CHAPITRE XXXVII
Durant tout le trajet Christopher n'avait pas dit un seul mot, si ce n’était, bonsoir, et elle le connaissait suffisamment pour savoir qu'il était en colère. La tension dans le véhicule était palpable, et dès que la voiture stationna enfin sous le porche du manoir, après plus de trente minutes de circulation, ce fut lui qui en sortie le premier. Elle ne supportait pas de le savoir si distant, et encore moins si c’était elle qui en était responsable comme elle le pensait. Les mains dans le dos, elle le suivit donc en veillant à mettre une bonne distance pour qu’il ne s’aperçoive pas de sa présence. Ses pas la menèrent jusqu’au deuxième étage, lieux où elle perdit sa trace, ouvrir les portes une à unes, et il saurait qu’elle le poursuivait, et ça elle ne le voulait pas. Elle ne voulait pas être le genre de fille constamment sur le dos de leur copain, enfin, pas plus qu’elle ne le faisait déjà. La mine triste, Alexandra voulut rebrousser chemin, quand plusieurs bruits de percussions parvinrent à elle. De sa faible expérience, elle réussit à reconnaitre l’instrument de musique qu’elle entendait : de la batterie. Avec les dernières énergies qui lui restaient, elle suivit le son jusqu'à la dernière pièce entrebâillée tout au fond. Lentement, elle la repoussa, pour enfin le voir. Elle soupira de soulagement, comme si le simple fait de le voir, était suffisant pour l’apaiser elle.
La veste et la cravate au sol, les yeux fermés, et les manches de sa chemise blanche retroussés pour faciliter ses mouvements, Christopher tapait sur les tambours avec vivacité tout en suivant un rythme endiablé que lui seul entendait. Il était complètement immergé dans sa bulle, s’entourant ainsi d’un calme trompeur. Tous ses gestes étaient coordonnés, ordonnés et le tableau qu'il formait à cet instant était juste parfait pour les pauvres yeux d’Alexandra qui ne voyaient que lui, c'est comme si toutes autres images périphériques avaient été effacées.
Un filet de sueur perlait sur son front, et ses muscles tendus sous l'effort, étaient encore plus volumineux sous sa chemise. Adossée au mur qui semblait vibrer à chaque coup, Alexandra se laissa emporter par la force, et la beauté de cette musique. Elle n'a jamais été une fan de cet instrument de musique en particulier, mais aujourd'hui, c'est comme si elle l'entendait sous un nouveau jour, Christopher exprimait sa frustration, et son cœur à elle, battait au rythme des coups de tambour. Elle sentait sa colère à chaque coup qu'il donnait, et elle se prit à détester la personne qui l’avait mis dans cet état. Depuis combien de temps elle était là à le regarder, ça elle ne saurait le dire, mais bout d'un certain temps, elle ferma les yeux tout comme lui, afin de mieux s'imprégner de ce son sauvage.
Puis quand la dernière cymbale retentit, je sus qu'il avait fini. J'ouvris alors les yeux et je tombai sur ses pupilles grises qui me fixaient intensément. Il me regardait sans ciller avec tendresse, et avec aussi une peur que je ne comprenais pas. Il me fit ensuite un doux sourire, et je sus que mon homme m'était revenu. Un pied devant l'autre, je m'avançai comme poussée par une force d'attraction jusqu'à lui, pour lui faire face. Il se recula, m'attira doucement sur ses cuisses et m'enlaça. Il sentait le mâle, et était recouvert de sueur, mais je n'en n'avais que faire, je l'avais enfin récupéré.
- J'ai été seul pendant des années, au point d’oublié comment gérer mes colères pour que mes proches n’aient pas à les subir. J'ai passé une très mauvaise journée, et je ne voulais pas avoir à faire, ou à dire quelque chose qui t'aurais blessé, d’où ma distance.
Blottie contre lui, et enveloppée par sa voix calme, sa chaleur et son odeur, Alexandra lui fit savoir qu’elle comprenait. C'est sa manière à lui de s'excuser, et ça la suffisait, même si elle n'en n'avait pas besoin, étant donné qu’elle avait tout oublié dès l'instant où elle était entrée dans cette pièce.
- Alors tout s'est bien passé à ton cours ? Tu as passé une bonne journée ?
Les yeux fermés, j'acquiesçai une fois de plus. Ma journée a été bonne, vu que j'avais maintenant deux autres numéros dans mon téléphone. En plus du sien, il y'avait celui de Carla et de Jason.
