions à la fois, tous ces doutes.
Et tout ça à travers un simple baiser. Ou plusieurs.
***
Les deux jeunes hommes sont dans la cour de l'hôpital, l'un debout, poussant l'autre avec douceur, tandis que ce dernier est assis, sur une chaise avec des roues.
Ils regardent tous deux le ciel. Le soleil commence à se coucher, les nuages laissent alors une légère teinte rosé les parfumer.
Jisung réfléchit.
Il a passé une bonne fin de journée, avec Minho à ses côtés. Mais il ne lui a pas encore dit. Comment aborder le sujet ? Peut-être qu'il ne devrait pas ? Lui dire qu'il ne lui reste plus que deux mois à vivre servirait-il à quelque chose ? Ils se reverront peut-être, il l'espère sincèrement. En attendant, serait-il judicieux de lui annoncer qu'ils ne pourront pas passer de longs moments ensemble, qu'il va commencer à dépérir, lentement, et ça sous ses yeux s'ils continuent à se voir ?
Ça risque d'être dur à annoncer. Plus que prévu, avec l'épisode de ce matin, celui des lèvres les unes sur les autres. Jisung a tellement de choses à penser.
- Nono ?
- Hm ? répond simplement son homologue.
- On continuera à se voir tu penses ?
Minho semble réfléchir.
- Je pourrais passer venir te voir. Donc oui.
- Tu es sûr de vouloir venir me voir ?
Minho tourne le fauteuil roulant, afin de le placer en face de lui, pendant qu'il s'assoit sur un banc.
- Pourquoi je ne voudrais pas venir te voir ?
- Bah...
Il cherche, il cherche. Pourquoi le noiraud ne voudrait-il pas venir lui rendre visite à l'avenir, lorsqu'il sera sorti de l'hôpital, mis à part le fait qu'il pourrait le voir dépérir à vue d'oeil ? Il y a tellement de raisons.
- Tu commenceras une nouvelle vie. Peut-être que tu n'auras pas envie de retourner ici, de revoir tout ce qui t'a retenu quand t'étais pas bien, tu penses pas ?
Minho ne répond pas. Alors Jisung continue.
- Si j'avais été à ta place, j'aurais pas envie de retourner ici, après tout ce que j'aurais pu endurer. Parce que c'est sinistre ici, qu'il y a plein de gens qui meurent chaque minute dans le même endroit où je vivais pendant plusieurs semaines.
- Comment tu pourrais être à ma place, tu n'as jamais eu envie de mourir.
- C'est toujours le cas ?
- Plus vraiment.
Le rouquin soupire, et cherche.
- Je crois que je dois m'excuser... J'suis désolé.
- Pourquoi ? demande son camarade, ne comprenant visiblement pas.
- Bah, je me suis énervé contre toi, au début. Parce que tu ne voulais pas vivre, et que moi j'aurais été capable de tout pour, justement, pouvoir vivre. Je n'avais pas compris ce que t'avais, du coup je t'ai insulté. Et j'aurais pas dû.
- Continue.
- Tu veux que je dise quoi encore ? Ça m'avait énervé parce que j'étais bloqué dans mon lit d'hôpital et que toi tu pouvais te lever et aller rapidos dire à l'infirmière que ça allait mieux, quitter l'hôpital et vivre ta vie. Ce n'est pas aussi simple, en fait.
Il continue.
- Je crois que j'ai été jaloux de ta "chance". Mais en fait, tu n'en avais pas vraiment. J'ai compris après que la dépression était une maladie et qu'on ne choisit pas, je minimisais un peu ça. Maintenant je sais que c'est beaucoup plus compliqué que ça. Tu m'as jamais vraiment dit ce que ça faisait, d'être en dépression.
- Et toi tu ne m'as jamais dit ce que ça faisait d'être plein de vie mais que le corps ne suivait pas.
Ils se regardent tous les deux, les yeux dans les yeux, intensément.
- Il n'est jamais trop tard ?
Son homologue hoche silencieusement la tête.
- Commence.
Il baisse la tête afin de réfléchir.
- C'est...
Jisung le regarde.
- Tu sens un vide, au fond de toi. C'est inexplicable, c'est un vide. Et t'as l'impression de tomber dedans.
Jisung le regarde encore, et tente de déceler une quelconque information sur son visage, mais rien n'y fait. Il ne le voit pas. Il le cache, son visage.
- T'as l'impression que c'est pas la peine. Pas la peine de se lever le matin, pas la peine de manger, pas la peine de te doucher. Que ça sert à rien, que ça ne mène à rien. Et t'as l'impression que tu ne mérites même pas de vivre. De toute façon, tu n'as pas envie. T'as la flemme. T'es fatigué. Ça sert à rien de toute façon, alors à quoi bon ? Qu'est-ce que ça changera que je sois vivant ou pas ? Et après tu souffres. Parce que t'as pas envie d'être là, parce que ça sert à rien. Parce que tu sers à rien. Et ça fait mal, ce creux dans la poitrine. Au départ, tu veux remplir ce trou, alors certains boivent, se droguent, couchent. Moi je peignais. Mais en fait, on peut pas le combler longtemps. Alors ensuite ça fait mal, super mal. C'est bizarre comme sensation, on dirait qu'un gros "rien", du "néant" te comprime au quotidien. Et tu te couches comme ça, te réveille comme ça. Ça devient insupportable. Et un jour, tu ne sens plus rien. Tu continues de le sentir ce vide, mais il ne fait plus mal. C'est commun, on s'en fout. Tu t'ennuies de tout. T'as pas envie de faire quoique ce soit. C'est pas que t'as peur ou quoi, juste y a... plus rien. Du tout. T'es plus triste. T'es plus fâché. T'es vide, t'es ramené à du vide, réduit à néan. Et c'est soit quand t'es trop fatigué et triste pour continuer que tu tentes d'y mettre fin, soit parce que ça t'ennuie. Parce que y a rien à faire, que ça sert à rien. Et t'es même pas triste, tu t'en fous. Tu te dis juste que bon, ça sera mieux comme ça. Tu pleures parce que ton corps te l'ordonne, mais tu t'en fous. Et là tu mets fin à ton cauchemar, sans même te rendre compte que c'était un cauchemar. Tu le sentais avant, mais depuis ce vide, tu ne sens plus rien, même plus la douleur de ton cauchemar. C'est là que tu termines.
Il redresse la tête, et rencontre le regard mouillé de Jisung. Lui, n'a rien dans les yeux. De l'indifférence.
- Maintenant, j'en ai marre de ce vide. Parce que ça fait mal. Alors je ferais ce qu'il faut pour qu'il parte.
Il passe délicatement sa main sur la joue de Jisung, en sentant une petite larme, un mouton noir, couler. Le garnement hoche la tête.
- T'as plutôt intérêt.
- À ton tour.
Minho, curieux, l'incite à parler de son expérience à lui.
- Moi ? Hmm... Tu veux vraiment savoir ?
L'autre hoche la tête, alors il commence.
- D'abord, t'es un gamin comme les autres. Tu fais des conneries, tu te lèves le matin et fais semblant d'être malade pour pas aller à l'école. Puis un jour, tu te réveilles, et tu commences à avoir des tâches rouges sur la peau. Tu fais des examens : cancer. Tu comprends pas trop, prends la chimio une première fois, ça passe. Puis ton grand-père meurt, parce qu'il a subi une chimio aussi. Tu fais une rechute et là, besoin de chimio. Tu n'acceptes pas, à cause de ce qu'ils ont fait à ton grand-père. Tu t'engueules avec ta famille, pendant longtemps. Ils te font peur en te disant que tu vas mourir, et toi tu leur réponds "je m'en fous". Mais en fait non tu t'en fous pas, ça te fait ultra peur. Le temps passe et ça va, mais tu te dégrades, tout doucement. Tu finis à l'hôpital. Là, tu commences à réfléchir ; "est-ce que j'ai eu raison" ? La réponse est oui. Parce que jusqu'à la fin je me serais battu pour mes causes, et j'en suis fier. Mais après, tu te dis que c'est pas juste. Pourquoi c'est tombé sur toi ? T'as rien demandé, t'es un gentil garçon. Et soudainement t'as envie de retourner à l'école, de te tenir sagement, mais rien à faire, tu peux pas. T'es bloqué ici. Et c'est injuste, parce que tu mérites de vivre. T'as envie de vivre, tu veux pas mourir. T'as plein de choses à faire avant de mourir, comme faire un saut en parachute, pécho du monde, aller à des soirées. Mais tu peux pas, c'est trop tard. C'est mort. T'es mort. Et tu termines en fauteuil roulant. C'est trop tard pour revenir sur ta décision, tu t'amenuises, petit à petit, contre ton gré. Tu veux vivre, et encore longtemps, mais tu ne peux pas. Ton corps te l'interdit, et ça reste injuste. Et là tu rencontres un mec qui ne demande que de mourir. Et tu te dis que c'est pas juste, parce que toi tu veux vivre, mais que lui est prêt à tout pour mourir. Donc tu ne comprends pas. Puis tu finis par t'y faire, même si t'as ultra peur, que t'es terrifié, parce que t'as pas envie de mourir.
Il pleure désormais, qui ne l'aurait pas fait ?
Minho le prend dans ses bras.
- Nono.
- Oui ?
- Vis pour moi.
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C'est encore moi !!!
Rarement été aussi productive mdrrrr.
En vrai ça m'avait trop manqué, du coup, incroyable, j'écris.
Dites, vous sentez ? Cette odeur de fin ?
BAHAHAHAHAHAHA pardon.
C'est pas encore tout de suite la fin, mais bientôt, je vous l'annonce.
J'espère que ce chapitre vous a plu, je vous retrouve au prochain ;).
Zoubi.
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