» chapitre cinq
Deux tours passèrent. Le troisième joueur, qui était le plus âgé, retourna sur ses cloches-pieds. L'angoisse de ce dernier prit une plus grande ampleur au fil du bourdonnement dans ses tympans dû au bruit incessant des horloges ornant le froid wagon. L'angoisse s'emparait d'eux ; elle était devenue une troisième compagnie alors que l'odeur du sang se faisait plus prononcée.
La gorge de Jeongguk se séchait aussi vite que le sang à ses pieds. Il semblait prêt à rencontrer le sol, s'évanouissant sous l'effet d'une déshydratation sévère. La chaleur enveloppant les wagons et le train n'aidait en rien les fragiles cordes vocales du cadet. À bout de forces, à bout de souffle, sa gorge n'était plus qu'un désert comparé à ses yeux, bientôt baignés de larmes.
L'atmosphère pesante et angoissante agissait comme une compression contre ses poumons remplis de nicotine. Oh oui, une cigarette, il aurait tant aimé en avoir une à présent pour se déconnecter de la réalité. Comme il l'avait fait, mélangé à l'alcool, le jour où il apprit que Taehyung l'avait trompé. Il s'était promis de ne plus jamais faire affaire avec lui, mais voilà que ce foutu destin en avait décidé autrement.
Si seulement il avait été en retard, si seulement il n'avait pas pris ce train... Il se le répéta, s'imaginant prendre le train suivant et sauver sa vie, sans jamais revoir le brun. Il n'en demandait pas plus.
— Bon, tu te décides à jouer, oui ou non ? Je commence à perdre patience, tu sais.
Le personnage admira le couteau qu'elle tenait entre ses mains avant de plonger son regard dans celui de Jeongguk. Un sourire en coin embellit une nouvelle fois son faciès hideux, alors que Jeongguk restait planté sur place, figé par la peur. Seules ses mains tremblaient. Soudain, le noiraud sentit une chaleur envelopper l'une d'entre elles. Jeongguk sortit de ses pensées et remarqua que le brun lui tenait la main pour le rassurer.
— Laisse-moi le faire, c'est trop dangereux, lui chuchota-t-il.
— Hé, gamine. J'ai le droit à un second tour, non ?
La gamine en question semblait indifférente. Elle haussa les épaules tout en croisant ses bras contre son torse, montrant son impatience. Taehyung avala sa salive et mit Jeongguk derrière lui pour le protéger. Celui-ci le regarda, inquiet, refusant de lâcher sa main.
Le noiraud donna à contrecœur la pierre qu'il tenait à Taehyung, qui la lança le plus loin possible. Elle atterrit deux cases plus loin que la dernière, une distance assez courte pour espérer courir jusqu'à la bougie.
— Je vais faire diversion, dit le plus jeune.
Taehyung ouvrit grand les yeux, surpris par cette initiative qui ressemblait à un suicide.
— Hors de question, Jeongguk. Elle pourrait péter un plomb et te blesser, pire, te tuer.
— Alors tu veux que je fasse quoi, putain ? Tu peux pas prendre cette fichue bougie et faire diversion en même temps, alors décide-toi.
La poigne que Taehyung avait sur sa main se fit plus ressentir. Le brun prit un instant pour réfléchir au meilleur moyen de mettre Jeongguk en danger le moins possible.
— Je ferai la diversion. Joue. Et surtout ne te retourne pas.
Jeongguk lui fit comprendre qu'il avait compris son avertissement en hochant la tête. Puis il lâcha enfin sa main et se plaça devant la marelle. À ses côtés, il pouvait ressentir le regard insistant de la petite fille, qui tenait toujours dans ses mains son couteau fétiche. Il l'avait vu ensanglanté avant. Cela signifiait qu'elle avait déjà fait des victimes ? Combien étaient-ils exactement dans cet enfer ? Pourquoi eux ?
Le noiraud s'avança et fit un premier cloche-pied, puis un second, ainsi de suite, sous le regard attentif de son ex-petit copain dont le cœur battait plus vite à mesure que Jeongguk se rapprochait de la case où se trouvait la pierre. Cela lui parut une éternité, mais enfin, il posa son pied sur la case en question.
— Maintenant ! s'écria soudain Taehyung.
Son cri alerta non seulement Jeongguk, mais également la fillette, qui s'apprêta à se lancer à la poursuite du noiraud. Taehyung l'en empêcha en lui vidant le contenu du seau qu'elle avait apporté sur elle, avant de la frapper au crâne avec le seau en question. Sa chevelure dégoulinante de sang collait à son visage, mais cela ne l'empêcha pas de reprendre l'emprise sur la situation. Elle attrapa le brun, le fit tomber au sol et se mit à califourchon sur lui pour commencer à l'étrangler.
Une petite fille normale n'aurait jamais eu une telle force. Taehyung avait l'impression que le poids du monde pesait sur sa gorge. Il se débattit, mais cela ne dura qu'un court instant. Soudain, elle lâcha prise. Taehyung eut à peine le temps de reprendre son souffle qu'elle reprit son couteau et le planta dans sa main gauche. Le brun hurla de douleur avant que la petite fille ne se relève et croise le regard de Jeongguk, qui tenait la bougie en main.
— Enfuis-toi, salope.
Elle lui offrit un dernier sourire maléfique avant de prendre ses jambes à son cou en direction d'un autre wagon.
— Taehyung ! s'écria Jeongguk, affolé.
Jeongguk accourut vers le blessé, horrifié par la flaque de sang qui se formait petit à petit à ses côtés. Tremblant de peur, il s'approcha et attrapa le couteau de ses mains tremblantes et faibles. À ses côtés, le blessé mordit ses lèvres à sang sous la douleur. Il ne put que dire dans un souffle :
— Retire-le.
Les yeux de Jeongguk s'ouvrirent en grand, laissant couler les larmes qui noyaient ses joues. Il secoua vivement la tête, en pleurant.
— Retire-le, Jeongguk. Je sais que tu peux le faire.
— N-Non... non... Taehyung... sanglota le noiraud.
Difficilement, le brun leva sa main non blessée, la posa sur la joue meurtrie du plus jeune et la caressa. Jeongguk lâcha le couteau et prit sa main.
— Sois courageux, mon amour, je t'en prie.
Jeongguk fut surpris par le terme qu'il avait employé. Pour un ex, il avait ressenti toute la sincérité dans ces mots. Le noiraud refoula ses larmes, attrapa le couteau et hocha la tête. Taehyung referma les yeux. Jeongguk vit ses larmes couler. Il était terrifié, terrifié à l'idée qu'il ne survive pas à cette douleur.
— Aah ! Taehyung poussa un énième cri de terreur du fond de ses poumons.
Aussitôt qu'il le retira, Jeongguk fut horrifié par ce cri de douleur. Il l'enlaça comme si sa vie en dépendait et ferma fortement les yeux, laissant ses larmes couler davantage. Il avait oublié à quel point il était dur de voir souffrir la personne qu'on aime.
Le plus jeune arracha rapidement un bout de son t-shirt et banda la main blessée du brun, qui grimaça et gémit de douleur. Le tissu ne tarda pas à s'imbiber de sang, inquiétant Jeongguk, qui n'avait aucune idée de ce qu'il pouvait faire. Il craignait que Taehyung ne meure de cette plaie.
Jeongguk regarda son aîné, les larmes aux yeux. Taehyung lui offrit un léger sourire avant de déposer son front contre son épaule.
Il était mal en point.
Taehyung laissa ses doigts s'entremêler dans la chevelure du plus jeune pour le calmer.
— J'avais... si peur... peur de te perdre..., sanglota-t-il davantage.
— C'est fini, calme-toi... c'est fini... Je suis toujours là, Jeongguk...
Ils relevèrent soudain la tête, tous deux, lorsqu'ils entendirent un cri déchirant provenant d'un autre wagon. Leur sang bouillonnant sous l'effet de l'adrénaline se glaça. Taehyung ne pouvait croire qu'il serait aussi heureux d'entendre ce cri ; il en déduisit qu'un binôme devait être en danger, voire mort.
Il ne savait pas combien ils étaient coincés dans cet enfer, mais une chose était sûre : plus il y aurait de participants morts, plus leurs chances de gagner augmenteraient. L'égoïsme était leur premier allié dans ce jeu de survie. Tout ce qui comptait, c'était leurs vies.
Combien de fois la mort jouerait-elle avec celles-ci ?
Il craignait de ne pas pouvoir compter les tours du bout des doigts. Le terminus était encore loin, bien plus loin qu'ils pouvaient l'imaginer. Penser pouvoir survivre jusqu'à celui-ci semblait impossible pour Jeongguk. Il tenterait sûrement de convaincre Taehyung de trouver un moyen de s'échapper de ce train entre deux tours. S'enfuir... Quelle belle idée, se dit-il ironiquement.
Mais il ne tarda pas à ravaler cette pensée dès lors que Taehyung se releva et tourna son regard vers l'extérieur de la gare, elle aussi vide. Il fronça les sourcils en apercevant une silhouette s'avancer sur le quai. À cette constatation, son souffle se coupa.
— Putain de merde... Il y en a un qui est sorti...
— Quoi ?!
Le cadet écarquilla ses yeux noirs avant de se relever à son tour pour s'avancer à la hauteur de son ex, qui lui montra du doigt le participant sur le quai. Jeongguk resta alors stupéfait, semblant retrouver enfin l'espoir de s'échapper de ce train. Pourtant, Taehyung trouvait cela plutôt louche.
Il en déduisit que ce participant devait être à l'origine du cri entendu plus tôt.
Il avait sûrement vu son binôme mourir et avait décidé de se suicider en sortant du train. C'était le scénario le plus plausible ! Personne n'oserait enfreindre les règles !
Les pas de l'inconnu se faisaient hésitants tandis que le binôme retenait son souffle à chacun de ses mouvements. Cela aurait été un miracle qu'il puisse s'en sortir aussi facilement. Ce jeu n'avait décidément aucune pitié...
En effet, les protagonistes, tout comme les autres dans le train, entendirent un bruit sourd venant de l'extérieur. C'était celui d'une arme à feu. Une première balle se logea dans l'épaule de l'inconscient, faisant hurler de peur le cadet, qui attrapa l'épaule de Taehyung.
Ce dernier cacha de sa main les yeux de Jeongguk en entendant une deuxième balle, puis une troisième, et enfin une treizième, qui acheva l'homme en pleine tête. L'inconnu mit plus de trois minutes à mourir. Ce jeu n'avait plus aucune pitié pour ses participants, qu'il faisait mourir de manière lente et douloureuse.
Le regard horrifié de Taehyung ne quitta pas le cadavre au sol. Soudain, une meute de corbeaux noirs vint s'aventurer sur le corps pour picorer de la chair. Le brun manqua de vomir ce qu'il avait dans l'estomac. Il recula d'un pas, alertant Jeongguk, qui regarda par la fenêtre à son tour. Il fut également surpris de rencontrer une paire de pupilles rouges les fixant. Le corbeau, dévorant leur regard, avait encore un bout de chair dans le bec.
Jeongguk se retourna aussitôt et se réfugia dans les bras du blessé. Ce dernier arqua un sourcil lorsqu'il entendit les haut-parleurs prendre vie :
Haha.
Hahaha.
Ils entendirent les rires glaçants de celui qui leur avait présenté les règles du jeu plus tôt.
Avant que ce dernier ne prononce ces derniers mots :
« Bienvenue, mes chers passagers, en enfer. »
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