[3] The one who mourns in silence
21 septembre 1998 ; Salle sur Demande
Un couloir au septième étage de l'école de sorcellerie britannique n'avait jamais connu autant d'allées et venues que lors de cette triste année 1998. Des traces de semelles de toutes les formes et de toutes les tailles avaient commencé à se tatouer sur la surface des pierres lisses. D'épais piliers montant à plusieurs mètres de hauteur soutenaient les deux murs qui encadraient cette allée à peine assez large pour faire passer des groupes de plusieurs dizaines d'élèves. Ces murs formaient un ensemble étrange dans l'enceinte du château. Le premier était vierge de tout tableau bavard et plongeait l'aile est dans une quiétude aussi inhabituelle qu'agréable. Quant au second, il était recouvert d'une immense tenture des plus originales. Elle relatait la tentative, courageuse mais infructueuse, de Barnabas le Barmy d'enseigner le ballet à des trolls. C'était une mission aussi dénuée de sens qu'elle était dangereuse et le sorcier l'avait pris à cœur. Cette tapisserie était l'unique décoration de ce couloir devenu si populaire auprès des sorciers de tout âge et elle n'avait cessé de capter les œillades circonspectes de la part de ceux qui avaient pris la décision d'arpenter cette partie reculée de l'école.
Quelques connaisseurs de cette partie du château et de ses particularités faisaient des allers-retours dans le couloir. Tous avaient l'espoir de voir le mur vierge se métamorphoser sous leurs yeux cernés par les nuits blanches. Mais, en cette journée pluvieuse de septembre, les pierres ne semblaient pas décidées de se déplacer pour faire apparaître la porte magique qui menait à l'intérieur de la Salle sur Demande. Les jeunes adultes qui avaient espéré trouver une paix factice entre les murs modelés à leurs envies reprenaient leur chemin et abandonnaient l'espoir de rejoindre la Salle Va-et-vient. Celui qui se trouvait à l'intérieur ne semblait pas vouloir être dérangé et la pièce magique se pliait à la moindre de ses volontés.
Un lit simple se trouvait au centre de la pièce et quelques bibelots divers avaient été dispersés sur le sol. Certains avaient été détruits ou avaient laissé de légers impacts sur les murs recouverts d'une tapisserie neutre. Une fausse fenêtre donnait une vue plongeante sur une réplique d'un quartier résidentiel britannique. La vision de ses maisons identiques était obstruée par les barreaux qui empêchaient d'ouvrir la fenêtre sous laquelle d'autres jouets s'entassaient sur un bureau. Venant se caller entre la porte et le mur, une large armoire contenait des vêtements en boules et d'autres objets sans aucune importance ou trace magique. La pièce entière était austère et d'une simplicité ennuyante, mais elle convenait parfaitement à celui qui l'occupait à cet instant. La Salle sur Demande s'était transformée en une copie d'une chambre parfaitement normale ; une chambre dans laquelle la notion de magie était étrangère.
Une seule chose « anormale » avait été abandonnée dans cette pièce : une photo sur laquelle deux adultes s'animaient pour danser à quelques pas d'une fontaine. Le papier ensorcelé se trouvait entre les mains tremblantes d'un jeune homme dont les yeux verts se perdaient dans les contours des deux silhouettes souriantes. Un geignement plaintif quitta les lèvres à demi closes du garçon et il abandonna la photographie sur le matelas et vint passer son avant-bras sur ses paupières humides.
Pourquoi aller de l'avant était-il si compliqué ?
La guerre s'était conclue par la victoire du bien, mais à quel prix ?
Des êtres humains avaient perdu la vie pour les sombres désirs d'un mégalomane. Des enfants étaient devenus orphelins. Des vies avaient été gâchées.
Harry savait bien que tout cela n'était pas de sa faute. Il avait suffisamment entendu ses proches et le monde magique tout entier lui rabâcher qu'il n'était pas fautif des actions de Voldemort, mais il ne pouvait pas s'empêcher de sentir un douloureux pincement au niveau de son cœur à chaque fois qu'il voyait une personne dont un proche avait perdu la vie. Et tous avaient perdu quelqu'un au cours de la guerre ! Il avait espéré trouver un havre de paix dans une copie de la seconde chambre de Dudley. Tout l'éloignait du monde sorcier dans la maison de son oncle et il avait naïvement cru que les pensées qui accompagnaient la société magique se dissiperaient s'il retournait dans un environnement qui ne connaissait rien de l'univers qui gravitait autour du célébrissime et héroïque Harry Potter.
Il avait été naïf de croire ça possible et avait plusieurs fois hésité à quitter la Salle sur Demande, car elle ne faisait rien pour faire disparaître ce mal-être qui accompagnait chacune de ses journées depuis sa quatrième année. Il était la raison pour laquelle tant de personnes avaient perdu la vie et il ignorait s'il était capable de faire son deuil. Harry n'avait cependant pas le courage de quitter le matelas inconfortable du lit de son cousin. Il n'avait aucune envie de croiser les regards souriants des autres sorciers qui évoluaient dans l'école de sorcellerie. Un fantôme les accompagnait tous et il était incapable de les voir sans ressentir cette culpabilité insupportable et amère. Harry resta donc dans cette position durant de longues heures. Incapable de trouver la force et l'énergie de s'extraire du lit. Il n'osait même pas clore ses paupières plus d'une seconde. Des ombres s'imprimaient à leur surface et lui rappelait ces choses que tous avaient dû sacrifier lors du conflit. C'était trop compliqué à endurer et il n'avait plus l'énergie de pleurer.
Le sorcier eut la force de se lever lorsque son estomac émit un son inquiétant. Il avait manqué tous les repas de la journée et son corps semblait bien décidé à le lui faire comprendre. Il se traîna hors de la Salle sur Demande et il fut aussitôt assailli par des visions cauchemardesques dès qu'il franchit la porte qui le coupait du reste du monde.
Tout lui rappelait la guerre.