- Et pour l'histoire avec ton professeur de danse, mon choix s’est porté sur elle parce que je voulais juste te préparer émotionnellement pour le jour où tu seras prête pour une thérapie. Mais si le fait qu'elle ait été psychologue, ne te plaît pas, on en changera.
Non, je peux faire avec…
- On la garde alors. Et en parlant de ça, je me demande si je ne vais pas te trouver un truc qui te parcours moins les courbes pour tes prochains cours.
Pour prouver que la tenue m'allait comme une deuxième peau, il passa le bout des doigts sur ma cuisse droite jusqu'à mon cou, en passant par ma poitrine, avant de m'embrasser tendrement. Et voilà comment, en une seconde, je me suis retrouvée avec les joues rougies et la peau, et le corps chauffé à blanc.
- Il est temps d'aller prendre une douche.
Aujourd'hui, ça fera ma trente troisième séance de danse et donc onze semaines. Avec Carla on était devenues très proches, elle était ce qui se rapprochait le plus d'une amie, elle me parlait de tout, de sa relation chaotique avec son ex-copain, qui la harcelait toujours, de sa vie en dehors des cours de danse, de ses rêves et ambitions. Il fallait bien que l'une de nous deux parle, si cette relation voulait aller loin. J'avais donc appris que comme moi, elle était orpheline de père et de mère. Mais elle n'avait pas perdue les siens dans les mêmes conditions que moi. Ses parents à elle étaient mort dans un accident d'avion quand elle était plus jeune, et c'est sa tante qui l'a élevée, mais cette dernière est morte il y a deux ans et maintenant elle vivait seule dans un petit appartement. Elle suivait à mi-temps des cours de lettre moderne, et travaillait comme serveuse. De son côté, tout ce qu'elle savait sur moi, c'est que j’étais orpheline, et que je vivais avec Angel, dont elle ne connait pas le nom. C'est vraiment une fille en or, avec un grand cœur, et un peu fofolle sur les bords, mais c'est ce qui faisait son charme. Angel était content que je me sois fait une amie, mais il n'acceptait pas Jason avec la même facilité, même si ce dernier et moi n'étions pas si proche que ça.
- Alexandra, on va être en retard, pour ton cours. Et en parlant de ça, à quand ma petite démonstration ?
Il avait aménagé une salle de danse dans la grande pièce de musique où je l'avais surpris à jouer de la batterie. Et bien évidemment, à chaque fois que je m'entraînais je m'assurais qu'il soit occupé dans son bureau. Ce n’était donc pas demain la veille qu'il me verrait. Et je n’aurais jamais eu le courage de présenter quelque chose s’il savait qu'aujourd'hui je devais faire ma première prestation en solo.
- Alexandra, c'est bon ainsi. Je te trouve déjà magnifique. Aller viens, j'ai quelque chose à te montrer, lui dit Christopher en la tirant par la main en direction de l'ascenseur.
On se dirigeait vers une aile de la maison où je n'avais jamais mis les pieds. La main dans celle d'Angel, je le suivis jusqu'à ce qu'il arrive devant une porte en verre.
- Ferme les yeux, me demanda-t-il légèrement surexcité comme un enfant qui aurait mangé trop de sucre.
Avec un immense sourire qui me servait dorénavant de parure, je fermai mes paupières conformément à sa demande, pressée de découvrir ce qu’il me réservait surprise, et je marchai dans la direction où il me guidait.
- C'est bon, tu peux regarder.
Mon cœur fit un bond quand j'aperçus sa surprise. Il faut dire qu'on ne pouvait pas la rater. Après tout ce qu'il m'avait offert, il me donnait maintenant un sapin de Noël grandeur nature. Il faisait plus de trois mètres de long et il était dans la grande salle à manger dans laquelle on n'avait d'ailleurs jamais mangé.
J'avais complétement oublié que demain c'était Noël, et avec juste raison. Ça fait plusieurs années que je ne savais plus rien des jours, ni des fêtes du calendrier. Et demain, j'allais fêter avec Angel ce que je pouvais considérer comme étant ma première fête de Noël. Toutes ces choses me rappelaient que j’étais en train de m'éloigner de la vie que j'avais pu avoir par le passé. Aujourd’hui, j'avais un homme merveilleux à mes côtés, je suivais des cours de danse, je pouvais sortir quand je le voulais, je m’étais même fait une amie, et demain j’allais fêter Noël comme il se devait avec un ange. Émue, mes larmes se mirent à couler le long de mes joues, et je fis volte-face pour prendre Angel dans mes bras. Tout ce que je voulais lui dire à cet instant, c’était merci, mais rien ne sortait.
- Depuis que tu es arrivée, tu ne cesses de sourire. On dirait un chat qui aurait avalé un canari. Tu partages ta joie avec ta meilleure amie, me supplia ardemment Carla.
Incapable d'attendre une minute de plus, je sortis mon téléphone pour lui répondre.
De moi
À Carla : Je voulais t'inviter à un diner de Noël à la maison. Je sais que je m'y prends tard, mais ça me ferait très plaisir si tu venais.
- Attends que je réfléchisse à mon programme. Fit-elle concentrée. Mais je plaisante Alex, bien-sûr que je veux venir à ta fête, compléta-t-elle quand elle vit ma mine dépitée.
- Mais je ne sais pas où tu habites.
Si elle savait que même moi je ne savais pas très exactement où j'habitais.
De moi
À Carla : Ce n'est pas grave. Envoie-moi demain ton adresse et une voiture passera te chercher chez toi à 19h.
- Sérieux, j'aurai un chauffeur pour moi toute seule, cria-t-elle en attirant tous les regards sur nous.
Heureusement que le cours n’avait pas commencé. Et si elle était joyeuse pour un chauffeur, je me demande bien ce qu'elle dira quand elle verra la maison d'Angel.
- Et il y aura qui d'autres ?
De moi
À Carla : Juste toi, et le meilleur ami de mon petit ami.
- Je serai des vôtres avec plaisir.
Je regardais les autres passer à tour de rôle, avec des prestations toutes aussi belles les unes que les autres. Avec pour nom de famille Walstein, j'étais là dernière à passer, et quand on est moins de dix dans une classe, dix devient rapidement un nombre dérisoire. J’observais l'horloge, dont les secondes semblaient durer des heures, en espérant ne pas passer aujourd'hui.
C'est bien vrai que j'ai préparé un truc, mais j'avais maintenant honte de le présenter aux autres, au risque de subir leurs moqueries. Ce fut au tour de Carla, elle dansait comme un cygne, ses gestes étaient souples, gracieux, et jamais ne ferai mieux, ce serait même pire. J’étais malheureusement la suivante, en d’autre mots, j’allais me faire ridiculiser d’ici peu. Danser à deux me permettait de me cacher derrière elle et de profiter de l'ombre qu'elle me faisait. Mais là... je n’avais même pas eu le temps d'achever ma pensée quand Carla vînt s'installer à mes côtés. C'est le top départ pour moi.
- Alex respire, et fait le vide ne pense à rien. Oublies nous, dis-toi que tu es seule et que nous on existent plus, me murmura Carla en me serrant la main.
Les doigts glacés, je me mis debout en titubant. Je faisais dorénavant face à plusieurs paires d'yeux qui semblaient attendre ma première chute. Je me sentais exposer, je regardai Carla qui me souriait confiante en me lançant un regard rassurant. Mais le regard que je voulais voire était le sien. Ce matin je refusais qu'il soit présent, mais j'avais en ce moment même besoin de sa force. Mon cœur commençait à battre la chamade, j'avais les mains moites et le souffle rare, j’étais sur le bon chemin pour aller droit à la crise d'angoisse. Mais je voulais qu'il soit fier de moi, et surtout, je voulais me prouver à moi-même que j'avais avancée depuis tout ce temps. Pour me calmer, je fermai les yeux et je dirigeai toutes mes pensées vers lui pour commencer. Et je pensai ensuite à ce que Amanda n'a cessé de répéter. Il faut que je laisse mon esprit divaguer et mon corps suivra. Les notes claires, et douces du piano se mirent à se faire entendre.
En dix ans je n'avais pas parlé et aujourd'hui je voulais raconter la version muette de mon histoire a d’autre. Je fis donc le vide dans ma tête jusqu'à ce que les voix autour de moi deviennent un fond sonore, jusqu'à disparaître et je replongeai dans mes souvenirs en reculons.
Alexandra sentait son corps bouger mais elle n'y accordait pas d'attention. Elle venait de prendre le train de sa vie, et il n’y avait plus de retour en arrière. Elle commença par le souvenir de la surprise d'Angel, ce matin, en laissant la joie qu’elle avait ressenti l'envahir, elle remonta ensuite à la première fois que Christopher l'avait embrassée. Ce jour-là son cœur battait si fort qu’elle avait l'impression de s'envoler. Elle me remémora la première fois où il l'avait touché intimement. Sa gêne et sa honte avaient été balayées d'un revers de main par sa voix virile. Puis il y’eu le souvenir de sa première sortie, son ours géant et le bonheur qu’elle a ressenti quand ce jour lui avait fait comprendre qu’elle pouvait lui faire confiance.
