[5] The one who erases their scars
19 octobre 1998 ; Lac Noir
L'école de sorcellerie était animée par une agitation cacophonique : discussions animées, rires faux et débats sans intérêt réel se mêlaient dans un bruit de fond insupportable qui avait fait fuir Hermione Granger dans le parc bordant le château malgré les lourds nuages assombrissant le ciel. Elle avait besoin du silence que seul le monde extérieur pouvait lui apporter. C'était la raison pour laquelle elle s'était précipitée de rejoindre l'herbe verte qui longeait les rebords du Lac Noir dès que les cours s'étaient terminés. Si la situation avait été parfaitement normale, elle aurait couru vers la bibliothèque pour s'atteler directement à la montagne de travail que les professeurs avaient demandé tout au long de la journée. Mais la simple vision du château et de son boucan habituel avait fait remonter son estomac au bord de ses lèvres. Elle ressentait cette overdose du monde magique qu'elle n'aurait jamais cru possible huit années auparavant en recevant sa toute première lettre pour Poudlard. La nouveauté de ce monde s'était dissipée pour devenir cette routine monotone et bercée par les souvenirs de la guerre.
Pour toutes ces raisons qui la rendaient nostalgique de sa vie d'antan, Hermione avait décidé de s'éloigner du château alors même que le ciel avait pleuré toute la journée des torrents de larmes sur les étudiants. Elle avait même croisé quelques élèves qui s'étaient fait un malin plaisir de menacer Hagrid après un cours de soin aux créatures magiques en extérieur. Mais elle s'en fichait. Elle ressentait le besoin viscéral de créer de la distance entre l'immense école et elle. C'était pour toutes ces raisons qu'elle se tenait juste là, aux abords du Lac Noir. La surface de l'eau était si lisse qu'elle en devenait un miroir parfait dans lequel la jeune femme observa ses traits. Ses cheveux frisés semblaient suivre leur volonté propre et poussaient dans des directions inadéquates ou peu esthétiques. Quelques mèches, dont elle avait abandonné le domptage plusieurs années auparavant, tombaient devant ses yeux creusés par des cernes toujours plus larges et marqués. Son teint terne affichait cette fatigue qui ne la quittait plus depuis le début de la guerre. Un long soupir s'échappait de ses lèvres, créant un fin nuage de condensation aux rebords de sa bouche pour se disperser dans l'atmosphère maussade qui semblait s'accrocher aux paysages britanniques.
Ses yeux bruns abandonnèrent la large étendue d'eau après quelques courtes minutes pour venir se poser sur les cailloux et galets qui entouraient ses pieds. Plissant ses genoux pour se rapprocher du sol, la sorcière vint faire courir ses doigts contre les pierres et en récupérer quelques-unes dans ses paumes. Elles étaient si froides que leur toucher propagea une chair de poule dans son corps. Hermione finit par les abandonner dans le lac et elle observa son reflet se déformer dans les ondes créées par leur rencontre avec la surface aqueuse. Elle ne put retenir un rictus amer en se rendant compte que sa vie ressemblait aux images qui parvenaient à son regard. Cette figure distordue lui donnait l'impression que son âme se reflétait dans le lac. Elle était brisée. Sa vie entière s'était vue brisée. Les galets venaient rejoindre les créatures fantastiques qui habitaient les profondeurs du lac. Des larmes se mirent à couler sur les joues de la jeune femme. Elle était comme ces minéraux. Elle coulait et se noyait dans ses souvenirs. Ils l'ensevelissaient, la rendaient suffocante et lui faisaient perdre le contrôle sur ses propres émotions.
Hermione pleura durant plusieurs minutes et elle se détesta pour chacune des larmes qui s'échappaient de ses yeux rougis. Elle s'était promis de ne plus pleurer quelques jours plus tôt. Elle s'était promis de reprendre sa vie en main et de remonter la pente. Sa vie avait été comme une maison décimée par une violente tempête et elle était persuadée de la reconstruire pierre par pierre. Un geignement plaintif quitta ses lèvres alors qu'elle se laissait lourdement tomber sur le sol.
Les premières gouttelettes quittèrent les nuages épais pour venir s'écraser sur son visage et rejoindre ses larmes dans leur chute. Le monde entier semblait pleurer avec elle. Le monde entier était désespéré. Il était comme elle et il se laissait submerger par cette lasse fatigue que tous ressentaient depuis la fin de la guerre. Dans un mouvement aussi lourd qu'incertain, la jeune femme souleva son bras en direction du ciel. L'eau tombait sur sa paume dirigée vers les nuages. Sa manche glissa contre la peau de son avant-bras et dévoila la cicatrice sur son poignet. Le désespoir et la peine qui l'habitaient se transformèrent. Une colère noire s'insuffla dans ses veines tel un poison mortel. Elle ne supportait plus la vision de sa peau marquée par cette horrible insulte. Elle ne supportait plus le sourire mauvais de Bellatrix Lestrange qui se dessinait derrière ses paupières dès qu'elle se risquait à les clore plus de quelques secondes. Hermione mourait d'envie de hurler sa rage, de faire comprendre que son monde entier s'effondrait sous le poids de sa rage et que plus rien ne redeviendrait comme avant.
Plus rien ne redeviendrait comme avant.
Cette terrible constatation grossit dans son esprit, balayant chaque pensée optimiste et once d'espoir. Il ne lui restait que cette colère destructrice et ce fatalisme qu'elle détestait. Sa fatigue se joignait parfois à ces deux émotions et refusait de l'abandonner. Son bras s'alourdit pour retomber sur ses yeux alors que la sorcière la plus brillante de sa génération laissa échapper un sanglot plaintif. Elle sentait les boursouflures de sa cicatrice sur la peau de son visage et cela ne fit qu'accentuer les larmes qui roulaient sur ses joues. Elle n'en pouvait plus. Elle souhaitait juste retrouver sa vie d'antan, simple et heureuse, et pouvoir retrouver des nuits complètes sans risquer de voir apparaître un fantôme inquiétant.
Hermione ne sut combien de temps elle resta immobile sous cette pluie fine. Cinq minutes ou cinq heures ? Elle n'en savait rien. Elle avait perdu la notion du temps. Elle avait seulement conscience des larmes qui échappaient à sa volonté et aux sanglots qui contrôlaient ses épaules. Elle était exténuée. Son corps tout entier lui ordonnait de dormir, mais son esprit ne souhaitait pas retrouver les bras de Morphée. La solitude de la sorcière fut brisée lorsque quelques mèches de cheveux vinrent chatouiller le bout de son nez. Son bras quitta son visage pour découvrir les traits rêveurs et inquiets de Luna Lovegood. Ses yeux bleus glissaient sur les traits de son aînée, sondant ses émotions et tracas.
« Je peux m'asseoir ? demanda sa cadette d'une voix aérienne. »
D'un simple mouvement de la tête, la brune invita son amie à la rejoindre au sol. Un sourire discret planait sur les lèvres de la plus jeune alors qu'elle s'installait en tailleur au milieu des pierres. Ses doigts fins se mirent aussitôt à dessiner des formes abstraites sur les galets alors que ses yeux clairs se perdaient sur l'immense étendue aqueuse. Hermione n'avait pas la force de se redresser pour suivre les divagations rêveuses de son amie. Cette dernière avait une imagination débordante et elle ne cessait de parler de chaque créature évoluant dans les profondeurs du Lac Noir. La sorcière aux cheveux indomptables ne se sentait pas de la rejoindre dans sa conversation. Elle ne se sentait pas de rejoindre n'importe quelle conversation pour le reste de la journée, mais elle n'avait pas le courage de chasser la blonde ; comme elle n'avait pas le courage de chasser ces pensées maussades qui l'accompagnaient à chaque instant.
S'accordant aux idées qui traversaient son esprit, la pluie s'accentua. Elle tomba sur la terre en un torrent de gouttes épaisses. Elles étaient semblables aux sanglots de la planète et elles ne laissaient aucune échappatoire à quiconque se trouvait à l'extérieur. La Gryffondor sentit ses vêtements s'alourdir autour de son corps et se coller à sa peau. Le froid et les tremblements commençaient à la gagner, mais elle n'avait pas la force de le bouger. Luna semblait partager ses pensées ou ne pas être dérangée par l'averse glaciale qui leur tombait sur la tête, car elle ne s'amorçait pas le moindre mouvement pour regagner le château. Elle continuait de parler des créatures qui vivaient dans le lac comme si la météo ne s'était pas empirée.
« Tu penses qu'elles ont peur d'être mouillées ? demanda-t-elle de son habituelle voix douce. Les créatures du lac, précisa-t-elle en captant son regard interloqué. »
Hermione mentirait si elle affirmait ne pas être surprise par une telle interrogation. Elle savait pourtant que les questions de Luna étaient toujours étranges et loufoques. Elles l'avaient toujours été. La jeune femme de la maison aux couleurs chaudes aurait dû s'habituer à ses questionnements plus ou moins étranges. Ce n'était pourtant pas le cas. Son amie parvenait toujours à la décontenancer et elle la laissait toujours sans voix.
« Peut-être, hésita-t-elle. Je ne sais pas trop. »
Deux orbes, aussi bleus qu'un ciel sans le moindre nuage, étaient posées sur son corps allongé sur l'herbe et paraissaient se plonger dans son âme. Hermione sentit son cœur se serrer dans sa poitrine et son souffle se faire plus court. Elle ne supportait plus les œillades inquiètes de ses proches sur sa silhouette. Elle ne supportait plus les coups d'œil appuyés et les regards insistants qui lui intimaient de déballer tous les maux qu'elle avait sur le cœur. Luna ne cherchait cependant pas à lui tirer les vers du nez. Elle se contentait de rester là, laissant son regard clair glisser entre sa silhouette allongée et la surface du lac déformée par la multitude de gouttelettes qui s'y échouaient.
« Hermione ! Luna ! »
Dans un hurlement qui déchira la quiétude pluviale et qui résonna à travers le parc entier, la voix mêlant autorité et inquiétude de Ginny Weasley parvint à leurs oreilles. La plus âgée se redressa dans un mouvement précipité et risqua un coup d'œil vers la rouquine. Elle tenait sa baguette au niveau de sa jugulaire pour amplifier sa voix, et son autre main était entourée autour de la poignée d'un parapluie enchanté alors qu'elle avançait dans leur direction tel un boulet de canon. Les yeux sombres de Hermione rencontrèrent les plus clairs de son amie avant qu'elle n'esquisse un sourire discret en haussant les épaules. Elles ne souhaitaient pas subir le courroux de la plus jeune des Weasley.
« Je vous cherche depuis plusieurs minutes ! se plaignit-elle lorsqu'elle fut à leur niveau. Je commençais à m'inquiéter.
— Désolée, soufflèrent-elles d'une même voix. »
Pour toutes les personnes extérieures ou qui ne lui avaient jamais réellement adressé la parole, Ginny Weasley semblait avoir repris du poil de la bête et accepté le décès de son frère aîné. Elle avait repris sa voix autoritaire et s'exprimait avec cette verve qui avait fait la gloire de cette sorcière aux cheveux de feu. Ce n'était pourtant pas le cas. Hermione l'entendait pleurer la mort de son aîné chaque nuit et elle percevait la panique s'insufflant sous ses veines lorsque la solitude venait l'étreindre. Ginny Weasley était tout aussi détruite qu'elle pouvait l'être. Les larmes avaient même creusé des sillons permanents sous ses yeux plus ternes qu'ils ne l'avaient jamais été. Hermione se sentait mal pour elle. Personne ne méritait de perdre un membre de sa propre famille ; surtout pour des sorciers aussi soudés que les Weasley.
« Pourquoi vous restez sous la pluie ? les interrogea-t-elle.
— Je me demandais si les créatures du lac avaient peur d'être mouillées, répondit Luna.
— Je n'avais pas envie d'être dans le château, avoua Hermione dans un soupir. »
Un geignement plaintif s'échappa des lèvres de la rouquine alors qu'elle se laissait lourdement tomber au sol pour les rejoindre. Son parapluie s'effondra sur les galets et dispersa des centaines de gouttelettes autour de lui dans sa chute. A peine eut-elle rejoint le sol que les gouttes glissèrent sur ses cheveux flamboyants. Ses vêtements furent rapidement trempés et collèrent à sa peau mouchetée de taches de rousseur. Hermione laissa ses yeux courir sur sa silhouette amaigrie et exténuée alors que ses cadettes s'occupaient en observant les galets faire des ricochets sur la surface du lac. Elles restèrent silencieuses, s'abandonnant aux bruits de la pluie tombant sur la Grande-Bretagne comme s'ils pouvaient chasser chacune de leurs angoisses.
De longues minutes s'écoulèrent sans qu'elles n'eussent la force d'amorcer le moindre mouvement pour regagner l'intérieur de l'école de sorcellerie. Ce fut seulement lorsque leurs vêtements se transformèrent en éponge de plombs tant ils étaient imbibés d'eau qu'elles se redressèrent pour rejoindre un endroit plus sec.
Le hall de l'école de sorcellerie les accueillit par sa tiédeur et Hermione ne put retenir le long frisson qui lui parcourut l'échine. A être restée trop longtemps sous cette pluie automnale, elle avait fini par oublier la froideur de l'eau. Son corps tout entier grelottait et ses mouvements pour tenter de se réchauffer étaient vains. Ses amies semblaient partager son état : Ginny tremblait de la tête aux pieds et sautillait pour tenter d'apporter de la chaleur à son propre corps, alors que Luna laissait échapper de discrets éternuements. Leurs vêtements déversaient une quantité impressionnante sur les pierres de Poudlard – elle avait l'impression que des flaques de plusieurs litres grandissaient sous ses pieds – et Hermione ne put s'empêcher de se sentir lourde.
A peine furent-elles au seuil de la Grande Salle que les jeunes femmes se retrouvèrent assaillies par l'aura menaçante de Rusard. Sa chatte tigrée à ses pieds, l'homme laissait ses petits yeux vicieux glisser sur leurs silhouettes. De sa voix menaçante, il les maudissait avec toute cette fureur qui ne semblait jamais le quitter. Hermione ne put retenir un étrange soupir de soulagement. Certaines choses étaient destinées à ne jamais changer et elle était contente que la guerre n'eût pas affecté la personnalité exécrable de cet homme. Il était ce semblant de normalité dans ce monde rendu fou par les morts et les combats.
« Je pense que Rusard maudit nos familles sur plusieurs générations, murmura Ginny alors qu'elles pénétraient dans la Grande Salle. Je ne sais pas si je dois être terrifiée ou rassurée. »
Un rire amusé s'échappa des lèvres de la blonde alors qu'elles continuaient leur avancée vers la table des Gryffondor où Neville et Harry se servaient leur repas sans grand enthousiasme. La brune laissa planer ses pupilles sur le ciel artificiel. Des éclairs parcouraient la salle entière et traçaient des lignes à travers les nuages noirs brièvement éclairés par chaque impulsion électrique. Hermione ne pouvait retenir cet émerveillement à chaque fois que ses yeux sombres se posaient sur ce ciel magique. Elle se souvenait encore du jour où elle avait appris son existence – les nombreux livres qu'elle avait lus sur Poudlard lui avaient tant appris – et elle se rappelait de l'émerveillement qu'elle avait ressenti en le voyant de ses propres yeux. Cela avait été magique et l'inquiétante couleur que celui-ci pouvait prendre n'aurait jamais pu éteindre cette étincelle candide qui illuminait ses prunelles.
Il fallut un mouvement brusque venant de la table des Serpentards pour que la jeune femme ne daigne abandonner le plafond enchanté. Sa curiosité la tuerait un jour. Elle la poussait à poser ses iris sombres sur la source de l'agitation. Malefoy semblait prendre la fuite de la pièce et il avait bousculé une personne dans sa course désespérée. Hermione n'eut aucune difficulté à reconnaître le corps maladroit de la plus jeune des Greengrass qui avait été aussitôt rejointe par sa sœur. Lorsque les trois sorcières eurent retrouvé leurs amis autour de la table de la maison au lion, la silhouette de Daphné se levait telle une furie pour partir à la suite de son camarade de maison. Elle fut rapidement suivie par les autres élèves de dernières années qui ne cherchaient pas l'arrêter dans sa fureur.
« Ils sont bruyants, souffla Neville lorsqu'elles s'installèrent sur les bancs.
— J'espère que ça va aller pour Astoria, s'inquiéta la blonde. Elle se met toujours dans des situations où elle finit blessée. »
Hermione n'eut pas le courage de prononcer le moindre mot. Elle détestait Drago Malefoy du plus profond de son cœur et il lui rendait bien la haine qu'elle ressentait pour lui, mais elle comprenait ce qu'il pouvait endurer. Elle l'avait suffisamment observé depuis le début de l'année scolaire pour savoir qu'il était plus seul qu'il ne l'avait jamais été et plus instable qu'il n'aurait jamais pu l'être. Le garçon subissait le contrecoup de ses erreurs passées avec une violence fulgurante qui devait le dérouter. Puis il n'avait aucun ami. Des charognards avides de pouvoir l'avaient entouré toute sa vie et il l'avait abandonné à ses démons dès la chute de Voldemort. Il devait apprendre à se remettre des combats par lui-même. Il n'avait absolument aucun soutien. Hermione avait de la peine pour lui. Se remettre de la guerre lui paraissait insurmontable et elle avait conscience de sa chance d'être entourée de personnes aimantes. Elle n'était pas seule pour recommencer à apprendre à vivre.
21 octobre 1998 ; Pré-au-Lard
Des milliers de feuilles aux couleurs chaudes tapissaient les rues dallées et terreuses du village sorcier de Pré-au-Lard. Chacune émettait des craquements sonores dès qu'un pied se risquait à les fouler et se brisait en plusieurs minuscules morceaux. Les devantures de chaque commerce étaient décorées aux couleurs de la saison et affichaient quelques babioles terrifiantes pour commencer à célébrer Halloween. Les citrouilles étaient trop nombreuses pour être comptées et elles arboraient toutes des expressions terrifiantes. Elles parvenaient à attirer les regards curieux de chaque passant qui tentait de recopier leurs grimaces dans des tentatives d'humour. Le village n'avait pas connu autant d'animation depuis que les conflits qui avaient opposé ceux qu'on avait tant surnommé L'armée de Dumbledore et les troupes de Voldemort. Il était même étrange d'entendre autant de rires s'échapper des lèvres. C'était comme si tout était redevenu comme avant et que la joie parvenait à faire une percée dans les esprits exténués. C'était aussi le premier après-midi autorisant les élèves de l'école de sorcellerie de se rendre dans les rues du village avoisinant. De nombreux élèves avaient décidé de se déplacer pour découvrir les alentours de la petite ville aux couleurs chaudes de l'automne. Quelques-uns arboraient des vêtements sorciers qui traînaient au sol et déplaçaient les feuilles mortes alors que d'autres avaient pris la décision d'enfiler des vêtements moldus. Hermione Granger faisait partie de cette dernière catégorie. Les mains glissées dans les poches d'un jean lui étant trop large et le buste protégé du froid par un pull à la couleur pastel, elle déambulait dans les rues avec ses amis.
Ils marchaient d'un même pas en direction de la Tête de Sanglier. Harry les avait suppliés de rejoindre cette taverne tenue par le frère de l'ancien directeur de Poudlard durant plusieurs heures la veille. Neville avait grimacé à l'annonce de la suggestion et Hermione ne pouvait que le comprendre. La taverne n'était pas l'endroit le plus accueillant et le mieux famé du village sorcier. Quelques rumeurs sombres tournaient autour de ses habitués. Mais tous comprenaient l'attachement que Harry portait à l'établissement et sa volonté de s'y rendre. Il avait rapidement été supporté par Ginny et l'étudiante de Serdaigle les avait aussitôt rejoints en affirmant que de boire des bières au beurre à la Tête de Sanglier pouvait se montrer amusant. Hermione et Neville s'étaient donc vus obligés de les suivre à travers les rues de plus en plus désertes du village. Leurs regards se croisaient parfois et reflétaient la même appréhension.
« Vous êtes sûrs que vous voulez y aller ? demanda une dernière fois Neville. »
Un cœur de réponses positives résonna entre les murs des ruelles alors que la devanture du pub se dessinait sous leurs yeux. Le bâtiment se trouvait dans un recoin reculé de Pré-au-Lard et il avait été construit tout en hauteur. Les murs paraissaient presque chercher à atteindre les nuages et ils donnaient une apparence exiguë à l'établissement dont l'enseigne décorée d'une tête de sanglier dansait au gré du vent dans un grincement métallique peu rassurant. Des fenêtres poussiéreuses laissaient deviner les silhouettes de quelques habitués qui s'étaient déplacées pour prendre une bière au beurre ou un whisky pur feu. L'escalier en bois qui menait à la porte d'entrée du pub était si étroit que Hermione crut qu'elle ne pourrait jamais atteindre l'intérieur – cela ne la dérangeait pas tant que cela, mais elle ne souhaitait pas se plaindre encore une fois.
A peine eurent-ils franchi la porte de la Tête de Sanglier qu'une forte odeur d'alcool et de poussière les assaillit. Hermione se sentait nauséeuse durant un court instant alors qu'elle se risquait à redécouvrir chaque élément de la taverne. Contrairement à ce que son apparence extérieure pouvait laisser penser, le plafond de l'établissement était plutôt bas et maintenu par d'épaisses poutres en bois. Neville se cogna plusieurs fois avant qu'il ne puisse atteindre la première table – il était particulièrement grand et il ne cessait jamais de se heurter aux portes. Hermione n'avait jamais été aussi heureuse d'être petite. La pièce principale était inondée des lueurs orangées émanant de la cheminée et des quelques luminaires cuivrés qui se balançaient dès qu'une personne amorçait le moindre mouvement à l'étage. Accrochée au mur de pierre, une tête de sanglier surplombait l'âtre de la cheminée et semblait observer chaque personne pénétrant dans sa taverne. Elle était immonde et arracha une grimace peu élégante à la jeune femme qui risqua un regard vers sa jumelle. Celle-ci se trouvait de l'autre côté de l'immense bar et paraissait surveiller ceux qui s'approchaient du comptoir et des fûts disposés non loin. Derrière le bar massif, se trouvait un sorcier à la barbe fournie qui s'appliquait à jeter des sorts à la vaisselle pour qu'elle se lave.
L'établissement était presque désert. Quelques habitués s'étaient retrouvés autour d'une table et d'une boisson pour discuter de sujets divers dont Hermione refusait de connaître les tenants et aboutissants. Ils étaient un peu comme des meubles dans le bar. Alors qu'elle se demandait s'il n'était pas encore temps de faire demi-tour pour rejoindre Les Trois Balais comme toute personne sensée l'aurait fait, la jeune femme remarqua que ses trois amis s'étaient déjà installés autour d'une immense table en bois massif qui paraissait si lourde que la brune se demanda comment ils avaient fait pour la déplacer. Neville ne cessait de lui jeter des regards suppliants et elle se résigna à ne pas les abandonner.
« Ça faisait longtemps qu'on n'avait pas remis les pieds ici tous ensemble, remarqua Luna dans un sourire discret. Vous vous souvenez de la première fois que l'Armée de Dumbledore s'est réunie. »
Comment ne pas se souvenir de ce jour ? Ombrage venait de devenir professeur de Défense contre les forces du mal et elle ne semblait pas décidée à leur enseigner la matière. Ils avaient donc pris la décision de se réunir à l'extérieur du château pour trouver une solution à ce problème et ils avaient conclu que le plus intelligent serait d'apprendre la matière par eux-mêmes. Le retour de Voldemort avait été un choc pour tous ; certains avaient même essayé de nier la terrible menace qu'il représentait. Ils avaient besoin de se défendre et de lutter pour survivre. C'était pour cette raison qu'ils s'étaient tous donné rendez-vous dans cette taverne reculée de Pré-au-Lard. Ils avaient trouvé un endroit à l'abri des oreilles indiscrètes et avaient commencé à manigancer un programme entier pour leur permettre de perpétuer leurs cours. Leur journée aux Trois Sangliers avait marqué la naissance de l'Armée de Dumbledore et le début de la lutte contre Voldemort. Ces souvenirs étaient aussi bons que mauvais. La brune se souvenait encore de la joie qui l'avait étreinte alors qu'elle était parvenue à matérialiser son premier patronus et du désespoir qui l'avait fait vriller alors que la lame de Bellatrix courait sur la peau fine de son poignet.
« Qu'est-ce que vous faites ici ? »
Une voix bourrue et sèche s'était fait entendre à quelques mètres d'eux. Hermione risqua un coup d'œil vers la silhouette imposante qui les surplombait. Plusieurs couches de tissus recouvraient son corps et alourdissait son apparence. Des cheveux grisonnants atteignaient les épaules de l'homme et ils se mêlaient parfaitement avec sa barbe fournie. Plusieurs rides de vieillesse marquaient son visage et des marques d'expression témoignaient d'un agacement palpable. Comme à chaque fois qu'elle apercevait, Hermione ne put s'empêcher de trouver sa ressemblance avec l'ancien directeur de Poudlard saisissante. Ses yeux ne pétillaient cependant pas de cette malice qui avait tant caractérisé l'homme. Abelforth portait le même nom de famille que l'homme qui les avait accueillis dans l'école de sorcellerie, mais il n'avait pas sa personnalité et ne paraissait pas heureux de les voir dans la taverne.
« Bonjour monsieur Dumbledore, le salua Ginny d'une voix plus énergique qu'elle ne l'avait jamais été depuis la fin de la guerre. Est-ce que nous pourrions prendre cinq bières au beurre ?
— Pourquoi ne pas aller aux Trois Balais ? grommela l'homme.
— Moins de regards curieux ? risqua Harry dans un haussement d'épaules. »
L'homme prononça quelques mots dans sa barbe pour témoigner de son mécontentement, mais il avait déjà fait demi-tour pour rejoindre le bar. Hermione ne put s'empêcher de remarquer le sourire amusé qui étirait les lèvres de son meilleur ami. Cela faisait longtemps qu'elle ne l'avait pas vu esquisser un véritable sourire et elle sentit son cœur s'alléger. C'était une sensation étrange que de voir ses proches agir comme si de rien n'était. Elle n'avait pas l'impression que tout était revenu à la normale. Ses nuits étaient toujours agitées par les cauchemars dans lesquels la silhouette de Bellatrix Lestrange la tourmentait.
Elle se doutait que ses amis ressentaient la même chose qu'elle. Neville paraissait encore plus incertain que jamais et ses mains étaient souvent agitées de discrets tremblements lorsqu'il posait son regard sur les silhouettes des personnes qui avaient été blessées. Luna ne se défaisait jamais de ses sourires rêveurs tout en fuyant les couloirs de l'école de sorcellerie lorsqu'elle n'avait pas besoin de se trouver entre les murs de Poudlard. Ginny se laissait sombrer dans la tristesse chaque nuit et pleurait la mort de son frère aîné durant de longues heures. Puis il y avait Harry. Son meilleur ami se sentait coupable pour chaque mort et elle n'avait aucun doute quant au fait qu'il apercevait leurs silhouettes toutes les nuits. Tous semblaient vouloir oublier leurs tracas durant plusieurs heures et Hermione acceptait de jouer le jeu.
Lorsque les bières furent posées sur la large table ronde, laissant leur mousse épaisse glisser contre les chopes, Hermione arborait un sourire que son visage n'avait pas été apte à reproduire depuis la fin de la guerre. Son rire mélodieux parvenait à quitter ses lèvres à mesure que ses amis prononçaient des commentaires amusants et sonnaient étrangement à ses oreilles. Elle avait fini par oublier le son de son propre rire et elle ignorait si cette constatation l'attristait ou non. Elle savait seulement qu'elle se sentait bien pour la première fois depuis plusieurs mois et que même sa fatigue ne pourrait pas gâcher cet instant suspendu hors du temps.
Un ricanement moqueur s'échappa de ses lèvres dès l'instant où une moustache de mousse se forma au-dessus des lèvres de Neville. Ce dernier s'empressa de la faire disparaître du revers de sa manche, camouflant son visage rouge d'embarras dans ses manches, avant de les rejoindre dans leur hilarité. Hermione aurait tout donné pour que cet instant dure à jamais. Elle ne se sentait pas hantée par les silhouettes inquiétantes des mangemorts et le rire mauvais de Bellatrix semblait s'être atténué pour ne devenir qu'un bruit de fond supportable que les voix de ses amis parviennent à faire taire. Elle aurait tant voulu que cette bulle n'éclate jamais et qu'elle puisse continuer de faire semblant d'aller bien. Ce n'était cependant pas possible et Hermione n'avait aucun doute là-dessus. Le monde réel et les souvenirs reviendraient frapper à la porte de son esprit dès qu'ils quitteront la Tête de Sanglier. Elle savait que ses traumatismes reviendraient l'assaillir. Mais pour le moment, elle souhaitait juste faire semblant d'aller bien autour d'une bière au beurre.
