Je vais à grand pas vers la passerelle. J'ai toujours eu le vertige et aussi, il y a quelques mois, j'étais encore très apeurée de marcher au-dessus des rails. Comme d'habitude, l'installation métallique gigote un peu mais je ne ralentis pas la cadence. Puis, je poursuis ma route. J'étouffe mes craintes et ma peur sourde en me concentrant seulement sur le chemin.

En fait, mon reflet fait tout comme moi. Je n'ai pas retrouvé mon corps mais à ce train-là, la fausse Enjy finira par réussir à être fidèle à chacune de mes habitudes. Je prie pour que la prochaine fois que mon enveloppe charnelle se trouvera devant un miroir, je puisse reprendre ma place.

Le cœur lourd, je m'observe passer devant la gare et descendre la grande route. Malgré le masque chirurgical sur mon visage, je constate que mon mal-être transparaît clairement. Mes yeux marron ne sont pas joyeux et pire encore, ils affichent de bels cernes. Que suis-je devenue ces dernières années ? Un zombie en quête de légèreté ?

Je parcours quelques kilomètres que me voici dans la rue de l'IUT. Le campus n'est plus qu'à quelques mètres. Je ressens du soulagement quoique ma fébrilité soit palpable. Mes poings serrent fort le bout de mes manches.

J'arrive sur le campus. J'ai exactement une heure avant le TP contrôle... En conséquence, je vais dans l'un des bâtiments et je regagne la salle de vie. Je ne prends pas la peine de désinfecter la table puisque la salle est en théorie déjà propre. Personne n'a dû venir avant moi, et c'est lassant de sans cesse tout nettoyer. J'ai définitivement banni le gel hydroalcoolique quand j'ai vu les dégâts qu'il causait les jours où je devais le combiner avec le savon agressif de la salle de microbiologie.

J'ouvre mon classeur et je prépare quelques fiches d'aide supplémentaires, afin de me faire gagner du temps tout à l'heure. Tout à l'heure précisément... ça sera l'exam'... Je me reprends et tente de me concentrer plutôt sur la musique de mes écouteurs. Il n'y a rien à faire, je continue d'appréhender... Ce n'est pas le même stress que celui qui m'empare avant d'arriver ici, non, celui-là est plus sain – enfin, si l'on peut considérer que ça soit possible.

Je ressens la mort dans l'âme de mon imposteur quand il s'en va vers la bonne bâtisse. Je parcours le couloir jusqu'à arriver à la bonne porte. A travers les fenêtres en haut du mur, mon écho voit les têtes de mes camarades qui s'activent. Je sens que mon associé qui commence à paniquer réellement. Et si je m'étais trompé, que je commençais l'exam' avec le premier demi-groupe ? De l'autre côté du voile, je me relève. Et si je n'y parviens pas ? Et si je me loupais comme jamais ? Mon imposteur-collaborateur forcé ne doit pas perdre les pédales – je ne le dois pas. Tout sera comme d'habitude, alors il est inutile de penser à des malheurs ; ce serait le meilleur moyen pour que tout aille vraiment de travers. Bien qu'avec difficulté, je m'applique à respirer par le ventre.

La technicienne des laboratoires, Lily, passe dans le couloir. Elle me désigne la feuille qu'elle tient :

« Bonjour ! J'ai les réponses ! C'est la feuille avec tous les résultats. Tu viens pour le TP contrôle, c'est ça ?

— Oui.

— Et bah j'ai toutes les réponses là ! » fanfaronne-t-elle en me faisant un petit clin d'œil.

Sous le masque, je lui souris en plissant des yeux. Qu'est-ce que je puis lui répondre de plus, franchement ? Bon, elle a toujours été sympathique. En voyant cette scène depuis l'autre côté du voile, je déplore plus que jamais mon renfermement sur moi-même. Je pourrais être plus expressive et dialoguer, m'exclamer, me montrer plus vivante !

La première de mes camarades, Paloma ne tarda pas à arriver :

« Salut !

— Salut. Ça va ?

— Oui et toi ?

— Oui ! Pas trop stressée ?

— Juste un p'tit peu. Et toi ?

— Moi ça va ; en vrai ça va large.

— Après tout, c'est comme d'habitude » j'atteste en essayant de me rassurer moi-même.

Pendant que mon écho discute avec Paloma, mon malaise grandit. Rien, absolument rien dans notre échange n'est naturel. Je ne sais pas comment fait Paloma et les autres... Toutefois, on peut au moins souligné mes efforts aujourd'hui pour sociabiliser un peu. Est-ce absurde... ?

Peu à peu, mes six autres camarades de promo affluent et je m'efface. Un moment après, nous pouvons enfin entrer dans la salle... Il ne faudra pas que nous nous loupions ; notre semestre en pâtirait. Je peux le faire. Tout ira bien. C'est comme d'habitude... ou presque, non ? Mon reflet est moi. Et moi, je dois y parvenir.