Elle repensa au premier rire qu’elle avait eu avec lui, le jour où ils avaient fait du cheval. Perdue dans les méandres de son passé récent, Alexandra comprit que son tout premier souvenir joyeux après tant d'années de souffrance, remontait à cette nuit où elle avait croisé ses yeux gris sur cette route, sous une pluie battante avec pour seul lumière les phares de sa voiture. Mais le plus dure était à venir. Car si elle voulait continuer, il fallait reprendre contact avec la Alexandra qui avait dû subir les mauvais traitements de Félix, et ne faire qu'un avec elle. Son corps bougeait exactement de la même manière dont elle faisait pour se protéger. Et pour la première fois, Alexandra s’appliquait à extérioriser tout, sans un bruit, mais son silence était plus éloquent que tous les cris.
Plus elle s’enfonçait, et moins elle avait envie d’affronter son ancienne version, mais elle ne voulait non plus garder tout ça en elle. L'humiliation qu’elle ressentais à chaque coup, les cris de douleurs qu'elle étouffait, la honte d'être traitée pire qu'un animal. Toutes les fois où Felix l'avait craché dessus, les coups de pieds, les gifles violentes. L'odeur du sang, la puanteur de la pièce, et de son corps. Le coin de cette pièce qui était l'endroit où elle se réfugiait comme une moins que rien. La crasse qui recouvrait ses cicatrices, la honte qu’elle avait ressentie quand ces deux femmes avaient lavé son corps, contre sa volonté. La brûlure quand il avait posé ses doigts sur elle en essayant de la violer. Et moi qui l'assassinait, pour au moins préserver cette pureté qui était tout ce qui lui restait.
Son corps habitué à ce passé, reproduisait parfaitement tous ces gestes, comme s’ils avaient eu lieu il y a seulement quelques minutes.
Je revoyais la balle s'enfoncer dans le crâne de mon père, puis dans celui de ma mère. La température du sang de ma propre mère qui avait gicler sur mon visage me revenait avec une netteté que je croyais avoir oublier. Le crépitement du feux, l'odeur nauséabonde de chaire brûlée qui enveloppait l'obscurité. Je me revoyais prendre la décision de ne plus jamais ouvrir la bouche pour adresser la parole à qui que ce soit, vu que les personnes qui m'aimaient et que j'aimais, n'étaient plus là. Je revoyais le sourire de mes parents quand je soufflais sur ma bougie d'anniversaire. Et enfin je me revoyais courir dans cette forêt pour sauver ma vie, avec mes cheveux qui s'accrochaient dans les branches, les foulures, que je m'étais faîtes. Les écorchures semblaient aussi se rouvrir sur ma peau, l'odeur du bois, des feuilles, et branches mortes que je piétinais. Et surtout ses yeux, ceux de mon sauveur. C'est là que ma course et mon ancienne vie prirent fin.
Complètement épuisée d'avoir tant donné émotionnellement, j'ouvris enfin mes yeux, et je les recroisai de nouveaux. Ces yeux, ils étaient là, mais ils me regardaient différemment. Dorénavant, ils me reconnaissaient, et ils me criaient qu'ils tenaient à moi. Et moi aussi je tenais à leur propriétaire, je tenais à Angel bien plus que je ne le croyais.
Ça n'avait rien avoir avec un sentiment de sauvée à sauveur, non, ce que je ressentais allait bien au-delà de ça. Je n'avais pas à avoir déjà eu affaire avec ce sentiment pour pouvoir le reconnaître. Il se révélait à moi comme une évidence, parce que dès l'instant où je l'avais vu, j’étais tombée amoureuse de lui, et contrairement à moi, mon cœur le savais déjà.
Je criais cette phrase dans ma tête en espérant qu'il m’entendait. Cette nuit-là j’étais certes sortie physiquement de la forêt, et cependant mon esprit était toujours prisonnier là-bas.
Mais maintenant, je pouvais affirmer que tout de moi était sorti de cette forêt lugubre. Et Dieu merci, c'est sur lui je suis tombée, et dans tous les sens.
Car oui, je suis tombée amoureuse de lui.
Je t'aime Christopher Angel Walstein.
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