[2] The one who screams at night
tw : mention d'addiction et de torture
13 septembre 1998 ; lieu inconnu
Devenue lourde masse de chair et de sang sombrant dans une angoissante eau marécageuse et sombre, Hermione Granger se sentait s'enfoncer toujours plus profondément vers une destination dont elle ignorait tout. Ses yeux grands ouverts guettaient son environnement à la recherche du moindre indice pouvant l'aider à mettre un nom sur ce qui l'entourait, mais il n'y avait rien. Rien d'autre que cette obscurité poisseuse. Son corps semblait être la seule chose tangible dans cet endroit. Il laissait cette noirceur liquide l'envelopper et ses courants vicieux l'entraîner dans les profondeurs de l'inconnu. Les membres crispés, les dents claquantes derrière ses lèvres closes et le sang glacé, la sorcière laissait son enveloppe corporelle devenir la proie de cette angoisse qu'elle ne connaissait que trop bien. Remplie par l'espoir de voir quelqu'un la sauver, Hermione cria à plein poumon. Ses hurlements furent si fort qu'elle eut l'impression que ses cordes vocales allaient céder et la rendre aphone.
Personne ne l'entendit et personne ne lui vint en aide. Ses plaintes paniquées créaient un amas de bulles d'air aussi sombre que l'obscurité qui enveloppait sa lourde masse corporelle. Elle continuait de s'enfoncer dans cet océan ténébreux où l'écho de ses propres cris se dispersait à chaque fois qu'une bulle éclatait. Rien n'existait dans un endroit. Il n'y avait qu'elle.
Hermione ne sut pas combien de temps son corps erra dans cette mer ténébreuse où le silence assourdissant jouait sur ses nerfs à fleur de peau. Puis un son parvint aux oreilles de la sorcière ; un son lointain aux allures de démence. L'information monta lentement à son cerveau et elle reconnut ces quelques notes témoignant d'une folie pure : Bellatrix Lestrange. C'était son rire. La jeune femme sentit une panique brute se répandre dans ses veines comme un venin létal. Son esprit lui criait une solution unique : la fuite. Il ne fallait pas que cette femme s'approche d'elle ! Hermione se débattit comme une forcenée – ses mouvements ralentis par l'eau marécageuse ne lui permettait pas de s'éloigner du son – et essaya de s'extirper de l'obscurité. Son propre corps ne semblait cependant plus lui obéir et elle s'approchait toujours plus de cette affreuse voix.
Son environnement finit par se métamorphoser. L'obscurité laissa sa place à une lumière aveuglante. La jeune femme dut papillonner plusieurs fois des yeux pour s'habituer à cette nouvelle clarté et pouvoir étudier chaque élément qui l'entourait.
Son corps lourd reposait sur un parquet noir dont la froideur irradiait à travers ses vêtements. Il en émanait une forte odeur de cirage qui ravivait les souvenirs encore à vif de la jeune femme étendue sur le sol. Hermione laissa ses yeux bruns naviguer entre les empiècements de pierre formant une imposante cheminée aux motifs complexes. Son âtre poussiéreux ne semblait pas avoir connu la chaleur des flammes depuis plusieurs longs mois. Les courbes d'un puissant sorcier étaient gravées dans la pierre au-dessus de la tablette. L'homme semblait dominer quelques-uns de ses semblables et s'élevait comme un dieu vers le toit sculpté d'arabesques travaillées. De l'autre côté de la pièce, faisant face à la cheminée, des fenêtres hautes montaient jusqu'aux ogives et permettaient à la lumière de percer à travers de fins rideaux.
Hermione connaissait cet endroit.
Elle ne le connaissait que trop bien.
Ses doutes furent confirmés lorsque les silhouettes apparurent dans la pièce. Elles étaient comme des ombres fantomatiques, rejouant cette scène jusqu'à la fin de temps, et Hermione eut du mal à discerner leurs traits tant la panique s'attaquait à ses nerfs. Les secondes passèrent, s'étirant à l'infini, sans que la sorcière ne puisse amorcer le moindre mouvement. Elle avait l'impression qu'une masse la maintenait au sol pour l'empêcher de s'échapper. Un sanglot douloureux s'échappa de sa gorge alors que deux silhouettes se firent plus nettes. Prostré contre la fenêtre se trouvait Drago Malefoy. Ses yeux craintifs l'observaient et ses membres tremblaient comme des feuilles. Il ressemblait à un chiot apeuré et se recroquevillait toujours plus vers une ombre féminine dont Hermione ne parvenait pas à distinguer le visage.
Des boucles noires et emmêlées finirent par frôler sa peau et furent les premiers indices annonçant cette scène que la sorcière avait revue tant de fois. Elle n'avait aucun doute concernant la propriétaire de ses cheveux rêches qui chatouillaient sa peau. Hermione ne voulait pas tourner le visage. Elle ne voulait pas laisser ses yeux se poser sur cette carrure qui pesait de plus en plus lourd sur son corps. Elle lutta contre la pression que de longs doigts exercèrent sur sa mâchoire, mais elle avait moins de force que cette personne. Le souffle glacial de l'ombre la percuta avant qu'elle ne puisse discerner ses traits, mais Hermione les connaissait suffisamment. Elle les connaissait déjà par cœur. Ses yeux noirs aux paupières tombantes, cette mâchoire et ses lèvres fines, dévoilant des dents salies par des années de négligence, ne pouvaient appartenir qu'à une seule personne : Bellatrix. Elle avait entendu son rire dans l'obscurité étouffante qui l'avait enveloppé et la sorcière n'était pas surprise de la revoir. Cette femme au sourire dément et à la voix sèche hantait chacune de ses nuits depuis plus de quatre mois.
La jeune femme remarqua immédiatement le poignard qu'elle faisait tournoyer entre ses doigts. Sa poignée d'argent agrémentée de pierres précieuses et sa lame affûtée à la perfection, il s'approchait de la peau fine de son avant-bras avec une lenteur insoutenable. Hermione connaissait la sensation qui suivait le contact de la lame avec son épiderme. Ça commençait toujours par une légère piqûre et la jeune sorcière se disait toujours qu'elle pourrait supporter la douleur. Elle oubliait toujours la fourberie sadique de Bellatrix et du plaisir qu'elle prenait à faire souffrir ceux qui, selon elle, étaient les déchets de la société magique. Il suffisait d'un sortilège impardonnable pour que la jeune femme ait l'impression d'être traversée par des millions de minuscules aiguilles et que chaque mouvement que la lame aiguisée se répandait dans son corps entier. La dague continuait de bouger sur son avant-bras pour former les lettres de cette affreuse insulte. Ses hurlements et larmes se mêlèrent aux mouvements désespérés qu'elle effectuait pour se défaire de l'emprise insoutenable de son bourreau.
Lorsque la lame finit par s'éloigner de sa peau et que le sortilège fut rompu, Hermione avait toujours l'impression d'être enfermée dans une bulle de douleur et que son âme cherchait à s'échapper de son corps. Sa tête retomba comme une poupée de chiffon contre le sol et ses yeux larmoyants se posèrent sur les lettres sanglantes qui décoraient sa peau. Elles ne la quitteraient jamais. Puis, alors que Bellatrix s'éloignait d'elle dans un rire dément, la brune risqua un regard vers la silhouette de son camarade de promotion qui articulait cette courte phrase :
« Je suis désolé. »
Les lèvres asséchées du jeune homme articulaient cette phrase encore et encore. Elles ne s'arrêtaient pas une seule seconde et continuèrent de prononcer ces mots alors que l'obscurité redevenait reine et dissipait les contours cauchemardesques du manoir. Ce fut lorsque tout disparut et que les ténèbres l'enveloppèrent à nouveau que la sorcière trouva la force de se redresser. Son cœur battait la chamade derrière ses côtes et son souffle était court. Ses pupilles laissant éclater une panique brute et ses membres tremblants, Hermione chercha avec précipitation sa baguette. Elle la laissait toujours à portée de main au cas où ses angoisses viendraient la hanter. Son incapacité à entourer le bâton de bois sculpté par ses doigts ne faisait qu'accentuer ses mouvements précipités et elle sentit les premiers sanglots s'accumuler dans sa gorge.
« Lumos, prononça une voix douce. »
Venant apporter un soupçon de clarté dans la pièce, une petite tache jaunâtre apparut et dévoila les contours des meubles qui remplissaient l'endroit. Hermione n'eut aucune difficulté à reconnaître la chambre qu'elle partageait avec le membre le plus jeune de la famille Weasley. Le bois chaleureux des meubles et les parures de lit, subtil patchwork de couleurs rougeâtres, se laissaient découvrir à la lumière de la baguette. La magique clarté dévoila les traits exténués et pâle de sa camarade de chambre. De larges cernes noirs soulignaient ses yeux marron, ses cheveux roux semblaient avoir perdu leur éclat flamboyant, ses taches de rousseur n'étaient qu'un vestige de sa bonne santé d'antan et son teint cireux mettait en évidence son visage creusé par le manque d'appétit. Hermione sentit un sentiment de culpabilité lui nouer l'estomac. Elle n'était pas la seule à passer de mauvaises nuits. Tous partageaient les mêmes nuits complexes. La guerre les avait tous détruits : là où Hermione avait perdu sa capacité de passer une nuit sans voir la silhouette de son bourreau se dessiner dans chacun de ses rêves, Ginny avait perdu un frère aimant.
« Encore un cauchemar ? demanda la voix encore endormie de son amie.
— Oui, souffla-t-elle. Je t'ai encore réveillée ? »
Ne lui offrant aucune autre réponse qu'un fin sourire duquel la gaieté ne semblait plus qu'un lointain souvenir, son amie se redressa dans son lit et lança un sortilège à une bougie qui traînait sur sa table de chevet. La lumière de la flamme remplaça celle de la baguette et permit aux ombres de danser librement sur les murs alors que la silhouette de la rouquine se mettait en mouvement. Elle se rapprochait du lit d'Hermione qui, n'ayant aucun doute quant à la raison des déplacements de son amie, se déplaça pour lui laisser une petite place à ses côtés.
Le corps frêle de la rouquine vint se glisser sous la parure de lit et Hermione ne put retenir un long frisson lorsque ses jambes nues frôlèrent les siennes. Elles étaient glacées ! La plus jeune était comme un bloc de mélancolie taillée dans un marbre froid. La brune entoura sa taille fine, recouverte d'un large pull en laine qu'elle reconnut comme celui de Harry, de ses bras et laissa sa tempe reposer contre son épaule. Une douce odeur florale venant ravir ses narines, Hermione laissa échapper un long soupir. Le parfum du shampoing de son amie parvenait toujours à calmer ses inquiétudes et angoisses.
« Je suis désolée de t'avoir réveillée, s'excusa-t-elle.
— Je ne dormais déjà plus, répondit Ginny d'une voix faiblarde. »
C'était un mensonge. Hermione avait rencontré son premier Weasley sept années plus tôt et elle avait appris à déceler chacune des mimiques caractéristiques de la famille. Elle savait que Ronald salivait énormément lorsqu'il avait faim et que ses sourcils se fronçaient instinctivement lorsqu'il recevait un énième pull en laine. Elle savait que les traits de Ginny se figeaient et que ses intonations faiblissaient lorsqu'elle décidait de mentir. La brune savait tout cela. Elle décida cependant de ne lui faire aucune réflexion. Elle n'avait pas l'énergie de se disputer avec son amie et cette dernière semblait trop léthargique pour s'agacer.
« C'était toujours le même cauchemar ? l'interrogea la rouquine.
— Plus ou moins, répondit Hermione. Cette fois-ci, Malefoy s'excusait.
— Pourquoi ?
— Je ne sais pas. »
Si Hermione savait déceler les mensonges de son amie, l'inverse était également vrai. Elle n'avait aucun doute quant au fait que la jeune femme avait remarqué les discrets changements dans sa voix et elle lui était reconnaissante de ne recevoir aucune réflexion de sa part. La sorcière ne se sentait pas encore capable de parler de ses échanges avec Malefoy. Elle l'avait empêché de mettre fin à sa vie trois jours plus tôt et la vision de son corps commençant à chuter dans le vide était trop fraîche pour qu'elle puisse mettre des mots sur son ressenti. Hermione était cependant persuadée d'une chose : peu importait leur camp durant la guerre, tous avaient été marqués par la violence du conflit et gardaient de profondes cicatrices.
« Tu penses qu'on va s'en remettre un jour ? risqua-t-elle.
— Je ne sais pas, murmura Ginny. »
Bercée par la respiration régulière de son amie, Hermione se laissa somnoler sur son épaule jusqu'à ce que les premiers rayons du soleil vinrent remplacer la lueur de la bougie consumée. Elles s'étaient levées dans un même mouvement et s'étaient préparées pour la journée dans un silence reposant. Sa robe de sorcier reposant sur ses épaules et ses cheveux évoluant sur son crâne comme s'ils possédaient leur propre vie, Hermione observait son reflet dans le miroir de la salle de bain. Les cernes creusaient ses yeux et témoignaient de ses nuits agitées, ses joues s'étaient creusées et laissaient apparaître de saillantes pommettes et ses lèvres semblaient avoir perdu de leur couleur. Elle avait l'air malade. Son incapacité à passer des nuits complètes depuis la fin des hostilités se reflétait sur son corps. Il était devenu la victime de ses cauchemars et de sa perte d'appétit.
Lorsque la voix de Ginny s'éleva dans la chambre qu'elle partageait, la sorcière parvint à quitter la vitre réfléchissante du regard et rejoignit son amie. Elles prirent la direction de la Grande Salle dans un silence qui leur était désormais familier. Les escaliers en pierre ne s'étaient pas montré capricieux une seule fois et elles n'avaient pas dû à subir d'insupportables et longs détours à travers des couloirs déserts. L'école de sorcellerie était devenue une ruine dans laquelle errait sans but des élèves traumatisés. Hermione voyait les traits déformés des adolescents. Ils partageaient tous la même expression de fatigue et ils divaguaient dans le château comme des fantômes. Un discret soupir s'échappa de ses lèvres. Poudlard avait perdu de son charme et de son vivant.
L'arche menant à la Grande Salle finit par apparaître dans son champ de vision. Elle laissait apparaître une longue pièce dans laquelle quelques élèves étaient déjà installés autour de la table de leur maison respective. Ils mangeaient dans un silence lourd. Le poids du monde semblait peser sur leurs épaules et Hermione les comprenait. Comment pourraient-ils rire alors que cette immense salle avait été le siège de combat mortel ?
Alors qu'elle inspectait la pièce du regard, les sourcils bruns de la sorcière se froncèrent. Elle aurait pu reconnaître en mille les cheveux en désordre de son meilleur ami et les mouvements incertains de Neville. C'était surprenant de les voir attablés avant elle. Les garçons avaient toujours eu cette fâcheuse tendance à se lever au dernier moment. La main de la rouquine enserrant son poignet, elles se précipitèrent vers les deux jeunes hommes qui mangeaient en silence. Harry avait une petite mine : ses lunettes rondes ne parvenaient plus à camoufler les poches qui soulignaient ses yeux verts, ses jambes étaient agitées de tics nerveux et son regard était figé sur son assiette à peine entamée. Il quitta à peine la céramique des yeux lorsque Ginny claqua un tendre baiser sur sa joue. Il semblait fuir quelque chose. Neville ne semblait pas aller beaucoup mieux. Il se rongeait les ongles comme si la nourriture dans son assiette ne parviendrait pas remplir son estomac.
La jeune femme parvint à croasser quelques mots en guise de salutation avant de s'asseoir sur le banc. Ses yeux sombres sondaient toujours la Grande Salle alors qu'elle se servait une minuscule portion de nourriture qu'elle se savait incapable d'avaler entièrement. Ses prunelles finirent leur observation sur la table de la maison au serpent. Deux orbes céruléens étaient posés sur sa silhouette et Hermione ne put retenir une grimace agacée.
Si la fusiller du regard rendait Malefoy heureux alors grand bien lui fasse ! Elle se serait bien passé de l'expression de rancune qui lui adressait. L'image du corps squelettique de son camarade de classe tombant dans le vide s'était peinte derrière ses paupières. Son expression de détresse, le sillon de ses larmes sur ses joues, son corps tremblant et sa voix cassée ; Hermione n'aurait eu aucun mal à les dessiner. Malefoy n'était cependant pas le seul à avoir été tourmenté durant la guerre. Il n'était pas le seul à souffrir. Ils avaient tous vécu des choses qu'aucun être humain n'aurait dû connaître et sa culpabilité venait s'ajouter aux centaines de traumatismes qu'ils partageaient tous.
25 septembre 1998 ; salle 2E
Le grattement des plumes contre la rêche surface des parchemins et le craquement du bois sous les mouvements des élèves accompagnaient les mots du professeur Flitwick. Perché sur une haute chaise rembourrée par des coussins disparates, il expliquait une nouvelle notion de cours à la dizaine d'élèves qui avaient décidé de recommencer leur septième année à l'école de sorcellerie. Des craies ensorcelées notaient quelques mots-clés et traçaient les courbes de schéma dans son dos. Les mots prononcés par l'enseignant s'imprimaient sur un parchemin noirci de l'écriture presque illisible de Hermione Granger qui cherchait à reproduire avec une maladive exactitude chaque aspect sur cours.
Assise sur la deuxième rangée de bureau, entre ses deux amis qui rattrapaient leur manque de sommeil contre le bois rugueux, la jeune femme chassait la fatigue de ses courtes nuits en laissant sa plume noircir le papier. Les mouvements précipités de ses mains la gardaient éveillés et l'empêcher de ressasser ses souvenirs cauchemardesques. Revivre la torture infligée par Bellatrix aurait dû devenir une habitude. Elle revivait cet événement à chaque fois qu'elle se laissait tomber dans les bras de Morphée. Hermione ne parvenait cependant pas à oublier la douleur qui avait traversé son corps alors que la lame courait sur son épiderme pour y laisser une marque indélébile. Comme animée d'une volonté propre, sa main droite bougea pour laisser ses doigts gratter la cicatrice et permit à la plume de tracer une longue trace noire en travers du parchemin.
Lorsqu'elle remarqua l'état déplorable de son cours, Hermione sentit des larmes se créer au bord de ses yeux bruns et elle les vit s'échouer sur l'encre noire qui se dispersa à travers les fibres du papier. Son cours était fichu ! Elle allait devoir tout recommencer ! Abandonnant sa plume dans un mouvement rageur, la sorcière retint un geignement plaintif. Le son étouffé parvint à tirer son meilleur ami de sa somnolence.
« Pourquoi tu... commença-t-il avant de voir son expression de détresse. Ça va ? s'inquiéta-t-il dans un murmure.
— Oui, siffla-t-elle avec rage. J'ai juste fait un faux mouvement. »
Harry Potter était loin d'être un idiot. Il savait qu'elle ne lui racontait qu'une demi-vérité et que jamais elle ne se mettrait dans un tel état pour un simple faux mouvement. Cela faisait plusieurs années que ses principales inquiétudes avaient évolué : la terreur provoquée par la mort avait remplacé la peur de se faire renvoyer de l'école de magie. La sorcière la plus brillante de sa génération – la Gazette du sorcier et les autres journées lui avaient attribué ce surnom – n'aurait pas dû pleurer pour si peu. C'était juste quelques mots sur un morceau de parchemin.
Alors qu'elle amorçait un mouvement vers sa plume, la sorcière remarqua que celle-ci était tombée du bureau pour glisser jusqu'à celui où trois Serpentard suivaient le cours avec une attention surprenante. Nott buvait les mots de l'enseignant comme un évangile et décorait son parchemin des schémas tracés par les craies ensorcelées. Il les complétait par quelques légendes et annotations. Malefoy semblait avoir opté pour la même stratégie qu'elle. Sa plume traçait avec une frénésie inquiétante chaque parole prononcée par l'enseignant. Il levait à peine la tête de sa feuille pour regarder les tableaux. Hermione remarqua l'agitation de ses jambes, le filet de transpiration qui coulait sur sa nuque et les mouvements irréguliers qu'il portait à l'arête de son nez comme s'il cherchait à chasser une migraine. Il était en manque de sa potion à la vapeur argentée et risquait de craquer avant la fin du cours. Zabini, quant à lui, semblait plus mesuré dans sa prise de notes. Il jetait quelques œillades inquiètes à son camarade de maison avant de replonger sur son cours et il se laissait distraire par les bibelots qui décoraient l'étagère bancale derrière les tableaux.
« Zabini ! l'interpella-t-elle dans un chuchotement qu'elle espérait discret. »
Surpris d'entendre sa voix, son camarade de classe sursauta avant de tourner vers elle, un sourcil questionneur essayant de rejoindre la racine de ses cheveux. Essayant de camoufler l'amusement provoqué par la réaction du jeune homme derrière un sourire penaud, Hermione désigna sa plume de l'index. Zabini lui offrit un hochement de tête silencieux en guise de réponse et se pencha vers la plume pour la récupérer entre deux doigts. L'attention qu'il portât à l'objet surprit la sorcière. Il aurait pu s'en emparer avec la délicatesse d'un troll et la jeter sur son bureau. Elle avait cru qu'il réagirait ainsi. Leurs maisons se vouaient une petite guéguerre depuis la création de l'école de sorcellerie et elle avait cru qu'il se comporterait comme tout bon Serpentard. Elle n'avait pourtant aucune raison de le penser hostile. Bien qu'il ne se soit jamais montré amical envers une personne de sa maison, Zabini semblait à plusieurs années-lumières des disputes puériles. Il traînait juste avec Malefoy et cela avait suffi à la sorcière pour le ranger dans la case des personnes avec lesquelles elle ne voulait jamais entretenir une conversation cordiale.
« Fais attention, Granger ! ria-t-il en lui tendant sa plume. Tu pourrais manquer une partie du cours avec ta maladresse.
— Très drôle, souffla-t-elle. Et merci. »
Le Serpentard lui offrit un clin d'œil amical avant de se remettre à sa passionnante observation des babioles qui traînaient sur les étagères du Professeur Flitwick. Interloquée par cette étrange interaction avec le sorcier, Hermione eut quelques difficultés à se reconcentrer sur le cours. Que venait-il de se passer ? Pourquoi Zabini venait-il d'agir comme s'ils s'appréciaient ? Alors qu'elle replongeait ses prunelles noisette sur son parchemin barré d'une longue trace d'encre, la sorcière croisa le regard de Harry. Son visage affichait une moue surprise alors qu'il désignait la silhouette de l'autre élève de ses yeux verts.
« Je t'expliquerai plus tard, lui promit-elle. »
Sa réponse sembla le satisfaire et il se replongea presque aussitôt dans sa sieste matinale. La sorcière ignorait la raison pour laquelle elle avait prononcé cette phrase. Elle n'avait rien à expliquer. Zabini et elle n'avaient jamais échangé plus de deux conversations et elle était bien incapable de donner un sens à son étrange amabilité. Elle savait simplement que le garçon se montrait plus sympathique et lui offrait plus de sourire reconnaissant depuis ce qu'il s'était passé à la Tour d'astronomie.
Cette réflexion occupa toutes ses pensées durant le reste du cours. Zabini lui était-il reconnaissant de ne pas avoir laissé Malefoy mourir ? Ce n'était pourtant pas la première fois que sa vie était sauvée par une personne de la maison au lion. Lorsque le professeur annonça la fin de ses enseignements de la journée, Hermione n'avait pas ajouté une seule ligne à son parchemin. Un long soupir franchit la barrière de ses lèvres. Tout cela ne lui ressemblait pas. Depuis quand Hermione Granger se laissait-elle distraire des cours ? Ses mouvements alourdis par une fatigue croissante, la jeune femme glissa ses affaires dans son sac et elle se dirigea d'un pas lourd vers la sortie de la salle de classe où Harry et Neville l'attendaient.
« On doit aller où ? demanda Neville.
— Défense contre les forces du mal, répondit-elle. Vous ne connaissez pas encore votre emploi du temps ? »
Leur silence était une réponse suffisante et Hermione ne put retenir un discret ricanement. Certaines choses étaient destinées à ne jamais changer et cela la remplissait d'une étrange euphorie. Ses amis ne prenaient toujours pas la peine d'apprendre un emploi du temps et elle restait la personne vers qui se tourner en cas de doute. Cette constatation aurait dû l'agacer – elle l'aurait agacé avant la guerre – mais tous ces détails insignifiants qui lui rappelaient l'insouciance des temps précédant le retour de Voldemort la plongeaient dans une joie sans nom.
Les trois jeunes adultes marchèrent en direction du troisième étage dans une semi-quiétude. Le bruit de leurs pas contre la pierre accompagnait le son de leur respiration régulière. Ce fut seulement lorsque les escaliers décidèrent de se montrer capricieux et de changer leur trajectoire que Harry brisa le silence par un juron étouffé. Ils avaient encore du temps avant le début du prochain cours, mais Hermione comprenait la frustration de son meilleur ai. C'était toujours lorsque les dernières marches apparaissaient sous leurs pieds que les escaliers décidaient de changer de direction. Ils allaient devoir faire un détour et cela les agaçait tous.
« Tu devais m'expliquer, lui fit remarquer Harry alors que les escaliers n'étaient toujours pas décidés à s'arrêter.
— Expliquer quoi ? demanda Neville.
— La raison pour laquelle Zabini blague avec Hermione. »
Un rire nerveux franchissant ses lèvres asséchées, la sorcière passa une main dans ses boucles brunes. Elle ne savait pas pourquoi Zabini s'était montré sympathique avec elle. Seules quelques suppositions lui étaient venues lors du cours de sortilège et elles lui semblaient toutes bancales. Ses sourcils formant une barre horizontale au-dessus de ses yeux, Neville ne semblait pas convaincu par la gentillesse du Serpentard.
« Je ne sais pas par où commencer ? avoua-t-elle d'une petite voix.
— Par le début. »
Hermione obtempéra. Elle raconta toute l'histoire qui avait mené à la sympathie de Zabini à partir du moment où elle pensait que tout avait commencé : le train en direction du Poudlard lorsqu'elle avait invité un Drago Malefoy détruit par la guerre à rejoindre leur compartiment. Puis elle continua de parler aux oreilles attentives de ses amis. De sa discussion dans la bibliothèque de Poudlard avec le garçon aux cheveux blonds à sa tentative de suicide dans la Tour d'astronomie, elle n'oublia aucun détail. Elle cracha son agacement lorsqu'elle aborda ses excuses et la colère noire qui s'était emparée d'elle lorsqu'elle avait vu sa silhouette se laisser tomber du rebord de la tour. Elle parla de l'inquiétude de Zabini qui l'avait entraîné à sa suite pour empêcher leur camarade de promotion de mettre fin à ses jours.
Lorsqu'elle eut fini de tout expliquer à ses amis, son souffle était devenu court et des larmes creusaient des sillons pourpres sur ses pommettes. Hermione se sentait pathétique et faible. Pourquoi se mettait-elle dans un tel état pour Malefoy ? Sans risquer de lui poser une question, les deux garçons l'entraînèrent dans une étreinte amicale et lui murmurèrent des mots rassurant au creux de l'oreille. Elle parvint à se calmer après plusieurs minutes. Les escaliers avaient eu le temps de bouger deux autres fois avant qu'elle ne parvienne à retrouver une respiration normale.
« On va être en retard, renifla-t-elle en passant le dos de sa main sur ses yeux humides.
— Certaines choses ne changeront jamais, se moqua gentiment Harry alors que le troisième Gryffondor acquiesçait par de vifs mouvements de tête. Allons en cours ! »
3 octobre 1998 ; bibliothèque de Poudlard
Pour Hermione Jean Granger, rien n'était plus rassurant que l'odeur émanant de la bibliothèque de Poudlard. Mélange d'encre fraîche, de vieux livres, de parchemin et de poussières, cette senteur la plongeait dans un état de concentration qui lui faisait oublier tous ses cauchemars et tracas. Elle en oubliait même la fatigue constante qui l'assaillait. Assise sur une chaise grinçante, ses boucles brunes remontées dans un chignon désordonné, la jeune femme griffonnait quelques lignes sur un parchemin jaunâtre. Elle entendait le grattement des plumes contre le papier, la voix sèche de Madame Pince réprimander les sorciers qui n'étaient pas assez silencieux à son goût et les murmures de Neville qui lisait un chapitre sur les tentacula vénéneuses. Harry n'avait pas eu le courage de les suivre à la bibliothèque et il avait décidé de profiter de son samedi matin pour faire la grasse-matinée. La brune n'était pas dupe. Harry ne quittait la salle commune de Gryffondor que lorsque c'était nécessaire et les cernes sous ses yeux s'élargissaient. Elle le suspectait de se sentir coupable pour la mort de plusieurs dizaines de sorciers et les couloirs devaient lui rappeler toutes les vies perdues. Ils étaient tous sortis du conflit avec des plaies béantes et complexes à soigner alors elle n'insistait pas pour qu'il quitte les murs réconfortant de la salle commune.
La sorcière recopiait avec une précision chirurgicale le schéma d'une tentacula vénéneuse. Les longs tentacules rougeâtres étaient recouverts d'épines et de feuilles semblables à des orties qui laissaient apparaître des dents desquelles s'échappaient un venin mortel. Son dessin occupait une grande partie de la page. Elle annotait quelques informations importantes sur le reste de la page et continuait son devoir de botanique. Il arrivait parfois à Neville de l'arrêter pour lui poser une question ou donner une anecdote amusante sur ce qu'il lisait. C'était le genre de réflexion qui ne ferait rire personne d'autre qu'eux, mais elle appréciait cette atmosphère qui faisait tout disparaître.
Hermione allait entamer une partie sur les remèdes contre le venin inoculé par la morsure lorsqu'une personne chuta à quelques pas de leur table. Elle reconnut Astoria Greengrass. De deux ans sa cadette, la sorcière, répartie à Serdaigle à l'étonnement de nombreuses personnes, partageait les traits fins, les cheveux noirs et le nez en trompette de sa sœur aînée. Quelques rumeurs courraient sur sa maladresse légendaire et c'était la première fois qu'Hermione pouvait en être témoin.
« Est-ce que tu vas bien ? lui demanda-t-elle en se précipitant dans sa direction pour l'aider. Tu ne t'es pas fait mal ?
— Oui, souffla Astoria. Je me suis juste pris les pieds dans ma robe, expliqua-t-elle d'une petite voix. »
Un sourire aimable décorant ses lèvres sèches, Hermione lui tendit les livres et parchemins qui s'étaient éparpillés autour d'elle dans sa chute. Les pommettes rosies par la gêne, Astoria prononça des remerciements du bout des lèvres avant de s'éloigner vers le groupe d'adolescents qui semblait l'attendre.
« Elle est aussi maladroite que moi, remarqua Neville lorsqu'elle eut retrouvé sa place au milieu de son devoir de botanique. »
Il avait raison. Les personnes parvenant à se montrer aussi maladroites que Neville Londubat étaient rares et Astoria faisait partie des quelques élus. Reprenant sa plume dans sa main droite pour la plonger dans son encrier, la sorcière posa ses prunelles brunes sur son devoir de botanique. Elle avait encore quelques parchemins à compléter et à rédiger avant d'être pleinement satisfaite de son travail. Comme si la chute de la jeune Serdaigle n'avait jamais eu lieu, la brune se replongea dans la lecture de son chapitre et continua de remplir la feuille jaunâtre de son écriture la plus soignée.
Les minutes s'étirèrent pour devenir des heures et les jeunes adultes ne furent que rarement distraits dans leur travail. Le bruit de leurs plumes glissant sur le papier rugueux se mêlait aux chuchotements studieux des élèves qui avaient eu la force de se déplacer jusqu'à la bibliothèque en début de weekend. Hermione finit par poser sa plume lorsqu'elle sentit une désagréable sensation de brûlure remonter le long de son échine. Les sourcils froncés dans une moue colérique, elle releva les yeux vers le bureau de Madame Pince où trois élèves discutaient avec la bibliothécaire.
La brune n'eut aucune difficulté à reconnaître les trois Serpentard. Même débarrassés de leur uniforme, ils arboraient des vêtements trop classieux pour venir étudier dans la quiétude de la bibliothèque. Une affreuse grimace déforma ses traits lorsqu'elle aperçut les prunelles céruléennes de Malefoy posées sur elle. Le sorcier semblait se noyer dans ses propres vêtements et il peinait à porter ses livres de botanique. Il faisait peine à voir.
Comme si elle possédait sa propre volonté, sa main droite se dirigea vers son avant-bras pour effleurer le tissu qui recouvrait sa peau marquée. Ce fut seulement lorsque ses mouvements furent stoppés par Neville que la sorcière remarqua qu'elle avait recommencé à gratter sa plaie. Des larmes salées se formèrent dans ses yeux et s'écrasèrent sur le bois de la table, à seulement quelques centimètres de son parchemin. Passant une main rageuse sur ses paupières, elle ne put retenir un geignement plaintif. Elle avait manqué de détruire des heures de travail en pleurant ! La fatigue et la frustration la mettait à fleur de peau. Elle avait l'impression que chaque détail plus ou moins habituel la mettait dans tous ses états et elle ne le supportait plus.
« Ça te gratte toujours ? l'interrogea timidement Neville. »
Hermione lui répondit par un acquiescement silencieux. Lorsqu'elle reposa ses prunelles sombres vers l'entrée de la bibliothèque, elle fut surprise de ne pas apercevoir les trois élèves de la maison au serpent. Elle ne put retenir le soupir soulagé qui s'échappa de ses lèvres. Elle se sentait horrible de souhaiter la disparition d'une personne, mais elle ne pouvait pas s'en empêcher. La silhouette de Malefoy ravivait les pires instants de sa vie. Elle avait cru amenuiser la douleur en allant vers lui, mais elle était incapable d'accepter la moindre chose venant de lui. Hermione avait conscience de la culpabilité qu'il ressentait. Il avait toujours subi les actions des membres de sa famille et elles le tuaient à petit feu. La sorcière ne pouvait cependant pas contenir les frissons d'effroi qui parcourrait son corps dès qu'elle croisait le gris de ses yeux. Elle avait l'impression que tout s'était empiré depuis qu'il avait tenté de se laisser tomber de la tour d'astronomie. Comment osait-il s'octroyer le droit de mourir alors qu'il souffrait tous de la guerre ? C'était si égoïste ! Hermione avait commencé l'année scolaire avec la ferme intention d'oublier ses démons et se reconstruire. Jamais elle n'avait imaginé que panser ses plaies physiques et psychologiques puisse être si complexe.
« Est-ce qu'il t'arrive de revoir Bellatrix ? »
Sa soudaine question surprit Neville. Ses yeux bleus s'étaient révulsés dans leur orbite et de discrets tremblements avaient commencé à agiter ses mains. Il n'avait pas besoin d'articuler la moindre réponse. La jeune femme la connaissait. Jamais il ne pourrait oublier les traitements odieux que Bellatrix avait fait subir à ses parents. C'était impossible.
« Oui, finit-il par répondre dans un souffle. Je la revois à chaque fois que je vais rendre visite à mes parents à Sainte Mangouste ou que je me sens triste. Son rire résonne dans mon crâne et je la vois se moquer de moi. Elle refuse de disparaître.
— Tu penses que tu arriveras à oublier ? risqua-t-elle.
— Je ne sais pas, avoua-t-il d'une petite voix. Je pense que la douleur finira par se dissiper. Elle sera toujours là, quelque part, mais elle sera moins vive. »
Hermione doutait de la véracité des propos de son ami. Ses paroles transpiraient une positivité naïve à laquelle elle avait du mal à croire. Elle espérait cependant que chacun de ses mots soit vrai. Elle voulait croire que la douleur et la terreur qui l'assaillaient à chaque fois qu'elle laissait ses paupières se clore. Elle espérait pouvoir refaire une nuit complète sans voir l'affreuse silhouette de Bellatrix Lestrange penchée sur son corps parcouru de spasmes et sans entendre les excuses de Malefoy. Comme toutes les personnes qui avaient survécu à la guerre, elle espérait pouvoir se reconstruire et retrouver une vie normale.
7 octobre 1998 ; salle commune de Gryffondor
Dans la troisième tour la plus haute de l'école de sorcellerie, du bois brûlant crépitait depuis l'âtre d'une large cheminée surmontée d'un élégant portrait de lion. Les flammes venaient lécher avec délicatesse la pierre recouverte de suie et éclairaient la grande pièce d'une lueur orangée. Elles laissaient apparaître les contours de fauteuils et canapés dépareillés sur lesquelles des patchworks de tissus dans différentes variations de rouge avaient été abandonnés en boule. Certains, plus rares, avaient terminés étendus sur les dossiers et dévoilaient des motifs originaux et vieillots. Quelques portraits somnolaient dans leur cadre et des posters de toutes les couleurs décoraient la pierre terne des murs. Plusieurs babioles avaient été dispersées à travers la pièce durant la journée. Les tables fabriquées dans un bois chaud et les étagères plus ou moins lisses en étaient remplies. Il y avait même un jeu d'échec sorcier qui avait été laissé sur le sol en pleine partie et ses pièces semblaient s'ennuyer du départ des joueurs qui avaient regagné leur chambre pour y passer la nuit. Des tapis désassortis recouvraient la pierre froide du sol et permettaient aux élèves de se déplacer pieds-nus durant leur temps libre.
Les flammes dévoilaient également une unique silhouette dont les yeux noisette, soulignés de larges poches violacées, étaient perdus dans leur danse hypnotique. Assise à même le sol, sur un tapis aux motifs discutables et contre les coussins cousus dans un velours grenat d'un canapé, elle faisait danser sa baguette entre ses doigts fins. La lueur de la cheminée laissait parfois apparaître des boucles désordonnées ou les contours d'une cicatrice boursouflée sur un avant-bras. Les fenêtres qui s'élevaient de part et d'autre de la cheminée permettaient aux rayons lunaires de percer à travers les larges rideaux qui pendaient à la tringle dorée et décorée de lions.
La nuit était bien entamée. La majorité des élèves dormaient déjà profondément, emmitouflés sous les couettes épaisses. Hermione Granger ne se sentait pas capable de retrouver le confort de son lit. Elle n'éprouvait pas l'envie de rejoindre le dortoir des filles. Elle savait que les bras de Morphée l'entraîneraient dans un énième cauchemar. Derrière ses paupières closes défilaient constamment les mêmes images affreuses et celles-ci s'accompagnaient de ses hurlements et du rire dément de son bourreau. Elle était incapable d'oublier. Les souvenirs l'assaillaient dès qu'elle sentait la fatigue la gagner. Hermione revoyait la dague creuser sa peau fine et elle se rappelait de l'insoutenable douleur qu'elle avait ressentie. Le sommeil permettait à son esprit de se concentrer sur les événements les plus traumatisants de sa vie et Hermione ne voulait plus jamais à revivre tout ça.
Ses doigts glissant contre les rebords encore gonflés de sa cicatrice comme si elle la découvrait pour la première fois, Hermione sentit un sanglot déchirer sa poitrine. Elle avait envie de hurler sa douleur et sa détresse au monde entier. La société magique la considérait comme une héroïne et s'efforçait de ne pas comprendre toutes ces choses qu'elle avait enduré. Elle n'était qu'une adolescente ; bien trop jeune pour avoir à subir toutes les horreurs de la guerre. Elle était détruite. Les sorciers s'en fichaient. Ils étaient trop occupés à scander son monde comme si elle venait de sauver la planète d'une mort certaine. Personne ne lui demandait comment elle allait ! Personne ne s'inquiétait pour elle. Ce qu'elle avait vécu s'était transformé en discours politique et avait fait d'elle le visage des nés-moldus d'Angleterre. Elle ne voulait pas de tout ça ! Elle se sentait si faible et démunie !
Ses pleurs agitaient ses épaules et créaient un écho assourdissant dans la pièce entière si bien qu'elle n'entendît pas le son des pas résonnant dans la cage d'escaliers qui menait au dortoir des garçons. Ce fut seulement lorsque la douceur d'un épais plaid aux couleurs de la maison vint chatouiller sa nuque et recouvrir ses épaules agitées de soubresauts qu'elle prit conscience qu'elle n'était plus seule dans la salle commune. Malgré son champ de vision brouillé par les larmes qui débordaient de ses pupilles noisette, Hermione n'eut aucune difficulté à reconnaître son meilleur ami. Ces cheveux désordonnés, ces yeux verts et cette cicatrice unique qui fendait un front pâle ne pouvaient appartenir qu'à une seule personne.
« Tu me laisses une place sous la couverture ? »
La voix devenue rauque par les nuits sans sommeil du garçon-qui-a-survécu parvint aux oreilles de la jeune femme qui lui répondit par un simple mouvement de tête accompagné d'un sourire maladroit. Hermione ne put s'empêcher de se faire la réflexion qu'il nageait dans son propre pyjama dépareillé lorsqu'il amorça un geste pour s'asseoir. Lui aussi avait perdu énormément de poids et paraissait en mauvaise santé. Laissant sa tête tomber sur l'épaule osseuse de son meilleur ami dès qu'il se fut glissé sous le large et lourd plaid, la sorcière laissa ses prunelles noisette se replonger les flammes dansantes dans l'âtre.
Les minutes s'écoulèrent, l'astre nocturne se déplaça dans le ciel couvert du mois d'octobre et le feu disparut de la cheminée pour ne laisser que des bûches rougeoyantes dans l'âtre sans qu'ils ne décident de briser le silence. Bercés par le crépitement du bois et le bruit de leur respiration, ils étaient restés là, à observer la mort lente des flammes. Hermione n'osait pas articuler la moindre syllabe, trop effrayée de briser la quiétude de l'instant. Elle avait l'impression que son cœur battait de façon régulière pour la première fois depuis des lustres. Ses doigts retraçaient toujours les contours de la marque qui ornait son avant-bras comme s'ils la découvraient pour la première fois.
« Est-ce que tu vas bien ? »
Surprise par la soudaineté de la question, Hermione ne put réprimer le sursaut qui agita son corps. Elle avait cru que la danse hypnotique des flammes dans la cheminée était parvenue à faire sombrer son meilleur ami dans un sommeil mérité. Un ricanement moqueur quitta les lèvres du garçon alors qu'elle réfléchissait à une réponse à son interrogation.
Allait-elle bien ?
Hermione n'en avait aucune idée et elle détestait ça. Elle avait envie de dire que cela dépendait des journées. Elle avait parfois l'impression de se faire engloutir par ses angoisses et de se laisser submerger par tous ces souvenirs qui se mêlaient dans son esprit. Puis il lui arrivait de se sentir détachée de tout. Hermione ne ressentait rien d'autre que cet insupportable vide qui creusait son cœur et que les maux du monde entier s'échouaient sur son corps sans pour autant l'atteindre. Mais pouvait-elle dire qu'elle allait bien durant les journées où elle ne ressentait rien d'autre que ce détachement ?
« Non, avoua-t-elle après quelques secondes de réflexion. Et toi ?
— Non plus, souffla-t-il. Tout est encore trop frais et j'ai parfois l'impression que plus rien ne pourra jamais aller bien. C'est pourtant la première fois depuis notre arrivée à Poudlard que le mois d'octobre arrive sans qu'on n'ait eu à risquer notre vie, parvint-il à blaguer. »
Harry avait raison. Ils avaient toujours eu la fâcheuse tendance à mettre leur vie en danger. Du chien à trois têtes gardant la pierre philosophale à la recherche désespérée des horcruxes de Tom Jedusor à travers le Royaume-Uni, ils avaient toujours manqué de mourir au moins une fois par année. C'était cette sensation de terreur constante à la vue de leur fille unique prenant la Mort pour amante qui avait rendu ses parents réticents à l'idée de la laisser retrouver les bancs de l'école de magie. C'était cette peur incontrôlable qui leur avait fait murmurer leur peine de ne pas avoir une enfant moldue. C'était cette inquiétude dévorante dont Hermione les avait privés à l'aube de la guerre qui les rendait suspicieux sur le monde magique. La sorcière les comprenait. Comment ne pourrait-elle pas ? Quels bons parents pourraient apprécier de savoir son enfant en danger ?
Mais malgré cette paix nouvelle qui ravissait son univers, Hermione n'avait jamais senti sa propre existence lui échapper à ce point. Les raisons de sa peur avaient beau avoir disparu à la fin des conflits – morts ou enfermés dans la prison d'Askaban – mais leurs spectres continuaient de la hanter sans qu'elle ne puisse avoir le moindre contrôle sur eux et ça la rendait folle.
Les jeunes adultes discutèrent longuement sous la lumière l'astre nocturne. Ils discutèrent jusqu'à ce que les dernières braises perdent leur incandescence. Ce fut lorsqu'un bâillement bruyant décrocha la mâchoire de la jeune femme et ses paupières s'alourdir que la brune ne put retenir un mouvement brusque. Elle sentait les bras tentateurs de Morphée l'étreindre et elle refusait de la laisser l'emporter dans cet univers affreux où Bellatrix la rendait encore plus folle qu'elle ne l'était déjà. Harry perçut le changement brutal dans sa respiration et les tremblements incontrôlables qui s'étaient mis à agiter ses membres, car il extirpa deux fioles des poches de son pantalon. Hermione aurait pu reconnaître ce liquide violet entre mille et elle savait que ce n'était pas une bonne idée d'en boire une seule goutte.
« Où as-tu trouvé des potions de sommeil sans rêve ? l'interrogea-t-elle alors qu'il faisait sauter les bouchons de son pouce.
— Je l'ai trouvé dans la réserve de Madame Pomfresh, avoua-t-il. Je me disais qu'on pourrait en avoir besoin. »
Un long souffle s'échappa des lèvres de la sorcière. Elle n'avait plus assez d'énergie pour réprimander son meilleur ami. Ses yeux noisette lorgnaient sur la potion avec envie et elle ne put retenir une grimace. Elle avait trop de fois laissé ce liquide pervenche glisser le long de son œsophage et elle savait ses nuits plus paisibles lorsqu'elle en consommait. Ses cauchemars nocturnes ne venaient jamais la hanter quand son organisme permettait aux effets immédiats de la solution magique de l'entraîner dans des nuits sans rêve.
Une image apparut alors comme un flash dans son esprit : les mains tremblantes de Malefoy alors qu'il dévissait avec frénésie son philtre de paix. Avait-elle l'air aussi désespéré que lui à la vision du flacon ? Hermione l'ignorait. Elle savait simplement que le Soleil ne tarderait plus à poindre qu'elle ne pourrait pas tenir une journée supplémentaire sans dormir. Alors, ses mains agitées des spasmes de l'appréhension, elle se saisit du flacon et en but le contenu d'une traite alors que Harry faisait la même chose à côté d'elle. Et, alors que les bras de Morphée l'entraînaient dans un sommeil mérité, Hermione se promit qu'elle ne boirait plus une seule goutte de cette potion.
ça faisait longtemps, non ? avec mon rapport de stage et ma soutenance, je n'ai pas eu le temps d'écrire. et vous commencez à me connaître, je suis assez lente dans l'écriture. je suis jamais satisfaite de moi et je récris 5 fois (ou plus) mes phrases avant d'en être satisfaite.
je ne sais pas trop quoi penser de la scène de torture et du cauchemar. j'espère que ça donne bien. j'espère que tout le chapitre rend bien et que vous l'aviez apprécié malgré sa longueur. j'avais pourtant dit que je ne ferais pas de chapitres trop longs, mais j'avais beaucoup de choses à raconter :')
que dire d'autre ?
bonne rentrée à ceux qui reprennent les cours. je vous souhaite plein de réussite et de bonheur pour cette nouvelle année. prenez soin de vous et de vos proches.
j'espère que vous avez apprécié votre lecture (et votre été)
n'hésitez pas à me donner votre avis :)
à bientôt
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