Il voyait en chaque pierre de l'école un combat qui avait pu coûter la vie à un sorcier innocent. Il voyait en chaque salle les larmes des personnes qui avaient perdu un proche. Il voyait en chaque personne les souvenirs perdus des sourires et de la joie de vivre. Il voyait en chaque élément du monde extérieur une bonne raison de ne plus jamais sortir de la Salle sur Demande.
Harry ne pouvait cependant pas se permettre de manquer un autre repas. Il ne pouvait pas continuer d'inquiéter les personnes qui tenaient à lui. Son cœur battait si vite dans sa cage thoracique qu'il en percevait l'écho désagréable dans ses oreilles. Son souffle était si rapide qu'il peinait à respirer. Ses jambes étaient si lourdes qu'il peinait à mettre un pied devant l'autre. Sa panique s'accentuait à mesure qu'il se rapprochait de la Grande Salle. Le centre névralgique de Poudlard avait accueilli les morts, les proches en larmes et le désespoir de ceux qui avaient risqué leur vie. Depuis qu'il avait remis les pieds dans cet endroit qui avait abrité certains de ses plus beaux souvenirs, Harry peinait à pénétrer dans le réfectoire où tous revêtaient un sourire de façade.
Le sorcier sentit alors ses jambes céder et des sanglots silencieux déchirer ses cordes vocales avant même qu'il ne puisse pénétrer dans le hall. Il se traîna jusqu'à une minuscule salle déserte dans laquelle se trouvait deux balais brisés au milieu d'amas de poussière et il se laissa glisser contre un mur irrégulier. Ses jambes se rapprochant de son torse, Harry enfouit son visage au niveau de ses genoux et les entoura de ses bras. Il était exténué. La pression de la guerre ne semblait pas vouloir cesser de peser sur ses épaules et il ne parvenait pas à se défaire de cette insupportable culpabilité. Il aurait pourtant tout donner pour retrouver le calme qui avait précédé le grand retour de Voldemort. Tout était plus simple à cette époque.
Des larmes roulèrent sur ses joues marquées par les sillons rougeâtres des précédentes et ses doigts tremblants s'agrippèrent au tissu noir de son pantalon. Tout était douloureux : chaque sanglot, chaque perle salée, chaque respiration coupée, chaque geignement exténué ou plaintif, chaque souvenir... Tout était douloureux et le plongeait dans les abysses du désespoir. Le jeune adulte resta dans cette position jusqu'à ce que ses pleurs se tarissent et l'abandonne sans énergie dans un minuscule débarra poussiéreux qui n'avait même pas convenablement été reconstruit. Son estomac criait toujours famine, mais il se demandait si se déplacer jusqu'à la Grande Salle était judicieux. Les marques de sa crise d'angoisse devaient peindre son visage et il ignorait s'il avait encore la force de répondre par un sourire aux inquiétudes de tous ceux qu'il risquait de croiser son chemin. Il pouvait toujours se faufiler dans les cuisines après le couvre-feu et manger un fruit ou deux en compagnie des elfes de maisons.
Un gargouillement plus audible que tous les autres eut finalement raison de ses dernières réticences. Il se surprit à parvenir à se redresser. Ses jambes étaient toujours lourdes, mais elles ne semblaient plus être fabriquées de coton. Harry Potter s'extirpa du cagibi où jamais personne n'aurait pensé à le chercher et il se fraya un chemin jusqu'à la Grande Salle. Elle était presque déserte. Assis à la longue table qui leur était réservée à l'autre bout de la pièce, les professeurs mangeaient dans un silence qui leur était inhabituel. Ils posaient par moment leurs yeux marqués par la fatigue sur des élèves qui l'étaient tout autant qu'eux. Le nouvel enseignant de Défense contre les forces du mal n'avait pas osé occuper la chaise froide et vacante laissée par le Professeur Rogue. C'était étrange de ne pas sentir les œillades haineuses et agacées de celui qui avait un jour été Maître des potions et Directeur de Poudlard. Harry s'était habitué à son aura inquiétante et désagréable.
Un long soupir s'échappa des lèvres du jeune adulte alors qu'il posait ses yeux verts sur la table de sa maison. Seuls quelques élèves avaient eu le courage de quitter la salle commune. Harry les comprenait : il était beaucoup plus agréable de rester à la chaleur des cheminées et de voler de la nourriture dans les cuisines que de faire acte de présence au repas du soir. Ses amis avaient pourtant eu le courage de se déplacer. Ils étaient tous assis juste là et mangeaient dans ce silence qui leur ressemblait désormais tant.
Enfilant le plus beau de ses sourires faux et effaçant les dernières traces que les larmes avaient laissées sur ses joues, Harry Potter se précipita vers ses trois amis. Il se laissa lourdement tomber aux côtés de sa petite-amie qui l'accueillit par un rictus qui n'atteignait pas ses yeux avant de plaquer ses lèvres contre sa joue mal rasée. Neville s'amusait à faire rouler les aliments au centre de son assiette sans pour autant en prendre une seule bouchée. L'appétit semblait l'avoir quitté et il ne lui restait plus que cette boule douloureuse qui lui nuait l'estomac. Assise à la droite du plus tête-en-l'air des sorciers de Poudlard, Hermione mangeait des quantités trop petites pour lui apporter le moindre apport énergétique. Mais elle mangeait. C'était l'essentiel. Sa meilleure amie posa ses prunelles sombres sur lui et fronça les sourcils. Elle avait certainement remarqué ses yeux rouges et gonflés. Elle n'articula pourtant pas le moindre commentaire et se reconcentra sur la purée de petit-pois qui décorait une partie minime de son assiette.
Harry laissa ses yeux glisser sur les plats qui décoraient l'entièreté de la table de la maison au lion et qui se répétaient sur toutes les autres. Les elfes de maison s'étaient encore une fois dépassés et avaient cuisiné un véritable festin : des légumes de saison cuisinés de toutes les façons possibles remplissaient des plats et du poulet coupé s'entassait sur une large faïence. Harry se sentait parfois mal pour eux. Ils se pliaient en quatre pour préparer des plats que plus personne n'avait l'appétit de manger. Il parvint cependant à se servir quelques pommes de terre et une cuisse de poulet qu'il avala sans le moindre plaisir. La tête de Ginny finit par se poser sur son épaule et il sentit son souffle percuter sa peau sensible. Leurs mains se nouèrent sous la table alors qu'il mastiquait la viande et Harry ne put s'empêcher de regretter les temps passés où les choses étaient plus simples.
