CHAPITRE XLIII
En dépliant la feuille, Alexandra s’attendait à lire une longue lettre, mais c'était sans compter sur l'esprit de concision de Christopher. Il n'a jamais été homme à tourner autour du pot, et ce n’était pas demain la veille que cela allait changer. La feuille ne comportait qu'une et une seule phrase écrite d'une main que l’on pouvait qualifier de tout, sauf d’hésitante.
Elle la lisait et la relisais plus d'une dizaine de fois dans sa tête, mais elle n'arrivait pas pour autant à y croire. Pour être honnête, elle ne la comprenait pas. Bien-sûr elle en saisissait le sens, mais c'est le pourquoi et le comment qui lui échappaient.
Moi qui voulais avoir de quoi réfléchir, et bien là, je suis plus que servie.
Elle avait abandonné son lit pour dorénavant faire les cents pas dans la chambre. La feuille coincée entre le pouce et l’index, Alexandra tournait en rond, la main sur le front. Si ça ne tenait qu'à elle, elle saurait déjà quoi faire. Mais elle ne pouvait pas faire ça, sans que lui soit au courant de toute la vérité. Pas après tout ce qu’il avait fait pour elle. C’est pour cette raison qu’elle n'avait d'ailleurs pas regardé à l'intérieur de la deuxième boîte qui se trouvait dans le coffret.
Angel ne savait pas réellement qui j’étais, il ne savait pas ce que j'avais fait, ce que j'avais subi. Dis-lui tout et vois ce qui va se passer. Conseilla la petite voix dans sa tête.
Alexandra s’arrêta nette au milieu de la chambre en regardant pour la énième fois la phrase qui se trouvait sur la feuille. Les doigts tremblants, elle la rangea dans le coffret, et parti en direction du bureau de Christopher. Depuis plus de cinq minutes, qu’elle fixait l'élément en bois renforcé qui faisait barrage entre Christopher et elle, sans pour autant avoir la force de frapper. Après quelques instants d'hésitation, elle prit une nouvelle inspiration, et poussa la porte sans même taper. Christopher releva vers elle un visage agacé, avant de se détendre quand il vit qui était celle qui le dérangeait. Ses yeux surpris glissèrent par la suite sur la boîte qu’Alexandra serrait contre elle. Il ne pensait pas qu’elle allait l'ouvrir de sitôt. D'un pas lent, Alexandra s’avança jusqu'à son bureau pour déposer l'objet devant lui, changeant ainsi le regard surprit de Christopher en un regard triste et déçu. Sans qu'il ne l’y invite, Alexandra s’installa sur la chaise qui lui faisait face, couvée par ces yeux interrogateurs qui attendaient une explication à son comportement.
- Je…je suis venu te raconter une histoire, entama-t-elle sans préambule.
Christopher la regarda intensément pendant quelques secondes, puis referma le document sur lequel il travaillait, avant de se rasseoir confortablement sur sa chaise. Il ne souffla pas un seul mot, mais son regard et la position qu'il avait maintenant adoptée, lui disaient qu’elle pouvait continuer. Mais maintenant qu’elle pouvait le faire, Alexandra se mit à douter de la pertinence de ce qu’elle s'apprêtait à faire, après tout, elle pouvait se taire et lui cacher certaines choses. Cependant, bien que cette alternative soit tentante, elle savait aussi que vu qu’elle était en face de lui, il était dorénavant trop tard pour faire marche arrière. Elle ferma ses yeux afin de calmer sa respiration, et les battements saccadés de son cœur, puis quand elle sentit que sa décision était ferme, elle se jeta à l'eau.
- Il était une fois, une petite fille de douze ans, qui en dépit des problèmes d'intégration que lui posaient la couleur étrange de ses yeux, avait néanmoins une belle vie. Les enfants la fuyaient comme la peste, ou étaient désagréable avec elle. Elle n'avait pas d'amis, et ne possédait que l'amour de ses parents. Elle était donc très proche de sa mère, de qui elle tient la couleur verte de ses yeux, ainsi que sa peau laiteuse. Mais elle était encore plus proche de son père, de qui elle a hérité ses yeux bleus. Cette petite fille s'appelait Alexandra Nicole Smith, et sa mère avait pour usage de l'appeler Alexa. C'était une fillette très timide, mais assez mature pour son âge, on pourrait même dire qu'elle l'était d'ailleurs un peu trop. Alexandra était le genre de personne qui rationalisait tout ce qu'elle voyait, de sorte à pouvoir contrôler l'impact qu'avait les évènements sur elle. Elle ne parlait pas beaucoup, mais sa voix se faisait clairement entendre dans toute la maison, quand il s'agissait qu'elle aille se faire couper les cheveux.
Et un jour, plus précisément le deux juin, sa mère et elle avait fait un pacte, si jamais elle réussissait à préparer à elle seule son gâteau d'anniversaire, elle pourrait avoir la liberté de ne plus jamais se couper les cheveux. Mais si elle échouait, elle allait aller le lendemain même pour la première fois chez le coiffeur, pour diminuer la longueur de ses cheveux volumineux et aussi les teindre afin qu'ils perdent leur aspect rouge sang. Sa mère pensait que si jamais elle avait les cheveux bruns, ou châtain foncé, elle pourrait être perçu comme l'adorable enfant qu'elle était, et non comme un monstre aux cheveux excessivement roux, et aux yeux à la fois vert et bleu. Pour alors garder l'apparence qu'elle avait, la petite fille s'attela à réussir son gâteau. Mais à dire vrai, la grande partie du travail avait été fait en cachette par son père, qui ne voulait pas que sa fille ait à changer pour être acceptée. Selon lui, c'est le monde qui devait changer pour s'adapter à elle, et pas le contraire. Le soir donc, toute la famille était attablée pour le diner. Mais étant donné que c'était l'anniversaire d'Alexandra, elle avait décidé que ce soir, ils allaient manger le dessert avant le repas de sa mère. Bien-entendu cette dernière avait compris depuis le début, que sa fille n'avait pas pu faire le gâteau elle seule, mais elle jouait à l'étonnée.
Alexandra me parlait de sa voix basse et claire. Le regard perdu dans le vide, avec un ton plein d'amertume et nostalgique, elle me mettait dans l'ambiance de sa vie il y a dix ans. Elle souriait parfois quand un souvenir joyeux lui revenait. Puis lentement, sa voix bien qu'étant comme un souffle, devînt plus âpre et son visage triste, passait de la peur à la haine. Je ne supportais pas de la voir dans cet état.
- Les douze bougies placées sur le gâteau, Alexandra regardait d'un air heureux, le sourire aux lèvres, ses parents lui chanter un joyeux anniversaire. Mais à peine qu'elle eut soufflée sur ses bougies, que plusieurs hommes débarquèrent dans un grand fracas dans la salle à manger. Son père voulut la cacher sous la table, mais les hommes l'arrachèrent à la protection de sa famille pour la jeter quelques mètres au loin. Un des hommes dit à son père, " de la part de qui tu sais ", puis il pointa son arme sur David Smith, et tira sans pitié. Se rendant compte de ce qui allait suivre, la mère essaya de protéger sa fille, mais elle fut arrêtée par un des hommes, puis rouée de coups. Choquée par le spectacle macabre, la petite fille n'avait même pas été capable d'entendre toutes les dernières paroles de Cassandra sa mère, quand le deuxième coup de feux de la soirée retentit. Elle avait ensuite assistée à l'incendie de sa maison avec les corps de ses parents à l'intérieur. Durant tout ce temps, Alexandra avait tout observer sans bouger, son petit cerveau essayait en vain de rationaliser les choses. Faute de pouvoir y arriver, elle se referma littéralement à tout ce qui l'entourait, parce que cette réalité était devenue trop dur à comprendre pour une enfant de son âge. En une nuit, et du haut de ses douze ans, elle avait assisté à l'assassinat de ses parents, ainsi qu'à celui de leur meurtrier, car le commanditaire lui en voulait d'avoir épargner la gamine. Et c'est là que la petite fille a décidé de ne plus laisser un quelconque son sortir de ses lèvres qui seront dorénavant et pour toujours scellées. C’était une manière de se protéger, une manière d’avoir un certain contrôle sur sa vie.
La voix triste se tu quelques instants, avant qu’Alexandra ne referme ses yeux. Sa respiration devenait plus difficile. Le silence était si poignant, et si lourd qu’il aurait pu être coupé au couteau. Christopher avait envie de lui dire qu'elle n'était pas obligée de continuer. Mais il savait également qu'elle avait besoin de mettre sa voix sur ce qu'elle avait subi, maintenant qu’elle avait fait le choix de revenir dans le présent. Les poings serrés, Christopher s'efforçait du mieux qu’il le pouvait, à rester impassible sur son siège, de ne pas passer par-dessus la table pour la prendre dans ses bras. Les trait de son visage restaient impassibles, et son calme apparent dissimulait en réalité un brasier ardent de colère, qu’elle ne devait pas voir au risque de se taire. Il devait rester imperturbable, encore plus maintenant qu’il pressentait avec juste raison qu'elle était arrivé à la partie de son récit qu’il redoutait. Tant pour elle que pour lui. Etait-elle suffisamment forte pour mettre sa voix sur ce qui allait suivre ?
- La fillette pensait qu'elle serait la prochaine sur la liste, mais par pure envie de se divertir, le nouveau geôlier d'Alexandra, l'avait enfermée dans une petite pièce très sombre, et très sale. Et durant neuf longues années, elle s'était faite battre à tour de main, avec divers objets les uns toujours plus douloureux que les autres. Elle avait été traitée, et nourrit comme un animal. Mais Alexandra ne ressentait plus les choses, comme il se devait. Elle avait enfermé son esprit si loin, que même les douleurs physiques semblaient s’être amenuisées, et c'était tant mieux, sinon, jamais elle ne l'aurait supportée. Elle n'avait plus la notion du temps qui passait, mais chaque année, le jour de son anniversaire, son geôlier venait lui rappeler de la pire des manières que c'était lui qui avait détruit sa vie. Il la traitait de plus en plus mal parce qu'il ne supportait pas le mutisme de sa prisonnière. Puis un jour, celui de sa vingt-unième année, ce dernier a décidé d'épouser cette dernière pour marquer l'apothéose, de toutes ces années de tourments.
Comment on a pu traiter une enfant de la sorte. Quel genre de personne on pouvait être en torturant quelqu'un pendant une décennie juste pour s'amuser ? Imaginer Alexandra dans les conditions dans lesquelles elle me décrivait, me mettait dans une sombre colère. Mes mâchoires me faisaient mal à force d'être si encastrées les unes aux autres. La fureur que je ressentais était bien pire que celle que j'ai éprouvé hier.
- Ce jour-là donc, il fit laver et habiller Alexandra, de telle sorte qu'elle soit présentable pour sa nuit de noce. Mais pour lui ce n’était pas suffisant. Et pour mieux asseoir son humiliation, il décida de coucher avec elle et une fois terminé, il verrait s’il la garderait ou s’il la transformerait en prostituée. Mais Alexandra préférait encore mourir que de passer une seule nuit avec ce porc.
Un grognement d'une colère à peine contenue s'échappa des lèvres frémissantes de Christopher. Même en sachant qu’il n’y pouvait rien, Christopher se détestait lui-même de n'avoir pas été là pour la défendre. Son corps était si tendu par sa rage démesurée, qu'il en tremblait. Les profondes respirations qu'il prenait à intervalles de temps réguliers, ne suffisaient plus à l'apaiser. Et les larmes silencieuses qui coulaient des yeux fermés d'Alexandra n'arrangeaient rien à sa situation. Il allait partir en vrille, et il le pressentait.
- Voilà pourquoi durant cette soi-disant nuit de noce, elle se défendit du mieux qu'elle le pouvait, et le résultat, c'est qu'elle a fini par le tuer par inadvertance. Et c'est ce qui aurait pu également arriver hier à cet homme si jamais elle n'avait pas été trop droguée pour se défendre. Consciente qu'elle se ferait tuer si jamais on la surprenait avec ce corps sans vie, elle s'échappa par une fenêtre ouverte et courus aussi vite et aussi loin qu'elle le pouvait à travers les bois en pleine nuit. Mais plus elle avançait et plus elle se sentait épuisée, et fatiguée de se battre pour un lendemain qui ressemblerait sans aucun doute, à celui dans lequel elle avait vécu. Elle s'effondra alors au milieu d'une route au milieu de nul part, et décida d'abandonner la partie. Elle attendait que les hommes lancés à sa recherche, finissent par la retrouver pour afin lui accorder la possibilité de mourir.
