CHAPITRE XXVI
La lumière du soleil commençait à décliner et la pièce dans laquelle je me trouvais revêtait petit à petit une belle couleur orangée. Assise à même le sol dans la bibliothèque, j'étais entourée de plusieurs bouquins ouvert sur différentes pages. Je passais plusieurs heures par jour ici, l'endroit était même devenu mon lieu favori depuis précisément deux mois et demi, c'est à dire à partir du jour où Angel avait décidé de me donner de l'espace.
Comme si j'en voulais.
Et pour m'en donner, il m'en avait vraiment donné. Je ne le voyais, que lorsque venait le moment de se nourrir, et même là, ce n'était pas évident, étant donné que l'on ne mangeait plus tout le temps ensemble. Selon les dires de son employée, Monsieur était très occupé et il ne pouvait pas me rejoindre.
Christopher ne lui parlait plus si ce n'était pour me dire bonjour, ou bonsoir. Bien vrai que de nature il n'était pas très loquace, mais maintenant c'était pire, le calme plat, presque comme elle. Dire d'ailleurs qu'il lui parlait à travers ses salutations, c'était trop s'avancer, parce que ces mots ressemblaient plus à de sourds grognements qu'à autre chose.
Il était devenu différent de celui qu’elle côtoyait d'habitude. C'est comme si elle avait affaire à une autre personne, celle qu’elle avait rencontré la première fois où elle avait ouvert les yeux dans cette maison. Christopher s'était tellement effacé qu’elle ne sentait plus ses brûlants regards épieurs dans son dos quand elle se croyait seule. On pouvait même dire que la tendance s'était renversée, vu que c'est elle, qui au contraire, ne ratais plus une occasion pour l'épier.
Ce nouvel alter-égo qui était le nouvel hôte d’Alexandra, en plus d'être un être très distant, voir même inaccessible, perturbait la jeune femme d'une manière qu’elle ne saurait expliquer. Cette nouvelle version avait l'aura d'un dangereux loup solitaire, et arborait un visage hermétiquement fermé, doté de traits plus dures qu'à l'accoutumée. Dès qu'il entrait dans une pièce, c'est comme s’il amenait avec lui la sombre froideur des ténèbres, qu'il revêtait fièrement tel une cape majestueuse. Et le contraste dans toute cette histoire, c'est qu'il l'effrayait et la fascinait à la fois. Elle ne s'imaginait pas s'éloigner de lui, mais elle craignait cependant ce qui adviendra si jamais elle restait.
Et même si Alexandra n'approuvait pas cette nouvelle résolution de la laisser de l'espace pour se retrouver, elle je savais au fond d’elle qu'il avait pris la meilleure décision.
Elle avait besoin de cette liberté de décider. Elle était d'un côté, heureuse de savoir qu’elle avait le choix, elle pouvait partir où elle voudrait, et il allait même lui venir en aide pour qu’elle puisse se reconstruire une nouvelle vie très loin de celle qu’elle avait eu. Mais de l'autre côté, avant même d’être parti, elle se sentait déjà perdue sans lui, et aussi peinée de voir qu'il envisageait sans difficulté l'idée de vivre sans elle si jamais elle partait.
Avant tout était clair. Elle n’avait pas à prendre de décision, Christopher se chargeait de tout. Il savait ce qui était bon pour elle, il la guidait sans pour autant lui imposer ses quatre volontés. Elle pouvait ainsi s'appuyer inconsciemment sur lui, sur sa force, il instaurait de l'ordre dans a tête. Mais maintenant, qu'il lui avait laissé le contrôle sur le cours que devra prendre sa vie, tout était devenu confus, elle ne savait plus quoi faire, ou penser. Pendant neuf ans c’était un psychopathe qui détenait ce contrôle partiel sur elle, et aujourd'hui qu’elle le récupérait entièrement, elle n'avait qu'une seule envie, courir la redonner en totalité à Christopher pour qu'il en fasse ce qu'il voulait. Elle avait envie de lui remettre les rennes de sa vie, de son âme, et de son esprit. Elle était sans doute inconsciente de vouloir faire cela, mais elle voulait vraiment néanmoins tout lui donner. Cependant, la peur qui était devenue depuis neuf ans son ombre l'empêche de le faire.
Son bourbier interne était tout aussi accentué par le fait qu'il lui ait dit qu'il voulait d’elle en tant que femme. La joie de savoir qu’un homme comme lui, voulait d’une femme comme elle, avait bien vite été balayée par une autre peur grandissante qui avait élu domicile en elle, et tout ce qu’elle trouvait comme raison pour rester était sujet à controverses dans sa tête. Qu'un homme tel que lui, qui pouvait sans nul doute, avoir toutes les femmes du monde, veuille néanmoins d’une personne comme elle dans sa vie, relevait du miracle, et les miracles n’étaient pas appelés miracle pour rien.
Bien évidemment, elle ne niait pas le lien qui s'était établi entre eux, et honnêtement, ça ne la déplairait pas d'être sienne, rien que d'y penser ça, la rendais toute chose. Mais qu'entendait-il par-là ? Qu’elle soit sa petite amie, sa maitresse ou un truc dans ce genre ? Et quelle était la force de cette tension qu'il y'avait entre eux ? Etait-ce passager ou permanent ? Et si jamais il se lassait un jour d’elle, pourrait-elle se relever de cette nouvelle perte ?
Peut-être que cette attirance qu’elle ressentait était juste un effet secondaire de la gratitude due à ce qu'il avait fait pour elle.
Et même si comme elle le pensait, c'était bien plus que de la simple gratitude, est-ce qu’elle était prête à se lancer émotionnellement dans un tel pari, ou même prête à aller aussi loin avec un homme qu’elle ne connaissait presque pas ? Et qu'en serait-il des relations intimes que décrivaient les livres qu’elle avait lu ?
Elle n’était qu'une femme-enfant et brisée de surcroît. Peut-être qu’elle devrait aller découvrir le monde, s'éduquer, grandir psychologiquement, voir comment les autres faisaient quand ils étaient confrontés à ce type de remous et de doute profond. Mais une décision pareille comportait un grand risque, celui de le perdre. Car si jamais elle s'en allait, et qu’elle se rendait compte qu’elle n’était rien sans lui, aurait-elle toujours la même valeur à ses yeux ? Pas forcement, elle était bien placée pour savoir que la vie pouvait très facilement prendre un virage 180°. Et qu'est-ce qu’elle ferait dans si ce cas se présentait ? Mourir lui glissa la voix qui était pour que elle devienne sienne.
Elle avait l'impression de se perdre encore un peu plus de jours en jours.
Rien que des si, et des peut-être, cependant, pas une seule réponse claire.
Mais la véritable question est, est-ce que je pourrais vraiment partir d'ici ? Ou même m'éloigner de lui?
Mon cœur et mon corps criaient que non, ma tête, elle, elle réfléchissait toujours pour m'apporter une réponse qui se faisait de plus en plus attendre.
Et comme si tout ceci n'était pas suffisant, mes cauchemars étaient eux aussi revenus. Toutes ces semaines de calme nocturnes étaient dorénavant un lointain souvenir. La journée j'étais en quête de réponses dans les bouquins et la nuit j’étais en proie à de violents cauchemars, encore pires que ceux que je faisais du temps où j'étais enfermée chez Félix. À croire que l'absence d'Angel en était le déclencheur.
Comment savoir quel est le bon chemin à prendre ?
Mon esprit était maintenant un vrai bouillon de culture pour des questions dont je n'avais même pas les esquisses d'une seule des réponses. Si j'avais eu une vie normale j'aurais su quoi faire, mais si j'avais eu une vie normale jamais je n'aurai rencontré Angel. Je peux dire que c'était le seul point positif qui ressortait de toute cette merde. L'unique certitude à laquelle j'étais arrivée c'est que Angel était un homme bien, le reste était floue. Et c'est d’ailleurs pourquoi, je passais toutes mes journées dans cet endroit depuis deux mois et demie. Aidée d'un dictionnaire, je lisais tous les livres qui pouvaient me guider dans la résolution de mon conflit interne.
Les livres de sciences m'avaient rassuré que les réactions physiologiques que j'avais en sa présence étaient normales. C'était du désir. Ces livres avaient ouvert mon esprit sur la possibilité d'avoir un contact sexuel avec l'Apollon qui me servait de colocataire. Et j'avais rougie un nombre incalculable de fois quand je pensais à ce qui pouvait arriver entre Angel et moi sur le plan sexuel. Il serait sans doute un partenaire idéal.
Les bouquins des psys me disaient de prendre mon temps et de réapprendre à vivre, pour cela il fallait d’abord accorder ma confiance, et affronter mes peurs sans pour autant trop en faire, d’aller à mon rythme. Et pour finir les livres qui parlaient de la gestion de soi, me recommandaient d'oser m'aventurer en dehors de mes zones de confort.
En somme, ils avaient tous quelques choses à dire, mais ça ne m'aidait pas de façon concrète.
L'heure du dîner approchait, Alexandra referma et rangea donc tous les livres qu'elle avait consultés. Il était temps pour elle de se préparer pour dîner avec lui. Elle allait enfin pouvoir être avec lui, pour ne serait-ce que le temps de quelques coups de fourchettes. C'était l'un des moments de la journée qu'elle attendait ardemment, et redoutait à la fois.
Du haut de mon balcon en verre renforcé, j'observais la voûte céleste en attendant Angel pour le repas du soir, ou plutôt j'espérais qu'il vienne. Je ne l'avais pas vu depuis deux jours, et je comptais sur sa présence, même partielle, pour m'apaiser. Car, en plus de mes cauchemars, je faisais de récurrentes crises de panique. Et trois les choses qui empêchaient l'amplification de ces crises d'angoisses, c'étaient en premier lieu, ces rares instants que l'on partageait, ensuite il y’avait le fait de l'entendre fermer la porte de sa chambre chaque nuit et enfin le fait de savoir qu'il dormait à quelques mètres de moi. Je me rassurais en me répétant en boucle qu'il n'était pas parti et qu'il ne me fuyait pas, mais qu'il attendait simplement que je lui dise ce que je voulais pour nous.
Les yeux dans les étoiles, je ne vis pas Léa arriver à ma droite. Elle toussota donc pour signaler sa présence. Prise par surprise, je bondis hors de ma chaise en la faisant retomber en arrière.
Ça ne se fait pas de faire peur aux gens de la sorte.
Même la présence d'habitude gérable de Léa, m’était devenue insupportable. J’étais redevenue irritable, effrayée, bref, une vraie boule de nerf depuis ces dernières semaines. Je fis alors plusieurs pas pour m'éloigner d'elle avant d'être prise par une envie imaginaire de me défendre. Sentant mon humeur sombre, Léa fît à son tour quelques pas en arrière afin de quitter mon espace personnel. Elle croisa ses doigts ensemble devant elle, puis me laissa du temps pour me reprendre.
- Je suis désolée Mademoiselle, je ne voulais pas vous effrayée. Monsieur Walstein m'envoie vous avertir qu'il ne pourra finalement pas monter pour le dîner.
Et comme à son habitude, dès qu'elle eût fini de transmettre son message, elle prit ses jambes à son coup en me laissant débout, devant un repas bientôt froid, posé sur une belle table dressée pour deux.
Y'avait largement de quoi me couper l'appétit.
Debout, les mains croisées derrière moi, je regardais distraitement depuis mon bureau, l'immense jardin qui s'étendait à perte de vue devant moi. Je devrais être en ce moment avec mon Alexandra pour le dîner, cependant j'étais arrêté là. Je brûlais littéralement de l'intérieur, je ne l'avais pas approchée en deux jours et ça fait plusieurs semaines que je l’évitais comme une route à sens interdit. Je n'avais plus la force de rester si proche, et en même temps si loin d'elle. Je minimisais donc tous nos contacts pour éviter une situation où je serai amené à mal me comporter. Ce qui s’était passé dans ma chambre avait mis le feu aux poudres, je voulais constamment la toucher, l'embrasser et la prendre dans mes bras. Mais le faire sans qu'elle ne m'en donne une autorisation explicite, serait pour moi semblable à un abus. Je devais penser à son bien-être avant tout, et me retenir pour la laisser décider. Il ne faudrait pas qu'elle se réveille un beau jour, en m'accusant de l'avoir imposé, et enfermée dans une relation, et une vie qu'elle n'avait pas eu le loisir de choisir.
Il y'avait toutefois un hic qui ruinait jour après jour ma bonne résolution, et ce nœud était ma mémoire. En d'autres termes, je la sentais partout où j'allais, surtout dans ma chambre. Dès que j'y mettais les pieds, ou que je ne m'occupais pas l'esprit, l'odeur fruitée de son parfum me revenait. Je l'entendais gémir au creux de mon oreille, frissonner sous mon contact, et la même scène d'elle contre le mur de ma chambre, se remettait à jouer encore et encore. Mon corps tendu à cause de tant de mois de retenu, réagissait toujours de la même manière. Jamais une femme n'avait fait réagir tout mon être de la sorte. J’étais en proie à des hallucinations auditives et olfactives. Ses gémissements désordonnés et son parfum enivrant ne m'avaient pas quitté en plus de deux mois, et j'avais l'impression qu'ils m'enveloppaient constamment.
Cette jeune femme jouait avec ma santé mentale et je ne pouvais, ni ne voulais rien y faire.
Trois faibles coups retentirent à la porte de mon bureau, en m'arrachant à ma frustration grandissante. Ça devait être Léa qui venait m'informer sur l'état d'Alexandra. J'en étais réduit à ça, passer par des intermédiaires pour savoir comment allait la femme qui vivait à quelques mètres de ma chambre.
- Entrez, répondis-je le dos toujours tourner à la porte d'entrée.
N'entendant pas Léa souffler mot, je me retournai vers elle inquiet, mais au lieu de tomber sur mon employée, c'est sur un magnifique regard de biche que mes yeux se fixèrent.
Alexandra me regardait avec des yeux d'où je pouvais y lire de la tendresse, du soulagement, une pointe de colère, et une énorme quantité de timidité. Elle était à elle seule, une vraie rivière d'émotions, et de toutes celles que je lisais dans son regard, seule sa colère me faisait plaisir. Elle en voulait à mon nouveau comportement et c’était plutôt bon signe pour moi.
Un doux silence s'installa entre nous. Le personnage principal de toutes mes pensées était là, à me fixer dans toute sa splendeur, les pieds nus, habillée d'une petite robe bleue nuit légère, à bretelles large, et elle avait rassemblée ses cheveux en une seule tresse qui lui descendait sur l'épaule droite.
Elle incarnait la simplicité, la pureté avec cette tenue, ce visage innocent et sans maquillage, ce regard expressif et cette petite bouche, rose... pulpeuse...
Cette femme allait vraiment finir par me faire admettre dans un asile.
Je n'avais pas remarqué le plat de nourriture et le verre d'eau qu'elle tenait jusqu'à ce qu'elle avance d'un pas hésitant vers moi. Ses joues se teintaient d'une belle couleur rosée à chaque centimètre qu'elle faisait en ma direction. Arrivée à moins d'un mètre de moi, les mains tremblantes, elle ordonna quelques un de mes documents en une pile, déposa son assiette ainsi que le verre sur mon bureau, puis elle souleva ses mains pour me présenter l'une après l'autre, une cuillère et une fourchette.
Elle voulait que je choisisse.
Toujours perdue dans ses yeux, je m'avançai au plus près d'elle, puis je pris la fourchette par précaution pour elle et j'attendis la suite.
C'est elle qui mènerait la danse.
Elle esquissa un petit sourire discret puis m'indiqua le siège de mon bureau du doigt avant de s'en aller prendre une des chaises visiteurs. Elle s'installa près de moi, poussa l'assiette dans ma direction, et se mit à manger comme si tout était normal.
Nous mangeâmes en silence, ou plutôt elle mangeait, parce que mon estomac était noué par la joie que je contenais.
Ce n'était pas encore le signe que j'attendais, mais elle avait fait le premier pas en venant me chercher ici, et ce premier pas était suffisant pour que je l'amène dans la direction souhaitée.
J'allais m'engouffrer dans l'ouverture qu'elle venait de créer.
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