3 octobre 1998 ; Salle commune de Gryffondor
Les premiers rayons du soleil parvenaient à peine à transpercer les nuages sombres. Ils alourdissaient le ciel et plongeaient le château dans une semi-obscurité. Recouvrant l'herbe de rosée, des millions de gouttelettes étincelaient comme des diamants à la lueur matinale. Le Saule Cogneur dansait avec la brise qui soufflait sur cette région écossaise et commençait à revêtir ses couleurs automnales. Dans le lac qui bordait l'école de sorcellerie, l'eau remuait pour annoncer les agitations du calamar géant qui s'ennuyait de ne pas pouvoir terroriser des élèves en première année encore peu habitué à la magie et à ses facéties.
Le paysage était sublime ce matin-là, mais peu de sorciers allaient poser leurs yeux dessus. Leur couverture s'enroulait autour des corps au point que seules quelques touffes de cheveux étaient visibles, les habitants de l'école étaient encore plongés dans les bras de Morphée. Tous souhaitaient profiter du weekend pour se réveiller le plus tard possible et ils ne quitteraient pour rien au monde le confort de leur matelas.
Il y avait pourtant une silhouette dont les yeux bien ouverts guettaient le moindre mouvement du paysage. Assise sur le rebord d'une fenêtre de la troisième plus haute tour du château, sa lourde couette posée sur ses épaules pour conserver la chaleur émanant de son corps, elle n'avait pas réussi à trouver le sommeil. Dans cette chambre aux couleurs chaudes, un pied s'échappait d'une couverture et quittait le matelas de son lit à baldaquin. Quelques cheveux blonds entouraient le visage profondément endormi de leur propriétaire. Des ronflements graves et réguliers quittaient ses lèvres et parvenaient à faire sursauter la seule personne réveillée du château : Harry Potter. A chaque fois que son ami émettait un son, ses yeux verts allaient se poser sur la masse informe que la couette et lui formaient avant de se replonger dans l'observation silencieuse du paysage.
Encore une nuit blanche.
Il ne les comptait plus tant elles étaient nombreuses.
Un long soupir s'échappa de ses lippes asséchées et mordues, le sorcier se souvint des secrets prononcés du bout des lèvres et des rires trop forts pour être agréables qui avaient autrefois résonné entre les murs de cette chambre où cinq garçons se réunissaient au couvre-feu. Ils avaient mangé des friandises, s'étaient moqués de Neville qui avait toujours la malchance de tomber sur les pires parfums de Dragée Surprise de Bertie Crochue – les friandises au goût de vomis et de crotte de nez étaient ignobles et le pauvre devait les manger à chaque fois – et avaient parlé de ces personnes dont ils tombaient amoureux alors que la puberté attaquait leur visage à coup de boutons d'acné. Harry avait passé les meilleurs instants de sa vie dans cette chambre. Il arrivait parfois aux filles de les rejoindre et ils se lançaient dans d'interminables parties de bataille explosive en grignotant des sucreries. Harry ne voyait cependant plus tout cela. Le regard perdu sur le paysage à l'extérieur, il ne parvenait plus à voir autre chose que cette bataille sanglante qui avait vu tant de personnes mourir.
Des ombres fantomatiques apparurent alors sur le terrain herbeux et des flashes lumineux semblaient partir de celles-ci. Elles se précipitaient vers leurs opposants et explosaient en se percutant. Elles étaient ces souvenirs du passé que le Survivant cherchait à chasser de son esprit, mais qui revenaient toujours à l'assaut, comme pour lui répéter qu'il n'avait aucun droit de repos. Harry savait que la guerre était terminée et que plus personne n'aurait à mourir des mains des Mangemorts. Les gentils avaient gagné la guerre et les méchants avaient été envoyés en prison. C'était bien ce que le ministère de la magie répétait avec une infaillible conviction depuis le mois de juin.
Alors pourquoi avait-il tant l'impression que personne n'avait réellement gagné ?
Des gens avaient souffert, avaient vu leurs proches disparaître à tout jamais ou avaient perdu la vie. Ça ne sonnait pas comme une victoire.
Ajustant la couverture qui lui tombait lentement des épaules, Harry sentit un nouveau sanglot lui échapper. Le manque de sommeil le mettait à fleur de peau et jouait sur ses nerfs. Chaque petit détail le faisait fondre en larmes et il se sentait pitoyable. Pourquoi ne pouvait-il pas aller bien ? Pourquoi ne parvenait-il pas à porter cette image de héros que tous proclamaient dans son sillage ?
Perdu dans ses pensées, le jeune homme ne remarqua pas que les ronflements avaient cessé. Ce fut seulement lorsque la main de son camarade de chambre se posa sur son épaule qu'il se rendit compte qu'un autre être humain s'était échappé des bras de Morphée. Le blond avait les cheveux en bataille et la marque de son oreiller tatoué sur sa joue. Il camouflait un bâillement derrière sa seconde main. Il paraissait toujours exténué, mais Harry était heureux qu'il puisse avoir le sommeil aussi lourd.
« Est-ce que ça va ? »
La voix rauque de sommeil, Neville lui adressait un sourire auquel le brun ne put lui répondre que par un rictus maladroit. Il ne connaissait pas la réponse à cette question. Allait-il bien ? Probablement. Il était en vie et c'était suffisant.
« Oui, souffla-t-il. Je crois.
— Tu veux venir à la bibliothèque avec Hermione et moi aujourd'hui ? lui demanda-t-il. On va travailler sur un parchemin de botanique.
