CHAPITRE XLVIII
Bercée par les légers remous de l'eau sur la coque du bateau, j'ouvris les yeux en toute douceur. Encore une fois, je constatai que j'étais couchée toute seule, Angel était parti comme d'habitude. Allongée sur le ventre, la main posée à l'endroit où il avait dormi, je regardais l'oreiller qui portait encore la marque de son passage, et l'envie de le sentir me pris. Chose bien-sûr que je ne fis pas. Aujourd'hui c'était le dernier jour de l'année, et mon deuxième jour en tant que Madame Walstein. Tout comme la veille, cette remarque, m'arracha mon premier sourire de la journée.
- Bonjour ma petite marmotte. J'ai cru que tu ne te réveillerais jamais.
Je sursautai de surprise quand sa voix m'interpella. Ici aussi, il n'avait pas abandonné cette habitude qu'il avait de me regarder dormir. Chaque matin depuis quelques temps, je le retrouvais toujours assis dans un coin de la pièce à me regarder dormir. Il me regardait comme s'il se retenait d'agir. En un sens, je trouvais ça attendrissant, mais de l'autre côté, j'avais aussi la désagréable impression qu'il me fuyait. Mais peut-être que je me trompais, et que je me montais des scénarii pour rien. Après tout, on ne fuit pas une personne en l'épousant.
- Bonjour, murmurais-je en me retournant complètement.
Confortablement installé sur une chaise, il me regardait d'un air sérieux, comme s'il pesait le pour et le contre d'une décision. Il était vêtu de sa tenue habituelle, à savoir, être superbement bien emballé dans son costume trois pièces bien coupé. Les jambes croisées, avec l'index qui lui caressait distraitement la lèvre supérieure, il me fixait silencieusement.
- Es-tu heureuse avec moi ?
La surprise passée, c'est avec l'incompréhension la plus totale que je regardais dorénavant Angel les sourcils froncés.
- Tu me poses déjà cette question après seulement deux jours de mariage ? Tu ne trouves pas que c'est un peu tôt ?
Il ne saisit pas la perche que je lui tendais. Ses yeux gris perçant attendaient patiemment que je lui donne la réponse. Petit à petit, son masque d'impassibilité tombait et je voyais sa vulnérabilité. Il avait peur. Mais de quoi pouvait-il avoir peur ? Le voir ainsi me comprimait la poitrine. Comment pouvait-il penser une seule seconde que je n'étais pas heureuse.
Je quittai sans délicatesse le lit, en manquant de me tordre la cheville avec les draps. Et avec un pas assuré, je me dirigeai vers lui. Son regard n'avait en rien perdu son intensité au contraire, il brillait d'une lueur que j'avais vu une seule fois. Et c'était quand il me parlait de la perte de son frère.
C'est donc ça le problème...
Maladroitement, je pris place sur lui, en le forçant à déplier ses longues jambes. Je me blotti contre lui sans un mot, son corps était tendu. L'intérieur de ses bras fermes, était chaud, je me sentais en sécurité. Il m'enlaçait comme une barrière. Les yeux fermés et la main reposant contre son torse, j'écoutais les battements irréguliers de son cœur, battements qui sonnaient comme une douce musique à mon oreille.
On est restés ainsi, sans se parler pendant je ne sais combien de temps, comme quand on le faisait il y a quelques jours. J'avais même l'impression que c'est dans ce silence qu'on se comprenait le mieux. Quand je sentis sa poitrine se relâcher, et ses pulsations revenir à la normale, je me décalai pour lui faire face. Et avec une lenteur délibérée, je posai mes lèvres sur les siennes. Et comme à chaque fois, je ressentais une explosion de sensations partout dans mon corps. C'est la première fois que je prenais ainsi l'initiative de l'embrasser sans qu'il n'y soit pour rien. Il allait à mon rythme, le baiser était lent et doux, mais ça suffisait pour me mettre dans un état d'avidité.
J'y mis fin après quelques secondes pour le regarder dans les yeux. Ils brillaient désormais de désir, mais il y'avait également la même lueur d'incertitude qui y planait.
- Je suis plus qu'heureuse. Chaque instant passé à tes côtés est un délice Angel, n'en doute jamais. Je suis à toi, et je suis heureuse de l'être, et rien ne viendra changer cela, tout comme rien ne me séparera de toi. Je ne le permettrai pas, et je sais que toi non plus tu ne le permettras pas. Souffla Alexandra avant de l'embrasser de nouveau à la commissure des lèvres.
Satisfait, il expira légèrement l'air bloquée dans ses poumons, puis son regard s'éclaira, et il me fit un magnifique sourire qui me coupait la respiration. J'effleurai son visage, puis ses cheveux soigneux, et comme un mime, je lui fis à mon tour mon plus beau sourire.
- Je veux t'amener quelque part, il faut que je te présente à quelqu'un, avant qu'on ne s'en aillent pour ta lune de miel. Déclara-t-il d'un air devenu subitement sombre avant de se lever en me soulevant avec lui sans difficulté.
La neige recouvrait tout le paysage devant moi, en passant des arbres jusqu'au sol. Quand Angel a dit vouloir m'amener quelque part, jamais je n'aurais pensé qu'il s'agissait d'un endroit pareil. La main calée bien au chaud dans la sienne, je le suivais à travers le cimetière. Les lieux, en plus d'être recouvert de neige, avaient aussi revêtus le silence alourdissant qui accompagne l'hiver. Seuls les petits bruits que faisaient nos pas dans la neige, venait le troublait de temps en temps. La poigne d'Angel sur ma main devenait de plus en plus forte, jusqu'à ce qu'il s'arrête devant une pierre tombale, elle aussi recouverte de neige. Il n'y avait aucune fleur sur cette tombe, on n'avait même l'impression que personne ne venait jamais ici, et à cause de la poudre blanche, on ne voyait pas le nom qui y était marqué. Il ne disait rien, mais je savais qui était enterré ici. J'étais très bien placée pour savoir ce qu'il ressentait en ce moment. Sa tristesse me faisait également souffrir. C'est comme si sa perte était aussi la mienne. Je retirai ma main de la sienne, sous son regard interrogateur. Je m'avançai ensuite d'un pas et je m'accroupis pour déblayer à la main la neige qui recouvrait la pierre. Le froid me piquait la peau en rougissant mes doigts dorénavant engourdis. Ma tâche terminée, je pu enfin voir le nom qui y figurait.
Christophe A. Walstein.
A cause de la ressemblance avec celui d'Angel, ça me faisait bizarre de lire le nom qui y était inscrit. Toujours accroupis près de la tombe, je retirai la fleur que j'avais dans les cheveux pour la déposer sur le haut de la pierre, avant de me relever. Angel n'avait pas bougé, mais il me regardait de plus en plus surprit.
- Tu ne nous présentes pas, me demanda Alexandra avec un léger reproche dans la voix.
Cette fille était surprenante. Le ton de reproche qu'elle utilisait n'était pas feint. Après avoir nettoyé la pierre tombale, elle se plaignait sérieusement que je ne la présente pas à Christophe, mon jumeau mort. Je la regardais mais je n'en revenais pas. Ses yeux colorés me scrutaient en attendant que je fasse les présentations, mais je n'y arrivais pas. Depuis sa disparition, je n'avais jamais réussi à parler à haute voix à Christophe ou même parler de lui. Hormis à John et à Alexandra, je n'avais plus dit son nom à haute voix.
- Bonjour Monsieur Walstein, je m'appelle Alexandra Walstein, je suis l'épouse d'Angel, on s'est mariés il y a deux jours. C'est lui qui devrait normalement faire les présentations, mais aujourd'hui il est un peu timide. Ne l'en veux pas, c'est parce que c'est pas facile pour lui de te voir ainsi.
Les doigts joignent devant elle, Alexandra se comportait comme si elle entretenait une vraie discussion, avec une personne vivante, elle avait réussi à instaurer une ambiance d'une vraie conversation avec Christophe. La manière qu'elle avait de lui parler, créait chez Christopher l'illusion d'avoir son frère avec lui, illusion qui le réchauffais un peu. Il sentait que le poids qu'il avait sur le cœur s'estompait légèrement, et les poings qu'il gardait serrés commençaient à se relâcher, tout comme la tension sur ses épaules. Mais il gardait toujours l'impression de ne pas avoir sa place ici.
- Angel, tu ne vas quand même pas repartir sans dire un mot à ton frère, l'interrogea-t-elle quand il s'apprêtait à tourner les talons.
- Alexandra, il est mort et ce n'est qu'une tombe, répondit Christopher avec un ton dure.
Elle me regardait avec un air triste et immédiatement je me senti coupable de l'avoir parler sur ce ton. Ce n'était pas de sa faute s'il était mort.
- Ce n'est pas parce qu'il est mort que tu ne peux plus lui parler. Et si cet endroit ne signifiait plus rien pour toi tu ne m'y aurais pas amené. Je sais que ce n'est pas une chose que l'on peut comparer, mais toi au moins tu as un endroit où te recueillir, moi je ne sais même pas ce qui est advenu des corps de mes parents.
Elle ne criait pas, mais je sentais du reproche, de l'impuissance et une profonde tristesse dans sa voix tremblante. Je la pris dans mes bras en lui murmurant quelques mots d'excuses, avant de nouveau faire face à la tombe.
- Bonjour Chris, lâcha difficilement Christopher à l'intention de son frère.
Ça fait des années que je n'ai pas prononcé ce surnom, surnom que ce dernier n'a d'ailleurs jamais apprécié.
- Je suis désolé de n'être pas venu te voir depuis toutes ces années. Ce n'est pas digne de la part d'un frère jumeau, mais je ne me suis pas encore remis de ta..., de ton départ. Tu vois, je n'arrive même pas à utiliser le mot approprié, je parle de départ, comme si un jour j'allais te voir revenir avec une de tes fameuses inventions, ajoutais-je après un rire bref, qui n'avait rien avoir avec de la joie. Depuis ton départ, la société s'est plutôt pas mal développée, et il y a eu aussi pas mal de grands changements dans ma vie. J'ai maintenant, plus que jamais besoin de toi, mais je fais avec. Quand j'y songe, il y'a quelque temps je me disais que j'ai à la fois gagné et perdu notre pari, vu que je me suis marié en premier, mais en tant que le mauvais perdant que je suis, tu sais bien que je ne tiendrai pas mon gage. Je n'aurai pas besoin de le faire d'ailleurs.
Plus je parlais et moins j'avais envie de m'arrêter. Contrairement à ce que je pensais, j'avais beaucoup de choses à dire. Et étonnamment, lui parler me procurait une certaine forme de satisfaction même si je sentais toujours que je n'avais pas à être dans ce cimetière et encore moins devant cette tombe. Concentré, je n'avais pas remarqué qu'Alexandra avait fait quelques pas en arrière pour me laisser une certaine intimité. Je me retournai vers elle, et lui tendis une main qu'elle saisit.
- Désolé aussi pour mes mauvaises manières. Elle s'appelle Alexandra c'est une femme formidable, et c'est la mienne, tu l'aurais sans aucun doute apprécié. C'est la bonne Chris.
Et oui, je te promets de prendre soin d'elle et de ne pas jouer au con.
Il dit cette dernière phrase en me regardant dans les yeux, avant de m'embrasser tendrement.
- Pas devant ton frère Angel, s'indigna Alexandra en mettant fin au baisé.
- Il m'a déjà vue dans des situations bien pire que ça, n'est-ce pas Chris ? plaisantais-je en souriant.
Elle vira au rouge pivoine en baissant la tête. Je ris de sa gêne en l'entourant de mes bras. L'ambiance était devenue plus légère, et j'étais moi-même plus léger.
- Je sais que ça ne me concerne pas mais que penses-tu de le déplacer au manoir ? C'est plutôt là qu'est sa place.
- Je vais y réfléchir. Il faut qu'on y aille, tu dois te nourrir.
- Angel, je ne suis pas une enfant, en plus je n'ai pas vraiment faim. Se plaignis Alexandra maintenant que sa voix le lui permettait.
- D'ici qu'on se trouve un restaurant tu auras un petit creux. Contra-t-il en me prenant par la main.
Mais pourquoi, je n'obtiens jamais gain de cause avec lui ?
On était en partance pour la sortie du cimetière quand Angel s'arrêta. D'un air irrité, il retira son téléphone de la poche de son grand manteau bleue nuit. Il devait être sur vibreur parce que je ne l'ai pas entendu sonner. Il fixa l'écran puis décrocha les sourcils encore plus froncés d'agacement.
- Qu'est-ce qu'il y'a Irina, je croyais avoir été bien clair sur le fait que je ne voulais pas être dérangé pendant quatre semaines, à moins que ça ne soit un cas de vie ou de mort. Est ce qu'on est dans ce cas-ci ?
Soudainement, j'avais l'impression d'avoir affaire à une autre personne. Outre son agacement, sa voix avait pris un ton détaché et plus froid que la normale.
- Un imprévu sur quoi?
...
- La réponse est non, et dîtes le à tous ceux qui attendent derrière vous.
Il raccrocha sans aucune autre forme de politesse. Et à peine qu'il rangea l'appareil dans sa poche, qu'il le fit sortir aussitôt. Il regardait de nouveau l'écran en hésitant à donner suite ou pas. Après quelques secondes passer à observer l'appareil bourdonner, il se décida finalement à répondre.
- Comme je l'ai dit à Irina il y a à peine quelques secondes, la réponse est non.