24 octobre 1998 ; Salle sur Demande
A peine le soleil se dessina-t-il à l'horizon que la silhouette amaigrie de la sorcière la plus brillante de sa génération déambulait déjà dans les couloirs de Poudlard à la recherche d'un endroit où son esprit pourrait se remettre de la terrible nuit qu'elle venait de passer. Ses bras fins étaient chargés de livres imposants et elle avait bien tenté de rejoindre la bibliothèque pour y travailler la journée entière. Ses yeux s'étaient cependant posés sur le corps de Drago Malefoy. Le garçon laissait courir ses iris sur les pages d'un livre de potions et laissait par moment ses mains glisser sur son avant-bras où la Marque des Ténèbres se mouvait toujours. Hermione n'avait pas eu le courage de le confronter et elle avait alors tourné les talons à la recherche d'un endroit où elle pourrait faire disparaître le sourire mauvais de Bellatrix. Ses pas l'avaient conduit à travers un dédale de pierres, entrecoupé d'escaliers capricieux et animé de tableaux bavards, puis ils avaient ralenti devant cette immense tenture sur laquelle des trolls en tutu échouaient à apprendre le ballet. Un discret sourire s'était alors dessiné sur ses lèvres et elle avait entrepris de faire trois allers-retours devant cette curieuse tapisserie dans l'espoir de trouver un endroit où ses maux pourraient se taire.
La porte qui apparut sous ses yeux sombres n'était pas aussi grande que la sorcière ne se l'était visualisée, mais elle était d'une familiarité rassurante. C'était une porte d'entrée d'une maison typique de certains quartiers résidentiels londoniens. Sculptée dans un bois blanc, elle laissait une vitre décorée de formes abstraites offrir un aperçu imprécis des formes des meubles à l'intérieur. A sa droite, se trouvait une sonnette encastrée dans la pierre du château. Hermione ne put retenir un discret sourire alors qu'un auvent recouvert d'ardoises apparaissait au-dessus de sa tête. Elle connaissait cet endroit et elle sentit son cœur pulser dans sa cage thoracique. Jamais elle n'avait eu aussi hâte de franchir le seuil d'une porte de toute sa vie. Elle dégagea un de ses bras de la pile de livres pour poser une main autour d'une poignée ronde qui comblait parfaitement sa paume. Elle la tourna dans un mouvement impatient et s'engouffra aussitôt dans la pièce.
Ses livres s'échouèrent sur le parquet clair, soulevant une légère couche de poussière dans leur chute, dès que ses yeux découvrirent l'intérieur de la Salle sur Demande. Les murs blancs formaient les contours d'une grande pièce dans laquelle plusieurs bibliothèques et fauteuils confortables étaient disposés. Quelques tapis recouvraient le parquet clair et rayé par les mouvements des meubles. Une cheminée se détachait du mur et plusieurs cadres familiaux la décoraient. Hermione s'approcha lentement d'eux et laissa alors ses doigts courir sur les contours des photographies immobiles. Tous représentaient une famille heureuse de trois personnes. Les sourires rayonnaient et atteignirent la sorcière de plein fouet. Ses phalanges se refermèrent autour d'un cadre sur lequel une enfant soufflait neuf bougies, une expression profondément heureuse dessinée sur ses traits. L'enfant n'était pas magnifique avec ses cheveux frisés et ses dents de castor, mais une joie sans nom émanait de son corps entier que Hermione n'aurait pas pu trouver une plus belle personne à cet instant.
Son neuvième anniversaire. Hermione s'en souvenait encore parfaitement. Elle ignorait qu'elle était une sorcière malgré les quelques événements étranges qui se déclenchaient dès que ses émotions se faisaient trop fortes. Un sourire étira ses lèvres alors qu'elle se rappelait de ce jour où tous les livres de la bibliothèque familiale s'étaient mis à voler à travers toute la pièce. Ses parents venaient de lui annoncer qu'elle devait aller se coucher et qu'ils ne pouvaient pas lui lire cette histoire qu'elle aimait tant. C'était la toute première fois qu'un événement étrange s'était produit dans sa vie et il avait rapidement été suivi par d'autres.
Alors que ses paupières découvraient l'écran cathodique de la télévision dans un recoin de la pièce et le canapé en velours pastel recouvert d'une épaisse couverture colorée qui lui faisait face, Hermione sentit son bras retomber lourdement le long de son corps. Abandonnant l'idée de récupérer les livres qui gisaient ouverts sur le parquet clair de la pièce, elle se précipita vers les coussins pour y laisser tomber son corps. Un simple mouvement de baguette en direction de l'âtre de la cheminée permit à un feu orangé de crépiter. La jeune femme porta la couverture à son visage et, dans une inspiration désespérée, elle chercha à s'imprégner de l'odeur familière qui en émanait. Le mélange de thé et de lessive l'assaillit de plein fouet et elle se sentit retomber en enfance. Les souvenirs heureux de ses premières années, les parties de petits chevaux avec ses parents et les lectures au coin du feu lui revinrent, se mêlèrent à la culpabilité qui la rongeait depuis qu'elle avait fait retrouver la mémoire à ses parents. Les premières larmes lui échappèrent alors qu'elle se rappelait de l'habitude que son père avait pris d'allumer la télévision en rentrant du travail et son cœur se comprima aussitôt dans sa poitrine. Hermione aurait tant aimé comprendre la raison pour laquelle la Salle sur Demande lui offrait une copie conforme du salon dans lequel elle avait passé une majeure partie de son enfance.
Les larmes et sanglots de la brune se tarirent après plusieurs heures et la sorcière sentit un mal de tête se répandre dans sa boîte crânienne. Elle n'avait pas le courage de rejoindre les couloirs de l'école de sorcellerie. Toute énergie semblait avoir abandonné son corps alors elle resta là, allongée sur le canapé, le plaid entre les mains, à se demander s'il ne lui était pas possible de passer le reste de son année dans le confort de la pièce. Tout semblait plus simple dans cet environnement familier. Tout semblait plus simple sans magie.
Alors que les sanglots agitaient toujours son corps, Hermione se risqua à se demander comment aurait été sa vie si elle n'avait jamais appris l'existence du monde sorcier. Elle aurait probablement continué ses études dans un établissement scolaire de la capitale anglaise et elle se serait plongée dans chacun de ses cours avec cet enthousiasme qui la caractérisait tant. Elle aurait reçu chacun de ses diplômes avec les félicitations de ses enseignants avant de postuler dans une université prestigieuse. Elle s'imagina dans les couloirs de Cambridge ou Oxford, dans les bibliothèques où les étudiants les plus sérieux se perdaient jusqu'au coucher du soleil. Elle aurait peut-être trouvé un travail étudiant pour se faire de l'argent de poche et payer un loyer trop cher pour un simple studio. Puis le diplôme en poche, elle aurait trouvé un emploi stable qui lui aurait permis de s'épanouir et d'offrir des vacances à ses parents. Elle n'aurait jamais eu à rencontrer des personnes comme Bellatrix Lestrange ou Tom Jedusor. Elle n'aurait jamais eu à se battre pour survivre. Elle n'aurait jamais été torturée et n'aurait jamais eu à prier pour sa vie. Tout aurait été tellement plus simple si elle n'avait pas été une sorcière.
Après plusieurs longues minutes à imaginer tous ces scénarios qu'elle savait impossible, laissant ses doigts glisser sur la cicatrice qui marquait la peau de son avant-bras, la sorcière entendit le battant de la porte s'ouvrir dans son dos. Les larmes avaient cessé de couler le long de ses joues et la laissaient vider de la moindre forme d'énergie. La jeune femme puisa dans ses dernières ressources pour se redresser et poser ses yeux sur l'entrée de la pièce où les silhouettes de Harry et Ginny se dessinaient. Ils se tenaient statique à l'endroit où les livres se trouvaient encore sur le sol et ils détaillaient chaque élément de la pièce dans laquelle ils se trouvaient. La brune laissa ses yeux courir sur le corps de ses amis et ne put s'empêcher de remarquer que leurs cernes s'étaient encore creusés. Ils paraissaient tout aussi exténués qu'elle ne l'était. Un sourire nostalgique étirait les lèvres du Survivant alors qu'il découvrait la télévision éteinte et les sourcils de sa petite-amie se fronçaient à chaque nouvel objet moldu qui passait sous ses yeux.
« Tu as vérifié si elle fonctionnait ? lui demanda Harry en désignant l'écran cathodique.
— Je n'ai pas essayé, avoua-t-elle dans un murmure. Tu veux que j'essaie ? »
Le sorcier aux yeux verts acquiesça d'un simple mouvement de tête et entremêla ses doigts autour de ceux de la rouquine qui se laissa traîner vers le canapé. Lorsqu'ils se laissèrent tomber sur ses coussins clairs, Hermione avait récupéré la télécommande qui trônait sur la table d'appoint bordant l'accoudoir. Une étrange appréhension s'empara de son corps alors qu'elle pressait le bouton pour allumer la télévision. Les objets moldus n'étaient pas supposés fonctionner dans l'enceinte de l'école de sorcellerie, mais elle ignorait à quel point les règles du château disparaissaient dans la Salle sur Demande. L'unique but de cette pièce était de répondre au besoin des sorciers qui demandaient son aide et Hermione ne put s'empêcher de s'interroger sur les limites de la Salle Va-et-vient.
L'écran grésilla quelques secondes avant de se stabiliser sur les images d'un programme quelconque. Hermione abandonna la télécommande dans sa surprise. Jamais elle n'aurait cru possible de voir la télévision s'animer sous ses yeux. C'était la première fois qu'elle entendait parler d'un objet moldu fonctionnant dans l'enceinte de l'école de sorcellerie. Harry paraissait tout aussi surpris qu'elle. Ses lunettes avaient glissé le long de son nez et sa mâchoire s'était décrochée pour lui donner une expression béate. Mais la réaction la plus interloquée était celle de Ginny. Une exclamation aiguë s'était échappée de ses lèvres alors qu'elle désignait l'écran cathodique de son index. Il s'en suivit une suite de questions curieuses auxquelles les deux autres tentèrent de répondre. La rouquine semblait s'émerveiller à chacun des mots qui franchissent leurs lèvres et Hermione ne put se faire la réflexion qu'elle n'était pas une Weasley pour rien. C'était étrange que la télévision puisse fonctionner dans l'école, mais la brune ne s'interrogea pas plus qu'elle ne l'aurait cru. Elle avait envie de garder certaines choses inexplicables et celle-ci en faisait partie. Sa tête tomba sur l'épaule de son meilleur ami alors que les images de l'émission se projetaient sur ses pupilles. Elle se sentait étrangement sereine dans la maison de son enfance où la magie n'était qu'un fantasme de livre.
31 octobre 1998 ; Salle Commune de Gryffondor
La troisième tour la plus haute de l'école de sorcellerie était particulièrement animée en cette dernière journée du mois d'octobre. Un feu dansait sur les braises crépitantes de la cheminée et apportait une douce chaleur à la pièce dans laquelle plusieurs élèves s'étaient réunis. Plusieurs gâteaux et friandises avaient été éparpillés sur les tables et étagères de la pièce. Quelques voix se disputaient les parfums des dragées surprises de Bertie Crochue alors que d'autres se lançaient dans une partie d'échec qui durerait jusqu'à la fin de la nuit. Allongée en travers d'un canapé, les pieds posés sur les jambes de son meilleur ami, Hermione laissait ses yeux s'imprégner des mots inscrits sur le parchemin froissé qu'un hibou lui avait délivré plus tôt dans la journée. Le tracé des lettres était incertain et formait des pattes de mouche illisibles pour une personne qui ne les avait jamais analysées. Mais Hermione connaissait cette écriture par cœur. Elle avait tant de fois relu les devoirs de Ronald qu'il lui était impossible de ne pas comprendre les mots maladroits que l'encre dessinait sur le parchemin.
« Hermione, la voix de son petit-ami articulait chacune des syllabes dans son esprit, lui arrachant un sourire mélancolique.
La boutique se porte bien. C'est toujours compliqué pour George, mais il recommence à avoir des idées de farce. Je dois bien t'avouer que c'est étrange de le voir confectionner des bonbons et pièges sans son acolyte de toujours. J'ai l'impression qu'il lui manque quelque chose. On a tous cette impression.
J'ai hâte de te revoir, Hermione. J'aimerais te tenir dans mes bras avant de dormir et passer du temps avec toi. J'espère que tout se passe bien à l'école et que tu n'entraînes pas trop Harry dans la bibliothèque. Je te connais et je sais que tu rêves de lui faire boucler ses devoirs le plus tôt possible.
On se revoit aux fêtes de fin d'année ! J'ai déjà trouvé ton cadeau et j'espère qu'il te plaira autant qu'il me plaît.
Je t'aime.
Ronald. »
Les battements de son cœur accélérèrent alors que ses yeux relisaient la lettre pour la douzième fois. Son petit-ami lui manquait terriblement et elle aurait tant voulu le serrer dans ses bras pour ne plus jamais le laisser partir. Elle avait besoin de lui, de ses bras autour de sa taille et de ses lèvres contre sa peau. Le parchemin collé contre sa poitrine, elle sentait les battements irréguliers qui agitaient sa cage thoracique. Ron lui manquait. Elle sentit les premières larmes s'agglutiner au coin de ses yeux alors que le papier se froissait entre ses doigts. Elle mourait d'envie de le rejoindre et de retrouver sa présence rassurante. Elle ne savait cependant pas si elle serait capable de rejoindre le Terrier pour les fêtes de fin d'année. Elle avait promis à ses parents de les rejoindre et de célébrer Noël comme ils en avaient eu l'habitude dans son enfance. Elle avait besoin de les retrouver dans un contexte où elle pourrait mettre la magie de côté. Elle éprouvait le besoin de s'éloigner du monde sorcier pour un court instant et elle savait que cette confession inquiéterait Ron. Et elle ne voulait pas l'inquiéter.
« Hermione ? la voix de son meilleur ami la tira de ses pensées. Ça va ? »
Camouflés derrière ses lunettes rondes, les yeux verts du sorcier laissaient transparaître chacune des émotions qui le traversait : peine, inquiétude, colère. Hermione crut les entrevoir dans ses pupilles et se sentit soudain démunie sans réelle raison. Une larme silencieuse glissa sur toute la longueur de son nez avant de disparaître entre ses lèvres. Un sourire forcé étira ses lèvres alors qu'elle se redressait lentement et rangeait la lettre de Ronald entre les plis de sa robe. Avant même qu'elle n'eût pu articuler le moindre mot pour rassurer son meilleur ami, la chevelure flamboyante apparut dans leur champ de vision. Elle affichait un sourire si large qu'il en devenait presque étrange. Un serre-tête sur lequel deux cornes ensorcelées pour bouger au gré de ses émotions avaient été collées décorait son crâne et leur mouvement arracha un ricanement amusé à Hermione lorsque celles-ci semblaient désigner le Survivant.
« Vous voulez jouer à un jeu de société avec nous ? leur proposa-t-elle d'une voix trop enjouée pour être authentique.
— Vous jouez à quoi ? l'interrogea Harry.
— On n'a pas encore choisi, répondit la rouquine. On comptait sur vous pour nous aider. »
Un soupir s'échappa des lèvres de la brune alors que la silhouette énergisée de Ginny Weasley disparaissait pour rejoindre le groupe d'élèves de leur maison qui s'étaient rassemblés autour d'une table. Ils avaient éparpillé plusieurs cartons au milieu des friandises et ceux-ci semblaient attendre qu'une personne ne décide d'en choisir un. Certains se disputaient gentiment sur les jeux à éliminer et Hermione ne put retenir un ricanement moqueur. Ils étaient bruyants et tous savaient qu'ils ne pourraient jamais se mettre d'accord sur le moindre jeu. Mais la sorcière avait conscience qu'ils ne cherchaient pas particulièrement à jouer à un jeu. Tous semblaient décidés à rester éveiller le plus longtemps possible pour fuir les cauchemars et souvenirs douloureux. Hermione les comprenait. Les images de Bellatrix apparurent comme des flashes dans son esprit et elle sentit sa cicatrice recommencer à gratter. La pulpe de ses doigts se perdait sur les contours des lettres alors qu'elle peinait à se redresser. Harry avait déjà rejoint le groupe de sorcier et elle ignorait si elle était capable de participer à une activité de groupe sans éprouver toutes ces émotions qui nouaient sa gorge et lui donnaient la nausée.
Alors que les voix de ses camarades s'élevaient dans la pièce et que les conversations échappaient à tout contrôle, la sorcière risqua un coup d'œil vers la cheminée où les flammes crépitaient. Sa cicatrice la démangeait et elle aurait tout donné pour la faire disparaître avec les souvenirs qu'elle représentait. Les flammes dansaient dans ses prunelles noires et Hermione laissa une nouvelle larme glisser sur sa peau alors qu'elle repensait à la peau lisse de son bras. Elle avait disparu dans la recherche aux horcruxes. Ses yeux redécouvrirent cette cicatrice qu'elle connaissait désormais par cœur et elle se demanda si elle ne pourrait pas la faire disparaître avec les flammes de la cheminée. La dangereuse idée s'insinua dans son esprit et elle amorça un mouvement vers l'âtre pour voir si les flammes ne pouvaient pas venir lécher sa peau et faire disparaître les mots de Bellatrix. Ce fut la voix de Harry s'élevant dans la pièce qui la retint de terminer son mouvement et la fit revenir sur terre. Leurs yeux se croisèrent et la sorcière lut toute l'inquiétude qui animait son ami.
Elle ne pouvait pas se débarrasser de ses souvenirs ainsi.
Ils allaient s'atténuer avec le temps.
Hermione aurait voulu croire cette litanie qu'elle se répétait à chaque fois qu'il lui prenait l'envie de faire disparaître cette affreuse marque. Elle n'en croyait cependant pas un seul mot et finissait par se complaire dans ce désespoir qui l'étreignait chaque jour.
j'ai vraiment l'impression que mes chapitres sont de plus en plus long :')
que dire sur ce chapitre ? je ne suis pas sûre d'aimer la première partie du chapitre. mais j'apprécie une grande majorité le reste de ce que j'ai écrit. c'est le chapitre le plus léger de tous et je pense que ça fait un peu de bien. même si ce n'est toujours pas la grande joie.
j'espère que vous avez apprécié votre lecture !
n'hésitez pas à me donner votre avis :)
à bientôt !
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