Chapitre 1
Le jeune homme entra dans la grande salle, la mort aux dents et le cœur au bord des lèvres. Mais c'était normal.
La dame lui indiqua un siège pour s'asseoir, ce qu'il fit. Il eût le temps de remarquer à travers la fenêtre prédominante de la pièce qu'aujourd'hui était une belle journée pour le ciel, bien que pour lui, et depuis bien longtemps, ce soit le contraire. Il s'autorisa un autre coup d'œil pour regarder l'azur avec plus de minutie. Il remarqua cependant que le ciel était maculé d'épais nuages, pour assombrir ce paysage presque trop parfait. Cela lui plaisait bien, si la notion de plaire était différente.
Le fauteuil était d'un jaune éclatant, surtout pour le narguer de la morosité de son âme, se dit-il avec une ironie presque vexante. La salle en elle-même n'était pas déplaisante, avec ses murs de couleurs chaudes, son sol tapissé et son bureau imposant en bois. Mais le client ne semblait pas y trouver le confort qu'il recherchait. Sans doute n'existait-il pas.
La dame était elle aussi assise dans un fauteuil, toujours aussi jaune, en face du noiraud. Elle avait en main un cahier usé ainsi qu'un stylo neuf, l'ancien avait sans doute finit sa longue vie d'encre. Elle était prête à tout noter ; ce que son client allait lui dire, mais aussi ce qu'il ne lui dirait pas.
Le noiraud n'avait ni hâte ni envie. Il se contenta de regarder à travers la grande vitre le paysage -presque parfait- qui s'offrait à lui. Il n'avait aucune soif de discussion, ainsi le dialogue ne pourrait pas couler simplement. La dame se contentera de quelques goûtes.
- Nous pouvons commencer la séance.
***
La musique dans les oreilles, forte. Le pas d'un endroit à l'autre, rapide. Le visage immobile et sans expression, indifférent. Tout ça, c'est Minho. Marchant le long des rues, comme son médecin, son psychiatre ainsi que ses parents le lui ont conseillé. Parce que oui, il lui faut faire de l'exercice, pour être en bonne santé. Et malheureusement, Lee Minho ne l'est pas. Depuis des mois et des mois il n'a plus d'envies, de désirs. Ses sentiments sont depuis bien longtemps enfouis, trop enfouis en lui.
Il marche, erre, sans aucun but ou endroit précis. Il marche juste, pour faire partir ce vide qui prend une très grosse place à présent dans sa poitrine. C'est insoutenable, il en suffoque presque. Maintenant, il court. Aussi vite qu'il peut, pour obliger cette sensation d'oppression logée dans son thorax à partir. Les écouteurs tombent, son téléphone menace de s'envoler, mais il s'en fiche. Rien n'est important, tout est second. Rien n'est important, tout n'est que bêtises et imbécillités. Et ça, il l'avait déjà compris.
Le souffle saccadé, il est obligé de s'arrêter et même de s'asseoir sur un banc, pas si loin de son ancien lycée. Celui auquel il ne se rend plus. Celui duquel il a peur. Celui qu'il a fui depuis quelques mois, quelques années, en désaccord avec l'avis de tout le monde. De toute façon, qui pourrait bien le comprendre ? Ou du moins essayer de le comprendre ? Il est seul, affreusement seul, plus que seul. Il est isolé du monde, de leurs pensées et de leurs actions.
Il ne faut pas qu'il reste trop longtemps ici, il le sait. Sinon une de ses fréquentes crises d'angoisse allait s'inviter. Et il ne le voulait pas. Il n'en avait pas envie. Vraiment pas.
- Lee Minho !
Il tourne la tête, peut-être trop brusquement, pour apercevoir ces gens. Des gens comme tout le monde. Des gens qu'il ne semble pas reconnaître, s'il les connaît.
- Ça fait plaisir de te voir ! Et longtemps aussi ! Qu'est-ce que tu deviens depuis ? commence le premier, une demi-douzaine de têtes toutes aussi curieuses les unes que les autres derrière lui.
Il n'arrive toujours pas à reconnaître ce grand bonhomme, visiblement décidé à engager la conversation aujourd'hui. Ce dont il n'avait pas envie. Vraiment pas.
- Rien de spécial, annonce-t-il en supposant que c'est un de ses anciens camarade de classe. Supposons.
Depuis le dérapage, impossible de mettre des noms sur les visages anciens, et inversement.
- T'es pas bavard ! Tu l'as jamais été, hein ?
- Si tu le dis.
- Jin kyung ! Le bouscule pas, j'ai entendu dire qu'il est dépressif !
Ah. Nous y voilà. Encore.
- Sérieux Minho ? C'est pour ça que t'as quitté le lycée ?
Inutile de nier. À quoi bon ?
- Oui.
- Et comment ça se passe du coup ? T'as été hospitalisé ? Les médicaments font effet ? Tu sais, c'est bête de ne plus vouloir vivre. Il y a tellement de belles choses dans la vie ! Passe une bonne journée et ça ira sûrement mieux demain.
Encore quelqu'un de maladroit. C'en devient lassant. Il sait que ce n'est pas méchant. Au contraire. C'est juste maladroit. Et puis, de toute façon, qui peut comprendre ? Une bonne journée ne change pas l'état, ce n'est pas de volonté que son envie de vivre s'arrête. Ce n'est pas ça. C'est dur de poser des mots sur ce sentiment involontaire.
Une journée banale.
- Je vais y aller.
Il se lève, soulagé de quitter cet endroit et cette atmosphère pesante pour quelqu'un comme lui. Les autres n'ont même pas le temps de le saluer qu'il court déjà, vite. Très vite. Cette sensation de vide, à son plus grand désarroi, n'est pas partie. À quoi bon, de toute manière ?
Il court toujours. Son téléphone se fait violence dans sa poche, ses écouteurs seront bientôt à ses pieds. Tant pis. Ça attendra. Pour le moment, il a besoin de fuir le monde. Il doit le fuir. Ce besoin profond ne s'estompera pas, il en est sûr. Il n'a pas le choix. S'il doit survire, il doit fuir. S'il doit mourir, il s'arrête de se battre, épuisé par cette guerre sans fin. On n'en voit pas le bout, et Lee Minho non plus. Depuis bien trop longtemps.
À bout de souffle, il doit, une fois de plus, s'arrêter. Il renonce. Il veut renoncer. À quoi bon endurer toutes ces souffrances ? À quoi bon ? Pourquoi accepter tous ces tourments, plus difficiles à supporter les uns que les autres, pour au final vivre une vie dont il n'a même pas envie. Pourquoi ? Quelle est la réponse de ce choix cornélien, opposant vie et mort ?
La nature est bien faite, n'est-ce pas ?
Il ne sait pas où il est. Perdu physiquement et mentalement. La nature l'entour de partout ; les arbres sont vieux, l'herbe est sèche et la route usée. Rien n'est beau. Les écorces s'effritent, l'herbe déshydraté se détache et le goudron se confond en plusieurs couleurs. Le ciel est maintenant gris, même le trottoir est inexistant. Rien ne va. Rien n'allait et rien n'ira. Seul le petit chat coincé entre deux branches à l'air d'être vivant, d'être la lumière de cet endroit sombre et moche.
Le noiraud opte alors pour la voix de la raison : aider le petit chat roux. Il déplace les branches cruelles afin d'attraper ce petit chat entre ses petites mains. Il aurait pu déplacer des montagnes si c'était pour entendre un chaton miauler de reconnaissance entre ses doigts. Une bonne action contraste bien avec son esprit embrumé.
En guise de remerciement, le petit chaton lui lèche le bout des doigts, ce qui engendre un petit rire de la part du jeune homme. Enfin quelque chose de léger, de presque agréable dans cette redondance d'événements et de sentiments. Quelque chose de nouveau, qui fait presque du bien.
Le petit roux descend de la main du noiraud en sautillant, gambadant dans la route, devenue, étrangement, moins repoussante. C'est fou ce qu'un petit être peut changer l'ambiance du tout au tout. Quelques ronronnements et tout va mieux.
La nature est bien faite, non ?
Le petit chat sillonne doucement sur la route, s'amusant des quelques insectes qui voltigent autour de lui. Il sautille, ronronne, se roule. Il vit sa vie de chat heureux.
Mais un vrombissement presque imperceptible se déplace à toute allure. Le jeune homme n'a pas le temps de cligner d'un œil que le petit chat si joyeux, si mignon se retrouve étalé sur le sol.
La voiture ne s'est pas arrêtée. Tout s'est passé si rapidement. Minho accourt, mais il est déjà trop tard. Le petit animal responsable d'une quelconque manière du ricanement presque gai du noiraud est envolé, a rejoint l'endroit tant convoité par toute vie, et toute mort. Il a été écrasé par une voiture, trop rapide, et cette dernière ne semblait pas faire preuve d'une seule once de culpabilité.
Comme quoi, tout le monde finit par mourir un jour ou l'autre.
À choisir, Lee Minho préfère décider de la date et du moment. Tant qu'à faire, au lieu de se retrouver fauché par une voiture, sans même le temps d'avoir dit adieu à ce qu'il pourrait nous manquer.
Ce temps si précieux.
Un être vivant meurt, comme plein d'autre en ce moment.
Une journée banale.
Assit, la tête ballante, les doigts tâtant l'herbe cassante, Minho réfléchit. Ou bien il ne réfléchit pas. Son regard perdu dans le néant de ses pensées, la tête lui tourne.
Où est-il ? Dans un endroit qu'il n'a pas choisi.
Qui est-il ? Quelqu'un qu'il ne veut pas être.
Quelle heure est-il ? Sûrement trop tard.
Réfléchir est au-dessus de ses forces. Il est fatigué.
Et c'est sur ces dernières réflexions qu'il se dit qu'il est peut-être le moment de rentrer chez lui, à ne rien faire. Regarder le plafond blanc, sans aucune irrégularité. Ce qu'il fait une fois rentré. Dans cette chambre qu'il ne reconnaît pas. Cette chambre qui lui est maintenant inconnue. Comment reconnaître quelque chose que l'on a créé quand on ne se connaît plus soi-même ? Il ne peut qu'observer les tableaux aux murs, que lui seul a peint. Ça, il s'en souvient bien. Peut-être parce que c'est sa seule manière de s'exprimer comme il l'entend, sans avoir à aligner deux mots. Juste à peindre son désespoir que personne à par lui ne comprend. Le bureau rempli d'objets en tous genres ; stylos vides, cadavres de cahiers, fantômes de vêtements. Il y a de tout ici décidemment. Les pinceaux jonchant le sol sale, visiblement pas lavé depuis quelques longues semaines. Le lit assommé sous les coussins et les couvertures, sûrement les seuls objets dans lequel il peut trouver un semblant de réconfort.
À quoi ça sert, finalement ? Enfin, pourquoi vivre ? Quel jeu en vaut vraiment la chandelle ? Vivre pour rembourser un prêt ? Non merci. Travailler à s'en rendre malade ? Non merci. Enchaîner histoires d'amour courtes et sanglots ? Non merci.
Minho ne veut pas de cette vie que tout le monde avait. Il ne veut pas de la vie tout court, elle demande bien trop d'efforts, de force. Cette force qu'il n'a pas.
Ses médecins lui conseillent de se rendre à l'hôpital, pour qu'il se fasse soigner. En a-t-il vraiment besoin ? Est-ce que cette hospitalisation lui permettra vraiment d'arriver à sa convalescence ? Minho n'a aucune certitude. Aucune. Rien ne lui garantit que demain, il répondra présent. Rien ne lui garanti que demain sera un meilleur jour.
Tic tac, le bruit de l'horloge se fait entendre.
Le bruit terrifiant du temps qui passe, rapidement. Trop rapidement. Minho n'a pas le temps. Il est en retard.
Tic, tac. Cet écho qui lui fait peur, qui lui rappelle tous les malheurs de sa malheureuse vie.
Tic, tac. Ce son qui fait de lui un esclave du temps, forcé de se rendre face aux pouvoirs de l'univers.
Tic, tac. Ce clapotis musical qui résonne sur ses tableaux cassés, ses tableaux par terre. Renversés au bruit de la montre.
Tic, tac. Ce cri du cadran en accord rythmique avec les coups contre le mur, exprimant un mélange de colère et de désespoir aussi lourd que le poids que Minho porte et endure tous les jours.
Tic. Ce boucan qui lui souffle à l'oreille que sa vie n'en est qu'une parmi les autres, une parmi l'histoire, aussi insignifiante que ce cliquetis bien trop bruyant.
Tac.
Une journée banale.
Cette banalité finira par le tuer.
***
Celle qu'il appelle maman se tient à côté de lui. Celui qu'il appelle papa lui tient la main fermement. Ils attendant tous les trois le verdict du médecin juste devant eux. Seul lui pourra annoncer si l'heure était à la fête ce soir, ou bien s'il était temps de commencer à penser, doucement mais sûrement, aux dernières choses qu'il aimerait faire, avant que sa vie qu'il aime tant ne s'arrête brutalement, et à jamais.
- Ça va Jisung ? ose demander un des parents, aussi inquiet qu'il est permis de l'être.
- Non. Non ça ne va pas du tout. Dans deux minutes, ce putain de médecin -qui n'a sûrement rien demandé- va peut-être m'annoncer qu'il ne me reste quelques mois à vivre.
- Ou bien il va te dire que ta maladie est en suspend et que ça ira mieux. Ne sois pas si défaitiste.
- Je préfère imaginer le pire, comme ça je ne suis pas déçu.
- Ce n'est pas une bonne façon d'envisager les choses.
- C'est la mienne, tu vas devoir t'y faire. À moins que je meure avant.
- Jisung !
Le concerné lève les yeux au ciel, étant discrètement heureux que ses géniteurs soient là pour lui en ce moment bien précis, un des moments les plus important de sa vie. Parce que oui, à cause de cette foutue maladie, sa vie, pourtant si précieuse, s'arrête à ça. Jisung n'est pas Jisung sans son sarcome, Jisung n'est pas Jisung sans hôpital, Jisung n'est pas Jisung. Jisung est sa maladie.
- Jisung ?
Non.
- Oui ?
- Ça va aller.
Non.
- Si tu le dis.
Une infirmière toque doucement sur la porte, le calme avant la tempête, avant d'entrer d'un pas lent. Beaucoup trop lent, pour toutes les personnes de la même famille présentes dans cette pièce petite et fidèle à un hôpital. Impersonnelle, froide.
- Mon grand Jisung. Le docteur ne passera pas aujourd'hui.
- Comment ?
Le papa de la famille lâche la main du fils. Ce qu'il remarque immédiatement et est forcé de reconnaître que ça ne lui a pas plu.
- Oui, nous n'avons pas encore reçu les examens. Enfin, pour les recevoir, il faut que nous fassions d'autres examens.
- Je vous demande pardon ? la maman commence elle aussi à s'énerver.
- Madame l'infirmière ?
- Oui mon grand ?
- C'est mauvais signe, n'est-ce pas ?
Plus aucun son. Aucun bruit. Pas même une mouche a le courage de voler dans cette chambre aux murs blancs et aux instruments médicaux. Juste un sourire de la part de l'infirmière vient meubler la pièce d'au moins une illusion visuelle.
- On doit juste faire des examens avant. On ne sait pas encore, ne t'affole pas.
C'est mauvais signe. Ça se voit à son sourire jaune.
- D'accord. Merci de nous avoir prévenu madame, lance la maman, s'étant calmé, à première vue.
L'infirmière repart dans le long couloir blanc. S'en devient maladif.
- ...Alors ?
- Ils ont juste des examens à faire en plus. Rien de grave.
C'est bien papa. C'est bien de se réconforter. Seulement il faut penser à l'après. Des examens en plus ? Quelle connerie. Du temps en plus pour se préparer à la mauvaise nouvelle qu'ils attendent tous, sans être pressés. Celle qui foutra leurs vies en l'air. Qui fera de ce qu'est Jisung de la poussière. En seulement quelques secondes. Quelques paroles. Quoi d'autre ?
- Tu veux qu'on reste avec toi mon chou ?
Non.
- Non. Merci. J'aimerais vaquer à mes occupations, comme jouer avec un infirmier au UNO, qu'il prendra du service pédiatrique, parce que je suis encore un enfant. Ou bien je peux parler à mon prochain voisin de chambre, qui pourrait très bien mourir dans la semaine qui suit.
- Jisung...
- Non, c'est bon. J'aimerais rester seul.
- D'accord, on va te laisser, appelle-nous si besoin.
- Oui, et au passage j'ai pas dix ans mais dix-huit.
Ils déposent leurs lèvres sur le front du rouquin, pour lui dire au revoir. En espérant que ce ne soit pas la dernière fois. Il n'est quand même pas si mal, non ?
Puis ils partent, laissant leur enfant entre les bras de Dame Nature, priant pour que rien ne lui arrive de mal. Même si le pire est déjà arrivé.
La déception est insoutenable. Que diable aurait-il pu arriver ? Un sentiment d'impatience prend place rapidement et se fait ressentir dans son estomac. Il aurait envie de faire un millier de choses, mais à cause de sa foutue maladie, il est coincé dans ce foutu hôpital, dans ce foutu trou paumé.
Il voudrait faire du parapente, aller au parc d'attraction, manger au restaurant, se balader avec ses amis, parler dans sa chambre avec son frère. Même marcher seul, sans infirmière pour lui rappeler sa maladie, serait une bénédiction. Les choses les plus simples, celles qui s'offrent à tous, il aimerait pouvoir en profiter.
C'est un garçon avec pleins de rêve en tête qui est coincé dans ce grand bâtiment.
Quelle plaie d'être malade. Il ne peut même pas être lui-même. Sa maladie empiète son espace de vie, son hygiène de vie ainsi que ses pensées. Elle ne lui laisse aucune minute, aucune seconde de répit. C'est impossible de vivre ainsi. Combien de temps encore sera-t-il obligé d'endurer toutes ces souffrances ? Combien ? Rien ne semble faire effet. Rien n'arrive à combattre sa maladie, même son esprit comment à fatiguer. Il n'en peut plus. C'est exténuant de mener une bataille pendant longtemps, une aussi dure qui plus-est. Tel qu'il est maintenant, ses rêves ne s'atténuent pourtant pas. Ils sont toujours aussi forts, et c'est ce qui fait mal. Très mal. Il ne peut pas les faire taire parce qu'Han Peter Jisung est un homme désireux de vivre. Désireux d'apprendre, de rire, de parler, de courir. Han Jisung est un bon vivant, et c'est comme ça. La maladie ne pourra pas changer le fond de son âme, bien que son esprit soit éreinté. Han Jisung est Han Jisung, et rien ne pourra changer ce fait.
Et pour le moment, le rouquin ne peut rien faire, à part jouer au UNO avec une aide-soignante. Pour le moment.
Il appelle donc une infirmière pour jouer au jeu de société et arrêter de rêvasser un peu. Juste cette fois.
La jeune femme, ayant sûrement aux alentours d'une demi-cinquantaine d'années, arrive aussi rapidement que possible et aide le jeune homme à se relever, disposant ensuite une petite table entre le lit, pour jouer avec sa "pote".
- Liz ?
- Hm ? répond la jeune femme, complètement ailleurs, contemplant les cartes qu'elle a en main.
- On peut demander à Sunhi de nous rejoindre ? Elle est meilleure que toi.
-Sunhi..?
- Oui tu sais, la fille qui avait un cancer de je sais plus quoi, à cause de sa chimio elle avait plus de cheveux mais toujours un bonnet sur la tête ? Puis elle est tête de mule et-
- Jisung, Jisung, coupe rapidement le plus jeune, je vois qui est Sunhi.
- Voilà, pas besoin de te faire un dessin, on peut lui demander de venir ?
L'infirmière reste silencieuse. L'amie aussi. Aucune des deux n'a envie de parler de la jeune fille que le rouquin appréciait.
- Parle encore moins s'te plaît.
- Jisung... Sunhi n'est plus là.
Et il était malheureusement bien trop intelligent pour ne pas comprendre immédiatement que la belle Sunhi n'était plus de ce monde, mais partie rejoindre le potentiel Dieu qui aurait potentiellement créé vie et mort et qui donc, par conséquent, l'aurait potentiellement tuée.
Les cartes sont jetées sur la table. Les pauvres, elles n'ont rien demandé. Mais Jisung n'était pas d'humeur. Une des seules personnes à qui il a supplié de ne pas mourir, car c'était une des rares personnes de ce monde à pouvoir supporter le jeune homme, est décédée. À cause d'une fichue maladie. Il n'y aurait pas assez de mauvais mots pour exprimer toute la colère que ressent l'homme aux mille et un rêves. Mère Nature doit bien rire, ou bien le dieu que les gens vénèrent. Conneries. Rien de tout ça n'existe, sinon pourquoi toutes ces misères ? Conneries.
- Ce n'est pas juste. Sunhi est- était, pardon, quelqu'un de bien. Elle n'a rien demandée, elle a toujours été gentille. Et elle est morte de cette putain de maladie, c'est injuste. Et dire que des gens veulent mourir, elle ne voulait pas. Pourquoi elle, sérieusement ? Elle était heureuse quand même, tenait bon, et elle meurt. Comme ça. C'est injuste. Et ne me regarde pas comme ça, je dis juste ce que je pense. Je suis en colère. Laisse-moi seul un moment.
- Très bien. Mais tu as dit une grosse bêtise, on en parlera quand tu seras calmé.
C'est sur ces dernières paroles que l'infirmière quitte la chambre du malade, le laissant seul avec ses pensées. Et ses rêves. Il aurait bien fait une sieste, pour passer le temps et sa colère. Il rêverait de son amie disparue bien trop tôt, en n'oubliant pas d'omettre le fait que le prochain pourrait très bien être lui.
Il s'ennuie, il n'arrive pas à dormir. Peut-être que prier pour sa vie serait légitime, aujourd'hui ? Comment ne pas avoir peur ? Et avec Jisung, la peur se transforme en colère, c'est inexorable. Peut-être qu'un jour, une âme errante voudrait bien le distraire un peu. Une qui n'a aucune chance de mourir le lendemain, bien que ce soit impossible.
***
Minho est allongé dans son lit, son grand lit. La seule chose grande qui l'entoure, puisque sa chambre est petite. Seules ses peintures ont l'air d'être d'une taille moyenne, même son armoire est petite, tous les vêtements ne rentrent pas. La plupart sont posés sur le rebord de son lit.
Ce vide permanant continue de le bouffer, il n'en peut plus. Et cerise sur le gâteau, ses parents sont à la maison. Ceux qui partent en "week-end" pendant plusieurs semaines, laissant le jeune homme seul chez lui, avec son vide. Il a appris durant ces dernières années à ne plus laisser le départ de ses parents le toucher, bien que ça lui fasse quand même un pincement au cœur, il a la force -ou la lâcheté- de ne pas le montrer.
La seule chose, le seul moment qu'il se rappelle avoir passé avec ses géniteurs depuis bien longtemps, c'est le jour où il leur a tenu tête, leur disant sa détresse et qu'il ne pouvait plus retourner au lycée. Il a dû s'enfermer dans sa chambre quelques jours pour que ses parents ne comprennent. Ils n'ont pas été si horribles finalement, ces jours-ci, juste comme d'habitude. Ennuyants, vides.
Minho ne parle pas à ses parents. Ils savent seulement ce que leur dit le médecin, ou le psychologue. Ils n'ont pas voulu payer pour des médicaments, il n'a donc eu aucun rendez-vous avec le psychiatre. Les rendez-vous chez la psychologue, c'est cher, tu comprends ? On ne va pas te payer des médicaments en plus, ça suffit. Tu comprends ?
Et même s'il a maintenant vingt ans, il ne peut pas prendre son indépendance. Avec quel argent ? Il n'en recevra pas de ses parents, pas avant d'avoir fait des études. À quoi pourrait bien lui servir cet argent ? Rester dans son appartement, ne rien faire ? Non non non, tu dois te bouger Minho. Ce n'est pas en restant enfermé qu'on vit une vie.
Mais justement, Minho n'en veut pas de cette vie.
- MINHO !
Le cri de sa mère le réveille de cette réflexion qu'il décide vide de sens. Ce n'est pas habituel que la mère crie, même étrange. Elle reste toujours froide, comme le père, qui lui ne fait même pas attention à son fils.
Elle débarque rapidement dans la chambre du noiraud, une sorte de... magazine ? Oui, un magazine à la main. Elle est toute rouge de colère. De colère ?
- Tu peux m'expliquer !
- Quoi ?
- Ce magazine d'homosexuel !
Et merde.
- Tu peux m'expliquer ça ? C'est dégoûtant, comment j'ai pu élever quelqu'un d'aussi bizarre. Tu as décidément besoin de te faire soigner.
Merde, merde.
- J'ai pris ma décision Minho.
Le concerné daigne enfin regarder sa mère une nouvelle fois. Il comprend qu'elle n'est pas rouge de colère. Enfin pas seulement, rouge de honte aussi.
- Tu vas aller à l'hôpital. C'est plus possible que tu vives ici.
Ah ?
- À l'hôpital ?
- Oui. On ne veut plus te voir ici pour le moment, ton orientation n'est pas normale. Ce n'est pas normal. Fais un sac, tu vas à l'hôpital maintenant. Je vais appeler.
Elle sort en trombe de la chambre, on peut ensuite bien entendre les bruits des talons tourner en rond dans le salon, ainsi que sa voix, racontant sûrement au mari les atrocités qu'a pu faire leur fils, avant d'appeler le centre hospitalier.
Est-il content de partir de chez lui ? Il ne sait même pas. Sa volonté n'est plus ce qu'elle était.
***
Jisung est allongé dans son lit, il lit un livre que son ancienne amie, celle qui est décédée, lui a donné.
- Il est vraiment pas intéressant ce livre. Elle aurait pu m'en donner un mieux.
Il sourit parce qu'elle lui aurait sûrement dit de fermer sa grosse gueule. C'est comme ça qu'ils marchaient. Il peut même entendre sa voix, voir son visage. Ce qui n'arrivera plus d'ici peu. Mais c'est la vie -enfin la mort- et ça marche comme ça. Même s'il est énervé, Jisung sait qu'on naît quand c'est l'heure, et qu'on meurt quand il le faut. C'est tout simplement le cycle de la vie.
- Jisung ?
On l'appelle, encore ? Ça fait beaucoup de fois aujourd'hui. On dirait qu'une mauvaise nouvelle, encore, va lui tomber dessus et l'écraser de tout son poids.
- Oui ?
- Quelqu'un va partager ta chambre à partir de ce soir.
Ce n'est pas une si mauvaise nouvelle. Peut-être que son nouveau voisin de chambre saura le distraire et pourrait même devenir un ami, qui sait ?
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