Et c'est là que je l'ai aperçu de ma voiture. Pensa Christopher.
- Mais avant que cette éventualité ne se réalise, elle fut retrouvée par une magnifique paire d'yeux gris. Et quand elle les a aperçus, elle sut qu'elle pouvait enfin souffler, parce que sans même le connaître, elle avait d'ores et déjà confiance en la personne qui lui faisait face.
Je revenais vers des souvenirs plus joyeux. J'ouvris alors les yeux, et du revers de la main, j'essuyai le liquide salé présent sur mes joues, pour ensuite ancrer mon regard dans les pupilles d'un gris profond d'Angel. Il était ma bouffée d'oxygène et il ne savait pas à quel point. En parler était plus dure que je ne le pensais, j'avais l'impression que les mots me déchiraient de l'intérieur en sortant. Mais il le fallait. Avec lui je n'avais plus besoin de me taire, ou de me cacher.
- Les prochains mois qui suivirent, cette personne alla au-delà de toute les attentes d'Alexandra. Il avait été patient, attentif, protecteur, tendre, et compréhensif. Il n'a jamais essayé d'abuser de la situation, même s’il aurait très facilement pu le faire. Cet homme était parfait en tous points. Alexandra ne savait rien de la vie, ni de la manière dont une relation se gérait. Il dut tout lui apprendre, parce qu'elle était encore une femme-enfant. Mais avec lui, elle était bien. Elle ne l'avait jamais sentie moqueur de son ignorance, méprisant ou condescendant. Là où tous auraient fui, lui il était resté. Elle lui faisait entièrement confiance, et lui de son côté, il faisait tout pour qu'elle apprenne à faire de nouveau confiance au monde. En sa compagnie, elle avait connu et ressenti des émotions, et des sensations, dont elle ignorait complètement l'existence. Il l'apprenait à vivre, à devenir une femme. Cet homme était son sauveur, son meilleur ami, son confident même si elle ne disait rien, son protecteur et l'homme qu'elle désirait dans tous les sens du terme. Ne comprenant rien aux choses, Alexandra, pendant plusieurs semaines, avait cru que ce qu'elle ressentait à son égard, était peut-être dû au fait à la nouveauté qu’il représentait, mais plus le temps passait, et plus elle se familiarisait avec ses émotions. Et elle finit enfin par comprendre, que ce qu'elle éprouvait pour cet homme, jamais elle ne pourrait le ressentir pour qui que ce soit d'autre. Elle l'aimait tout simplement, comme une femme aimait un homme. Elle serait prête à donner sa vie pour lui. Et pas seulement parce qu'elle lui est reconnaissante, mais aussi parce qu'il est tout ce qu'elle veut, et possède en ce bas monde. Elle aime chaque aspect de lui. Elle aime quand il est autoritaire mais en lui donnant quand-même un peu de lest. Elle aime son côté abrupt, secret, et têtu. Elle aime quand il lui sourit, et même quand il est en colère, elle aime aussi. Elle aime ce qu'elle ressent, quand il l'embrasse et lui chuchote avec délicatesse des paroles réconfortantes au creux de l'oreille. Elle aime le doux réconfort et les frissons qu'elle ressent, quand il la prend dans ses bras, quand il la touche. Elle aime comment il est tendre avec elle. Elle aime quand il la regarde, comme si plus rien d'autre ne comptait, comme si le monde ne tournait qu'autour d'elle. Elle aime le simple fait de le regarder travailler, dormir ou marcher. Elle aime être folle amoureuse de lui.- Cette personne, c'est moi, et je t'aime Angel. Plus que la vie elle-même, et si après avoir entendu tout ça, tu veux toujours m'épouser, alors sache que la réponse est oui, parce que penser à dire non, n'est pas une éventualité pour moi, lui avouais-je dans un murmure.
Le visage de Christopher gardait son masque d'impassibilité et Alexandra ne savait pas ce qu'il pouvait penser pensait. La possibilité que sa demande ne tienne plus maintenant qu'il savait qu’elle était un énorme chantier en reconstruction, doublée d'une meurtrière, lui déchirait le cœur, mais elle voulait qu'il apprenne tout d’elle, et qu'il sache ainsi dans quoi il s'engageait vraiment.
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