[4] The one who fails to forgive themself
tw : mention d'addiction et d'hallucination
1er octobre 1998 ; Cachots
L'humidité roulait sur les pierres sombres des cachots et venaient se loger dans les cavités des murs ou rendre le sol glissant dans leur chute. Plusieurs sorciers avaient déjà manqué de se tordre une cheville en marchant dans les couloirs ou avaient fini à l'infirmerie après avoir glissé sur une flaque. Seuls habitués à la dangerosité des sous-sols, les Serpentards slalomaient avec aise entre les endroits où les mares peu profondes avaient le plus tendance à se former. Ils étaient toujours les plus rapides à se rendre en cours de potions et à retrouver leurs paillasses chargées d'outils divers. Suivant ses camarades de chambres à travers le dédale de roche, Drago Malefoy écoutait leur discussion d'une oreille distraite. Ils parlaient de la saison de Quidditch et faisaient quelques pronostics sur les performances des joueurs. Le blond avait l'impression qu'ils agissaient comme si tout était redevenu comme avant et qu'ils avaient retrouvé l'énergie de parler de choses banales. Il ignorait comment ils faisaient pour avoir des conversations normales alors qu'il se sentait incapable de formuler une pensée cohérente sans que les images de la guerre ou les hurlements ne prennent l'ascendant. Il apporta ses mains lourdes à ses yeux cernés pour les frotter et en chasser la fatigue en vain. Son estomac se tordait dans son abdomen. Cela faisait un peu plus d'une journée qu'il n'avait rien avalé de solide et il commençait à avoir faim, mais sa simple présence dans la Grande Salle ne faisait qu'accentuer les hurlements. Il n'avait plus l'énergie de les supporter.
« Drago ? »
La voix grave de Théodore le tira de ses pensées et le sorcier aux cheveux clairs croisa les yeux sombres de son camarade de chambre. Ses mèches brunes s'échouant sur son front et ses lèvres étirées dans une moue boudeuse, Théo paraissait vexé par son absence de réaction. Blaise se trouvait juste derrière lui et il ne se gênait pas pour afficher une expression amusée qui ne parvenait pourtant pas à chasser l'inquiétude qui brillait dans ses yeux noirs. Les sourcils se fronçant, celui qui avait été comparé au Prince des Serpentards durant plusieurs années esquissa une grimace mécontente.
« Oui ?
— Tu pourrais au moins nous écouter, bouda le châtain. On te demandait ce que tu espérais des Flèches d'Appleby pour la saison.
— Euh... commença-t-il, incertain. Aucune idée. Je ne suis pas trop la coupe de Quidditch cette année. »
Drago aurait pu mentir. Il aurait pu faire des éloges à cette équipe qu'il était connu pour soutenir depuis son plus jeune âge. Il aurait pu assurer qu'elle allait remporter le championnat avec cette arrogance qui avait si longtemps été la sienne. Il aurait pu scander le nom de son joueur favori avec un enthousiasme étrange. Il aurait pu faire tout cela et tellement plus, mais il n'en avait pas la force. Alors il se contenta de cette réponse honnête qui accompagnait son sourire maladroit. Les sourcils de Théodore se froncèrent comme pour témoigner de son mécontentement et il ouvrit la bouche pour articuler une phrase qu'il n'eut jamais eue le temps de prononcer.
« Granger ! »
L'enthousiasme qui animait la voix de Blaise était surprenant et arracha un violent sursaut aux deux autres élèves de la maison au serpent. Pourquoi venait-il de hurler le nom de la jeune femme ? Trois silhouettes aux cravates rouges et ors passèrent à côté d'eux et jetèrent un coup d'œil surpris au groupe. Granger était celle qui arborait l'expression la plus agacée alors qu'elle indiquait à ses amis de poursuivre leur route. Ses cheveux en bataille créaient une crinière autour de son visage amaigri et venaient se marier avec ses yeux trop expressifs.
« Qu'est-ce que tu me veux, Zabini ? lui demanda-t-elle avec méfiance.
— Je voulais savoir si tu voudrais bien être ma binôme en potion aujourd'hui ! »
La défiance qui tira les traits de Granger aurait pu être hilarante si elle ne camouflait pas cette rage qui semblait lui coller à la peau depuis la fin de la guerre. Drago aurait bien voulu savoir la raison pour laquelle son camarade de chambre voulait tant faire équipe avec la Gryffondor et il n'était pas le seul. Les sourcils relevés dans une expression aussi curieuse qu'interloquée, Théodore laissa son regard errer sur les deux sorciers à la recherche d'une explication satisfaisante. Puis la sorcière répondit par un simple mouvement d'épaules et hochement positif de la tête avant de tourner les talons en direction de la salle de classe. Un large sourire vint se dessiner sur les lèvres de Blaise avant que celui-ci ne se précipite à la suite de la sorcière la plus brillante de leur génération, clamant l'obtention de multiples OPTIMAL en potion grâce à son aide.
« Je suppose qu'on va être en binôme, remarqua Théodore en les voyant s'éloigner d'eux.
— Je suppose aussi. »
Sans prendre la peine de faire le moindre commentaire supplémentaire, Drago reprit sa route en direction de la salle de classe. Ses mains enfouies dans les poches de son pantalon d'uniforme, il cherchait à faire abstraction des hurlements qui s'amplifiaient à chaque fois qu'il se trouvait à proximité de la sorcière. C'était comme si sa présence le ramenait dans le Manoir aux Hurlements dans lequel elle avait subi d'affreux supplices. Sa voix cassée et animée par les sanglots se faisait stridente et surplombait toutes celles qui résonnaient dans son esprit. Des tremblements imperceptibles agitèrent les mains du jeune homme et il sentit la lourdeur de cette fiole si particulière dans sa poche. Lorsqu'ils parvinrent dans la salle de classe, ses mains étaient moites d'appréhension et glissaient autour du flacon en verre.
La pièce consacrée à l'enseignement des potions ressemblait au reste des cachots. Les murs en pierre sombre formaient des alcôves au-dessus de multiples bureaux en bois massif sur lesquels des chaudrons et parchemins étaient dispersés. Contre les pierres soutenant le plafond s'alignaient des armoires et étagères pleines de livres étranges ou d'ingrédients plus ou moins rares. Quelques sorciers se trouvaient déjà dans la pièce et se chuchotaient quelques mots. Alors qu'il déposait ses affaires sur un bureau vierge, Drago sentit les regards sur lui. C'était toujours comme ça depuis la fin de la guerre. Tous l'observaient comme s'il était une anomalie ou qu'il aurait dû mourir dans le combat final qui avait opposé les deux camps. Jamais il n'aurait pu comprendre leur point de vue quelques années plus tôt, mais avait commencé à saisir les raisons pour lesquelles tous semblaient tant le détester. Comment aurait-il pu leur en vouloir ? Il se haïssait tout autant qu'ils le haïssaient.
Leurs affaires éparpillées sur la paillasse qui se trouvait juste devant celle qu'il partageait avec Théodore, les silhouettes disparates de Granger et Blaise accaparaient les œillades circonspectes et curieuses. Perchés en haut de leur tabouret, les deux jeunes adultes ne s'échangeaient pas le moindre mot et se contentaient de feuilleter l'épais manuel de potions. Ils étaient si rares de voir des élèves de Gryffondor et Serpentard passer du temps ensemble sans se hurler dessus des menaces qu'ils étaient devenus le centre de l'attention malgré eux. Aucun ne semblait capter les coups d'œil avides de ragots. Seule l'inquiétude qui brillait dans les yeux de Potter et Londubat présentaient un intérêt pour la sorcière. Le sorcier aux yeux céruléen capta l'esquisse du sourire timide qu'elle adressa à ses deux amis avant de se replonger vers les lettres cursives qui remplissaient chaque page de son livre de cours.
Sans toute cette attention posée sur lui, Drago avait l'impression que les hurlements s'étaient amenuisés. Ils étaient devenus un chuchotement désagréable, un acouphène dont il aurait pu se passer, mais avec lequel il pouvait survivre. Traversant la barrière asséchée de ses lèvres, un soupir de soulagement laissa une fine buée de condensation s'échapper. Il n'avait pas remarqué qu'il faisait si froid dans la salle de potion. Avant même qu'il ne puisse s'interroger sur les températures basses, des pas résonnèrent contre la pierre et la silhouette du Professeur Slughorn se dessina dans l'embrasure de la porte. Sa robe était si longue qu'elle camouflait ses pieds et ramassait les amas de poussière au sol. Son visage n'arborait aucun signe de fatigue et il laissait les rides s'épanouir sur sa peau. Il paraissait aller bien ; comme si la guerre n'était qu'un ancien souvenir périmé à ses yeux. Un seul détail venait contredire cette réflexion : un bonnet de nuit était visé sur ses cheveux grisonnants et le pompon de celui-ci se balançait devant ses yeux.
« Bonjour à tous, prononça-t-il en ignorant les chuchotements interloqués des sorciers présents dans la salle de classe. Ouvrez vos livres à la page trois-cent soixante-douze. »
Jetant une œillade circulaire à la salle entière, Drago remarqua que certains élèves paraissaient incapables de soustraire leur regards aux balancements hypnotiques de la boule de laine. De ses yeux vert émeraude, l'enseignant risqua un coup d'œil vers la paillasse de Potter qui s'empressa de lui indiquer son cuir chevelu. Slughorn sembla surpris de retrouver son bonnet de nuit sur le sommet de sa tête et il s'empressa de le retirer dans un rire nerveux. Drago avait l'impression d'être étranger à toute cette scène. Cette journée toute entière semblait ne pas avoir le moindre sens et il avait un mauvais pressentiment qui le suivait depuis son réveil une heure auparavant.
Tournant les pages de son manuel avec une lenteur délibérée, le sorcier aux cheveux blonds laissait ses prunelles courir sur le nom des potions qui commençait chaque nouvelle recette. Elles se présentaient toute de la même façon : un immense titre précédait la liste des ingrédients et toutes les instructions permettant de confectionner une potion parfaite. Puis le numéro trois-cent soixante-douze se dessina dans le coin inférieur gauche et il découvrit les lettres cursives qui formaient le nom de la concoction magique. Sa pomme d'Adam tressauta dans sa gorge alors qu'il avalait difficilement sa salive et ses yeux clairs se révulsèrent dans leurs orbites.
Philtre de paix.
C'était cette potion précise que l'enseignant avait décidé d'aborder dans son cours et cela confirmait le mauvais pressentiment que le jeune adulte ressentait. Drago sentit cet habituel désespoir l'étreindre. Six yeux étaient posés sur lui et lui brûlaient l'échine. Les siens étaient rivés sur la page sur laquelle il avait laissé sa plume ajouter plusieurs annotations. Cela ne pouvait pas être vrai ! Il n'allait pas devoir confectionner un philtre de paix. C'était une très mauvaise idée. Enserrant le livre entre ses mains, Drago sentit leur moiteur se répandre sur le papier et leurs tremblements fragiliser la tranche. La bouche pâteuse, il se demanda si c'était une bonne idée de continuer le cours. Il ne savait pas s'il avait suffisamment d'énergie pour supporter cette envie qui s'enroulait autour de lui comme le Serpent l'avait fait autour du pommier du jardin d'Eden. La tentation était trop forte et il était trop faible pour la supporter.
« Drago ? »
La voix inquiète de Théodore lui parvint comme étouffée. Il avait l'impression que sa tête était plongée dans plusieurs litres d'eau et qu'une force manipulatrice lui offrait un sourire mauvais. Les hurlements revinrent. Ils étaient plus puissants qu'il ne l'avait jamais été dans l'enceinte du château et Drago laissa un cri déchirer ses cordes vocales alors que ses mains venaient recouvrir ses oreilles.
Il ne pouvait pas ! Il n'en était pas capable !
Ignorant les regards rivés sur sa silhouette tremblante, le jeune homme se précipita hors de la salle de classe au pas de course. S'il avait cru être capable de supporter n'importe quel cours de potion, Drago n'avait pas pris conscience que les philtres de paix se trouvaient au programme de l'année. Il venait de se donner en spectacle au milieu d'une petite dizaine d'élèves, mais il s'en fichait pour le moment. Il avait besoin de trouver un endroit calme où personne ne pourrait venir le déranger.
Les couloirs ondulaient autour de lui et il peinait à garder l'équilibre. Le monde entier semblait tournoyer et il sentait un désagréable tournis s'emparer de tout son corps. Sa main droite suivait les contours du mur comme pour s'assurer qu'il était toujours là et que le monde n'avait pas cessé d'exister autour de lui. Drago déambula plusieurs minutes. Ses yeux fous cherchaient avec désespoir une porte ou un recoin désert. Son havre de paix prit la forme d'une salle de classe déserte. De grands draps blancs protégeaient les meubles de la poussière et un tableau laissait entrevoir les contours précis d'une créature cauchemardesque. Dès que sa main quitta la poignée de la porte, le blond sentit son corps céder sous son poids et ses genoux percuter le sol dans un craquement peu rassurant. Ses doigts fouillaient dans ses poches à la recherche de la fiole capable de soigner tous ses maux. Lorsqu'ils la trouvèrent enfin, il laissa échapper un son entre le glapissement et l'exaltation quitter ses lèvres.
Le liquide laissait échapper cette vapeur argentée et familière dont il était devenu si dépendant. Les hurlements dans son esprit le narguaient et ils s'accompagnaient désormais du rire dément de sa tante. Puis les moqueries lui parvinrent. Elles lui affirmaient qu'il était faible et qu'il n'était rien d'autre qu'un lâche. Ses doigts s'agitaient autour du bouchon. Dans sa précipitation de laisser le liquide glisser le long de son œsophage avide, le flacon lui échappa. Il rencontra le sol dans une explosion de verre. La flaque envoûtante s'élargissait et les vapeurs argentées vinrent caresser le visage du sorcier comme si une main aimante venait de se poser sur ses joues.
« Non ! pesta-t-il. Non ! Non ! Non ! »
Dans des mouvements de pur désespoir, le sorcier aux cheveux blonds fit glisser ses doigts tremblants et avides dans la minuscule flaque. La piqûre désagréable du verre contre sa peau fine ne semblait même pas capable de l'atteindre. Seul son besoin de laisser les gouttes de philtre de paix toucher son palais importait. Il se fichait du léger goût ferreux qui accompagnait la rassurante sensation de la potion circulant dans son organisme. Il ne resta rapidement plus une seule goutte sur le sol de pierres. Les voix n'étaient plus. Elles ne hurlaient plus leur douleur et ne suppliaient plus.
Drago avait sommeil. Il avait terriblement sommeil. La dernière chose qu'il aperçut avant de sentir ses paupières lourdes se clore fut les écorchures de ses mains desquelles coulaient quelques minuscules gouttelettes de sang. Il ne put s'empêcher de penser que le Prince des Serpentards était devenu bien pathétique et que son père n'aurait pas hésité une seule seconde pour rire de lui.
Puis plus rien.
10 octobre 1998 ; bibliothèque de Poudlard
La chaise sur laquelle le sorcier aux mèches blondes avait décidé de s'asseoir était étrangement confortable. Taillée dans un bois des plus robustes, elle n'avait aucune surface moelleuse pour recouvrir son assise. Personne n'aurait pu parier qu'il pouvait être agréable de passer plusieurs heures dessus et c'était pourtant le cas. Cette chaise se trouvait dans un coin reculé de la bibliothèque de Poudlard ; non loin de la réserve et d'une minuscule fenêtre qui laissait le ciel nuageux de l'automne se dessiner dans les iris clairs du sorcier. Un livre ouvert sur une table légèrement bancale, le jeune adulte se surprit à apprécier les instants qu'il passait à la bibliothèque pour étudier. Si quelqu'un avait osé articuler une phrase comme celle-ci quelques années plus tôt, Drago lui aurait probablement ri au nez. Quel intérêt aurait-il eu à mettre les pieds dans un endroit aussi ennuyant que la bibliothèque ? Il avait trouvé la réponse à cette question. C'était entre les rangées de livres poussiéreux que le jeune homme entendait le moins les voix qui le tourmentaient. C'était dans cet espace studieux, entre les allées où les plumes grattaient les parchemins pour y apposer leur encre et où les pages se tournaient que les voix dans sa tête ne devenaient qu'un murmure tolérable.
Cette raison avait transformé les journées de Drago Malfoy. Se déplacer à la bibliothèque lorsqu'elle était la moins fréquentée lui permettait d'oublier cette immense culpabilité qui le rongeait chaque jour. Les heures auxquelles il avait le courage de pénétrer dans ce temple des études étaient indécentes. Le soleil n'était pas encore levé ou était couché depuis plusieurs heures lorsqu'il franchissait la porte. Une seule personne semblait avoir le courage de se déplacer aux mêmes heures que lui : Hermione Granger. Elle s'installait toujours à quelques tables de lui et se cachait sous des piles de livres si hautes que leur équilibre devenait impressionnant.
Cette journée-ci n'était pas une exception à la règle. Lorsqu'il avait pénétré dans la bibliothèque, Granger se trouvait déjà installée sur sa chaise habituelle. Elle portait des vêtements moldus et ses cheveux bruns en bataille rendaient son visage indiscernable – ils étaient aussi la seule partie de son corps réellement visible une fois une muraille de livres créée sur la table. Ses affaires dispersées autour d'elle et sa plume glissant contre des parchemins vierges, la jeune femme n'avait pas jeté un seul coup d'œil dans sa direction lorsqu'il avait poussé l'imposante porte. C'était mieux ainsi. Drago se sentait toujours mal lorsque les regards se posaient sur sa silhouette.
Tant que leurs yeux ne se croisaient pas, le sorcier parvenait à omettre sa présence dans la pièce. Elle était pourtant toujours là, plongée dans des livres toujours plus épais. Il lui arrivait cependant qu'un violent torrent de culpabilité s'écrase sur lui comme un tsunami dévastateur. Le Manoir aux Hurlements, le rire dément de Bellatrix, les yeux rouges du Seigneur des Ténèbres ; tout lui revenait avec une intensité si forte qu'il avait l'impression de se noyer sous le coup de ses propres émotions. Ces tremblements familiers recommençaient à agiter ses mains et il avait l'impression que les yeux sombres de Granger se montraient capables de sonder son âme avec une facilité qui lui déplaisait. Drago ne voulait plus être ce livre ouvert que la sorcière n'avait aucune difficulté à en saisir les nuances. Il sentit une vague de colère s'emparer de lui. Comment pouvait-elle oser lui asséner des mots sur le pardon alors qu'elle le détestait plus qu'elle ne l'avait jamais détesté ? Comment pouvait-elle se permettre de lui asséner ce coup de poing alors que sa propre vie faisait souffrir tant de personnes ? Diriger sa colère vers la jeune femme n'était pas suffisant pour lui faire oublier son dégoût de lui-même. A qui Drago Malefoy aurait-il pu manger. Il était un garçon égoïste, manipulateur et mauvais. Il l'avait toujours été et il le serait probablement jusqu'à son dernier jour sur Terre.
Granger lui avait demandé de se pardonner avant de demander le pardon des autres. Mais comment le pourrait-il ? Le Manoir aux Hurlements était hanté par les souvenirs de ses inactions et de ses exactions. Comment aurait-il pu se pardonner les tortures ignobles et les morts qui s'étaient enchaînées entre les murs de sa propre maison ? Il était tout autant fautif que les autres Mangemorts et il avait sa place au fond d'une cellule miteuse de la prison d'Azkaban. Il avait tout autant de sang sur les mains que ceux qui avaient tué de sang-froid. Il ne méritait le pardon de personne. Il méritait cette colère froide que la majeure partie du monde magique éprouvait pour sa personne.
Une bulle d'angoisse grossit dans son esprit et lui fit perdre toute l'attention qu'il avait porté au livre de potions ouvert en plein milieu de la table. Les lettres se mélangèrent, l'encre des mots prit une teinte carmin et semblait couler comme du sang sur le papier pour finir par prendre les courbes glaçantes de la Marque des Ténèbres. C'était insoutenable. L'une de ses mains fut animée par ces tremblements insupportables et familiers. Il la souleva avec difficulté pour fouiller dans les poches de son uniforme. Lorsque ses doigts se refermèrent autour d'un flacon aussi froid que la glace, Drago observa les choses redevenir comme elles l'avaient toujours été. Les mots se suivaient de façon logique sur le papier et les phrases retrouvaient leur véritable sens.
Drago aurait tant voulu comprendre la raison pour laquelle la simple présence de sa camarade de classe le mettait dans un tel état. Pourquoi perdait-il son calme dès que leurs yeux se rencontraient ? Il avait déjà trouvé des semblants de réponses à cette question pourtant si simple en apparence, mais aucune ne rencontrait parfaitement ses attentes. Il refusait d'admettre que toutes les valeurs qu'on lui avait inculquées dans son enfance étaient fausses. Les né-moldus n'étaient pas supposés être des sorciers brillants. Ils n'étaient pas supposés mériter le même respect que les sorciers de sang pur. Toute sa vie, il avait été conforté dans cette idéologie factice qui affirmait que les longues lignées de sang pur méritaient plus de respect que les autres. Il s'était construit autour de ces valeurs toute sa vie et elles avaient été détruites aussi facilement qu'un château de cartes. Sans ces abominables certitudes, Drago ne savait plus qui il était.
Drago Malefoy existait-il encore ?
La réponse à cette nouvelle question aurait dû lui paraître évidente, alors pourquoi ne l'était-elle pas ? Pourquoi ne pouvait-il pas simplement affirmer ou infirmer cette simple question ? Il se sentait si faible et pathétique. Il se sentait démuni et vide. Seuls les hurlements résonnant dans son esprit le ramenaient à la réalité et le confortaient sur son existence. Il était vivant pour permettre aux âmes des morts de se venger pour toutes ces souffrances qu'elles avaient eu à subir. Il leur devait bien ça.
Alors que ses yeux gris scannaient les pages de son livre de potions sans pour autant en lire le moindre mot, une mèche de cheveux bruns et frisés apparut dans son champ de vision. Il n'avait pas besoin de soustraire son regard aux pages de l'ouvrage et de se focaliser sur cette angoisse qui le rongeait pour deviner à qui ils appartenaient. Sans compter la présence constante de Madame Pince, ils n'étaient que deux dans la bibliothèque et de tels cheveux ne pouvaient appartenir qu'à la Gryffondor. Poussé par l'envie de savoir ce qu'elle pouvait bien lui vouloir, le sorcier posa ses prunelles mortes sur la silhouette de sa camarade de classe. De larges cernes noirs soulignaient ses yeux curieux et un sourire poli étirait ses lèvres qu'elle mordait au sang dès qu'elle stressait. Drago ignorait pourquoi elle s'était déplacée et il ne voulait pas en connaître la raison. Il se contenta de l'observer tomber sur la chaise face à la sienne et poser toutes ses affaires sur la table. C'était un étrange comportement de sa part. Ses sourcils remontant jusqu'à la racine de ses cheveux blonds, il l'interrogea du regard et il ne put retenir une grimace lorsqu'elle arbora un magnifique rictus en guise de réponse.
« Granger, gronda-t-il. Qu'est-ce que tu me veux ?
— Ça fait trente minutes que tu ne tournes plus les pages de ton livre, remarqua-t-elle avec une neutralité déconcertante. Je me demandais si tu étudiais une potion particulièrement complexe. »
Le nez retroussé dans une moue profondément agacée, le sorcier jeta une brève œillade à la page où des lettres cursives indiquaient comment confectionner du polynectar. Ce n'était pas une potion compliquée et jamais il ne pourrait faire croire à la sorcière qu'il n'en comprenait pas la recette. Ils en avaient confectionné plusieurs années auparavant, dans un cours où le Professeur Rogue s'était montré de très mauvaise humeur, et ils avaient partagé les seuls OPTIMAL de toute leur promotion. Bien que son identité toute entière soit remise en question, Drago n'était pas idiot. Il savait que la jeune femme ne s'était pas déplacée pour s'inquiéter de son incapacité à lire correctement un manuel de potion. Les sourcils froncés, il replongea ses iris clairs dans ceux de la sorcière et il réprima le frisson de culpabilité qui lui parcourut alors l'échine.
« Pourquoi t'es venue ici, Granger ? lui demanda-t-il d'une voix froide.
— Pour rien, avoua-t-elle en haussant les épaules. Je crois que j'en avais marre d'être seule – elle esquissa un petit sourire en captant le sourcil levé qui transformait son expression neutre en une moue incertaine – et on entendait tes pensées noires depuis l'autre bout de la bibliothèque.
— Comme si tu allais m'aider avec ça, prononça-t-il entre ses dents. »
Granger ne releva pas sa réflexion et replongea dans la lecture du plus gros ouvrage que le sorcier n'avait jamais vu. Il paraissait si lourd qu'il se demanda comme une personne aussi frêle que cette femme s'était débrouillée pour faire le trajet entre leurs deux tables sans le faire tomber une seule fois. De ses doigts agiles, elle faisait tournoyer une plume neuve tout en analysant chaque mot inscrit sur son livre. Elle arrêtait parfois les mouvements de ses mains pour inscrire quelques mots sur un parchemin et elle s'empressait de reprendre les acrobaties de son outil presque instantanément. Drago ne pouvait pas nier qu'il était fascinant de regarder la brune travailler. Elle paraissait plongée dans un autre monde où seuls les mots inscrits sur le papier importaient. Il ne put cependant pas s'empêcher de remarquer que les doigts de la jeune femme venaient parfois se perdre à l'endroit où sa peau fine et boursouflée rendait lisible les mots cinglants de Bellatrix.
Le fils unique de la famille Malefoy sentit un sentiment de peine se propager dans son corps entier et cette culpabilité habituelle revenait l'étreindre comme si elle ne l'avait jamais quitté. Il avait été là. Il avait observé les sévices de sa tante sur le corps de Hermione Granger. Elle avait subi les pires tortures sous ses yeux et il n'avait pas amorcé le moindre mouvement pour arrêter la folie meurtrière de cette femme. Alors que ses yeux clairs étaient traversés par un voile de peine et que les voix dans son esprit reprenaient leurs chants inquiétants, Drago eut l'impression que le tatouage sur son avant-bras le brûlait. Il ne put s'empêcher de passer une main tremblante sur sa peau où l'encre magique se mouvait lentement. Lui et Granger étaient pareils. Ils portaient les marques de cette guerre sordide à laquelle il avait pris part bien trop jeune.
19 octobre 1998 ; Grande Salle
Des éclairs violets, bleus et blancs pourfendaient un ciel inquiétant dont les nuages noirs crachaient une pluie torrentielle sur les paysages britannique. Personne ne semblait avoir eu le courage de risquer un nez à l'extérieur de l'école de sorcellerie. Ceux qui étaient revenus du cours d'études des créatures étaient trempés jusqu'aux os et ils ne se gênaient pas pour asséner des menaces au garde-chasse qui préférait toujours la pratique à la théorie. Le ciel artificiel de la Grande Salle était une copie conforme de la météo extérieure. Les nuages sombres roulaient sur la pierre, les flash lumineux explosaient à un intervalle régulier et la pluie violente se dissipait à mi-hauteur pour ne pas toucher les visages des sorciers.
Assis sur le banc bordant la longue table de sa maison, Drago ne parvenait pas à soustraire ses iris céruléens des formes inquiétantes qui se manifestaient dans le ciel artificiel. C'était envoûtant. Chacun de ses éléments semblait accompagner les pensées maussades du sorcier et les coups de tonnerre parvenaient à faire taire les lamentations bruyantes qui animaient constamment son esprit. Pour la première fois en plusieurs jours, il les entendait moins que le monde réel et cela faisait un pied fou.
