Cette nuit a été longue. Cette nuit a été laborieuse. Mais nous y voilà enfin ! J'observe mon reflet se réveiller ! Même s'il est moins pâle que moi hier, il ne se sent pas assez mieux pour prendre un petit-déjeuner ici. Je trépigne, ne tiens pas en place ! Je suis à deux doigts de retrouver ma place – du moins, je l'espère ! Je ne vois pas tenir encore une nuit ainsi... C'était interminable ! Heureusement que j'ai fini par réussir à me concentrer sur l'état de sommeil de l'autre Enjy, sans quoi le temps m'aurait paru s'écouler encore plus lentement !

Mon acolyte entre dans la salle de bain. Nous y sommes ; c'est le moment de vérité ! Mon reflet se met face au miroir et l'écran de nos deux mondes prend la forme de ce dernier... Et puis... rien ! Mon cerveau ne saisit pas l'information quand je vois mon reflet qui se prépare. Je frappe encore et encore contre la glace. Je veux ma vie ! Je veux être active ! Je veux récupérer ma juste place ! En sanglotant, je frappe sans discontinu. Il n'y a-t-il donc vraiment rien à faire !

Soudainement, les yeux de mon écho se fixent directement dans les miens et j'arrête de m'agiter. Stupéfaite, nous implorons en cœur : « Aide-moi ! » Cette Enjy-là aussi, est en détresse... Aussi, je comprends qu'elle n'y est définitivement pour rien. Nous subissons ensemble notre sort. Je me demande si elle est consciente que sa place n'est pas de ce côté-là du voile... Même si je peux ressentir ses émotions puisqu'elles sont aussi miennes, je ne perçois pas ses pensées ; nous ne sommes ni l'une ni l'autre télépathe.

* * *

Tout comme hier, nous arrivons dans le couloir la première. Ce matin encore, nous n'avons grignoté un bout quand nous avons atteint le site du campus. Aujourd'hui nous sommes moins anxieuses, probablement parce qu'il est difficilement possible de faire pire journée que hier.

Lily passe quelques fois dans le couloir puis Paloma déboule à son tour. On dirait presque qu'on a appuyé sur le bouton « replay ». Dans mon non-monde, je pousse un soupir. Comme la veille, la technicienne se vante d'avoir les résultats et ma camarade de promo lui répond joyeusement ; contrairement à moi, Paloma n'a pas de mal à interagir avec les gens...

Quand nous passons le seuil de la porte du laboratoire, nous sommes toutes deux profondément résolues. De toute façon, je sais ce que j'ai à faire ; normalement rien n'ira de travers cette fois. Je n'ai pas à m'en faire...

L'autre Enjy se lave les mains puis désinfecte son poste. Elle récupère ensuite toutes ses cultures dans les caisses qui proviennent tout droit des étuves. Bon, tout est en ordre, nous n'avons rien oublié normalement... Alors, nous faisons de nouveaux frottis. Pendant qu'ils sèchent, nous trions nos boîtes de pétri : les cultures G3 d'un côté et les B3 de l'autre...

Nous commençons par vouloir interpréter les résultats des milieux sélectifs de la culture G3. Il n'y a rien sur les Cétrimides, ni si le milieu Hektoën... Et... Non, c'est une blague ? Oui, une putain de blague... Pas la moindre colonie n'a poussé dans l'ensemble des boîtes G3 !

Mon écho reste figé devant ce nouvel échec. Je me tire les cheveux... Nous n'arrivons même plus à paniquer comme hier. Seul une tristesse sourde et sans larmes nous envahie. Ça veut dire que je ne pourrais rien conclure du tout sur le G3... Magnifique. Fabuleux.

Je me vois en train de prendre les boîtes B3. Au moins, ces ensemencents-là ont poussé... Plutôt que de perdre mon temps, je fais mes colorations de Gram – en deux fois pour chacun cette fois. Vaut mieux être trop prévoyant plutôt que pas assez...

Le temps file et mes camarades partent peu à peu. Je commence à remplir ce que je peux du compte-rendu, c'est-à-dire pas grand-chose. Quand mes lames sont fin prêtes et sèchent, je m'observe filer au microscope. Je guette la moindre réaction de mon reflet avec grande attention... La seconde Enjy se met à échanger les lames, sans arrêt ; son expression s'est décomposée. Oh merde... Elle ne voit rien ! Simplement la même image, encore et encore !

Nous ne voulons pas céder au désespoir. Notre note est foutue dans tous les cas – autant essayer de faire de notre mieux jusqu'au bout même si nous n'arriverons sans doute pas à grappiller le moindre quart de point...

A l'instar de la veille, mon écho veut sortir le second microscope. Avant même d'y avoir touché, le diaphragme tombe sur le socle. Nos yeux écarquillés n'y croient plus. Ça ne m'était JA-MAIS arrivé, par tous les dieux ! Je ne m'attendais pas à ce coup-là... A grand pas, l'autre Enjy va en informer la professeure qui constate la chose... Désespérée, nous nous rendons sur un autre poste avec l'autorisation de la professeure. Il ne reste que quelques minutes. Nous réglons le microscope et presque aussitôt, nous voyons les bactéries ! Mais merde quoi ! Au fonds, nous voulons l'une et l'autre pleurer... Ce n'était donc sans aucun doute pas moi le problème – et ce, depuis le début... C'est un de ces délires inimitables...

Nous n'avons même pas le temps d'écrire quoi que ce soit sur les feuilles que nous devons rendre, alors, nous nous contentons des résultats du Gram. Si nous n'avions pas perdu tant de temps avec le premier microscope, Nous aurions pu émettre une orientation quant à l'espèce de B3...

Sur ce, nous rangeons tout, rendons copie quasi blanche. La quadragénaire commenta :

« Ah du coup, vous n'avez pu remplir que ça. Est-ce que vous savez si c'est un problème de technique pour les manipulations ou...

— Non, nous l'interrompons abruptement. Non non, c'était vraiment les microscopes. D'habitude j'arrive très bien à faire les Gram. Quand je suis passé sur un autre poste, j'ai directement pu observer mes lames...

— Oui, enfin, je veux bien vous croire mais il y a eu des autres groupes avant vous et il n'y avait aucun souci. »

A demi-consciente et réfugiées dans notre fort intérieur, nous répondons agressivement quoique nous tentons de rester poli. Tout au plus quelques minutes après, nous pouvons enfin sortir de là.