CHAPITRE IX
Perdue aux abords de la conscience, je sentais que le brouillard dont j'étais entouré s'estompait peu à peu. Je parvenais dorénavant à entendre une voix rauque, qui étonnamment arrivait à m'apaiser. Cette voix appartenait à un homme, de ça, j'en étais certaine.
Plus le temps passait, et plus je me rapprochais doucement du bout du tunnel sans pour autant en voir la fin. J'avais l'impression d'avoir été lestée à du plomb, puis jetée au fond de l'océan. Même un bébé dans le sein de sa mère avait plus de motricité que moi à cet instant. Emprisonnée ainsi dans mon propre corps, je m'efforçais de le faire mouvoir, mais ce dernier ne me répondait pas normalement. Mes paupières, elles, toutes aussi lourdes que l'était le reste de mon corps, ne pouvaient être déployer correctement, ni même soulevée.
Réveille-toi !
Mes globes oculaires dansaient avec acharnement sous mes paupières, mais rien de plus ne se produisait. Après plusieurs essais tous infructueux, je réussis finalement à relever le rideau de mes yeux pour immédiatement les refermer, attaquée par les rayons lumineux.
Tout était si calme...
Consciente, mais gardant les yeux clos par contrainte, je pris quelques secondes, puis réessayai, en forçant mes yeux à s'habituer à cette intense exposition lumineuse. Ma première image était très floue, et je n'arrivais pas à garder les yeux ouvert plus de cinq secondes à cause du marteau piqueur qui semblait avoir soudainement élu domicile dans ma tête.
Pour la première fois depuis longtemps, je sentais que tout mon être baignait dans une étrange sérénité, et quelque chose me chuchotais que je pouvais garder les yeux fermés, et me rendormir, mais je ne supportais pas de ne pas savoir ce qui se passait. Aussi, pour pousser mes yeux à jouer amplement leur rôle d'éclaireurs, je pris une petite inspiration, et les ouvrit en grand en faisant abstraction des protestations de ces derniers. Ma vision, toujours floue, s'éclaircie au bout de quelque temps, et comme je m'y attendais, je ne reconnue pas la pièce qui se présentait à mon regard.
Vaste, et peinte en blanc cassé, cet endroit qui m'étais complètement étranger, avait de grandes fenêtres en verre qui laissaient entrer à fortes doses les rayons du soleil. Ne réussissant toujours pas tourner la tête aisément, je dû forcer sur l'action de mes yeux, afin de balayer autant que possible les lieux.
Cette riche décoration, toute cette lumière, ce grand espace, et ce lit...
Ça ce n'est pas mon sous-sol, c'est certain.
Gênée par une petite douleur que je ressentais au bras, j'y déposai mon regard embrumé, et la vue de l'aiguille plantée dans mon bras, reliée à un fil translucide, qui lui-même était relié à une poche contenant un liquide, m'arracha un sourd gémissement de protestation.
Ou suis-je, et qu'est-ce qui s'est passé ?
J'essayai de me rappeler, mais à chaque essaie que je faisais, la douleur lancinante dans ma tête devenait encore plus criarde, comme si on m'enfonçais une aiguille directement dans le crâne. Mon organe chargé de la gestion de ma mémoire marchait au ralentis.
Couchée les yeux ouverts, et les bras reposants gracieusement le long de mon corps, je lui laissai du temps, puis doucement, les blancs dans ma tête disparurent, comblés par de multiples souvenirs, tous plus douloureux les uns des autres. Les miens.
Le flash-back de ma triste vie défilait par morceaux à vive allure devant moi. Je revoyais tout, et surtout, je ressentais de nouveau tout.
Ma captivité, et mon meurtre...
Ma tentative d'évasion, la forêt...
Ma chute sur ce sol froid et les hommes qui s'étaient lancés à ma recherche...
Et ces yeux gris ?
Les avais-je aussi imaginés ?
Je n'ai alors, jamais quittée cette route ?
J'avais fait tout ça pour rien !
Me lamentais-je rageusement avant que l'image des yeux que j'avais vue ne s'impose très nettement à moi. Puis, très vite, mon esprit quitta mon état d'auto apitoiement pour se recentrer autour de cette nouvelle pensée.
Ces yeux qui m'avaient même poursuivis jusqu'aux tréfonds de mon inconscience...
ces yeux qui a cet instant me permettaient d'avoir un minimum de lucidité et de control de soi.
Me sentant observée, je retournai la tête autant qu'il m'étais permis de le faire, en m'attendant à voir Marco, mais ce que je vis à la place fît rater un battement à mon pauvre cœur déjà trop sollicité.
Lui...
Ces yeux, ils étaient la réplique exacte de ceux que j'avais vu sur cette route. J'en suis persuadée. Ils m'avaient suffisamment hanté pour que je ne les reconnaisse pas entre mille.
Que fait-il chez Félix ?
Le cœur battant maintenant plus de peur, que de surprise, Alexandra fixait craintivement cet homme qui ne lui avait pourtant rien fait. Son regard coloré se voila, et Christopher, se rendant compte qu'elle était perdue et effrayée, s'éloignant calmement d'elle pour aller s'installer sur une chaise située en face, près du lit.
J'essayai vainement de me lever, quand j'entendis sa voix masculine retentir sourdement en brisant le silence.
- Vous devriez rester couchée. Vous êtes trop faible pour vous asseoir.
Cette voix...
Elle s'insinuait littéralement dans chaque fibre de mon corps, en provocant sur son passage des vagues de frissons. Je dégluti pour humidifier ma gorge aride, sans quitter les yeux gris de cet inconnu.
- Je me nomme Christopher Angel Walstein.
C'est la même voix. C'est celle que j'entendais depuis quelques temps dans ma tête. C'était donc lui qui me parlait... Angel.
Elle cligna des yeux plusieurs fois, toujours aussi perdue.
Travaillait-il pour Félix ?
À cette question la réponse la plus probable était oui, sinon comment pourrait-on expliquer la présence de cet homme dans la maison de mon bourreau?
Me voulait-il du mal ? Sans aucun doute.
Alexandra refit encore une nouvelle tentative pour s'asseoir sans y parvenir, elle n'arrivait même pas à décoller sa tête de l'oreiller qui portait maintenant la moulure de sa nuque. C'est alors que Christopher se leva et s'avança prudemment vers elle.
Habituée à se faire battre, Alexandra ferma les yeux, et essaya tant bien que mal de reculer, mais elle ne fit qu'accentuer le tiraillement que l'aiguille exerçait sur son bras. Le souffle court, elle attendit patiemment que le coup vienne.
- Je ne veux vous aucun mal.
La jeune rousse releva lentement les paupières pour le regarder avec ses yeux multicolores, et sans savoir pourquoi, elle se prit à croire en la véracité de ces mots. Sa voix l'apprivoisait.
Tout en veillant à masquer la colère qui bouillonnait en lui, Christopher remit en place l'oreiller qui calait sa tête, enveloppant par-là même, Alexandra de son parfum qu'elle trouvait aussi puissant que l'était sa voix.
Cette douce et belle odeur n'avait rien avoir avec celle de ce porc de Félix.
Pensa-t-elle.
Ils se scrutèrent ainsi quelques secondes avant que Christopher ne se décide a lui donner les réponses à certaines de ses questions silencieuses.
- Ça fait trois jours aujourd'hui que vous êtes comateuse. Je vous ai trouvé inconsciente au milieu de la route, et je vous ai prise avec moi. Vous êtes présentement dans ma maison, où un médecin est déjà passé pour tous les soins dont vous aviez besoin.
Chez lui ?
Impossible ! Je regardai de nouveau la chambre d'un œil critique, mais même en étant chez Félix je n'avais pas pu faire la visite des lieux pour pouvoir juger si cet endroit appartenait réellement à cet homme ou pas. Neuf années passées à éviter l'espoir ne pouvaient s'oublier aussi facilement.
Je reportai mon attention sur Angel, et son regard ferme ne mentait pas. Il était honnête.
Si je suis ici chez lui, cela veut donc dire que j'ai réussi ?
Je...je suis vraiment parti ?!?
Un sourire aurait pu inonder mes lèvres sèches, si sourire ne faisait pas partie des choses dont j'avais égarée le mode d'emploi.
- Pouvez-vous me dire ce qui vous ait arrivé Alexandra ?
Ça fait neuf ans que je me pose la même question.
D'ailleurs comment cela se fait qu'il connaisse mon prénom ?
- Vous devez avoir la gorge sèche.
Il me tendit un verre d'eau que je voulus prendre sans pour autant y arriver. Mes force me revenait au compte goutte, et présentement, elles n'étaient pas suffisantes pour bouger le bras. S'apercevant de mon incapacité, il se rapprocha de moi avec un calme rassurant, et son genou sur le rebord du lit, il passa sa main derrière ma tête pour me surélever, puis il porta le verre à mes lèvres qui s'entrouvrirent pour laisser passer le liquide.
Cette odeur...
Christopher redéposa le verre sur la table de chevet d'où il l'avait prise, et se redressa pour fixer Alexandra comme il le faisait depuis qu'il l'avait rencontré.
Ses pupilles grises dégageaient par habitude une froideur et une force qui réclamaient dans un silence la soumission de quiconque les regardait. Il émanait de lui une chose qui intimidait énormément Alexandra, et qui l'obligeait à abaisser les paupières.
Puis soudain, sans aucune raison apparente, Christopher tourna les talons et sorti de la chambre en rabattant doucement la porte sans la refermer.
Arrêté à quelques pas de la porte, dos au mur, Christopher essayait de calmer tout ce qui s'éveillait en lui. Ce qui s'était passé la nuit où elle avait posé ses yeux sur lui était en train de se reproduire une fois de plus. La première fois il avait mis ça sur le compte de la pluie, mais ce matin quand elle l'avait regardé, son souffle c'était automatiquement arrêté et cet organe qu'il croyait mort s'était remit à pulser plus vite que la normale. Et sans savoir comment, il était retourné dans le monde qu'il avait connu durant cette nuit-là. Il avait ressenti ce même lien, ce même besoin qui l'avait poussé à l'amener chez lui au lieu de la laisser dans un hôpital comme n'importe qui l'aurait sans doute fait.
Comment ce phénomène était-il possible ?
Pourquoi son cœur semblait-il battre de la sorte a chaque fois que ses yeux se posaient sur lui ?
Et pourquoi ne me parlait-elle pas ?
Se demandait Christopher amèrement en se dirigeant d'un pas rapide dans son antre.
- Léa, demandez à l'infirmier de monter dans la chambre d'Alexandra, elle vient de se réveiller. Seriez-vous capable de tenir le rôle de gouvernante du manoir le temps que Martha revienne ?
- Oui Monsieur. Répondit Léa en retenant sa joie.
- Appelez dans ce cas l'agence de placement pour annuler la gouvernante qui devait venir. Acheva-t-il en raccrochant avant de recomposer un autre numéro.
- Docteur Barnes, votre patiente vient de se réveiller. Êtes vous disponible pour une consultation ?
- (...)
- Je vous attend donc dès que vous aurez fini à l'hôpital.
Les doigts tapant frénétiquement sur sa table de bureau, et la tête basculée en arrière sur le dossier de la chaise, Christopher se donnait un peu de répit avant de retourner vers elle. Affronter le regard déstabilisateur d'Alexandra était à la fois très intéressant, et très troublant dans le sens bizarre du mot.
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