CHAPITRE LXVII
Attirée par la lumière du soleil, j'ouvris difficilement les yeux, et je constatai qu'il faisait jour depuis très longtemps. Je baladai par la suite mon regard dans toute la chambre, en remarquant des détails que je n'avais pas vus hier. Il y'avait une veste qui gisait sur le sol, et non loin de là, une chaise renversée ainsi qu'un verre brisé. Un poids sur ma poitrine me fit ensuite baisser les yeux, et c'est avec un soulagement non dissimulé que je vis qu'il était vraiment là, je n'avais donc pas rêvé.
Il était rentré hier pour moi.
Angel, mon homme...
Sa position n’avait pas vraiment changé. Il était toujours couché sur ma poitrine, avec sa main fermement passée autour de ma taille comme pour m'empêcher de partir. Tout mon corps était ankylosé du fait de n'avoir pas bougé depuis des heures, et d'avoir supporté une grande partie du poids d'Angel, qui était maintenant considérable, vu qu'il dormait. J'avais envie de me mettre correctement sur le lit, mais je ne pouvais pas bouger sans le réveiller. Alors qu'il semblait dormir si bien. Ne pouvant donc aller nul part, et n'ayant rien d'autre à faire, je profitai du fait qu'il semble être profondément endormi, pour observer sans retenue ses magnifiques traits paisibles. C'est d'ailleurs la première fois que je le voyais aussi détendu en dormant. D'habitude on aurait dit que même dans son sommeil, il gardait une certaine tenue de lui-même et un côté dangereux. Mais là, il paraissait vulnérable, mais rien en comparaison de la nuit dernière, qui m'avait laissée voir un homme désemparé, attristé, et cela par ma faute.
Je l'avais fait pleurer.
Poussée par une irrésistible envie de continuer à le consoler de cette tristesse que j'avais causée d'une quelconque manière, je passai mes doigts dans ses cheveux noirs, à la douceur irréprochable, puis sur ses pommettes. Je remarquai qu'il avait encore ses chaussures aux pieds, et portait toujours ses vêtements d'il y a deux jours. Sa chemise était complètement froissée, et elle sortait même du pantalon par endroit. Je m’interrompis dans ma caresse, quand il remua doucement, en frottant involontairement son visage contre mes seins. Il expira en me serrant encore plus par la taille. Il n'allait plus tarder à se réveiller. Avec une certaine appréhension donc, j'attendis patiemment qu'il émerge des bras de Morphée. Ses longs cils noirs virevoltèrent un court moment, avant qu'il ne soulève les paupières pour me chercher du regard, m'emportant ainsi dans un autre monde avec ses pupilles d'un gris électrisant.
Sans un mot, nous nous regardâmes, en sachant que dès lors que l'un de nous parlera, on devra aussi évoquer nos problèmes. Alors que comme ça, on était tout simplement un couple de jeune marié, qui se réveillait dans les bras l'un de l'autre.
- Bonjour, dit-il finalement d'une voix alourdie par le sommeil.
- Bonjour, répondis-je hésitante.
Au bout de quelques temps, il détourna les yeux, et reposa sa tête sur ma poitrine. L'ambiance entre nous, était mi-figue mi-raisin. Je continuais de lui caresser les cheveux, et lui, il jouait avec ma main libre, en traçant des petits cercles sur ma paume, ou en embrassant mes doigts.
Qu'est-ce qui allait nous arriver maintenant ?
Quelle décision avait-il prise ?
Prévoyait-il toujours un avenir pour nous ? Et si oui, à quoi allait-il ressembler ? Enfants ou pas enfants ? Mais s'il ne veut pas d'enfants tout de suite, en voudra t'il quand même un jour ? Et moi dans tout ça ?
Je brûlais d'envie de lui poser toute une foule de questions, dont je craignais d'entendre les réponses.
Paradoxe n'est-ce-pas ?
- Alexandra, commença Angel.
Quand mon prénom eut franchi ses lèvres, mon cœur se mit à battre de façon étrange dans ma cage thoracique. Ça y est. Et comme si le fait que mon cœur joue au yoyo dans ma poitrine ne suffisait pas, mon estomac affamé gargouilla, et mes nausées se firent également ressentir. Je ne su si la défaillance de mon organisme était dû au stress, ou à mon nouvel état, mais je parierai plus pour un mélange des deux.
- À quand remonte la dernière fois que tu as mangé, me demanda t'il en se redressant pour me regarder dans les yeux.
Je baissai les miens.
- Alexandra, gronda-t-il pour me pousser à répondre.
- Avant hier après-midi. Répondis-je d'une petite voix.
Ses traits précédemment détendus reprirent à la vitesse de la lumière leur armure d'acier, pour montrer son mécontentement. Comment voulait-il que j'ai l'appétit avec tout ce qui m'est arrivé ces dernières quarante-huit heures.
- Viens, on va manger, déclara Angel en se levant.
- Ce n'est pas la peine. Je n'ai pas faim.
En fait si, j'avais faim, mais ...
- Ce n'est pas pourtant ce que cris ton estomac.
- Je ne peux pas manger pour le moment, avouais-je alors sans vouloir aller plus loin.
- Pourquoi tu ne peux pas manger ? Tu as un problème ?
Pourquoi avec lui, il fallait toujours aller au fond des choses. Si je donnais mes raisons, on serait obligé d'en parler, et moi j'avais peur des conclusions.
- Alexandra, qu'est-ce qu'il y'a ?
- J'ai des nausées, et si je mange tout de suite je ne garderai rien bien longtemps. Voilà pourquoi. Lui dis-je alors d’une voix éteinte en gardant la tête baissée.
- Qu'est-ce qui est arrivé à ton téléphone, demanda Angel en changeant subitement de sujet.
Surprise, je levai les yeux vers lui, pour le voir regarder mon téléphone fissuré avec une concentration dont je ne compris la raison que plus tard.
Il ne voulait pas en parler lui non plus.
Je me prêtai alors au jeu. S'il voulait qu'on fasse semblant quelques temps ça ne me dérange pas.
- Je l'ai jeté contre le mur quand j'ai fini de lire l'article qui parlait de ton déjeuner avec Katia Spill, et de la supposée relation que vous entreteniez.
Pas très mature, mais bon. Qui pourrait m'en tenir rigueur ?
- Je t'en ferai livrer un autre dans la journée se contenta-t-il de répondre en déposant l'appareil sur la table de chevet.
Il se retourna ensuite et marcha au-devant la baie vitrée. Ses larges, et imposantes épaules découpaient la lumière du soleil. Il passa ses deux mains dans ses cheveux, puis croisa ses bras sur son torse, et le reflet de lui que me renvoyait la paroi de verre, ne laissait voir qu'un visage inexpressif.
- Tu étais sérieuse hier quand tu m'as appelé ?
- Oui répondis-je en comprenant à quoi il faisait exactement allusion.
- Pourquoi tu ferais ça ?
- Parce-que je t'aime et je te fais entièrement confiance. Donc si tu penses que ce n'est pas une bonne idée de mener cette grossesse à terme alors qu'il en soit ainsi.
- Et si je me trompais ?
- Angel, s'il y'a bien une chose que je sais sur toi, c'est que tu ne prends jamais une décision sans avoir au préalable peser le pour et le contre de chaque paramètre entrant en jeux. Donc si ta réponse est négative, je saurai que tu as pris le bon choix pour nous, et je ne t'en voudrai pas. Qu'est-ce que tu as décidé ? Demandais-je alors le cœur au bord des lèvres.
- Je n'en sais rien Alexandra. Je suis complètement perdu, confessa Angel en se mettant face à moi.
- Et dans quel état d'esprit serais-tu si jamais tu prends la décision de ne pas les avoir ?
- J'aurai l'impression de t'avoir trahi, et je ne pense pas que je pourrais me regarder dans une glace, et encore moins te regarder dans les yeux, en sachant ce que j'ai détruit par lâcheté. Et toi, veux-tu les garder ? me demanda-t-il.
Est-ce que j'ai envie de les garder ?
Je n'avais jamais vraiment pensé à la question, ni réfléchi à la situation d'être mère de quatre enfants en même temps. Je suis plus que concernée par cette affaire, mais c'est plus facile pour moi de tout mettre sur épaules d'Angel, que de prendre la décision moi-même.
Est-ce que j'avais envie de les garder ?
Sa question était très simple, mais la réponse plus compliqué.
J'aurai 22 ans dans quelques mois, j'ai pratiquement grandit en captivité, je souffre de stress post-traumatique dont je ne pourrais peut-être jamais en guérir. Alors suis-je capable d'avoir des enfants, et de quadruplets de surcroît ?
Je n'en savais rien.
Qu'est-ce que je pourrais bien leurs inculquer, si moi-même je ne savais rien de la vie. Quel genre de conseils serais-je en mesure de leurs donner quand ils viendront voir leur mère pour des questions sur la vie ? Je suis une novice. Je n'aurais même pas été capable de prendre soin de moi, s'il n'y avait pas eu Angel. Ma tête surchauffait, trop de choses en même temps. Les mains dans la poche, Angel n'avais pas cessé de me regarder. Ce qui ajoutait encore plus de pression à la situation.
- Pour être honnête Angel, je ne sais pas si je suis prête à avoir des enfants, ou bien même si je le serai un jour, par contre, ce que je sais, c'est que j'ai envie d'avoir ces bébés qui sont de toi mon amour, de nous.
Il me regardait avec la même expression indéchiffrable qu'au paravent. Je ne savais pas ce qu'il pensait de ce que je venais de lui dire.
Je voulais bien avoir ces bébés, mais pas si lui ne le voulait pas. Et tout le monde sait qu'on ne peut obliger Christopher Walstein à faire ce qu'il ne veut pas. La seule solution, c'est de lui montrer que c'est une décision qui ne lui serait pas préjudiciable.
-Et toi, qu'est-ce que tu veux, demandais-je une fois de plus ?
Au bout de quelques temps passé à me fixer sans pour autant me voir, son masque imperturbable se défi au fur et à mesure que sa réflexion avançait.
- Te garder vivante, répondit-il tout simplement, avec un regard d'où transparaissait une immense tristesse, et une profonde douleur. Il marcha lentement, et une fois arrivé à mon niveau, il retira ses mains de ses poches, et pris place à mes côtés sur le lit.
- Alexandra, dans ma famille, chaque grossesse donne lieu au minimum à deux bébés, et cela quoi qu'il arrive. Mais le revers de la médaille pour toutes ces vies données, c'est la mort. Pour ne citer qu'eux, mon arrière-grand-père était un triplé, mon grand-père et ma mère eux, étaient venu au monde en binôme, moi également. Et n'importe qui au vu de toutes ces naissances, pourrait dire que notre famille devrait être très grande, cependant il n'en n'est rien. Quand ce ne sont pas les accidents, ce sont les maladies qui déciment la famille Walstein, et cela depuis des générations, de telle sorte qu'aujourd'hui, je suis le dernier de ma lignée. Ce sont d'ailleurs toutes ces raisons qui m'ont poussées à éviter les relations amoureuses, ou bien même toute envie de procréer. Je ne voulais pas que cette malédiction qui frappait ma famille, fauche quelqu'un d'autre par ma faute. Cependant la nuit où je t'ai trouvée presqu'inconsciente sur cette route, j'ai su que l'une de mes règles serait brisée, car pour rien au monde je ne comptais te laisser partir. Tu es entrée dans ma vie tel un boulet de canon, et chaque jour je craignais que quelque chose ne t'arrive. J'ai donc mis tout un mécanisme autour de toi pour garantir ta sécurité et ton bien-être. Les semaines passaient, et tous les moments que je passais avec toi me faisaient oublier cette perspective. Je me suis dit que la mort de Christophe signait peut-être la fin de cette série de tragédie. Et voilà, que dès que je croyais que la malédiction était brisée, j'apprends que celle qui était devenue mon tout, est enceinte de quadruplet, et que c'est une grossesse très risquée, qui pourrait la tuer, elle et tous les bébés. Alors qu'est-ce que je dois faire ? Faire confiance à un destin qui n'a pas arrêté de décimer ma famille, en espérant qu'il ait pitié de moi, ou bien, je décide de jouer la carte de la prudence, même si ça va me détruire si jamais je me trompe ? Alors dis-moi, Alexandra qu'est-ce que je suis censé faire ?
Je comprenais maintenant pourquoi il avait réagi de la sorte quand il avait appris que j'allais avoir des bébés. Et je comprenais encore plus son besoin de contrôler mes faits et gestes. Nous avions tous les deux le même problème. Moi je vivais en pensant que lui me quitterait et que cela allait me tuer, et lui, il vivait en pensant que dans un avenir proche j'allais mourir, et que cela allait le détruire lui. Et pour lui vivre cette grossesse risquée, serait un moyen d'accélérer la réalisation de cette possibilité.
Donc il veut avoir ces bébés, mais pas si ça va me tuer.
Angel me regardait en attendant réellement que je lui apporte la réponse à son dilemme. Entre refuser de vivre par peur de souffrir, et vivre avec la conviction que dans un jour très proche, tout ce que tu chéris le plus pourrait t'être retirer pour toujours, je ne savais que dire.
Je connaissais d’ailleurs très bien cette situation.
- Si tu ne peux pas faire confiance au destin, alors fais-moi confiance Angel. Tout comme tu m'as promis de ne jamais me quitter, moi Alexandra Walstein, je ne peux pas te promettre de ne jamais mourir, en revanche, ce que je peux faire, c'est de te promettre aujourd'hui, et en cet instant, de ne pas me laisser mourir tout de suite. Je vivrai cette nouvelle pensée, et je ferai de tel sorte que cette promesse s'inscrive également dans l'ADN des bébés que je porte.
- Alexandra...
Je posai ma main sur sa joue, et mis mon regard dans le sien.
- Tu sais que survivre est pour moi une deuxième nature, et je lèguerai ça aux enfants. Toi et moi nous vivrons très vieux, et nous mourrons rassasiés et heureux, après avoir rencontrés nos petits enfants jusqu'à la deuxième génération au moins.
Il me regardait très peu convaincu.
- Nous avons tous les deux côtoyés la mort Angel. Et chaque année, le jour de nos anniversaires respectifs, elle n'hésite pas à nous rappeler qu'elle est la cause de notre plus grande souffrance. Voilà pourquoi aujourd'hui, je crois qu'il est temps pour nous, de renégocier notre contrat avec la vie, pour obtenir de meilleurs conditions pour notre famille. Ça te va ?
Angel récupéra ma main, et posa un baisé au creux de mon poignet, avant d'acquiescer les yeux fermés.
- Donc à partir de maintenant, la vie nous donnera plus de temps à partager ensemble, et en retour nous promettons de la respecter, et de la vivre pour de vrai, en chérissant chaque moment passé ensemble. Ce nouveau contrat durera tant que la famille Walstein, et toute sa nouvelle descendance, tiendra sa part du marché.
Angel acquiesça une deuxième fois en gardant ma paume contre ses lèvres. Je lui posai alors la question qui clôturerais cette discussion :
- Donc..., nous aurons dans sept mois et demi nos bébés ?
Il prit une grande inspiration avant de me répondre, ouvrit les yeux pour me fixer intensément pendant quelques temps.
- Oui Alexandra, dans environ sept mois et demi, nous serons les heureux parents de quatre magnifiques bébés.
Je vis dans ses yeux qu'il hésitait, mais j'y voyais également qu'il avait décidé d'essayer. Tout comme il avait pris le risque de m'aimer, il allait également prendre le risque de donner leur chance à la nouvelle génération de Walstein que je portais en mon sein. Par cette présente promesse, je promettais également de toujours tout faire pour nous garder en vie. Eux et moi.
Il n'était plus donc question de penser au suicide, que je gardais comme dernière carte, pour le jour où Angel me quitterait.
- Tu vas être papa, chuchotais-je en lui faisant un magnifique sourire confiant.
Angel me sourit à son tour en me m'effleurant la joue dans un geste tendre.
- Et toi tu seras bientôt maman, répliqua t'il sans me quitter des yeux.
Je rougis de plaisir. Cette constatation me procura une belle, et vibrante vague de bonheur. Celle que j'aurais dû ressentir en apprenant ma grossesse.
- Oui, et à nous deux, nous ferons de merveilleux parents Angel, assurais-je d'une voix douce.
Angel acceptait petit à petit l'idée de devenir parent, et moi aussi. J'avais dorénavant la ferme conviction que tout irait pour le mieux. L'arrivée de ces enfants était un cadeau de plus que la vie nous offrait.
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