Les élèves autour de lui se servaient dans les plats garnis de multiples victuailles qui étaient apparus sur les tables plusieurs minutes auparavant. Drago n'avait pas été une exception. Son assiette contenait plusieurs petites quantités d'aliments qu'il n'avait pas touchées. Il n'avait pas particulièrement faim. Il n'avait jamais faim. Les voix de ses camarades lui parvenaient par moment, mais il se sentait bien incapable de participer à la moindre conversation. Il aurait pu faire semblant d'aller bien et prétendre le retour à la normale. Il aurait pu sourire à ceux qui avaient partagé sa vie durant presque sept années, mais il n'en avait plus la force. Les élèves de sa maison parvenaient à blaguer comme ils en avaient été capables avant la guerre. Blaise avait plusieurs fois affirmé que le rire était le meilleur remède contre la culpabilité. Il répétait sans cesse que la bonne humeur était un doigt d'honneur qu'il pouvait tendre aux années précédentes. Le blond ne parvenait pas à le croire. Comment oublier tout ce qu'ils avaient vécu ? Il ne voyait qu'une solution : disparaître.
« Drago ? »
Accompagnant la douce voix féminine qui l'avait interpellé, une main s'était posée sur son épaule et lui avait arraché un discret sursaut. Ses yeux clairs quittèrent le ciel artificiel alors que de nouveaux éclairs le traversaient pour se poser sur la silhouette de la jeune femme qui se trouvait à sa droite. Elle possédait un visage aux traits nobles que ses cheveux bruns remontés en une queue-de-cheval stricte rendaient sévères. Ses grands yeux verts analysaient les micro-expressions de son visage comme si elle cherchait une raison valable à son mutisme. Daphné Greengrass était une étrange personne dont la perspicacité devenait souvent une source de terreur pour quiconque cherchait à lui cacher des secrets. Le sorcier avait souvent l'impression qu'elle parvenait à lire dans ses pensées et cela ne faisait qu'amplifier cette boule qui lui nouait constamment l'estomac.
« Tu ne manges pas ? s'inquiéta-t-elle.
— Je n'ai pas faim, avoua-t-il. »
Les sourcils de la jeune femme vinrent se rencontrer à la naissance de son nez fin dans leur froncement inquiet. Tous les élèves de septième année de la maison au serpent semblaient partager cette même expression à son égard. Ces traits, figés dans une moue inquiète donnaient envie à Drago de couvrir les voix dans sa tête par ses propres hurlements. Il refusait d'être à la source du moindre sentiment de pitié. Il ne savait pas ce que Daphné voulait qu'il lui avoue, mais il n'avait pas la force de mentir une nouvelle fois. La simple vision des petit-pois dans son assiette ramenait son estomac au bord de ses lèvres asséchées. S'il se risquait à avaler le moindre aliment, il ne serait incapable pas de retenir sa nausée et il finirait par vomir l'entièreté de son estomac dans des toilettes désertes où personne ne pourrait entrevoir les larmes qui perlaient au coin de ses yeux rouges.
« Tu es sûr ? insista-t-elle.
— Oui, souffla-t-il avec agacement. Je n'ai vraiment pas faim. »
Sa voix était devenue plus sèche. Jamais il n'aurait cru possible que ces intonations cinglantes puissent lui revenir aussi simplement. Les yeux émeraude de la sorcière laissaient échapper quelques lueurs de pur agacement qu'elle fit disparaître d'un simple haussement d'épaule. Un sourire parfait dessiné sur ses croissants de chair, elle retourna à sa conversation qu'elle avait abandonnée quelques minutes auparavant. Blaise accueillit l'attention de la jeune femme avec une exclamation impatiente qui lui ressemblait tant. Drago voyait leurs lèvres s'animer pour former des mots qu'il ne parvenait pas à entendre. Il ne pouvait dire s'ils discutaient d'un cours ennuyant ou d'une soirée mondaine dont il se fichait. Le son de leurs voix était recouvert par les cris qui prenaient un plaisir mauvais à le rendre toujours plus fou.
Un mouvement discret au niveau de la table des professeurs finit par attirer son attention et Drago risqua une œillade discrète en direction des quelques enseignants qui avaient trouvé suffisamment d'appétit pour se rendre dans la Grande Salle pour partager un repas. La journée avait été longue et la plupart avaient préféré se terrer dans leur bureau ou appartement pour la nuit. Deux silhouettes se détachaient des autres et firent se hisser les poils clairs du jeune adulte. Elles étaient encore plus fantomatiques que le Professeur Binns et analysaient la pièce entière de leurs yeux vitreux. Un désagréable frisson s'empara du sorcier alors qu'il reconnaissait les statures des deux hommes. Cette longue barbe grisonnante et ces sombres cheveux gras ne pouvaient pas appartenir à deux autres personnes que les Professeurs Dumbledore et Rogue. Les spectres discutaient calmement à l'abri des oreilles indiscrètes des vivants. Le jeune homme se demanda si d'autres pouvaient les voir ou s'il était devenu suffisamment fou pour avoir des hallucinations.
Comme pour lui rappeler cette panique habituelle et insupportable qui s'insufflait dans ses veines à la moindre contrariété, ses mains osseuses commencèrent à trembler dès l'instant où les yeux sans vie des fantômes vinrent se poser sur sa silhouette démunie. Ils le voyaient. Ils l'analysaient. Ils le hantaient. C'était toujours la même chose. Les spectres de la guerre ne cessaient jamais de le hanter et il doutait grandement qu'ils décident de le laisser tranquille.
« Tu n'es pas un tueur. »
Cette voix tremblante de vieillesse revenait résonner dans son esprit alors que la silhouette de l'ancien directeur esquissait un sourire mélancolique à quelques pas de lui. Le jeune homme n'avait toujours aucune idée de ce qu'il était ou non. Il n'avait aucune idée de la véracité de ces propos plein d'espoir. Les lèvres du maître des potions étaient pincées dans une expression que Drago n'eut aucune difficulté à reconnaître comme de la pitié. Il ne supportait pas ça. Il ne supportait plus ça. Il avait envie de se terrer dans son lit pour ne jamais plus en sortir. Les ombres finirent par se déplacer et amorcer quelques petits pas dans sa direction. Le sorcier eut un brusque mouvement de recul et se redressa avec fracas. Les yeux des élèves avaient tous quittés leur assiette pour se poser sur lui et la nourriture qu'il avait renversé dans ses mouvements brusques, mais il s'en fichait. Il avait besoin de quitter la Grande Salle. Il avait terriblement besoin de laisser la potion aux vapeurs argentées se répandre dans son organisme pour faire taire les tourments e son âme.
Les voix de ses camarades de chambre se couplèrent aux hurlements moqueurs dans son esprit alors qu'il prenait la fuite. Son corps percuta brutalement une silhouette aux longs cheveux bruns arborant le blason sur lequel un aigle s'envolait dans sa course. Il sentit le corps chuter comme au ralenti, mais il n'en avait plus rien à faire. Il devait rejoindre sa chambre. Il devait se terrer sous une montagne de couette pour ne plus jamais en ressortir. Les mains posées sur ses oreilles pour chercher à atténuer la douleur des personnes mortes des mains des Mangemorts, Drago sentit ses pas accélérer dans sa fuite. Les murs du château défilaient sous ses yeux comme le paysage du Poudlard Express le faisait chaque année et il se retrouva rapidement devant l'entrée de la Salle Commune de sa maison. Il parvint à bredouiller le mot de passe dans sa panique et se glissa dans le décor familier.
L'humidité des cachots l'accueillit comme une vieille amie alors que les meubles paraissaient se mouvoir sous ses yeux clairs. Les canapés en cuir et leurs couvertures émeraude flottaient un peu partout dans la pièce. La cheminée crachait un brasier dans lequel le jeune sorcier crut voir apparaître le visage froid et mauvais du Seigneur des Ténèbres. Drago avait l'impression d'être un lapin pris au piège. Ses prunelles filles se déplaçaient sur chaque élément de la pièce sans jamais s'arrêter sur un seul. Puis il sentit ses jambes commencer à céder sous son poids et il se précipita vers sa chambre avant qu'il ne s'effondre comme une poupée de chiffon. Il s'écroula dans un fracas bruyant dès qu'il franchit la porte en bois de sa chambre. Des larmes brûlantes glissaient sur ses joues pâles et des geignements plaintifs s'échappèrent de ses lèvres alors qu'il se traînait vers son lit à la simple force de ses bras osseux.
« Tu n'es pas un tueur. »
Le spectre du Professeur Dumbledore ne se trouvait pas dans la pièce dans laquelle trois lits laissaient entrevoir la personnalité de ses occupants, mais il percevait les intonations de sa voix avec une clarté terrifiante. C'était comme s'il était juste là, dans sa tête, et qu'il ne la quitterait jamais. L'ancien directeur continuerait de le tourmenter jusqu'à ce qu'il rende son dernier souffle.
« Laissez-moi tranquille, pleura-t-il. Pitié. Laissez-moi tranquille. »
Mais la voix ignora ses supplications. Elle continua de répéter cette même phrase comme une litanie, ignorant la culpabilité et la honte qui continuaient de se répandre dans les veines du jeune homme aux cheveux clairs. Ce fut dans le tiroir de sa table de chevet qu'il trouva cette solution apte à lui faire retrouver la paix : un flacon. Il le dévissa avec une précipitation et fit tomber quelques petites gouttes sur la peau cadavérique de ses mains qu'il s'empressa de lécher comme si sa vie en dépendait. Lorsqu'il Drago engloutit l'entièreté du flacon, il sut qu'il faisait une terrible erreur, mais il avait besoin de faire taire les voix. Il avait besoin de les faire disparaître à tout jamais.
Sans même qu'il n'eût le temps de soulever son corps et de se glisser sous ses couvertures, Drago sentit ses paupières s'alourdir. Les voix se turent une à une et son corps s'effondra sur le sol à l'instant même où la porte de la chambre s'ouvrait avec fracas pour faire apparaître la silhouette agacée de Daphné dont les intonations énervées résonnaient dans la pièce. Mais il était déjà trop tard. Drago avait déjà sombré dans les bras accueillants de la déesse du sommeil et il ne comptait pas se réveiller de sitôt.
22 octobre 1998 ; Lac Noir
Aux abords de l'école de sorcellerie, se trouvait un immense lac sur lequel le reflet de l'astre nocturne ondulait. Les constellations complexes paraissaient danser sur la large étendue d'eau sombre et leurs mouvements hypnotiques se reflétaient dans les yeux clairs de Drago Malefoy dont les cernes ne cessaient de creuser son regard terne. Assis sur les rebords du ponton que tous les nouveaux élèves empruntaient pour se rendre à Poudlard, il sentait les vaguelettes en mouvement sous ses pieds. Ses jambes se balançaient au rythme régulier des clapotis de l'eau contre les poteaux alors que ses ongles suivaient les rainures du bois. A seulement quelques centimètres derrière lui, un chaudron était posé sur le feu et il laissait des vapeurs argentées se disperser dans les airs. Il avait trouvé l'endroit parfait pour confectionner cette potion calmante. A cette heure avancée de la nuit, les élèves se trouvaient déjà dans les bras de Morphée, une couverture épaisse maintenant leur corps dans une chaleur confortable. Quelques lueurs émanaient du château à plusieurs mètres de lui et Drago devinait que le concierge faisait des rondes à la recherche de quiconque osait enfreindre le règlement de l'établissement scolaire. Lui et son abominable chatte tigrée ne le trouveraient jamais à cet endroit et il ne pouvait pas s'empêcher de s'en sentir soulagé. Il avait enfin mis la main sur un endroit où les hurlements se montraient moins insistants. Il pouvait mettre de côté cette culpabilité qui le décorait et le rendait lentement fou. Il n'était personne d'autre que ce garçon de dix-huit ans qui n'avait jamais connu rien d'autre que les valeurs inculquées aux sorciers de Sang Pur. Il aurait tant aimé se terrer dans cet endroit et ne plus avoir affronté le monde autour de lui. Tout était plus calme lorsqu'il était seul.
Dans son dos, la potion passa une trentaine de minutes sur le feu avant d'émettre un sifflement familier qui retint l'attention du sorcier. Il se traîna vers le chaudron duquel la fumée argentée s'était épaissie pour former un nuage dans l'abri où plusieurs barques reposaient en attendant leur prochaine utilisation. Ses mouvements étaient lents et témoignaient de la fatigue de ses muscles qui ne cessaient de croître. Il n'avait même plus la force de s'agacer de cette incapacité à retrouver de l'énergie. Il avait terriblement besoin de dormir, mais ses yeux étaient incapables de se clore durant la nuit. Son cerveau à l'arrêt ne faisait que réveiller les voix qui reprenaient leurs lamentations culpabilisantes. Une expression satisfaite animait cependant ses traits. La potion avait l'air parfaite. De la louche qui reposait toujours à l'intérieur du chaudron en cuivre, le sorcier s'appliqua à remplir les quelques fioles vides qui traînaient dans ses poches. Il avait suffisamment de philtre de paix pour tenir au moins deux semaines.
Une quinzaine de flacons s'alignaient désormais sur le ponton et il ne put retenir le glapissement satisfait qui franchit la barrière de ses lèvres. Il pouvait désormais regagner le confort de son matelas et se camoufler sous des couches épaisses de couvertures. Mais alors qu'il s'apprêtait à quitter l'embarcadère, les poches pleines de potion, pour regagner l'école de sorcellerie, un bruit semblable à un froissement parvint aux oreilles du sorcier. Son souffle se coupa aussitôt et une désagréable chair de poule recouvrit ses bras. Il percevait les battements rapides et irréguliers de son cœur qui s'emballaient dans sa cage thoracique. Accompagnant les étranges bruits de pas qui résonnaient dans la pièce brumeuse, les voix de son esprit se réveillèrent pour hurler toute la douleur qu'elles éprouvaient.
Drago se sentit perdre l'équilibre.
Quelqu'un se trouvait juste là, avec lui. Il n'était pas la seule âme perdue qui avait trouvé un refuge dans cet endroit reculé de l'école de sorcellerie. Puis il la vit. La silhouette portait des lambeaux de tissus noirs sur sa peau cadavérique. Ces deux yeux rouges qui se posaient sur son corps tremblotant, ce visage sans nez sur lequel aucuns cheveux ne semblaient vouloir pousser, ce corps maigre dont chaque os paraissait facilement discernable et cette aura aussi écrasante que maléfique, Drago les connaissait. Il ne les connaissait que trop bien. La Marque des Ténèbres sur son avant-bras sembla se réveiller alors que le corps du Seigneur des Ténèbres s'approchait de son corps tétanisé. Il était revenu pour lui reprocher ses échecs de la guerre. Il s'était montré pour lui cracher au visage sa trahison envers la grande cause des Sangs Purs et sa lâcheté maladive.
« Non, pleura-t-il. Je n'ai rien fait, continua-t-il alors qu'il tentait de s'éloigner de l'ombre. Epargnez-moi. »
Le rire rauque et mauvais du Seigneur des Ténèbres se répercuta dans toute sa boîte crânienne. Un hurlement silencieux anima ses lèvres alors que ses mains recouvraient ses oreilles pour faire taire cette voix sifflante qui résonnait dans son esprit. Il ne pouvait pas être là ! Tom Jedusor était mort de la main de son ennemi de toujours ! Il ne pouvait pas être revenu ! Drago en avait conscience. Il avait conscience que tout cela ne pouvait être que le fruit de son imagination ou l'œuvre terrifiante d'un épouvantard. Il ne parvenait cependant pas à se soustraire au regard carmin de la silhouette terrifiante. Sa raison était incapable de reprendre le dessus sur sa peur. Il ne parvenait même plus à se souvenir du contre-sort pour chasser les créatures capables d'animer les pires peurs de leurs victimes.
Drago ne connaissait qu'une seule solution pour se débarrasser de la vision terrifiante du Seigneur des Ténèbres et celle-ci pesait lourd dans les poches de son uniforme. Alors que la main cadavérique du sorcier se levait pour atteindre le visage tiraillé par la terreur du jeune homme, celui-ci s'empressa de vider le contenu d'une fiole dans son estomac. Il espérait que la potion lui fasse retrouver cette lucidité dont il avait besoin pour faire disparaître son hallucination ou retrouver la formule capable de chasser la silhouette terrifiante d'un épouvantard. La dernière chose dont le jeune adulte se souvint avant de s'évanouir fut la silhouette de celui qui avait apposé sur sa peau ce tatouage mouvant disparaissant dans un nuage de fumée et une voix inquiète hurlant son nom dans la nuit.
bonne année à tous !
je vous souhaite plein de bonheur et une santé de fer pour cette nouvelle année. on espère tous qu'elle sera meilleur que 2021 ! prenez soin de vous, de votre santé physique et mentale et des personnes que vous aimez.
que dire sur ce chapitre ? mes plans sont de plus en plus long. ce n'est pas encore le cas avec le chapitre. je l'ai écrit pendant le nanowrimo donc ça fait bizarre de reprendre tout ce que j'ai écrit dans un semi-rush. je suis surprise de ne pas avoir trop eu à reprendre mes phrases. je pense que je l'aime bien et que j'aime bien entrer dans la psyché de ces personnages.
je suis curieuse de savoir si vous avez aimé ce chapitre ou si vous l'avez trouvé trop lourd.
n'hésitez pas à me donner votre avis :)
à bientôt !
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