...
- Je suis en lune de miel et je veux donc prendre ces quelques semaines pour m'occuper de ma femme. Est-ce trop demander pour un homme qui n'a jamais pris de congés ?
...
- Non John pas même pour ce que tu me proposes.
Tout comme avec l'appel précédent, il raccrocha quand lui, avait fini de parler. Après le téléphone d'Angel se fut le tour du mien. Je ne savais même pas que je l'avais sur moi. C'est sans doute lui qui l'avait mis dans ma poche ce matin. Je mis quelques temps à le retrouver et je vis que c'était John. Avec hésitation, je pris l'appel.
- Allô ?
- Bonjour la jeune mariée, comment vas-tu ?
- Bonjour, je vais bien et toi ?
- On fait aller, et encore félicitations pour ton mariage.
- Merci.
Un léger silence s'installa entre nous. Je décidai alors de reprendre la parole.
- Je doute fort que ce soit uniquement pour me féliciter que tu m'as appelé.
Il rit un bref instant avant de me répondre. Pendant ce temps, les yeux d'Angel lançaient des éclairs. Il ne supportait pas d'être mis en marge de la conversation.
- Et tes doutes sont fondés. Je voulais te voler quelques heures de ta lune de miel.
- Je ne te comprends pas.
- Ce soir il y a un important dîner gala, auquel ton mari doit se rendre, mais il dit non, parce que vous devez partir pour votre lune de miel.
C'est donc ça l'objet de ses conversations téléphoniques de tout à l'heure.
- Mais je ne vois pas en quoi je peux aider.
- Je voudrais si ça ne te dérange pas bien-sûr, que tu lui demandes de repousser votre départ à demain.
J'eus un rire bref en l'entendant parler.
Mais il est drôle celui-là. Il pense réellement qu'Angel va m'écouter si je lui dis ça. Déjà que je ne suis pas capable de lui faire comprendre que c'est à moi de choisir mes heures de sommeil, comment veut-il que j'arrive à le convaincre d'aller à une soirée à laquelle il dit non.
- John, tu le connais depuis bien plus longtemps que moi, et tu sais bien que personne n'a d'emprise sur ses choix. Chuchotais-je les joues rouges qu'Angel ait à entendre ma réponse.
Et cette fois-ci, c'est John qui se marra. Il riait comme si je ne savais pas de quoi je parlais.
- Alexandra, tu es bien la seule à pouvoir faire plier le fougueux Christopher Walstein, pour preuve, tu as réussi à obtenir de lui le mariage sans même avoir eu à demander.
Je l'écoutais de moins en moins convaincue. Ça se voit que c'est lui qui se trompe. Je n'ai jamais réussi à amener Angel là où il ne veut pas aller. Les rares fois où j'ai essayé ça s'est soldé par une défaite. Il est plus têtu qu'une mule.
- Essaie au moins, ajouta t'il en sentant mon hésitation. Il n'aura pas à rester longtemps, juste une apparition et sans trop de paparazzi. Il doit y aller parce que si les bruits selon lesquels il sera à ce dîner circulent, cela fera venir plus de bailleurs de fonds, et on pourra avoir une plus importante levée de fonds. Fonds qui seront bien-sûr reversés à une œuvre de charité.
- Mais ce n'est pas moi que tu dois convaincre.
- Je sais, mais si je te convaincs toi, tu pourras le convaincre lui. En plus c'est pour construire des centres, afin de venir en aide aux enfants dans les quartiers défavorisés. Aller Alexandra, je sais que tu ne veux pas que ces derniers, au-lieu d'aller à l'école, aillent s'enrôler dans des gangs où il serait certain qu'ils se feront tuer.
Il est en train de jouer sur ma corde sensible. Bien-sûr que je préfère les savoirs dans une école plutôt qu'armés dans la rue.
- D'accord je vais voir ce que je peux faire, soufflais-je avec résignation, pendant qu'Angel ne quittait pas mon visage des yeux en soufflant d'agacement.
- Très bien donc à ce soir alors, finit-il en raccrochant immédiatement.
Comment ça à ce soir, mais moi je n'y vais pas !
Je remis le téléphone dans ma poche avant de relever les yeux vers Angel.
- La réponse est toujours non, Alexandra Affirma-t-il de prime abord.
Qu'est-ce que John disait déjà ? Ah oui que j'étais la seule à pouvoir le faire plier ? Eh bien ce n'est qu'une pure utopie. Mais vu que j'ai donné ma parole il faut au moins que j'essaie, même si je connais déjà l'issue de cette discussion.
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