Jenna vérifia une dernière fois l'heure sur son portable, prit son sac de cours et sortit de son appartement. Les yeux rivés au sol et les écouteurs dans les oreilles, elle traversa rapidement le couloir, elle n'aimait pas ce lieu, elle n'aimait pas les gens qui y vivaient, elle n'aimait pas le trottoir qu'elle empruntait tous les matins et elle n'aimait pas se retrouver en cours. Elle n'avait jamais été aussi angoissée que depuis qu'elle était venue dans cette ville, loin de tout, loin du confort de la maison de ses parents.

Elle avait choisi la fac par nécessité, parce qu'il fallait faire quelque chose après le bac, parce que tout le monde avait des projets ou des envies, parce qu'il fallait bien qu'elle puisse répondre aux questions qu'on lui posait. Elle était venue ici car il lui fallait un diplôme mais lorsqu'elle se trouvait devant son miroir et qu'elle se demandait :

‑ Qu'est-ce que tu as envie de faire ?

Elle répondait sans aucune hésitation :

‑ Les échecs, évidemment.

Et elle soupirait, cette réponse n'amenait que des soupirs.

Jenna regarda le panneau du tram, le prochain passait dans dix minutes, elle avait bien fait de partir en avance. Trois quart d'heure plus tard, elle se retrouva adossée contre un mur à côté de la porte de sa salle. Les étudiants arrivèrent au fur et à mesure, la fille salua ses amis dont elle n'était pas très proche et les cours commencèrent.

Comme d'habitude, le stress de Jenna était au plus haut et sa motivation au plus bas. Les heures furent longues, à midi elle mangea seule, comme pratiquement tous les jours, elle alla ensuite passer un peu de temps à la bibliothèque pour reprendre les cours du matin et elle se dirigea ensuite vers son seul amphithéâtre de la journée. Lorsqu'elle ressortit de la fac, la nuit était déjà tombée.

Aussi rapidement qu'elle avait quitté son appartement le matin, Jenna prit un chemin qui lui était maintenant habituel, celui de son club d'échecs. En arrivant devant le bâtiment moderne, elle croisa un garçon de son âge aux cheveux noirs enveloppé dans une doudoune qui semblait trop grande pour lui. Un peu perdu, il lisait le panneau d'information et jetait des coups d'œil autour de lui. Jenna l'observa et se souvint de sa première fois ici, elle avait été aussi désorientée que lui et aurait voulu être aidée. Elle s'approcha de lui.

‑ Tu veux entrer ?

Le jeune homme se tourna vers elle, les yeux brillants.

‑ Je crois...

Il hocha la tête.

‑ Oui, je vais entrer.

Jenna sourit, elle trouvait ce garçon plutôt curieux. Elle tira la porte vers elle et la tint ouverte pour le laisser passer.

‑ Tu t'appelles comment ? Moi c'est Jenna.

‑ Rémi.

Ils entrèrent dans le bâtiment, à part une personne faisant les cent pas une bouteille d'eau à la main, il n'y avait personne. Jenna ouvrit une double porte et ils s'engouffrèrent dans une salle très silencieuse. Seules quelques personnes qui chuchotaient et le bruit des pièces sur les plateaux brisaient le silence ambiant. Le garçon en fut impressionné.

‑ Le président joue, chuchota Jenna, c'est lui, là-bas.

Elle montra un homme d'une quarantaine d'années qui faisait face à un autre homme qui avait la vingtaine.

‑ Ce sont les deux meilleurs du club. On joue aussi ?

‑ Euh... je ne connais rien, je n'ai jamais joué contre quelqu'un.

‑ Ne t'inquiète pas, je vais t'apprendre. J'ai un livre qui ne me quitte jamais, il résume toutes les bases et les coups à savoir.

Rémi sourit devant l'enthousiasme de Jenna.

‑ Je suis même pas encore sûr de rester.

‑ Je vais faire en sorte que tu le sois.