Notre petit-déjeuner avait pris fin depuis une bonne dizaine de minutes, et aucun de nous n'avait décroché un seul mot. Pour être plus précise, Angel n'avait pas décroché un seul mot, ni même un seul regard. Il avait beau n’être qu’à quelques centimètres de moi, je voyais à son regard perdu au loin, que c'est uniquement son corps qui était là, son esprit lui, vadrouillait dans un endroit qui m'était inaccessible.

Je n'appréciais pas cette nouvelle barrière qu'il avait installée, surtout après ce qui c'était passé hier nuit dans sa chambre. Je ne savais pas vraiment à quoi je m'attendais aujourd'hui quand je le verrais, mais ce qui est certain, c'est que cette distance n'était apparemment pas dans mes pronostics.

Tout le long du repas il, s'était comme déconnecté de notre lien habituel, il semblait réfléchir et là, il avait les traits de celui qui allait bientôt donner son verdict. Verdict, qui sans nul doute, allait plomber le peu de moral que j'avais justement construit depuis hier.

La peur de mon probable départ me nouais l'estomac. À chaque fois qu'il réfléchissait, l'épée de Damoclès que j'avais au-dessus de la tête se faisait de plus en plus proche.

- Alexandra il faut que je te parle, entama Angel d'une voix basse.

Oh non… on y est.  

- Je voudrais m'excuser auprès de toi pour le comportement grossier dont j'ai fait preuve hier nuit. Je n'aurais pas dû tirer profit de ton inexpérience.

Mais de quoi parlait-il ? il n’avait en aucun moment profité de moi.

Ses traits étaient tirés, teintés de culpabilité, sa voix était sourde virile et il me parlait comme s'il avait volé mon âme ou un truc dans ce genre. Mon cœur se serrait de savoir qu'il se sentait coupable pour un truc pour lequel j’étais en grande partie impliquée. C'est vrai que je ne savais pas ce qui m'était arrivé, ni ce qu’il pouvait bien le laisser croire ça, mais il ne m'avait obligé à rien, et si jamais je n’avais pas voulu de ce qui s'était passé hier je l'aurais fait savoir avec un brin d'agressivité. Félix pourrait en témoigner s'il était toujours de ce monde.

Je l'entendis prendre une profonde inspiration avant de poursuivre et les braises de son regard gris brûlait mes paupières baissées.

- Je ne vais pas te mentir, ni enrober les choses. Tu es un femme exceptionnelle, incroyable, douce, gentille, et tu es pour moi la femme la plus belle que je n'avais jamais vu, et la personne la plus forte que je connaisse. En dépit de ce qui t'ai arrivée, tu es quand même parvenue à garder une dignité et une grande force intérieure, et tout cela est tout à ton honneur. Jamais je n'aurai dû profiter de ton innocence dans ce domaine, sache que cela ne se reproduira plus. Conclut Angel en me regardant droit dans les yeux.

Où est-ce qu'il veut en venir ?

Il me parlait d'une manière lente et calme, aucune octave de sa voix ne dépassait l'autre. Il respirait la sérénité, et la paix intérieure, tandis que moi, j'étais semblable à un volcan sur le point d'entrer en fusion.

- Alexandra tu me plaît énormément. Tu m'attires en tant que femme, et je veux et désir ardemment la femme que tu es. La nuit dernière n'a fait qu'exacerber ce que je savais déjà, mais ça m'a aussi permis de faire face au fait que tu ne savais probablement pas ce qui t'arrivais.

Mon cerveau était devenu sélectif dans les informations qu'il me donnait, et donc tout ce que j'avais entendu était qu'il voulait la femme que j’étais, malgré le fait que je sois en mille morceaux au fond de moi. Je me sentais soulagée d'un poids même si je ne savais pas lequel et mon cœur vibrait en accord avec ce calme. Il me désirait, c'est tout ce qui comptait, et toutes les autres phrases n'étaient que du blablas qui ne m'intéressait pas.

- Tu ne me parles pas, et je ne t'en tiens pas rigueur, mais ça m'empêche de savoir ce que tu penses ou ce que tu veux. Je ne sais donc pas si hier tu étais juste esclave du monde que tu découvrais, ou si c'est un truc qui t'a plu et que tu aimerais recommencer.
Voilà pourquoi j'ai décidé de te donner de l'espace, je vais mettre une certaine distance entre nous et te laisser...

Me laisser?
Il va... Il va... Il va me laisser lui aussi?
Pourquoi? Il a dit tout le contraire il y a peu.

Je n'entendais plus le reste de sa phrase, et sa voix était un lointain fond sonore. La panique s'emparait de moi et mon cœur battait tellement fort que mes oreilles bourdonnaient. Ma tête était lourde, c'est comme si j'avais un marteau piqueur à l'intérieur. Mon regard quanta lui, devenait floue et mon cerveau me replongeait dans mon passé, particulièrement à la nuit où je m'étais sentie abandonnée, quand mes parents avaient été tués. Et après mes parents, Angel était le prochain à vouloir me laisser, il l'avait dit. Il dit qu'il me voulait, mais il allait m'abandonner, mes parents aussi disaient m'aimer, mais ils m'ont eux aussi abandonnée. Je ne suis qu'une épave, juste bonne à être abandonnée au fond de l'océan.

Tout autour de moi s'assombrissait, se vidait et je me retrouvais maintenant par magie toute seule, recroquevillée sur le sol froid chez Félix. L'air était de plus en plus rare et mes poumons brûlaient de ce manque. Je ne pouvais littéralement plus respirer et mes doigts froids, tremblaient comme une feuille. La main sur mon torse, j'essayais de calmer ma respiration ainsi que les soubresauts de ma poitrine.

J'entendais mon prénom, mais j'étais trop loin et je continuais de m'enfoncer, il fallait que je remonte mes remparts pour me protéger. Je les avaient baissés trop longtemps.
Je sentais qu'on me déplaçait avant de percevoir une douce chaleur qui se diffusait en moi. Se bien-être intérieur apaisais petit à petit mon remous profond, cette chaleur me dirigeais comme un phare afin que je puisse retrouver mon chemin. J'arrivais dorénavant à entendre cette voix qui faisait faiblement écho dans ma tête.

- Alexandra, revient moi 

Je la tenais serrée tout contre moi, en la berçant, sa joue sur mon torse. Ma petite chose fragile, je lui chuchotais de façon répétitive à voix basse de me revenir, en l'embrassant le dessus du crâne.

Elle a dû penser que je voulais l'abandonner. Pourtant mes mots ne portaient pas vers cette conclusion, mais le problème c'est qu'avec elle, tout pouvait porter à confusion. J'ai été terrifié quand elle s'était immobilisée et que son regard s'était vidé. Il était devenu morne et avait perdu toute couleur comme sa peau. Elle avait peur, et je me suis revu plusieurs mois en arrière, quand je l'avais découverte sous sur une route déserte par une pluie battante, presque morte.

Jamais je ne pourrai l'abandonner.

- Je vais te ramener à ta chambre fît Christopher en se levant avec Alexandra toujours plaquée contre lui.

Retourner dans cet endroit qui m'était familier et être toujours baignée par la douce voix et la chaleur que me communiquait le torse dur d'Angel contribuait à me ramener lentement à l'instant présent. Ma respiration était redevenue normale et les tremblements de mon corps s'étaient eux aussi arrêtés. S'étant aperçu plusieurs minutes plus tard qu'il avait fini par me convaincre de revenir, Angel se leva de son siège et alla m'installer sur le rebord de mon lit avant de repartir s'asseoir devant moi. Je le regardais à la volée, inquiète de la suite que prendrait les choses.

Les jambes croisées et la tête retenue par son index et son majeure, Angel dardait sur moi un regard intense, c'est comme s'il cherchait et parvenait à lire en moi.

- Alexandra, je n'avais aucunement l'intention ou l'envie de t'abandonner.
Elle releva vivement la tête vers moi en me regardant les yeux écarquillés.

- Crois moi mon ange, même si je le voulais je ne le pourrais. Comme je te le disais, je te veux en tant que femme, et je voulais seulement te donner le choix sur le tournant que pourrait prendre notre relation. Je sais que c'était ton premier baisé, et que tu n'avais jamais vécu ce qui s'était passé la nuit dernière.

Ses joues s'empourprèrent et elle rabaissa ses yeux pour se cacher derrière le rideau que formait ses cheveux.

- Regarde-moi Alexandra, lui ordonnais-je doucement la voix neutre.

Elle s'exécuta très lentement avec gêne et honte.

- Tu n'as pas à ressentir de la honte ou de la gêne quand tu es avec moi. Sur le plan des relations entre hommes et femmes tu as encore un grand nombre de choses à apprendre, et je suis prêt à aller à ton rythme et à user de toute la patience nécessaire pour t'apprendre. Cependant je ne prendrai pas cette décision pour toi. Tu es une adulte maintenant et tu dois faire tes propres choix. Voilà pourquoi j'ai décidé de te laisser de l'espace afin que tu puisses choisir si oui, ou non tu voulais, ou si tu penses même vouloir de moi en tant qu'homme.

Elle remit fébrilement une mèche de cheveux imaginaire derrière l'oreille en baissant de nouveau le regard. C'était là un de ses tics nerveux.

- Et ne t'en fais pas, il n'y a pas de bonne, ou de mauvaise réponse, ni de temps imparti pour répondre et encore moins de douloureuses répercussions. Si jamais tu veux partir pour découvrir le monde ou voir d'autres personnes, je respecterai ton choix et je ferai de mon mieux pour t'y aider. On fera tout ce que tu voudras, comme tu le voudras et quand tu le voudras.

De toute manière je n'avais pas le choix, je ne voulais pas la perdre, et pour ça je suis prêt à prendre tout ce qu'elle voudra bien me donner d'elle.

Je suis même prêt à accepter l'idée de n'être qu'un petit maillon dans sa vie, pourvue que j'en fasse juste partie.

- Je suis sûr que quand tu te décideras, tu trouveras un moyen, même silencieux de me le faire savoir. Et encore une fois, Alexandra, peu importe la décision que tu prendras, sache que je serai toujours là pour toi, acheva Christopher en la gratifiant d'une caresse, et d'un léger baisé sur la joue, avant de quitter la pièce prestement.

Il ne fallait pas qu'Alexandra voit à quelle point cette décision l'affectait.
Il était en train de jouer à quitte ou double car elle pouvait profiter de cette pose limite illusoire pour néanmoins lui échapper. Mais il osait le tout pour le tout. Il savait que la jeune femme avait aimé le moment intense qu'ils avaient partagés hier nuit, mais il fallait qu'elle s'en rende compte par elle-même. Elle devait mettre de l'ordre dans ses émotions, et s'ouvrir à lui. L'accepter en tant que partenaire serait premièrement le signe qu'elle voulait se relever, et se serait le deuxième signe qu'elle avait suffisamment confiance en lui pour l'aider à reconstruire une vie, avec lui dedans cette fois-ci.

Cependant ce n'est pas parce qu'il allait lui donner du temps pour réfléchir, que cela voudrait dire qu'il n'allait pas tout faire pour influencer sa décision afin que la balance penche en sa faveur. Il voulait l'amener à se remettre debout, éradiquer ses peurs, effacer un tant soit peu toutes ses douleurs, la faire rire, lui montrer tout ce qu'il y'avait de beaux dans l'univers, et lui faire comprendre qu'elle pouvait, et avait droit à ce bonheur également. Il voulait prendre soin d'elle, car même si Alexandra était brisée, qu'elle réclamait une constante attention, et même si le fait d'être son partenaire dans la vie ne serait pas de tout repos, être avec elle le rendait vivant, et perdre ce nouveau souffle de vie était inconcevable aux yeux de Christopher.