— Ça ira, sourit Harry. Je pense que je vais rester là aujourd'hui. »
Neville acquiesça d'un simple mouvement de tête et se retourna vers ses affaires pour enfiler des vêtements propres. Harry avait bien vu l'éclat d'inquiétude qui avait illuminé ses pupilles, mais il préférait l'ignorer. Même s'il ne supportait pas être à la source des maux de ses proches, il s'était habitué à l'être. Ses prunelles vertes plongées sur l'immensité de la nature au-delà du château, il n'entendit pas son camarade de chambre disparaître derrière la porte. Il avait juste ce silence aussi glaçant que rassurant. Il n'avait pas l'énergie de déambuler dans le château et aurait préféré trouver un refuge dans la Salle sur Demande ou dans un monde parallèle dans lequel la magie n'existait pas. Il lui arrivait parfois de se dire qu'il se serait senti mieux s'il n'avait jamais été un sorcier. Il aurait moins souffert de la mort des autres. Ses parents n'auraient peut-être pas eu à perdre la vie et ils auraient mené une vie simple et normale. Peut-être même que les Dursley se seraient montrés sympathiques ! Mais la magie existait et faisait partie de lui. Il ne pouvait plus s'en défaire et devait apprendre à vivre avec cette douleur constante.
Le château sembla prendre vie à mesure que les minutes passèrent. Les voix des élèves devinrent cet habituel fond sonore qui rendait la vie à Poudlard si unique. Les tableaux se réveillèrent et se remettaient à discuter de futilité. Harry était certain d'entendre des jeunes élèves se rassurer quant au mot de passe qui permettait de charmer la Grosse Dame. Le sorcier aux yeux verts aurait pu bouger et rejoindre la Grande Salle où tous devaient essayer de prendre leur petit-déjeuner en revêtant des masques de bonheur. Harry n'en avait cependant pas la force. Il ne voulait pas se mêler aux autres et voir leurs traits tirés par la fatigue.
Les conversations se dissipèrent pour ne devenir qu'un bruit de fond relaxant et le parc de l'école fut rapidement peuplé d'élèves qui ne craignaient pas les inquiétants nuages annonceurs de pluie. Harry aurait pu se déplacer et rejoindre ceux qui souriaient en s'entraînant à jeter des sorts inoffensifs. Il aurait pu arborer cette expression de fausse joie qui se tatouait à son visage dès qu'il quittait le confort de la salle commune. Il aurait pu faire tout ça, mais il n'en avait pas la moindre énergie. Alors il restait là, assis sur le rebord de la fenêtre, à observer le semblant de bonheur qui animait les êtres humains. Il ignorait combien de temps il avait passé à scruter le paysage de ses grands yeux verts. Son attention se détacha de la vitre lorsque quelques frappements incertains contre la porte lui parvinrent. Celle-ci s'ouvrit dans un grincement habituel et dévoila la silhouette de sa petite-amie. Elle se tenait au seuil de la porte, encore habillée de son large pyjama et serrant entre ses bras son oreiller.
« Je peux entrer ? demanda-t-elle d'une petite voix.
— Evidemment, répondit-il. Tu veux qu'on se mette sur le lit ? »
Elle souffla une réponse positive et referma la porte d'un coup de talon. Les deux amants se rejoignirent sur le matelas où Harry l'enveloppa de l'épaisse couette. La jeune femme laissa tomber sa tête contre son épaule et posa son coussin sur ses genoux. Il l'observa en silence. Ses cheveux roux avaient perdu leur éclat flamboyant et se cassaient au niveau de ses épaules. Les taches de rousseur qui avaient rendu sa beauté si envoûtante ne faisaient plus qu'accentuer la lividité de son teint et la noirceur de ses cernes. Ses croissants de chair modus tremblaient constamment, comme si elle cherchait à contenir de désagréables sanglots. Elle amenait parfois les manches de son pyjama à ses yeux aux éclats dorés pour en chasser les larmes. Ginny allait mal. Elle devait combattre la tristesse provoquée par la perte d'un frère et soutenir une famille nombreuse. La jeune femme positive et forte dont il était tombé fou amoureux avait disparu. Il en avait causé la perte et se sentait tellement mal pour ça.
Ils restèrent plusieurs minutes ainsi, sans articuler la moindre syllabe et sans amorcer le moindre mouvement. Leurs corps s'agitaient au seul rythme de leur respiration qui emplissait la pièce de leur régularité. Puis les épaules de la jeune femme s'agitèrent. Elles furent rapidement suivies par des sanglots à peine audibles et une trace humide s'étendit sur le de haut de pyjama de Harry. Elle pleurait. Chacune de ses larmes ne faisait qu'accentuer cette culpabilité qui compressait son cœur. Le Survivant passa une main incertaine dans ses cheveux et redressa son visage pour déposer ses lippes au coin de celles de son amante.
« Désolée, sanglota-t-elle. Je ne voulais pas pleurer.
— C'est pas grave, lui assura Harry. Tu as le droit de pleurer. Tu as aussi le droit de hurler. Je peux tout encaisser. »
Comme une formule magique capable de faire sauter le barrage fragilisé de ses émotions, la sorcière laissa un torrent de larmes creuser de profonds sillages sur ses joues couvertes de taches de rousseur. Ses sanglots étaient si déchirants que Harry ne put retenir ses pleurs plus de quelques secondes. Leurs deux corps formaient une étreinte complexe et chacun abandonnait des traces humides qui s'élargissaient sur les vêtements de l'autre. Leurs phalanges froissaient les tissus, se faufilaient entre les plis ou les boutonnières, provoquaient une légère chair de poule à chaque parcelle de peau qu'elles découvraient. C'était comme si elle avait besoin de se prouver que l'autre était bien présent, dans la pièce, et qu'il n'était pas le fruit de l'imagination du propriétaire des mains. C'était comme si le monde avait cessé de tourner autour d'eux ou qu'ils se retrouvaient dans une bulle où tristesse, désespoir et culpabilité les rendaient avides de la sensation de sentir la présence de l'autre à ses côtés.
Leurs bouches finirent par se rencontrer après une éternité. Leurs dents s'entrechoquèrent avec violence. Leurs langues cherchèrent à se rejoindre pour entamer cette danse que seuls des amants pouvaient partager. Leur baiser avait ce goût étrange de larmes. Jamais Harry n'avait autant ressenti la nécessité de sentir le corps de sa petite-amie proche du sien. Son corps tout entier était parcouru de frissons et de cette euphorie si rare qu'il avait cru ne plus jamais éprouver.
« J'ai besoin de toi. »
Les mots de Ginny devinrent un souffle mélodieux aux oreilles du jeune homme dont les doigts s'empressaient de débarrasser leurs corps de ces vêtements qui le gênaient. Ils finirent par disparaître de leur cocon loin du monde et de ces inquiétudes pour former une pile sur le parquet de la chambre. Les prunelles vertes de Harry glissèrent sur les formes de sa petite-amie : son abdomen laissait apercevoir quelques muscles et sa peau était marquée par plusieurs hématomes. Elle passait son temps libre sur un balai à s'entraîner au Quidditch pour oublier et son corps tout entier était marqué par les marques de ces heures intensives où elle oscillait entre le vol et les chutes. Le Survivant ne pouvait cependant s'empêcher de la trouver sublime. Ginny Weasley était une femme forte et elle finirait par faire disparaître cette tristesse pour retrouver une vie heureuse.
« J'ai besoin de toi. »
Elle répétait ces quatre mots comme une litanie rassurante. Ils franchissaient la barrière de ses lèvres entre chaque sanglot et chaque gémissement. Harry se sentait dépendant des intonations de sa voix et son organisme tout entier réagissait à toutes ses réactions. Il s'accrochait à ces mots pour se sentir vivant. Ses croissants de chair quittèrent la bouche de la jeune femme pour se perdre au creux de sa nuque où quelques grains de beauté marquaient sa peau, sur sa poitrine qui se soulevait au rythme irrégulier de sa respiration, sur son abdomen qui frissonnait à chaque fois que le jeune homme expirait. Lui aussi avait besoin d'elle. Il avait désespérément besoin de la présence de Ginny Weasley dans sa vie.
Leurs corps se mouvèrent de cette envie de se sentir vivant. Ils s'animèrent pour ressentir l'amour de cette autre personne qui avait connu les mêmes atrocités et qui voyait les mêmes formes cauchemardesques. Ils se mêlèrent dans des mouvements désespérés, s'arrachant des geignements qui oscillaient entre l'extase et la tristesse. La hantise des souvenirs dissipa à mesure qu'ils se perdaient dans le corps de l'autre. Harry était bien incapable de dire combien de temps ils avaient passé à faire l'amour dans cette chambre en désordre que les rayons du soleil illuminaient. Il avait seulement conscience de leurs mouvements désespérés, de la tristesse qui leur arrachait quelques pleurs entre deux baisers et de la culpabilité chassée par une fatigue si fracassante qu'ils finirent par s'endormir dans les bras de l'autre quelques secondes seulement après avoir atteint le septième ciel.
6 octobre 1998 : Forêt Interdite
Massif ensemble d'arbres s'élevant vers le ciel couvert, la Forêt Interdite offrait une vision menaçante à tous les plus jeunes qui s'en approchaient. Les troncs étaient si épais qu'il semblait même complexe de les contourner ou d'entrevoir la mousse d'un vert profond qui s'étendait au nord des écorces. Des ronces et plantes grimpantes bordaient les quelques chemins de terre permettant de s'enfoncer dans les bois. Elles venaient parfois empiéter sur les sentiers et camouflaient des racines sinueuses dont la volonté de faire chuter le moindre être humain ne faisait aucun doute. Quelques personnes avaient bien tenté de se frayer une route hors des passages leur étant destinés et tous finissaient par revenir avec le corps couvert de coupures et d'écorchures. Des bois s'échappaient plusieurs bruits inquiétants. Les créatures qui vivaient entre ces branches formant d'inquiétantes mains crochues, camouflées sous la terre humide ou entre les arbres dont la cime paraissait atteindre les nuages noirs n'étaient pas toutes bénéfiques. Certaines cherchaient à se débarrasser des Hommes. Ceux-ci étaient des présages de mort et n'étaient plus les bienvenus dans ces territoires sauvages bordant l'école de sorcellerie. Les créatures peuplant la Forêt Interdite souhaitaient retrouver un calme qui n'était pas possible en leur présence destructrice et annonciatrice de malheur.
C'était en ayant conscience de toutes ces choses que Harry s'était aventuré entre les troncs alors qu'il aurait dû être assis dans une salle de classe, à écouter un cours dont il ne parviendrait pas à retenir le moindre mot. Ses chaussettes et son pantalon avaient déjà été victimes des ronces, mais il continuait de longer les épais troncs. Les aiguilles et épines effleuraient sa peau et lui arrachaient des grimaces de douleur. Il s'en fichait. Ses pas le menaient à cet endroit où il avait abandonné la Pierre de Résurrection. Peut-être pourrait-il revoir toutes ces personnes disparues et leur offrir des excuses. Il avait pourtant conscience que jouer avec la mort n'était jamais une bonne idée. Voldemort avait tenté l'expérience et avait perdu son humanité dans sa quête et Harry se refusait d'être comme lui.
Le sorcier avait naïvement cru que l'aura oppressante et les souvenirs de la guerre se seraient amenuisés dans la forêt. C'était tout le contraire. Il sentait le poids de la culpabilité et de mort sur ses épaules. Il percevait les flashes des souvenirs des combats sanglants sans la moindre difficulté. Son imagination était en effervescence et ne lui offrait aucun moment de répit. Il aurait tout fait et tout donner pour oublier ses atrocités. Son cerveau et sa conscience ne semblaient pas partager son avis et s'associaient pour faire de sa vie cet enfer qu'il ne supportait plus. Il voulait simplement obtenir cette paix reconstructrice que son esprit tout entier lui refusait.
Alors qu'il déambulait entre les arbres telle une âme errante, Harry croisa les yeux de nacre d'une créature ailée. Son apparence était celle d'un cheval dont le pelage aussi noir qu'une nuit sans étoiles semblait reposer sur son squelette anguleux. De sa tête semblable à celle d'un dragon, tournée dans sa direction, l'animal étrange donnait l'impression de sonder son âme. Les larges ailes de chauve-souris s'étendant sur son dos frémissaient à la moindre brise légère et absorbaient la lumière matinale. Ce n'était pas la première fois que Harry apercevait un sombral – il se souvenait encore de sa surprise lorsqu'il avait compris qui les calèches menant à l'école de sorcellerie n'étaient pas animées par la magie – mais il était incapable de retenir les frissons de malaise dès que ses yeux verts se posaient sur l'un d'eux. C'était plus fort que lui. Les sombrals se dévoilait seulement aux personnes qui avaient rencontré la Mort. Ils étaient porteurs de cette malchance et devenaient des rappels de cette funeste entrevue. Les yeux du sorcier furent traversés par cet éclat de culpabilité alors qu'il prenait conscience que la majorité des personnes déambulant dans le château avait désormais la capacité de voir ces êtres magiques. Ils avaient tous flirté avec la Mort.
Semblant capté les divagations pessimistes qui agitaient l'esprit du sorcier, le sombral lui donna un léger coup de tête au niveau de son épaule recouverte d'un épais pull en laine. La créature aussi avait dû perdre des individus de son espère dans la guerre. Le jeune homme porta une main incertaine au pelage de l'animal et fut surpris de sa douceur. A chaque fois qu'il touchait un sombral, il s'attendait à rencontrer sur peau froide et rugueuse d'écailles.
« Harry ? »
Le Survivant aurait pu reconnaître cette voix rêveuse entre mille et il ne put retenir un sourire lorsque la longue chevelure blonde de Luna Lovegood se dessina dans son champ de vision et que ses grands yeux bleus se plantèrent dans les siens. Son amie était la seule personne qui ne semblait pas physiquement affectée par les derniers mois. Comme tous, elle avait maigri et ses yeux paraissaient plus fatigués qu'ils ne l'avaient jamais été, mais elle continuait d'afficher ses sourires mystérieux à chaque fois qu'elle pensait à une créature dont l'existence pouvait être remise en question, de porter des vêtements dépareillés et d'être gentille avec toutes les personnes qui croisaient son chemin. Luna parvenait à rester fidèle à celle qu'elle avait toujours été et se transformait en une bouffée d'air frais dans l'ambiance maussade qui planait dans Poudlard.
Derrière la sorcière, se trouvaient deux jeunes sombrals qui se disputaient un morceau de viande crue. Ils en devenaient presque attendrissants. Luna leur jeta un regard amusé avant de les reposer sur Harry. Celui-ci sentit un frisson d'appréhension le parcourir et il se figea lorsque les bras de son amie encerclèrent sa taille. Il resta immobile quelques secondes, incapable de comprendre le geste de la blonde, avant de lui rendre son étreinte. Luna sentait le bubble-gum, le sucre et la viande crue. Cet étrange parfait lui correspondait parfaitement et ramenait le Survivant à cette époque où leurs chemins s'étaient croisés pour la première fois. Cédric venait de mourir, Voldemort était revenu, et elle s'était montrée si empathique qu'il avait oublié le danger omniprésent.
« Tu as l'air fatigué, remarqua-t-elle en s'éloignant de lui.
— Sûrement parce que je le suis, avoua Harry en passant une main incertaine dans ses cheveux en bataille.
— On va réussir à s'en remettre. »
C'était une belle promesse. Elle était pleine de cet optimisme que Harry n'osait plus espérer de peur de finir plus malheureux qu'il ne l'était déjà. Il mentirait s'il affirmait qu'il ne souhaitait pas retrouver cette époque bénie qui s'était évaporée avec la mort dé Cédric. Le jeune homme n'était cependant pas le seul à penser le retour à la normale impossible. Luna avait beau affirmer le contraire, elle en était un parfait exemple. Camouflée derrière des mots plein de cette positivité qui la caractérisait si bien, elle ne parvenait pas à faire disparaître complètement cette lueur mélancolique qui animait ses iris bleutés.
Harry ne put retenir un discret soupir lorsqu'il en prit conscience. Il avait été naïf de penser son amie remise des enfers de la guerre. Elle parvenait toujours à afficher ce sourire rayonnant et à prononcer ces paroles pleines de cet enthousiasme dont ils avaient tous besoins. Elle parvenait à faire tout cela, car elle ne se trouvait pas entre les murs de l'école. Ils avaient tous remarqué qu'elle ne mettait pas les pieds dans le château si elle n'en avait pas l'obligation. Dès que les cours étaient terminés, elle se précipitait vers la Forêt Interdite ou la cabane de Hagrid. S'occuper des créatures qui vivaient dans les bois et boire le thé avec le garde-chasse lui permettait de faire disparaître ses tracas.
Elle était comme Hagrid. Celui-ci camouflait son humeur maussade derrière des sourires bienveillants et des anecdotes maladroites sur des créatures aussi dangereuses que fascinantes. Il ne quittait sa cabane que pour répondre à ses devoirs d'enseignant et de garde-chasse. Ses émotions s'étaient ternies et avaient transformé son visage recouvert de barde et entouré de cheveux hirsutes en un vecteur de sa mélancolie. Il n'était plus que l'ombre ce celui qu'il avait autrefois été et cela rendait Harry encore plus triste qu'il ne l'était déjà. Il n'aurait jamais su qu'il était un sorcier sans Hagrid. C'était grâce à lui qu'il s'était fait ses premiers amis, qu'il s'était enfin senti intégré dans un endroit et qu'il avait pu apprendre toutes ces choses dont il avait toujours ignoré l'existence. Hagrid était celui qui lui avait enfin permis d'être lui-même et le savoir malheureux ne faisait qu'accentuer sa culpabilité.
« Tu es encore dans tes pensées, lui fit remarquer Luna.
— Ça m'arrive de plus en plus souvent. »
La sorcière ne lui offrit aucune réponse. Elle se contenta de sortir un nouveau morceau de viande crue de son sac et de le lui tendre. C'était probablement de là que venait l'odeur. Harry s'en empara avec hésitation – ça ne l'enchantait pas de tenir de la viande fraîche entre ses mains – et le tendit en direction du sombral. Comme pour lui témoigner de sa gratitude, l'animal émit un son étrange, entre le hennissement et le caquètement, avant de refermer sa mâchoire aux dents aiguisées autour de la chair fraîche. Harry l'observa engloutir son casse-croûte en un temps remarquable et jeta un regard interloqué à son amie qui affichait un sourire heureux. Même si elle semblait incapable de trouver la paix à l'intérieur de Poudlard, la blonde était parvenue à trouver un semblant de bonheur avec les créatures fantastiques qui habitaient le monde sorcier.
Ils restèrent dans la forêt durant de longues heures, discutant de sujets divers et laissant leurs mains glisser sur le pelage sombre des sombrals. Lorsque le soleil commença à se coucher derrière l'horizon et que les bois devinrent plus inquiétants, les sorciers décidèrent qu'il était temps de rejoindre l'intérieur du château avant que les plus dangereuses des créatures ne quittent le confort de leur tanière. Ils marchèrent en direction de Poudlard dans un silence que seules leurs respirations hachées par l'effort perturbaient. Aucun ne semblait souhaiter briser cette quiétude.
Le hall de l'école se dessina dans leur champ de vision et les deux jeunes adultes se jetèrent un regard incertain avant de pénétrer dans la Grande Salle. Les tables étaient étrangement pleines d'étudiants affamés. Les discussions animées parvenaient à leurs oreilles et devenaient un brouhaha assourdissant alors qu'ils se dirigeaient vers deux personnes assises à la table des Gryffondor. Ses cheveux blonds commençant à tomber devant ses yeux, Neville racontait son entrevue avec la Professeur Chourave à la plus jeune des Weasley. Cette dernière faisait quelques mouvements de têtes et commentaires polis pour réagir aux mots enthousiastes de son ami. Une seule personne était aux abonnés absents : Hermione.
« Hermione n'est pas là ? se questionna Luna en se laissant tomber sur le banc.
— Elle est retournée dans la salle commune après les cours, expliqua Neville. Elle ne se sentait pas très bien. »
Harry aurait voulu s'étonner de l'absence de sa meilleure amie. Il aurait voulu ne pas s'inquiéter pour elle, mais il en était incapable. Hermione n'allait pas bien. Son état ne cessait de se dégrader et ses yeux passaient de plus en plus souvent sur le mot creusé sur la peau de son avant-bras. Elle ne dormait plus, elle ne mangeait presque plus et sa santé, aussi bien physique que mentale, subissait les répercussions des supplices qu'elle s'infligeait.
« Tu n'étais pas en cours de potion aujourd'hui, remarqua Neville.
— Je ne me sentais pas capable de suivre le cours de Slughorn, avoua-t-il. »
D'un simple acquiescement de la tête, le garçon le plus maladroit de Poudlard ne chercha pas à connaître les raisons qui avaient poussé Harry à ne pas se rendre en cours. Ils étaient tous adultes et ils étaient capables de se prendre en charge. C'était ce que le Survivant aurait aimé croire en cette soirée, mais les œillades inquiètes de sa petite-amie le rendaient incertain. Il ignorait s'il pouvait vraiment prendre soin de lui alors qu'il avait l'impression que le monde entier semblait s'effondrer autour de lui.
10 octobre 1998 ; Tour d'astronomie
Depuis la plus haute tour de Poudlard, la nuit semblait s'étendre à perte de vue. De sa noirceur envoûtante, elle plongeait la surface de la terre dans une obscurité que seuls les rayons lunaires et l'éclat des étoiles venaient perturber. Les astres apportaient tant de lumière que la pièce circulaire semblait plongée dans une clarté presque irréelle. Les lueurs nocturnes dévoilaient les nombreux instruments d'astronomie qui avaient été abandonnés çà et là à la fin d'un cours, et une silhouette, dont les coudes appuyés contre la rambarde de sécurité, observait le ciel de ses yeux verts soulignés de cernes violets. Il laissait parfois ses doigts remonter les lunettes rondes qui glissaient sur l'arête de son nez sans pour autant abandonner l'immensité du ciel de son regard mélancolique. Ses pupilles essayaient de distinguer les contours des constellations avec difficulté. Il avait toujours été mauvais pour les reconnaître et il se détestait de ne pas pouvoir mettre un nom sur certaines d'entre elles.
Puis il la vit.
Sirius.
Elle brillait de mille feux au milieu de la constellation du Grand Chien et le Survivant se sentit comme happé par l'éclat de l'astre. Ses yeux abandonnèrent alors une première larme. Son parrain pouvait-il le voir depuis sa place dans le ciel ? Veillait-il sur lui ? Harry sentit ses paupières s'alourdir sous le poids de la peine et plusieurs sillons salés creuser ses joues sèches. Une plainte silencieuse quitta ses lèvres alors que ses jambes cédèrent sous leur propre poids.
Le jeune homme se sentait pathétique de ne pas pouvoir retenir le flot d'émotions négatives qui s'emparait de lui à la nuit tombée. Il se sentait insignifiant. Laissant son dos reposé contre les rambardes, le sorcier jeta un regard circulaire à la pièce entière. Il ne voyait rien d'autre que des formes floues et difformes. Puis deux silhouettes se dessinèrent comme par enchantement dans son champ de vision. Il ne parvenait pas à discerner convenablement leurs traits, mais il n'eut pourtant pas la moindre difficulté à les reconnaître. La première appartenait à un vieil homme dont la barbe grise semblait s'étendre jusqu'à sa taille et se fondre dans sa robe argentée. La seconde arborait une expression agacée qui se mariait parfaitement avec ses cheveux sales et sa tenue intégralement noire. Le Professeur Dumbledore et Rogue se trouvaient juste là. Le jeune homme ignorait si leur présence était le fruit de son imagination ou s'ils étaient vraiment présents. Il sut seulement que ses sanglots s'accentuèrent et que ses lèvres articulèrent des mots d'excuse comme si cette litanie désespérée pourrait lui permettre de retrouver une conscience tranquille.
« Tu n'es pas la cause de notre mort, lui assura la voix vieillissante de l'ancien directeur de Poudlard. Tu ne nous as pas tués.
— Je ne vous pensais pas aussi pathétique, Potter, siffla l'ancien le Prince de Sang-mêlé. »
Leurs mots leur ressemblant tant. C'était comme s'ils étaient encore là, comme s'ils n'avaient jamais perdu la vie. De ses jambes peinant à supporter le poids d'un être humain, le jeune homme se redressa avec difficulté et tendit ses mains tremblantes dans la direction des deux silhouettes fantomatiques. Il avait besoin de les toucher ; de s'assurer qu'ils n'étaient pas morts. Ses genoux cédèrent une nouvelle fois lorsque ses doigts traversèrent leurs corps intangibles et Harry s'effondra en larmes sur le sol de pierre. La douleur cuisante de sa chute lui rappelait qu'il était encore en vie et lui faisait revivre la disparition de ceux qui ne l'étaient plus.
« Harry, souffla le Professeur Dumbledore. Tu n'as pas à t'en vouloir de notre disparition, répéta-t-il.
— Mais vous êtes morts à cause de moi ! sanglota-t-il.
— Nous sommes morts à cause du Seigneur des Ténèbres, gronda Rogue d'une voix sévère. Vous n'êtes pas le centre du monde, Potter. »
Ils avaient raison. Ils n'étaient pas morts à cause de lui, mais son esprit entier refusait de l'admettre. La culpabilité le rongeait, et lui faisait perdre sommeil et appétit. Il aurait tout fait pour prendre la place de ceux qui avaient disparu lors des différents combats. Il aurait tout donné pour récupérer le Retourneur de temps de Hermione et corriger chacune de ses erreurs. Ce n'était pourtant pas possible et il se sentait si impuissant que ça le rendait malade.
« Je veux pouvoir oublier ! pleura Harry. Je veux pouvoir oublier et aller mieux. »
Le sorcier crut entendre le soufflement agacé de celui qui avait été le professeur le plus désagréable de Poudlard et sentir l'aura de l'ancien Directeur de cette grande école de sorcellerie l'envelopper. La barbe grise du vieil homme semblait toucher le sol alors que le fantôme s'asseyait à même la pierre froide. Harry vit sa silhouette floue tendre la main vers lui et stopper son mouvement à seulement quelques centimètres de son épaule. Il ne pouvait pas le toucher et cela ne fit qu'accentuer les pleurs du sorcier.
« Tu n'oublieras pas, prononça le Professeur Dumbledore d'une voix douce. Tu n'oublieras pas, mais tu iras mieux. La douleur et les mauvais souvenirs finiront par disparaître. Nos derniers instants se dissiperont et tu finiras par ne garder que les bons moments.
— Quand ?
— Nous ne pouvons pas répondre à ta place, tonna Rogue d'une voix neutre. Ça peut être demain comme dans deux ans. Mais tu parviendras à faire ton deuil. »
Harry en doutait. Comment pourrait-il croire que la culpabilité et la tristesse se dissiperaient un jour alors qu'elles l'accompagnaient à chaque instant de sa vie ? Comment pourrait-il croire aux mots plein d'espoir de deux fantômes alors qu'il avait l'impression que le monde s'écroulait autour de lui ? Comment ?
« Je ne peux pas ! »
Les silhouettes ne lui répondirent pas, mais Harry eut l'impression que leurs visages souriaient avant de s'estomper. Le Survivant se retrouvait de nouveau seul dans la Tour d'astronomie et ses larmes ne cessèrent que lorsque ses yeux furent secs. Un mal de tête affreux lui compressait la boîte crânienne et il se redressa avec difficulté. Le grincement de la porte attira son attention alors que les contours du corps du Professeure McGonagall se dessinèrent dans son champ de vision. Habillée d'une robe de chambre aux couleurs de la maison dont elle était la directrice, elle arborait une expression de fatigue pure qui faisait ressortir les rides de son visage.
« Vous ne devriez pas être là, lui informa-t-elle.
— Je suis désolé, souffla Harry d'une voix cassée. Je ne trouvais pas le sommeil. »
Un sourire rassurant transforma les traits de la nouvelle directrice alors que ses yeux inquiets observaient les traces que les larmes avaient abandonnées sur les joues du jeune adulte. Lorsque celui-ci lui demanda ce qu'elle faisait là, elle lui adressa cette expression mystérieuse qui caractérisait tant les directeurs de Poudlard avant de porter ses prunelles vers l'étendue sombre où les étoiles brillaient.
« Il n'est pas simple de faire son deuil, Potter, mais vous y parviendrez.
— Comment ? l'interrogea-t-il.
— Je ne peux pas répondre à cette question à votre place, lui répondit-elle avec douceur. Vous devrez trouver la solution vous-même. J'ai moi aussi faire un deuil dans ma vie. Mon mari est mort dans un accident et il m'a laissé seule. Je me suis sentie démunie, en colère et coupable. Puis le temps est passé et la douleur s'est faite moins grande.
— Je ne veux pas les oublier.
— Qui vous parle d'oublier, Monsieur Potter ? Vous n'oublierez pas. Vous accepterez leur disparition, mais vous ne les oublierez pas. Parce qu'ils seront toujours là, elle désigna l'emplacement de son cœur, avec vous. »
Harry n'en croyait pas un mot. Rien ne pourrait jamais faire disparaître l'affreuse douleur coupable qu'il ressentait chaque joue. Mais il n'avait plus l'envie ou la force de débattre. Il voulait seulement se terrer sous les couettes de son lit et dormir pour ne plus jamais se réveiller.
le plan de ce chapitre était un mastodomte. il faisait plus de 1K mots. c'était très long d'écrire le chapitre. heureusement que le nanowrimo m'a permis de me booster parce que j'avais vraiment la flemme.
je ne sais pas si j'aime bien ou si je déteste ce chapitre. je suis assez mitigée. mais je dois vous avouez que je suis heureuse de pouvoir le poster maintenant.
il doit rester quelques fautes d'orthographe et de frappes. je corrigerais ça mieux plus tard. quand j'aurais l'énergie. j'étais beaucoup trop impatiente de vous le présenter pour attendre la correction en profondeur.
n'hésitez pas à me donner votre avis :)
à bientôt !
Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro