CHAPITRE I
— Alexa ma chérie ferme les yeux. Alexandra écoute maman s’il te plaît, et ferme les yeux, répéta la jeune femme, les larmes aux yeux avec toute la douceur dont elle pouvait faire preuve à cet instant.
Cassandra ne voulait pas que sa fillette de 12 ans voit ce qui allait arriver. Elle ne voulait pas que la dernière image qu’elle aurait de ses parents soit celle-là.
Mais la petite fille ne pouvait l’entendre. Elle était comme perdue dans son esprit. Elle n’était plus que l’impuissante spectatrice de sa propre vie, se contentant d’observer l’horrible scène qui se passait sous ses yeux.
Il y avait d’un côté le corps sans vie de son père et de l’autre sa mère, le visage complètement tuméfié avec une arme braquée sur la tête.
Toute la salle à manger était sens dessus dessous. La table de verre était en mille morceaux, la chaise de sa mère s’étant cassée là-dessus. Les assiettes étaient brisées et leurs contenus renversés partout sur le sol. Le gâteau d’anniversaire qu’elle avait mis tant de temps à faire sous la supervision de son père était complètement écrasé sous les pieds de celui qui tenait désormais en joug son seul parent en vie.
Il y’a juste quelques minutes Alexandra était en train de souffler sa douzième bougie sous le regard tendre de sa famille et en un rien de temps, ce qui devait être pour elle l’un des plus beaux moments de sa vie est devenu le cauchemar dont elle ne pouvait pas se réveiller.
Pourquoi je n’arrive pas à pleurer ou même à crier pensa Alexandra avec colère.
Alexandra était arrêtée le dos contre le mur tel une statue de pierre. Elle voyait les lèvres de sa mère remuer, mais elle ne l’entendait ni ne comprenait ce qu’elle lui disait. Les bruits autour d’elle s’étaient réduits à un simple fond sonore et tout ce qu’elle arrivait encore à sentir c’était cette odeur semblable à celle de la poudre à canon flotter dans l’air.
Cassandra plongea son regard vert une dernière fois dans les yeux aux couleurs si particulières de sa fille. Elle savait pertinemment ce qui allait se passer, d’une seconde à l’autre sa petite fille allait devoir apprendre de la pire des manières à se débrouiller toute seule et elle se devait de la rassurer autant que possible avec le peu de temps qui lui restait.
— Tu devras être très forte à partir de maintenant, parce que des moments difficiles t’attendent mon bébé, mais toutes choses à une fin, tu dois donc t’accrocher jusqu’au bout, déclara Cassandra d’une voix ferme afin que sa fille comprenne et qu’elle se familiarise avec le fait qu’elle sera dorénavant seule.
— Voyons, Cassandra, arrête de la faire espérer en un avenir qui ne viendra jamais à elle, se moqua l’homme au-dessus d’elle.
Cependant, son cœur de mère ignora cette douloureuse remarque, néanmoins plus que plausible. Il fallait que sa fille garde espoir et elle ne pouvait pas quitter ce monde en laissant derrière elle un enfant mort à l’intérieur.
— Ne t’en fais pas ma chérie, tu t’en sortiras et même si tu ne nous vois plus, sache que maman et papa seront toujours là avec toi. Je t’aime mon bébé chuchota-t-elle avec tout son amour dans un dernier sanglot.
C’est alors que le coup de feu retentit, sous les rires moqueurs de son assassin. Et encore une fois elle n’avait pas bougé. Alexandra regarda le corps de sa mère chuter tel un château de cartes, et elle sentit le liquide rouge encore tiède gicler sur son visage sans qu’elle n’aie eu le moindre mouvement de recul. Elle avait l’impression que tous les bruits s’étaient tus au même moment que ce coup de feu. Le silence autour d’elle était lourd et elle avait même pensé à un moment que c’était elle qui était sans doute devenue sourde.
Le regard toujours plongé dans les yeux sans vie de sa mère, elle se vit ensuite soulevée du sol par les aisselles et en une fraction de seconde, elle se retrouva devant sa maison qui était maintenant en flamme. Le crépitement du feu était le seul bruit qui venait troubler ce manteau noir d’obscurité et de silence. Une fumée noire et épaisse s’élevait vers le ciel dans une lente parade. L’air irrespirable était en partie chargé de particules de cendre, de dioxyde de carbone mais aussi d’une odeur de chair brûlée nauséabonde.
— Maman, papa murmura Alexandra la gorge sèche et tellement nouée qu’elle n’arrivait plus à déglutir.
Elle venait de réaliser enfin ce qui venait de se passer, elle n’allait plus jamais revoir ses parents et elle ne comprenait pas pourquoi.
Pourquoi cela m’était arrivé ?
Pourquoi ces hommes étaient venus aujourd’hui ?
Pourquoi ils les avaient tués ? Et pourquoi contrairement à eux, moi j’ai été épargnée de ce funeste destin ?
Que vais-je devenir ?
Maman a dit que je devais être forte, que le pire m’attendait, mais que tout irait pour le mieux. Elle doit avoir dit la vérité, parce que les mères savent tout.
Je n’ai plus personne.
Maintenant avec qui vais-je rire ou parler ?
Qui allait m’aimer, me consoler, me protéger et prendre soin de moi ?
Qui serait là pour moi ?
Personne, je suis complètement seule pensa-t-elle.
Elle décida donc de se retirer encore plus profondément de cette sombre réalité. Cela ne lui servait plus d’être présente dans un monde où elle n’avait plus de repères, ou d’attache.
— Avance ! Tu ne m’entends pas la mioche? Je te dis d’avancer.
Je relevai la tête vers lui mais ne bougeai pas. Je me contentais de le regarder dans les yeux, en mettant dans mon regard toute la haine que j’avais pour lui à cet instant.
C’est alors qu’il me donna une violente gifle qui m’envoya directement au sol, sur le gravier de la cour. Je sentais une vive brûlure au niveau de mon bras droit, signe que j’étais blessée, puis un goût de fer se répandit abonnement dans ma bouche.
L’homme me saisit durement par les cheveux pour me relever avec force avant de me jeter dans la voiture sans ménagement.
Alexandra étouffa un gémissement et se réinstalla normalement tout en essayant de sécher les larmes qui dévalaient ses joues telle une rivière. Il y avait dans le véhicule une odeur de cuir neuf mélangée à celle d’un purificateur d’air, mais ces détails ne l’attirèrent pas longtemps.
Mon cuir chevelu me faisait mal, ma tête me faisait mal, ma joue et mon bras étaient endoloris, ma lèvre fendue me titillait, mon cœur était lourd. En somme, tout mon être était meurtri.
Mais il ne faut pas qu’ils voient à quel point je suis triste. Je ne dois pas laisser transparaître ma peur. Papa disait toujours que laisser l’ennemi voir que vous avez peur c’est comme lui donner de quoi vous achever. Et maman m’a demandé de rester forte jusqu’à la fin. Et la fin sera pour bientôt n’est-ce pas ?
Après avoir aboyé quelques ordres, mon ravisseur mit le véhicule en marche pour une destination qui m’était inconnue.
Alexandra colla son front contre la vitre et jeta son regard dans le vide en essayant de remettre de l’ordre dans son âme. Elle ne revint à elle que lorsque son chauffeur avait ouvert la portière en manquant de la faire tomber. Une fois de plus elle se sentit tirée de force et d’un regard toujours sans vie, elle parcourut des yeux l’immense jardin faiblement éclairé, jusqu’à la grande bâtisse blanche qui se tenait fièrement devant elle. Même la maison avait l’air de rire de son sort.
Mon kidnappeur marchait à vive allure en me tenant fermement par l’avant-bras. Nous arrivâmes devant la grande et large porte en bois massif qui s’ouvrit pour laisser place à un magnifique vestibule orné d’une table au centre et sur laquelle se trouvait un vase garni de fleurs, des orchidées devina-t-elle.
Elle remarqua ensuite tout au fond du vestibule, deux escaliers en bois qui menaient aux autres étages de la maison. Puis elle fut encore trainée au-devant d’une autre porte coulissante, qui donnait cette fois-ci sur une salle à manger. Elle était plus grande que leur maison. Maison qui devait être encore en train de brûler avec les corps de ses parents à l’intérieur songea-t-elle tristement.
Il y avait des miroirs un peu partout dans la pièce, et le marbre à ses pieds était si immaculé qu’on n’avait peur de marcher dessus. L’air était chargé d’une odeur de sauce alléchante qui fit gargouiller son estomac. Cela lui rappela qu’elle n’avait pas pu finir son repas avant que ces hommes ne débarquent pour réduire complètement à néant sa vie.
Au centre de la salle trônait une très grande table à manger de couleur acajou, au bout de laquelle se trouvait un monsieur qui avait peut-être avoir le même âge que son père.
— Qui est-ce ? tonna sèchement la voix de l’homme assis à la table, juste après leur avoir lancé un bref regard d’indifférence.
— C’est la fille de David Smith répondit l’homme qui avait tué mes parents tout en resserrant ses gros doigts autour de mon bras.
— Et que fait-elle au milieu de ma salle à manger ? Ne me dis pas que tu as eu des scrupules à la réduire au silence elle aussi demanda-t-il en nettoyant méticuleusement sa bouche.
— Non, Monsieur.
— Alors pourquoi est-elle toujours vivante ? reprit le monsieur en se levant gracieusement de table.
— Je me suis dit que vous pouviez la garder pour l’enrôler d’ici peu de temps parmi vos filles, ou dans le cas contraire la revendre. Ainsi votre revanche sur son père sera complète.
Celui qui devait être le chef avança doucement en réduisant la distance entre nous, ensuite il s’arrêta à peut-être un mètre de moi, avant de me dévisager en se mettant à ma hauteur. Il se redressa et avant que je ne comprenne ce qu’il se passait, il sortit une arme de je ne sais où, puis il tira sur le meurtrier de ma famille qui tomba mollement à mes pieds.
Un filet de sang s’échappa de la bouche de ce dernier pendant qu’il rendait son dernier soupir et je ne ressentais aucune pitié pour lui, en tout cas pas après ce qu’il avait fait à ma famille.
— Marco cria l’homme qui se tenait maintenant en face de moi.
Un autre homme athlétique, grand de taille les cheveux coiffés en brosse et au visage dur apparût comme par magie. Il portait un costume gris et une chemise blanche sans cravate.
— Nettoie-moi tout ce merdier. Et fait passer le mot, le prochain qui osera remettre en cause mes ordres ou même pensé à le faire recevra le même châtiment déclara-t-il comme s’il passait simplement une commande dans un restaurant.
— Oui chef.
Se retournant vers moi, il me fixa avec une lueur dangereuse dans les yeux, avant de me mettre l’arme encore fumante et chaude sur le front.
Qu’est-ce que j’avais bien pu lui faire pour qu’il me regarde avec tant de haine ? Je ne le savais pas. Je ne l’avais pourtant jamais rencontré et j’aurais aimé que cela continue ainsi.
On vivait une vie paisible ma famille et moi. Mon père travaillait dans les finances et ma mère était institutrice.
Et moi je n’étais qu’Alexandra Nicole Smith, une fille très mature pour ses douze ans. Je suis juste une enfant adulte, aux yeux particulièrement très verts et dont les pupilles étaient cerclées d’une ceinture blues turquoise pouvant virer à un bleu azur en fonction des circonstances, et qui par simple esprit d’opposition ne s’était jamais fait couper les cheveux d’un roux si parfait…
Mes parents me disaient d’ailleurs que mes yeux étaient l’union des leurs, bleu pour mon père et vert émeraude pour ma mère. Avoir des yeux pareil n’était pas de tout repos car non seulement on me prenait pour une bête de foire dans mon école ainsi que dans mon quartier, mais aussi leurs particularités m’ont donné pendant des années des problèmes ophtalmologiques. Mes parents avaient même cru que j’allais finir aveugle, mais grâce au docteur Jones on n’en était pas arrivé jusque-là. Et quant à mes cheveux, mon professeur de littérature, un vrai poète dans l’âme, me disait qu’ils étaient si roux, qu’ils étaient comparables à une rivière de sang rouge vif.
Alors pourquoi nous ?
— Comment t’appelles-tu ? me demanda-t-il sèchement.
Je me contentais de souder mes yeux aux siens.
Je sais que ma mère m’aurait grondé pour cela, mais je n’avais pas réussi à me départir de ce trait de caractère. Elle m’avait toujours reprocher de déstabiliser les autres avec cette manière que j’avais de les regarder droit dans les yeux. Peut-être que si elle avait eu plus de temps elle serait parvenue à me faire changer. Mais tu ne l’as pas laissée faire se dit Alexandra avec colère.
— Quel âge as-tu ?
Il ne reçut qu’un silence de ma part. De toute façon pourquoi devrais-je le répondre, ou même daigner adresser la parole à qui que ce soit ?
Pourquoi avoir des choses à dire si les personnes à qui tu voudrais dédier tes mots n’étaient pas là pour les entendre ? Parler n’est donc plus une nécessité à mes yeux, de plus cela, n’est qu’un frein à mon éloignement et à ma protection interne. Désormais toutes discussions se feront en interne entre moi et moi. Rien dans ce monde ne mérite que j’y sois plus que physiquement présente.
— Que vais-je faire de toi ? Se demanda-t-il plus pour lui-même que pour moi.
Me tuer, comme tu l’as fait avec mes parents, répondit intérieurement Alexandra en ne baissant toujours pas les yeux.
— Tu as des yeux particuliers et le même regard que ton père.
Le regard de l’insoumis, un regard plein de défi et de fougue. Ce sont là des choses que j’adorerais briser. Et sache que je prendrais même un malin plaisir à le faire. Quoi de mieux que de continuer d’exercer ma vengeance sur l’unique fille de l’homme que je déteste me dit-il avec une lueur de malice diabolique dans les yeux.
— Laisse-moi te dire que ton séjour ici ne sera pas de tout repos.
Marco cria-t-il une fois de plus en me faisant sursauter au passage.
Ce dernier apparut encore de derrière la porte dans son costume sombre.
— Amène-la dans la pièce.
Ce dernier m’agrippa le bras déjà douloureux avant de reprendre le chemin inverse à celui que je venais de prendre, pour me conduire sans un seul mot ni un seul regard à mon égard vers une pièce sombre dans laquelle il me laissa avant de faire demi-tour pour en sortir et m’enfermer.
Je restais là planté comme une statue les yeux fermés comme seule manière de fuir ce moment, espérant encore que tout ça n’était qu’un cauchemar et que ces hommes n’étaient pas venus chez nous, ni n’avait tué mes parents. J’espérais que j’allais ouvrir brusquement les yeux et que ma mère serait là pour me prendre dans ses bras en caressant mes cheveux pour me dire que tout va bien, que ce n’était qu’un vulgaire cauchemar. Mais rien ne se passait pour l’instant.
Au bout de plusieurs minutes, j’ouvris enfin les yeux pour me rendre compte que tout était vrai, réel. J’étais bel et bien dans cette pièce sombre qui sentait le renfermé et mes parents avaient eux aussi été bel et bien tués, j’avais été kidnappé et j’étais maintenant la prisonnière de l’homme qui non seulement avait fait tués mes parents, mais qui en plus me haïe tout comme il haïssait mon père.
Je crois que la fin des difficultés dont me parlait ma mère n’est pas pour demain.
J’étais assise dans le noir sur une couchette qui avait l’odeur d’un chien mouillé et j’essayais de refouler les larmes qui s’agglutinaient sous mes paupières. Voilà à quoi ressemblerait ma vie dorénavant, enfermée seule dans le noir, entre quatre murs, et cela pour une durée indéterminée.
Mais une chose était claire, je ne devais sous aucun prétexte montrer aucune émotion qui pourrait trahir mes peurs et angoisses.
Je ne dois pas paraître faible.
Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro