Les mains du plus jeune étaient telles que des feuilles, elles tremblaient face à l'adrénaline qu'avait pu leur procurer l'exécution de l'un des participants. Jeongguk avait eu pitié du corps abattu gisant au sol, du moins ce qui restait à la suite du passage des oiseaux. Et pourtant, une part de lui se réjouissait de le voir ainsi. Il était soulagé de savoir qu'un binôme avait perdu le jeu. Restait à savoir combien étaient-ils.

❝Empiler des cadavres pour arriver au sommet.❞

L'expression prenait désormais tout son sens. Et le binôme méditait sur cette dernière : leurs vies valaient-elles mieux que celles des autres ? Faire preuve d'égoïsme dans un environnement pareil était sûrement la meilleure solution pour s'en sortir. Ne faire confiance à personne, mise à part son binôme, et encore, cela semblait compliqué à faire.

Jeongguk se voyait être inquiet de la condition du brun. Son misérable morceau de tissu n'était plus rien qu'une éponge à sang. Alors le noiraud eut l'idée de couper un rideau se trouvant sur les fenêtres du wagon à l'aide du couteau qu'avait laissé le personnage. La matière plus rigide, plus épaisse, semblait mieux adaptée. Taehyung n'avait pas caché sa douleur lorsque le plus jeune lui avait une nouvelle fois bandé sa plaie.

Taehyung, lui, semblait peu préoccupé par son cas. Tout ce qu'il avait en tête, c'était le fait que ce fut Jeongguk qui ait pris en main la bougie, ce qui voulait dire que c'était lui le pion. La réalité l'avait heurté de plein fouet. Mais que pouvait-il faire au final ? C'était soit cela, soit ça aurait été le sort de Jeongguk d'être blessé par le personnage. Il s'était promis de mettre Jeongguk le moins en danger possible, mais il s'avérait que cela semblait plus compliqué que prévu. Leur vie ne tenait qu'à un bout de fil, comme leur relation.

— Tu es sûr de pouvoir le faire ? demanda le plus âgé.

— J'ai attrapé la bougie de mon plein gré, et je suis le pion également de mon plein gré. Tu es blessé Taehyung, vaut mieux que cela soit moi.

Alors que le plus jeune se releva après avoir bandé sa main, Taehyung attrapa la sienne et entrelaça leurs doigts sous la stupéfaction de Jeongguk.

— Je peux savoir à quoi tu joues ? lui demanda-t-il.

Aussitôt, Taehyung sentit son emprise lâcher. Le plus jeune l'avait repoussé d'une vivacité qui l'étonnait encore. Taehyung soupira, il avait pourtant pensé que le plus jeune avait enterré leur rage de guerre pour les heures à venir, mais cela ne semblait pas être le cas.

— Je ne crois pas que tu arrives encore à comprendre... que si je te perds... ici... je...

La voix de Taehyung se brisa entre ses mots, agaçant le noiraud qui prenait cela comme un sketch de comédie. Jeongguk lui répondit alors d'un ton agacé et méprisant :

— T'auras ta pauvre misérable vie sauve, fais-moi confiance un peu et laisse-moi fair-

— Jeongguk ! s'écria soudain le brun, surprenant le plus jeune. Il attrapa Jeongguk par les épaules, ce dernier put sentir ses mains trembler contre lui. Si je te perds, je ne me le pardonnerai jamais alors, je te demanderai une seule chose. Quoi qu'il puisse arriver, je t'ordonne de vivre, tu m'as compris ?

— Tss, comme si j'avais besoin de tes conseils.

Jeongguk se défit de son emprise et mena le pas vers l'un des wagons, suivi de Taehyung, qui en profita pour essuyer une larme qui s'était échappée de ses yeux baignés de larmes.

Il avait tout juste eu le temps de le faire que le prochain tour devait démarrer, alors retardé de peu par la mort de l'homme déchiqueté. Ils s'engouffrèrent dans un énième wagon où ils virent un homme assis. L'obscurité et la capuche de ce dernier cachaient son identité. Jeongguk aurait presque sursauté lorsque l'homme sortit soudainement de son silence :

— « Pour trouver l'amour, il faut parfois savoir changer. Même Satan lui-même avait été un jour un ange. Si le démon change votre cœur, vos sentiments disparaîtront. »

L'inconnu sortit de sa poche une carte, un as de cœur qui brûla entre ses mains, avant de relever sa capuche et ainsi pouvoir les confronter du regard. À ce geste, Jeongguk recula de stupeur en voyant la couleur de ses yeux, d'un rouge écarlate.

— Il n'est pas humain, celui-là, constata-t-il.

À cette constatation, un bref sourire arbora les lèvres de l'inconnu qui fixa le plus jeune, ce qui semblait logique puisque c'était lui le pion désormais, du moins pour ce tour.

— Crois-tu que tu es devenu le pion par hasard ?

— Qu'est-ce que vous voulez dire par là ?

— À chacune de vos actions, vous modifiez le jeu. Ah, que cela peut m'agacer. Si seulement tu n'avais pas décidé d'être le pion, j'aurais pu me nourrir d'une âme à l'heure qu'il est. Mais qu'importe, la tienne fera l'affaire.

Alors, chaque personnage qu'ils rencontraient n'était pas le fruit du hasard mais dépendait de leurs actions dans le jeu, c'est ça ?

— Je suis en quelque sorte le cupidon du mal. Lorsque quelqu'un m'ouvre son cœur, je lui fais oublier ses sentiments pour lui prendre son âme. Car en fin de compte, je ne me nourris que de ça.

Il se leva de son siège et commença à s'avancer auprès d'eux. Par réflexe, Taehyung attrapa le plus jeune pour le placer derrière lui afin de le protéger. Ce geste de sa part avait réussi à soutirer un rire du personnage.

— Je vois... alors c'est lui qui a brisé ton cœur Jeongguk ? Tu sais... j'ai le pouvoir de te faire oublier tous tes sentiments pour lui...

— Ne l'écoute pas Jeongguk ! J'ai compris sa façon de procéder, il essaye de te manipuler !

— Ne rêves-tu pas de ne plus jamais souffrir à cause de lui, de tes sentiments ? Je sais qu'à chaque minute à ses côtés, ton cœur se brise un peu plus... Tu sais pourquoi j'envie les morts ? Parce qu'ils sont libérés de leurs sentiments et de la souffrance. Si tu m'ouvres ton cœur, je te promets de le faire.

Taehyung se retourna vers le cadet et lui boucha les oreilles tout en le forçant à se concentrer uniquement sur lui. Il plongea son regard vitreux dans celui de Jeongguk qui était dans le même état. « Ne l'écoute pas, je t'aime. » Les mots de Taehyung tournaient en boucle dans sa tête, mais ils semblaient être que de la poussière qui s'envolait. Il ne voulait plus faire confiance à ses mots, qu'il avait crus sincères auparavant.

— Alors pourquoi ? Pourquoi ?

Le brun regarda le pion, confus par ses questionnements. Jeongguk finit par fondre en larmes devant lui tout en poursuivant, la gorge nouée et la voix brisée :

— Pourquoi tu as fait ça ? Tu m'as blessé, j'ai souffert alors que tu étais dans les bras d'une autre pour...

— Veux-tu vraiment finir comme ça ? Tu veux que tes sentiments disparaissent comme toi, ici ?! Pourquoi ?! Je t'aime Jeongguk, s'il te plaît... ne le laisse pas gagner.

Taehyung sentait que le personnage n'était pas loin de sa réussite. Il ne pouvait pas convaincre Jeongguk par des mots, il l'avait compris. Alors, dans un dernier élan de désespoir, Taehyung attrapa les joues du cadet et se pencha vers lui afin que ses lèvres atterrissent sur les siennes. Il mouva aussitôt les siennes contre celles de Jeongguk, qui furent, à son plus grand étonnement, réceptives. Taehyung sentit le goût salé de leurs larmes contre leurs lèvres.

Encore plus étonnant, ce fut le brun qui brisa leur baiser. À la fin de ce dernier, la bougie que Jeongguk avait dans les mains disparut, comme le personnage derrière eux. À cette constatation, Taehyung lâcha un long soupir de soulagement avant d'enlacer le plus jeune qui, encore sous le choc, resta pétrifié un instant.

— Je t'aime, soupira le brun.

Le noiraud le repoussa brutalement, revenant à ses esprits. Il plongea son regard dans celui du plus grand. Taehyung pouvait lire dans ses iris comme dans un livre ouvert. Sans un mot, le cadet recula de quelques pas et sortit du wagon sans avoir répondu à la déclaration du brun, qui se retrouva seul face à son reflet dans les vitres du train.

Il n'attendait pas une réponse de sa part. Il l'aimait assez pour le laisser partir... et peut-être trouver le bonheur avec le cœur d'un autre.

« Les gens changent, même Satan avait été un jour un ange. »

Il avait peut-être changé, mais ses sentiments non.

Après avoir achevé ce tour, les binômes marchèrent à tâtons dans les wagons, avec pour seule source de lumière leur bougie, qui garantissait leur survie jusqu'au prochain tour. Cela voulait dire qu'ils étaient peut-être pour la cinquième fois à l'arrêt d'une gare aussi dépaysée, sombre et glaciale, assortie au train.

Entre ces quelques minutes de pause, le binôme n'avait rien d'autre à faire, mis à part tenter de réfléchir à une solution afin de survivre. Et cela leur prenait la majeure partie de leur temps.

Au-delà du silence glaçant entre les ex, après l'exécution d'un des participants, l'atmosphère se faisait encore plus pesante. Et depuis, personne d'autre n'avait évidemment osé sortir.

Au grand malheur de Taehyung, il aurait aimé être témoin d'une autre exécution afin d'en savoir plus sur le jeu à l'extérieur du train.

Pour autant, il avait conclu une chose :

À chaque arrêt se trouvaient des snipers. Ils n'étaient jamais planqués au même endroit, afin que les participants ne trouvent pas un moyen d'anticiper la trajectoire des balles pour y échapper en courant.

Mais y avait-il un seul ou deux tireurs pour les binômes ? Ils devaient être un maximum informés sur l'extérieur avant de penser pouvoir s'y aventurer.

Les deux protagonistes fixaient ainsi l'horizon. Alors que Jeongguk détourna son regard un instant, il crut apercevoir un homme.

Il secoua alors soudainement l'épaule du plus âgé afin d'attirer son attention sur la personne qui venait de passer. Taehyung ne put malheureusement pas le voir, si ce n'est qu'il était habillé d'un sweat avec une capuche rouge. Et ce détail fit toute la différence.

Le joker.