Parce que je l'aime
Cette histoire se déroule aujourd'hui, demain, sans réel début et malheureusement certainement sans fin car les hommes continuent et continueront à se détruire entre eux.
Je ne les entends plus, ils ont sûrement décidé de me laisser un minuscule espoir pour pouvoir mieux me détruire ensuite, comme à chaque fois. J'effleure le sol froid et dur sur lequel je suis allongée depuis trois heures ou trois jours, je ne sais pas, je ne sais plus, j'ai complètement perdu la notion du temps, je suis peut-être enfermée ici depuis plus d'un mois.
Mais pour ne pas devenir folle, je me force à réfléchir, à observer ma cellule. Il y avait quelqu'un ici avant moi, les murs en béton sont recouverts de traits, la personne y a écrit partout tel un prisonnier qui purge sa peine et attend sa libération, sauf qu'il n'aura pas de libération, pas de sortie de prison, pas d'issue à l'enfer. Comment cette personne est t-elle morte ? Peut-être qu'un gardien l'a emmenée vers la sortie et pendant un court instant, elle a pensé qu'elle a eu raison d'espérer, mais sans qu'elle n'ai pu sentir une dernière fois la brise sur son visage, il a tiré. Est ce que cette personne regrette ce qu'elle a fait ? Ce geôlier ressent il encore des sentiments après avoir enlevé de son plein gré une vie innocente ?
Un instant je m'imagine mourir de la même façon, une mort rapide et sans douleur, puis ma faim me taillade l'estomac. En effet, dernièrement je n'ai pas reçu le peu de vivres et d'eau trouble que l'on m'accorde habituellement. Alors, je comprends que je ne décéderai pas le dos tourné à ma prison et courant heureuse vers la liberté mais ici, seule et vidée de tout espoir. Je suis le genre d'individu qui ne veut pas mourir. J'ai voulu m'accrocher à la vie, ils vont me le faire payer. Ils ne me donnent plus ma ration quotidienne car ils vont me laisser crever de faim. Comme une chienne, comme un animal ! Je voudrais tellement partir d'ici, mais je sais que je ne peux m'échapper alors je ferme mes yeux en me laissant bercer par les pas des gardiens.
Peu à peu ce bruit s'estompe et laisse place à une musique chaleureuse et entraînante. Je souris malgré moi, Lucie a encore mis notre musique préférée. Je réalise ce à quoi je viens de penser et je sens les larmes monter. Lucie elle, me manque horriblement. Puis je vois une silhouette s'approcher. Au début, je ne veux pas y croire mais ...c'est bien elle qui se tient devant moi. Tout ceci paraît tellement réel, mais je sais que c'est seulement un rêve, que rien n'est vrai, et pourtant j'ai tellement envie d'y croire, de la sentir contre moi, de la voir une dernière fois que je me laisse happer par cette fausse réalité. Je lui touche le bras, elle sourit. Puis sans un mot, elle essuie les larmes sur ma joue. D'une voix calme et apaisante elle me demande.
« Tu veux danser? »
Je n'arrive pas à parler alors je me contente de hocher la tête. Elle m'attire contre elle et m'enlace. Je pose ma tête sur son épaule, j'enfouis mon visage dans ses cheveux et respire son odeur de vanille. Au moment où le début du refrain de la musique résonne, nous commençons à danser. Je la serre fort contre moi, elle relève sa tête et son regard brûlant d'amour se pose sur moi. Je m'approche de son visage, elle me lance un dernier regard emplit d'amour puis elle ferme les yeux.
Je rapproche mes lèvres et les pose doucement sur les siennes. Je l'embrasse passionnément, alors qu'au même moment les dernières notes du refrain se rapprochent dangereusement. Je la serre encore plus fort contre moi. Les dernières notes sonnent comme un requiem, messagères de l'inévitable fin, de plus en plus fortes, de plus en plus rapides. Je profite de cet instant magique et irréel en compagnie de celle que j'aime. Puis, froide et sans pitié, la toute dernière note retentit. Elle laisse place au silence, au vide, au désespoir et quand j'ouvre les yeux, Lucie a disparu.
Je fixe le plafond les yeux grands ouverts. Je voudrais bouger mes jambes mais je suis épuisée, le moindre mouvement me demande un effort surhumain.
J'aimerais voir autre chose que ces murs affreux qui me rappellent à chaque instant que je suis enfermée. Mais si je ferme les yeux, je vois du noir, le néant, alors je reste les yeux écarquillés et je fixe le plafond.
J'apprécierais entendre le chant des oiseaux, celui qui me réveillait si souvent le matin. Mais tout ce que je perçois ici n'est que cris, pleurs et hurlements. Cette symphonie incessante est devenue ma nouvelle mélodie.
Je souhaiterais humer l'agréable senteur de vanille, si douce et si apaisante. Le doux parfum de Lucie. Mais la seule odeur que je respire est celle de la mort et ce relent infect emplit l'air. Tout ici sent la pisse, la merde, le sang, le désarroi et la peur.
J'adorerais manger quelque chose, même un petit bout de pain sec, mais je sais que je n'aurai plus jamais ce plaisir. Alors pour tromper la faim qui me tord l'estomac, je m'imagine goûter un délicieux morceau de gâteau au chocolat, fondant et moelleux, je savoure chaque bouchée et pendant un temps mon ventre arrête de crier famine.
Mais alors que mon besoin de nourriture revient plus fort, je tente ma dernière solution pour le vaincre : me concentrer sur une seule et unique chose. Je lève ma tête au prix d'un effort intense et je regarde le seul endroit que je n'ai pas observé dernièrement...la porte. J'ai compris il y a bien longtemps que taper de toutes mes forces dessus en hurlant que j'ai besoin d'aide ne me sert à rien. Je ne pense plus qu'à elle et peu à peu un nouveau souvenir fait surface.
Je suis de nouveau dans le salon, je voudrais bouger mais je ne contrôle pas mon propre corps, je vis un simple souvenir, pourtant je n'arrive pas à savoir lequel. J'essaie de me rappeler et c'est à ce moment que j'entends la télévision. Je m'en approche et les souvenirs affluent.
C'est le dernier reportage non censuré par le nouvel état que j'ai eu l'occasion de voir. Par la suite, l'état a tout censuré, télévision, radio, journal, puis tout a été interdit. En effet, cette année là, le gouvernement extrémiste est monté au pouvoir, en ayant pour projet de faire redevenir notre pays tel qu'il était avant, et tel qu'il devait être selon lui : sans réfugiés, sans homosexuels, tout ce qu'il considère comme anormal. Des manifestations commencent, de plus en plus de gens se rassemblent contre les nouvelles lois, pour apporter leur soutien aux personnes injustement visées, mais rapidement l'état intervient. Il répand des fausses rumeurs, insultant de traîtres les gens qui manifestent et d'erreurs de la nature tout ceux qui n'entrent pas dans leur vision du monde. Des miliciens commencent à arrêter des résistants et les manifestations cessent. Les gens arrêtent de contester le nouveau gouvernement, ils regardent les personnes visées par l'état de travers, changent de trottoir en les voyant. Dès qu'il y eu les premières lois, Mme Martin, ma gentille voisine qui aime tout le monde, ignore mon bonjour, mes amis trouvent toujours une excuse pour ne finalement pas venir chez moi. Soudain, je suis arrachée de mes pensées par l'ouverture brutale de la porte. Lucie entre, visiblement très en colère. Elle s'arrête net devant moi.
«Tu as vu ? Tu l'as vu hein ? Elle me crie dessus, comment, il peuvent nous faire ça ? Elle fait une pause puis reprend, les activités, les loisirs, ils avaient vraiment besoin de nous enlever ça ? Comment je peut supporter ce putain d'état si on m'interdit d'aller au basket ?
Je reste figée quelques secondes, puis je me décide à lui annoncer la nouvelle.
-Tu sais à propos de ma pièce de théâtre, de mon rôle...
-Tu veux que je t'aide à réviser ? Demande t'elle une lueur d'espoir dans les yeux, puis elle voit mon regard remplit de larmes prêtes à couler et la lueur s'éteint. Ne me dis pas que...
- La prof a appelé et elle a donné mon rôle à quelqu'un d'autre, je dois faire une pause car ma voix tremble, elle m'a dit que ça serait mieux que je ne vienne pas au théâtre quelques temps.
Son expression change littéralement et elle commence à faire les cent pas, tout en répétant cette phrase comme si elle était la formule magique qui réglerait tous nos problèmes.
-C'est pas possible, c'est pas possible, c'est p...
-Lucie, on va trouver une solution, je l'attrape par les épaules, ne t'inquiète pas, tout va bien se passer. Puis elle me prend dans ses bras.
Sur l'écran, je vois le journaliste. Sachant qu'il n'a plus rien à perdre, il crie à ceux qui le regardent.
- Qui que vous soyez, sachez que vous ne pouvez plus faire confiance à personne, vous n'êtes plus en sécurité nulle part, l'état vous ment, puis avant qu'il ait pu finir, un milicien apparaît à l'écran mais le journaliste a l'occasion de parler une dernière fois, l'état vous ment !»
L'instant d'après, le milicien l'assomme et il bascule en avant. Puis c'est le noir total, l'écran s'assombrit et le signe de l'état s'affiche. Il reste imprimé dans ma mémoire et tandis que je reviens à moi, j'ai envie de serrer Lucie, sentir son parfum mais je suis de retour dans ma cellule.
Lucie... je l'aime tellement et même si ça fait mal, je pense à elle, je pense à notre rencontre. Il fait beau et chaud ce jour là. En allant à la médiathèque comme tous les soirs, je ne pense à aucun moment à ce qui va m'arriver. Avant même de l'avoir vue, je sens son envoûtant parfum à la vanille. Puis quand elle me demande d'une voix douce si elle peut s'asseoir à ma table, je ne sais rien faire à part hocher la tête. Au bout d'une semaine, j'attends impatiemment le soir pour la voir. Je nous pense meilleures amies mais un soir, elle m'a embrassée, sur l'instant ne sachant pas comment réagir, je suis partie. Mais quand je l'ai retrouvée le lendemain soir à la médiathèque, alors qu'elle veut s'excuser, je l'ai embrassée. Elle me regarde surprise, me sourit puis murmure.
«Mina, je t'aime.»
Une phrase qu'elle me dit à la moindre occasion. Elle me la souffle à l'oreille le matin, le soir, quand on se tient la main, quand on s'embrasse. Mais moi, je n'ai jamais osé le lui dire, je la prends dans mes bras et elle m'apprécie comme ça. Pourtant, j'aurai voulu le faire, j'aurai dû le faire. Et puis, sans pouvoir les contrôler, les je t'aime de Lucie refont surface. Tous les moments avec elle me reviennent en mémoire :les bons, les mauvais. Son premier je t'aime et son dernier. Non... je ne veux pas me rappeler. Je ne veux pas me souvenir. Le bruit des pas des soldats, l'odeur de renfermé, tout me revient. Je lutte, contre moi, contre ma mémoire, contre ce souvenir. Je dois éviter qu'il ne ressurgisse, je m'entends hurler, pourtant ma voix paraît lointaine, je me sens happée par ce rêve. Cette fois, je veux rester ancrée dans la réalité. Mais le son des pas remplace celui de ma voix et ma main tient celle de Lucie au lieu de toucher le sol froid. Je dois lutter... je dois...mais.. je n'y arrive pas et peu à peu, je me sens mon corps s'enfoncer dans les ténèbres.
Elle me serre fort, trop fort, beaucoup trop fort.
Elle a comprit.
Elle sait qu'ils sont là pour nous arrêter, pour nous séparer. La guerre civile qui déchire le pays, rend les gens fous, prêts à tout pour survivre. J'ai voulu lui faire croire qu'on s'en sortira, mais ce n'est qu'un mensonge, pour la rassurer elle, me rassurer moi. Mais désormais, lui cacher la vérité ne sert plus à rien. Alors, peut-être qu'en réalité, de nous deux, c'est moi qui a le plus peur, c'est moi qui serre le plus fort. J'entends les soldats frapper à la porte, le jour n'est même pas levé, pourquoi frappent ils si fort, de toute façon, ils entreront. Ils défoncent la porte, je sens Lucie pleurer doucement contre moi.
Ils l'arrachent de mes bras, en criant que nous débattre ne sert à rien. Mais profitant de l'inattention de l'un des gardes, elle court me rejoindre, me prend dans ses bras, me serre comme si sa vie en dépendait, puis d'une voix remplie d'amour malgré les sanglots, elle me murmure.
«Mina, je t'aime, ne l'oublie jamais, je t'aime, je t'aime tellement.»
On reste accrochée l'une à l'autre pendant ce qui semble être une éternité. Aucun garde ne vient nous séparer, je trouve cela étrange, puis, lentement, elle s'écarte, ils ne bougent toujours pas. Lucie a une démarche anormale, elle se tient bizarrement, je baisse les yeux sur sa poitrine. Une tâche de sang s'élargit, sa robe blanche vire au rouge. Elle me fixe, mais je vois à ses yeux vitreux que la vie est en train de la quitter. Un soldat crie, mais je ne le comprends pas, je ne perçois plus rien. Quand il m'attrape par le bras, je ne me débats pas. Lucie s'effondre, se vide de son sang sur le sol, le visage déformé par la douleur. Je ne bouge pas. Les couleurs, les odeurs, les sensations se mélangent. J'aurais dû partir, m'enfuir, mais je n'ai plus la force de rien, et je m'évanouis.
Je suis dans ma cellule, pourtant j'ai l'impression d'être ailleurs. Le gris des murs est fade, l'odeur infecte n'est plus omniprésente, même le sol est moins froid. Tout autour de moi semble avoir perdu de son intensité. C'est y est, j'hallucine, le manque d'eau fait dérailler mon cerveau. J'ai l'impression d'être dans un rêve et dans la réalité en même temps. Je sens quelqu'un me tirer vers l'extérieur mais je suis toujours couchée par terre. Je sens le vent sur mon visage et le béton sous mon corps. J'entends quelqu'un charger une arme et ma propre voix narrant des propos incohérents. Je n'arrive plus à faire la différence entre fiction et réalité. Je perds pied. Alors qu'on me traîne pour me tuer dehors ou que j'hallucine seule dans ma cellule, je repense à ce gouvernement inhumain.
Je repense à tous ceux qui collaborent, ceux qui cautionnent cet état et cette guerre affreuse et ceux qui sont morts parce qu'ils résistaient. Alors que la vie m'abandonne, ou que je replonge dans un nouveau souvenir, je veux te dire Lucie, que même s'ils veulent me persuader que notre amour est contre nature, que t'aimer est anormal, je veux te dire, je dois te dire...
«Lucie, je t'aime.»
~~~~~~~
Aidons_nous
Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro