IX- Hoseok - 2/2
Mardi 19 Décembre 2023
(10h15)
Hoseok passa la porte de son appartement et déposa ses clés de voiture dans le petit bol en céramique posé sur la commode. Il se pencha pour retirer ses chaussures, et apprécia le confort de ses pantoufles en coton doux tandis qu'il avançait vers le salon.
Sur l'îlot de la cuisine ouverte, il déposa les dossiers qu'il avait emportés discrètement, malgré l'insistance de son assistante pour qu'il prenne une véritable pause.
Retirant son manteau, il actionna la levée des stores, laissant la lumière douce du matin inonder la pièce. Puis, il attrapa la télécommande et alluma la télévision sur la chaîne d'informations.
Le bourdonnement des actualités enveloppa rapidement la pièce, et il s'affala dans le canapé.
La tête rejetée en arrière, les paupières closes, le châtain laissa échapper un long soupir.
Peu à peu, les voix monotones des journalistes formèrent une barrière contre le tumulte de ses pensées. L'agitation qui y régnait depuis les révélations de Jimin se dissipa lentement.
Dans ce silence intérieur retrouvé, Hoseok glissa dans un demi-sommeil, peut-être une quinzaine de minutes.
Ce fut son estomac qui le réveilla, réclamant une attention qui l'obligea à se lever.
Le châtain rejoignit la cuisine en retroussant les manches de sa chemise. Des œufs, quelques légumes frais et une assiette de Kimchi furent tirés du réfrigérateur, et il se lança dans la préparation rapide d'une omelette roulée.
Son assiette prête, Hoseok prit place sur le
comptoir, et ses yeux glissèrent inévitablement sur les dossiers posés à quelques centimètres.
Céder à l'appel du travail ne lui prit qu'une seconde.
D'une main, il attrapa le premier dossier et le consulta tout en entamant son repas. Il s'agissait du dossier du patient qu'il devait rencontrer cet après-midi, avant que Yuna ne l'incite à reporter la séance.
Hoseok feuilleta les pages à la recherche des notes de ses prédécesseurs, mais il ne trouva aucun antécédent psychiatrique. Le patient semblait n'avoir jamais consulté avant, son dossier n'ayant pour tout bagage que quelques informations génériques : Nom, âge, profession et une photo d'identification.
Le châtain s'attarda sur cette dernière, c'était un visage qu'on retenait. Des traits bien définis dont il ne put nier l'attrait, le regard perçant, mais surtout, ce sourire qui enveloppait l'homme d'un voile d'ambiguïté.
Un sourire léger, suspendu en surface et dépourvu de chaleur, qui donna au châtain une étrange sensation de déjà vu.
Ce sentiment s'ajouta au manque de références extérieures qui ne lui donnait aucune piste quant à la raison de cette consultation.
Les patients d'Hoseok étaient généralement orientés par des médecins traitants ou d'autres professionnels, mais ce cas était l'un des rares où la demande venait entièrement de l'initiative du patient lui-même.
Une démarche plus commune en psychologie mais très peu en psychiatrie.
Bien que les deux corps de métiers se rejoignaient sur l'aide à l'équilibre mental, les patients éprouvaient plus de facilité à consulter un psychologue qu'un psychiatre.
La raison était simple.
La psychiatrie portait un poids plus lourd. Se distinguant par sa capacité à prescrire des médicaments et des traitements aux affections plus complexes.
Ces affections, dans l'imaginaire collectif, suggéraient inévitablement une déficience mentale et des traitements encore associés à des méthodes dépassées comme les électrochocs.
Un stigmate persistant qui donnait mauvaise réputation aux psychiatres malgré les évolutions réelles de la profession.
C'était d'ailleurs la raison pour laquelle Hoseok avait fait le choix d'exercer son métier de façon libérale, loin des institutions et structures hospitalières, pour offrir un cadre plus accessible et rassurant à ses patients.
L'examen du dossier du mystérieux patient fut interrompu lorsqu'une notification sonore se fit entendre. Le châtain se leva pour attraper son manteau posé sur le canapé et en ressortit son téléphone.
Sur l'écran, un message de Jimin était affiché.
''Elle est d'accord pour te rencontrer, mais peut-être devrions nous remettre ça ? Je pense sincèrement que tu as besoin de faire une pause''.
La suggestion bienveillante du plus jeune fut ignorée, les doigts d'Hoseok se jetant sur le clavier tactile pour confirmer le rendez-vous.
C'était la première avancée qu'il allait faire en plus d'un mois et le psychiatre se sentait pressé par le temps.
Et ce sentiment d'urgence fut renforcé lorsque son attention capta les nouvelles informations diffusées à la télévision.
« Poursuivons à présent avec notre point sur l'actualité des entreprises.
La crise informatique qui frappe Bangtan Logics depuis plusieurs semaines maintenant, vient de prendre une nouvelle tournure alarmante.
L'entreprise, qui semblait récemment avoir réussi à rétablir la sécurité de ses données, fait aujourd'hui face à une nouvelle série d'attaques .
Les fuites se multiplient, et la réputation de l'entreprise, pourtant parmi les plus sûres du pays, est aujourd'hui sérieusement compromise .
Pour rappel, Bangtan Logics est un acteur de premier plan dans le développement de logiciels sur mesure. Nombre de ses clients comptent parmi les organisations et institutions les plus influentes.
Des entités qui délèguent la gestion de leurs données à ces logiciels par souci d'efficacité et de sécurité.
Face à cette nouvelle vague d'attaques, nombreux s'interrogent donc sur la capacité de l'entreprise à garantir la sécurité de ses solutions et à maintenir la confiance de ses partenaires.
Par ailleurs , les récentes apparitions publiques de Jeon Jungkook, une figure emblématique de l'entreprise, viennent jeter de l'huile sur le feu .
Des images récentes partagées sur les réseaux sociaux montrent le brillant ingénieur dans divers clubs, visiblement insouciant et alcoolisé, alors même que son entreprise traverse une crise majeure.
Ce comportement, en décalage avec les responsabilités qui lui incombent, alimente les inquiétudes quant à la gestion de cette crise.
À ce jour, aucun commentaire officiel de sa part, ni de Kim Namjoon, PDG de l'entreprise. Un silence qui suscite davantage d'inquiétudes et laisse présager un avenir incertain pour l'entreprise ».
Le psychiatre se rassit lentement sur sa chaise, les nouvelles qu'il venait d'entendre, ajoutant une nouvelle couche au poids de sa responsabilité.
_Jungkook..., lâcha t-il dans un soupir où se mêlaient désespoir et réprobation, bien que les agissements du plus jeune ne le surprenne pas.
Il n'avait que vingt ans quand le cours de sa vie avait brutalement basculé en lui arrachant les dernières années d'insouciance auxquelles il avait droit.
Qu'il tente de les rattraper, ou qu'il demeure figé dans ce passé perdu était inévitable.
Sa transition vers une vie d'adulte n'avait jamais pu s'accomplir naturellement, et il se retrouvait désormais face à des responsabilités exigeant une maturité qui ne se construisait pas du jour au lendemain.
Réussir cette transition nécessitait qu'il soit accompagné, et bénéficier d'un accompagnement impliquait de reconnaître qu'il avait besoin d'aide.
Une démarche qu'Hoseok savait que Jungkook n'entreprendrait pas facilement. Non seulement par fierté, mais aussi parce qu'il fallait être entouré de personnes en qui l'on avait une confiance absolue pour se permettre cette vulnérabilité.
C'était l'un des plus grands regrets d'Hoseok, avoir perdu la confiance de Jungkook à un âge où tout gamin idolatrait ses frères aînés.
Le regard du châtain fixa le vide, sa conscience le ramenant dix-huit ans en arrière, et sa peau frémissant au rappel de la chaleur suffocante des flammes qui emportaient le lieu de tous leurs tourments.
Le souvenir du chaos autour d'eux refit surface. L'air lourd de fumée, l'agitation des pompiers qui luttaient pour maîtriser cette fournaise , les pleurs de Jimin, les sirènes assourdissantes de l'ambulance qui emportait le corps inconscient de Namjoon.
Mais plus vif encore était le souvenir de sa propre voix qui s'était élevée au milieu de ce vacarme.
Il revit la violence avec laquelle il avait saisi les épaules du petit garçon de sept ans, secouant son corps avec une rage qu'il ne contrôlait plus.
Il se remémora les derniers mots qu'il lui avait adressés avant leur séparation. Des mots absurdes, exigeant une réponse que l'esprit d'un enfant ne pouvait même pas formuler.
« Qu'est-ce qui ne va pas chez toi ? » se revit-il lui hurler au visage, « Qu'est -ce qui ne va pas chez toi, merde ! »
Cette nuit-là, sa colère avait dépassé ses pensées, et à travers les larmes de rage qui lui brûlaient le visage il distingua le regard terrifié du petit garçon.
Hoseok en avait été profondément troublé , mais la peur et la confusion dans les yeux de l'enfant étaient bien réelles.
Ce fut à cet instant qu'Hoseok comprit une vérité qu'ils n'avaient jusque-là pas encore envisagée.
Jungkook n'était pas maître de ses actes, il semblait même n'en avoir aucune conscience.
La question du pourquoi il était ainsi, s'était alors gravée en lui, éveillant pour la première fois sa curiosité quant au fonctionnement de l'esprit humain.
Un intérêt qui l'avait conduit quelques années plus tard à se tourner vers la psychologie, puis la psychiatrie.
Mais ce fut aussi à cet instant que la police était intervenue et qu'il avait pris Jimin à part pour lui souffler leur version des faits, celle qu'ils allaient raconter.
Bien que Jungkook était beaucoup trop jeune pour être tenu pénalement responsable, Hoseok connaissait trop bien la société dans laquelle il avait grandi pour savoir qu'elle ne lui pardonnerait jamais cet acte.
L'incident serait colporté dans toute la ville et le suivrait toute sa vie.
Si les gens apprenaient ce qu'il avait fait, aucune famille n'accepterait de l'accueillir, et l'orphelinat, cette prison de solitude et d'indifférence, était tout ce qu'il craignait pour son cadet.
Ils avaient donc menti aux autorités sur la véritable origine de l'incendie, et avaient par la suite été dispersés dans de nouvelles familles d'accueil.
Hoseok et Namjoon avaient repris contact une fois leur majorité atteinte, et ensemble ils avaient retrouvé Jimin.
Seul le plus jeune avait été laissé de côté.
Ni l'un, ni l'autre n'avait cherché à savoir ce qu'il était devenu, comment il vivait, ni même comment sa nouvelle famille le traitait.
Namjoon avait toutes les raisons d'être consumé par le deuil et la colère. Hoseok, lui, ne sut même pas quelle était sa véritable excuse.
Les années s'écoulèrent, marquées par cette distance qu'il ne trouva pas le courage de combler.
Jimin fut le seul à se comporter en véritable aîné, retrouvant Jungkook et essayant de tous les réunir à nouveau.
Mais les retrouvailles furent désastreuses.
Jungkook était devenu un adolescent dont l'abandon avait nourri la haine et Namjoon n'avait pas manqué de lui cracher sa propre rancœur.
En réponse, le plus jeune avait rejeté toute culpabilité avec une détermination glaciale, ce qui avait été la goutte de trop pour Namjoon.
La fracture entre eux avait pris naissance à cet instant précis, chacun se jurant une haine indéfectible.
Hoseok, lui, était resté silencieux, observant en retrait cette déchirure sans avoir le courage d'intervenir.
Son mutisme, il l'avait profondément regretté, et il le regrettait davantage aujourd'hui à cause de tout ce qui avait suivi.
Sa vocation et son expérience lui avaient offert une nouvelle perspective sur les raisons derrière les actes de Jungkook. C'est avec ce recul qu'il avait réalisé que le plus jeune n'était pas le plus à blâmer.
Malheureusement, ce discernement, Namjoon était beaucoup trop aveuglé par sa colère pour l'avoir.
Et en ce qui concernait ce dernier, il semblait être actuellement la personne la plus à plaindre.
Le message de confirmation fut envoyé à Jimin, et le châtain déposa son téléphone sur la table pour terminer son repas.
Mais malgré ses efforts pour rester détaché, ses yeux revenaient sans cesse sur l'appareil, et les nouvelles diffusées à la télévision flottèrent dans son esprit. Une voix intérieure l'invitait à appeler Namjoon pour prendre de ses nouvelles mais il hésitait.
Les deux hommes ne s'étaient pas reparlés depuis leur brève altercation lors de la soirée de la réunion du conseil.
Altercation qui avait été brève uniquement parce que Jimin les avait empêché de commettre l'irréparable.
Hoseok ne tirait aucune fierté de son emportement, mais il ne regrettait pas son geste pour autant.
Rien ne l'empêcherait de se déchainer à nouveau sur Namjoon s'il entendait encore des mots d'une telle abjection sortir de sa bouche.
Comment avait-il osé ?
Que lui reprochait t-il exactement ?
D'avoir rêvé d'une existence à l'abri du besoin et de la terreur ?
Tous deux n'étaient pourtant pas bien différents.
Leur quête désespérée d'un idéal les avait emmené à croire que tout mal était nécessaire pour parvenir à leur objectif. L'un comme l'autre avaient cherché appui auprès de personnes peu scrupuleuses et s'étaient humiliés, compromis pour approcher cet horizon illusoire.
Elle avait été naïve. Lui, rusé et calculateur.
Elle y avait laissé sa vie. Mais lui, s'en était-il réellement mieux sorti ?
Hoseok posa ses couverts sur les bords de son assiette, la dernière bouchée de son repas glissant lourdement dans sa gorge alors qu'il fixait son téléphone, la mâchoire serrée.
Finalement, un soupir de résignation vint mettre fin à sa résistance. Il s'empara de l'appareil, fit défiler sa liste de contacts et lança l'appel.
Le blond ne décrocha qu'à la sixième sonnerie, lâchant un nonchalant ''Quoi'' qui fit rouler les yeux du châtain.
_ Bonjour à toi aussi, réagit le plus âgé en réprimant son agacement. Je viens d'entendre les nouvelles à la télévision.
Le châtain marqua une pause, son orgueil ravivé par l'accueil placide que son appel avait reçu. Il tenta de s'imposer un détachement, mais ne put finalement pas empêcher la sincérité de son inquiétude transparaître dans sa voix.
_ Est-ce que tu vas bien ?
Le blond, à la répartie habituellement cinglante, se mua dans un silence évocateur. Les secondes s'écoulèrent et Hoseok s'accrocha à cette attente, y pressentant une confession qu'il était prêt à écouter.
Le châtain suppliait intérieurement Namjoon de le laisser entrer dans ses pensées.
Mais malheureusement, ce ne serait pas pour cette fois.
_Je vais bien, choisit de répondre Namjoon. Qu'est-ce que tu veux ?
Hoseok appuya un coude sur la table pour glisser une main dans ses cheveux. Ses paupières se fermèrent un instant pour étouffer un soupir de déception.
_J'aimerai te parler de Jungkook, finit-il par dire.
_Je raccroche.
_ Arrêtes de faire l'enfant et écoutes ce que j'ai à te dire ! rétorqua le plus âgé avec autorité. Je sais que tu es actuellement dans une position délicate. Tu as perdu ton meilleur élément et celui qui l'a remplacé prend plaisir à faire la une des journaux pour t'enfoncer.
Mais il y a peut être un moyen d'y remédier et c'est de ça que je veux te parler.
_Merci d'y avoir pensé mais je suis déjà en train de régler ce problème.
_ Laisse-moi deviner. Tu vas faire publier un communiqué pour annoncer officiellement que l'entreprise se dissocie de ses actions et qu'il ne fait plus partie de vos rangs ?
_C'est aussi simple que ça.
Le ton calme et détaché du blond traversa la ligne téléphonique, arrachant un soupir à Hoseok qui s'exaspérait de l'inflexibilité de son interlocuteur.
_Namjoon, tu es pourtant plus malin que ça, persista le châtain. Ce n'est peut-être plus ton parfait petit soldat, mais d'une identité à l'autre, son talent reste une constante. Il reste le meilleur de tout le pays, et c'est précisément pour ça que même s'ils critiquent ses agissements aujourd'hui, ils accourront à nouveau une fois que les choses se seront tassées.
Mais si tu annonces maintenant que tu te défais de ton meilleur élément, tu risques de perdre bien plus.
Ne laisse pas tes rancunes personnelles prendre le dessus sur les intérêts de cette entreprise.
Tu ne vois vraiment pas que tout serait plus simple si vous décidiez de mettre vos rancunes de côté et de travailler ensemble ?
_Je vois, ironisa Namjoon. C'était donc là où tu voulais en venir ? Je devrais aller le supplier de se tenir tranquille et de reprendre la place de son autre parce que ça rassurerait nos partenaires ?
Le châtain demeura silencieux. Une manière de confirmer à Namjoon que tel était bien son plan, bien que ce dernier l'ait formulé avec des mots qui ne lui rendaient pas justice.
En réalité, le plan d'Hoseok consistait à exploiter la crise actuelle comme prétexte pour réunir les deux hommes. Il espérait que cette proximité forcée favoriserait l'établissement de nouvelles relations entre eux.
Mais en entendant le rire sec, chargé d'arrogance que Namjoon venait de laisser échapper, Hoseok comprit que sa tâche serait loin d'être aisée.
_Le seul atout que je possède ? railla le blond, j'ai fondé cette entreprise alors que Jungkook était encore sur les bancs de l'université.
Tu crois qu'elle va s'effondrer simplement parce qu'il est hors jeu ?
J'en suis là aujourd'hui parce que je sais repérer et m'entourer de personnes compétentes. Ce n'est pas la perte d'un seul élément, aussi brillant soit-il, qui va m'ébranler.
_Je te l'accorde, reconnut Hoseok, mais il semblerait que tes équipes actuelles aient du mal à remonter l'origine des cyber attaques et à les contrer. Or, si je ne m'abuse, la cyber-sécurité est justement la spécialité du Jungkook que tu détestes. Il pourrait bien être la clé dont tu as besoin actuellement.
Namjoon poussa un soupir rauque, lourd d'agacement. Semblable à celui qu'on poussait quand on dépassait un seuil de tolérance.
_Tu n'as pas l'air de comprendre, asséna t-il, je vais donc mieux t'expliquer.
Il y a un instant tu disais que le talent de Jungkook était une constante d'une identité à l'autre.
Tu te trompes.
J'ai vu de quoi Jungkook était capable durant ses premières années d'université, quand il n'avait que vingt ans. Contrairement à ce que tu crois, mes ressentiments à son égard ne m'ont jamais empêché de garder un œil sur ce qu'il faisait.
C'est pour ça que je peux t'assurer que son autre n'a jamais eu la moitié de son talent.
Il n'a jamais été aussi doué que lui mais il avait autre chose à la place.
De la discipline.
C'est sa discipline qui lui a permis de combler ses lacunes et qui te laisse croire qu'ils ont tous les deux le même niveau de talent.
Cette qualité, il se l'est toujours imposé dans tout ce qu'il faisait, et c'est ça qu'ont en commun tous ceux avec qui je travaille .
La discipline et le respect des règles.
Des qualités que le véritable Jungkook ne possède pas. Bien qu'il ait du talent, la seule chose pour laquelle il soit réellement doué c'est foutre le bordel partout où il passe.
Contrairement à son autre, il n'y a absolument rien chez lui qui m'aiderait à mettre mes rancunes de côté. Je ne veux pas de lui parce que je sais que je ne pourrais pas le tolérer.
Les propos du blond parvinrent à Hoseok comme une révélation. Faisant émerger une donnée qui le poussa à la réflexion.
Il y en avait au moins un des deux que Namjoon était parvenu à apprécier sincèrement. Un pour lequel il éprouvait une estime qui l'avait résolu à mettre sa rancune de côté.
Bien sûr, il était encore loin d'avoir développé une affection débordante mais Hoseok y voyait une lueur d'espoir.
Si Namjoon pouvait reconnaître les qualités de l'alter, peut-être finirait-il par étendre cette bienveillance à l'hôte.
Après tout, l'affection naissait des qualités qu'on admirait chez une personne et s'intensifiait avec le temps, lorsque ces qualités se révélaient si précieuses qu'elles nous emmenaient à accepter ses défauts.
Vu sous cet angle, l'alter pourrait bien être la passerelle qui réunirait Namjoon et l'hôte et la solution pour apaiser les rancœurs qui les séparaient depuis trop longtemps.
En tout cas, Hoseok voulait le croire.
_Si je te disais qu'on avait peut être un moyen de ramener son autre, tenta le châtain , j'imagine que tu tiendrais un autre discours ?
_Tu m'as bien fait comprendre que c'était impossible la dernière fois, non ?
_J'aimerai que tu viennes à mon cabinet cet après-midi, se contenta de répondre le châtain. Ce que j'ai à dire pourrait t'intéresser.
La proposition du plus âgé n'obtint pas de réponse claire, les réticences de Namjoon se laissant deviner dans le soupir las qu'il poussa à l'autre bout du fil.
Hoseok garda pourtant bon espoir.
Généralement quand le blond n'imposait pas directement un non catégorique, il y avait des chances que l'issue soit positive.
L'appel terminé, il prit une douche tiède durant laquelle il resta un long moment immobile sous le jet.
Les paupières closes, il apprécia la chaleur de l'eau qui détendit ses muscles et le clapotis des gouttes qui s'écrasaient contre le carrelage.
La mélodie apaisante lui permit de faire suffisamment le vide dans son esprit pour planifier le reste de sa journée.
Le psychiatre avait convié Namjoon, Jimin et Ha-na cet après-midi à son lieu de travail pour leur expliquer ce qu'il avait en tête. Le repos que lui avait exigé son assistante, passait une fois de au second plan.
Heureusement, il avait pris le soin de donner sa journée à la jeune femme. Il serait dans de beaux draps si elle venait à apprendre qu'il était retourné travailler dans son dos.
Sa culpabilité mise de côté, le châtain récupéra ses dossiers et clés de voiture et passa à nouveau les portes de son domicile.
À l'extérieur, il retrouva l'air froid de l'hiver, contre lequel son manteau camel offrit une protection réconfortante.
Les ruelles baignaient dans une ambiance festive, ornées de guirlandes colorées et de couronnes verdoyantes qui décoraient les façades et les vitrines des magasins.
Des prémices aux festivités de fin d'année auxquelles Hoseok accorda peu d'intérêt.
Son regard se détacha d'un jeune couple et d'un petit garçon qui mordait à pleines dents dans un sucre d'orge, lorsque le feu vira au vert.
Quinze minutes plus tard, il se gara dans le parking souterrain de son lieu de travail et embarqua ses dossiers en quittant le véhicule.
Sur son chemin pour rejoindre l'ascenseur, Hoseok fut prit d'un frisson qui parcourut son dos. La sensation qu'une présence suivait ses pas le fit arrêter sa course, et il se retourna pour scruter les alentours.
L'examen des lieux ne révélant aucune silhouette, les muscles du châtain se détendirent. Il pénétra dans l'ascenseur et renseigna son étage.
Les portes de l'engin métallique se rejoignirent presque lorsqu'une main surgit pour arrêter leur progression, provoquant un sursaut chez le châtain.
Brusqué, le psychiatre détailla la silhouette qui venait de s'introduire dans l'ascenseur.
Une casquette noire voilait partiellement le visage de l'homme, et laissait planer une ombre sur sa personne. Par dessus son t-shirt blanc, une doudoune couleur ébène, ample et épaisse, absorbait la lumière et donnait à sa silhouette une présence presque intimidante.
L'inconnu s'installa aux côtés d'Hoseok qui se retenait de commenter l'indélicatesse de son arrivée brusque.
Ce fut finalement l'homme qui brisa le silence au moment où les portes se refermèrent.
_Pourquoi avoir annulé mon rendez-vous, Monsieur Jung ?
Le psychiatre se braqua, la mention de son nom dirigeant vivement son regard sur son interlocuteur. Ce dernier se tourna légèrement pour lui faire face, retirant sa casquette et dévoilant des traits que le châtain reconnut aussitôt.
_Vous ? fit le châtain, cherchant à comprendre.
L'homme le fixa sans rien dire, ses deux mains tenant sa casquette dans une posture patiente. Ses lèvres s'étirèrent pour dessiner un sourire qui n'atteignit pas ses yeux, et Hoseok comprit qu'il attendait une réponse.
_Votre rendez-vous n'a pas été annulé mais reporté. Mon assistante a d'ailleurs dû vous communiquer la nouvelle dat...
_ Mais vous êtes là, non ?
Le ton pressant de l'homme ne plut pas à Hoseok. Mais rester maître de lui face à des patients aux comportements imprévisibles était une des exigences son métier.
_Que je sois là ne veut pas dire que je sois disponible, répondit t-il calmement. Et mon assistante sera absente pour le reste de la journée. Pourquoi ne pas revenir à la date prévue ?
Les orbes sombres de l'homme s'accrochèrent à celles d'Hoseok avec une nouvelle intensité.
_ Parce que d'ici là, j'aurai peut-être arraché la tête de quelqu'un.
Le châtain plissa les yeux, ses sourcils se fronçant de confusion sous le rire bref de son vis à vis.
_C'est la raison de ma visite, Monsieur Jung. J'ai des pulsions meurtrières.
Hoseok avait exercé dans des établissements et centres psychiatriques durant ses premières années de carrière. Des expériences durant lesquelles il avait été confronté aux facettes les plus sombres de la nature humaine.
Les révélations de l'homme ne l'ébranlèrent donc pas, mais il reconnut l'urgence de son cas.
Les portes s'ouvrirent alors sur l'étage de son cabinet et ce fut avec un hochement de tête entendu qu'il indiqua à l'homme qu'il consentait à le recevoir.
Les deux hommes pénètrent ensuite dans le cabinet, le regard coupable d'Hoseok glissant brièvement sur le bureau vide de son assistante alors qu'ils se dirigeaient vers le sien.
Une fois à l'intérieur, le psychiatre retira son manteau, invitant son patient à prendre place avant de mettre la main sur son dossier.
L'homme ne s'exécuta pas, préférant prendre connaissance des lieux, qu'il parcourut longuement des yeux.
Il déambula nonchalamment dans la pièce, les mains dans les poches de sa doudoune.
_Je préfère rester debout, déclara-t-il, s'arrettant devant la petite bibliothèque qui ornait le mur.
_Si ça vous met plus à l'aise..., se contenta d'approuver le châtain.
Assis dans son siège, le psychiatre joua silencieusement avec le mécanisme à ressort de son stylo, ses yeux suivant les déplacements de l'homme pour analyser son langage corporel.
Ses premières évaluations furent ensuite inscrites dans le dossier quand l'inconnu brisa le silence qui s'était installé.
_Qu'est-ce que vous écrivez ? Je n'ai encore rien dit.
La question fut lancée sans que l'homme ne lui accorde un regard. Ses yeux balayèrent les ouvrages de référence de la bibliothèque et s'attardèrent sur les distinctions professionnelles du psychiatre.
_Mon évaluation ne repose pas uniquement sur ce que vous dites, expliqua le châtain, elle inclut aussi votre gestuelle et vos silences.
La transparence du psychiatre attira le regard de l'homme, qui lui accorda finalement toute son attention.
_Et qu'est-ce qu'ils vous disent, mes gestes ?
Hoseok ne comptait pas répondre à cette question, mais il fut satisfait d'avoir réussi à ouvrir la communication.
Les consultations initiées par les patients n'impliquaient pas nécessairement qu'ils se sentent libres de s'exprimer. Le patient faisait le premier pas en prenant la décision de consulter. Il revenait ensuite au psychiatre de créer un climat propice à l'échange.
Pour y parvenir, la transparence était le meilleur moyen. Mais il fallait l'être juste assez pour ouvrir la communication. En dire trop pouvait biaiser ses réactions et tout ce qu'il dirait par la suite.
_ Je vous en ferai part à la fin de la séance, promit le psychiatre.
L'homme vint alors s'asseoir sur le fauteuil en face.
_Je doute que vous soyez en état de dire quoi que ce soit à la fin de cette séance.
_Pourquoi cela ?
Le patient dirigea sur lui un regard dans lequel brillait une lueur de défi tandis qu'un sourire à peine perceptible étira un court instant le coin de ses lèvres.
Puis, d'un soupir, il balaya la question et rompit le contact visuel.
_Est-ce qu'on peut se concentrer sur mes envies de meurtre ?
_Je ne demande que ça, concéda le châtain. Pouvez-vous m'en dire un peu plus sur ces pensées ?
Le patient glissa distraitement ses mains sur les accoudoirs de son fauteuil, ses doigts traçant des lignes invisibles sur le cuir lisse.
_Il y a un client dans le club de gym où je travaille... à chaque fois que je le vois, j'ai envie de lui arracher la tête.
_Je vois, nota le châtain, Et avez-vous déjà eu ces pensées envers d'autres personnes auparavant ?
_Seulement envers lui..., commença l'homme avant de doucement ramener son regard sur Hoseok. Et envers ses frères.
L'implication de plusieurs personnes ayant été révélée, le psychiatre choisit de poursuivre sa lancée sur le niveau de contrôle que le patient avait sur ses pulsions. Il reviendrait plus tard sur l'exploration des détails et des déclencheurs.
Sur le moment, Hoseok pensa qu'il était plus judicieux d'évaluer rapidement s'il représentait une menace réelle pour autrui.
_Lorsque ces envies surviennent, que ressentez-vous ? De la peur, de la honte, une autre émotion particulière ?
_De la peur, non. De la honte, encore moins.
L'homme eut un sourire.
_La seule chose à laquelle je pense c'est le bien fou que cela me procurerait.
_Et avez-vous déjà envisagé de passer concrètement à l'acte ?
Les yeux de l'homme se posèrent un instant sur les notes qu'inscrivait le psychiatre dans son dossier, puis se relevèrent pour le fixer.
_Je vois que votre priorité est de savoir si je compte m'en prendre à ces personnes, fit-il remarquer. Mes motivations ne vous intéressent pas ?
Le psychiatre posa son stylo et mit le dossier qui contenait ses notes de côté.
_Tout ce que vous avez à dire m'intéresse, assura t-il, croisant ses doigts sur le bureau en une posture plus ouverte. Mes questions servent uniquement à vous guider, sentez-vous libre de vous exprimer librement.
Les mains du patient retrouvèrent les poches de son blouson, et il s'ancra dans le dossier du fauteuil.
Ses lèvres se délièrent alors, livrant un récit que le psychiatre écouta avec attention.
_J'ai été élevé aux États-unis par le frère aîné de ma mère, relata t-il, je n'ai jamais vraiment connu mes parents.
Tout ce que je sais d'eux, c'est qu'ils n'étaient pas en mesure de m'élever quand je suis né. Et honnêtement, je n'ai jamais éprouvé le besoin d'en savoir plus.
J'étais déjà la personne la plus importante au monde pour mon oncle.
Ce n'était pas l'homme le plus riche du monde, mais je n'ai jamais manqué de rien et je ne me suis jamais senti privé de quoi que ce soit.
Qu'il s'agisse de biens matériels ou de l'affection nécessaire à l'épanouissement d'un enfant, j'ai toujours eu tout ce qu'il me fallait.
Il était chercheur dans un centre aérospatial. Un lieu dans lequel il m'emmenait à diverses occasions et où il m'a transmis sa passion pour les astres.
Grâce à lui, j'ai pu rêver de devenir astronaute. Un rêve ambitieux qu'il encourageait avec enthousiasme et qui fut notre promesse.
Notre dernière promesse.
Il est mort d'une crise cardiaque quand j'avais quatorze ans. Je l'ai retrouvé sans vie sur le sol en rentrant du collège, le visage encore marqué par la douleur de ses derniers instants, et le combiné du téléphone suspendu au-dessus de lui.
À partir de là, ce fut comme si tout l'univers qu'il m'avait appris à admirer s'était refermé sur moi.
J'ai été arraché à la seule vie que j'avais jamais connue et rapatrié en Corée. Et là j'ai découvert qu'elle avait été la nouvelle qui avait terrassé mon oncle.
Sa sœur cadette, ma mère, avait péri dans un incendie. Mais ce n'était pas tout. Son nom avait été souillé et traîné dans la boue, tout comme celui de mon père qui avait péri avec elle.
Non seulement j'étais devenu orphelin, mais l'accueil que j'eus de ce pays qui était censé être le mien fut semblable à celui d'un étranger au regard froid et accusateur.
C'est fou comme les nouvelles se propagent vite dans ce pays.
Chaque fois que je pensais passer inaperçu, j'entendais murmurer mon nom et celui de mes parents, entachés par des accusations dont la seule évocation me faisait frémir.
On racontait qu'ils avaient maltraité des enfants et leur avaient fait subir des choses que je n'ose même pas répéter.
Pendant des années j'ai vécu dans l'ombre de ce scandale, puis le temps a passé et tout le monde est passé à autre chose.
Tout le monde sauf moi.
Avec le temps, la colère alimentée par mes rêves brisés n'a fait que grandir et j'avais besoin de réponses.
Et là, toutes les incohérences de cette histoire me sont apparues. Les circonstances de l'incendie qui avait emporté mes parents étaient floues, et la police n'a jamais pu en déterminer la cause.
Et pour ce qui est des enfants qui ont raconté toutes ces choses à la police, une chose me laissait perplexe.
Comment des enfants censés avoir été marqués par des sévices aussi monstrueux, pouvaient t-ils avoir des vies aussi épanouies ?
C'est incroyable à quel point ils ont tous bien tourné.
Un entrepreneur influent, un ingénieur de renom, un écrivain à succès..., et un éminent psychiatre.
L'homme redirigea son regard sur Hoseok dont les orbes le dévisageaient avec horreur.
Les doigts fébriles du psychiatre aggripèrent maladroitement le dossier du patient et ses yeux s'accrochèrent au nom inscrit. Le relisant encore et encore.
Son nom était bien Kim Seokjin, et non Wang Seokjin.
Portait-il le nom de son oncle ?
Les Wang, ce couple abominable, avaient t-ils vraiment eu un fils biologique ?
L'idée même lui semblait impossible, mais la certitude du châtain vacilla.
Et lorsqu'il fixa à nouveau le dit Seokjin, un souvenir le frappa.
Ce sourire.
Celui qu'il lui avait adressé lorsqu'il s'était croisé et qui avait éveillé en lui ce profond malaise.
Il était identique à celui de cet homme.
Il avait exactement le même sourire que ce monstre.
_Vous voulez savoir ce que je pense de tout ça, Monsieur Jung ? poursuivit le patient, je pense que l'incendie qui a tué mes parents et précipité la mort de mon oncle, n'était pas un accident.
Alors non, je n'éprouve aucune honte à ressentir ce que je ressens. Pourquoi devrais-je avoir honte d'avoir envie de tuer des meurtriers ?
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Elles sont toujours là, celles qui cherchaient le fils du tortionnaire ? 👀
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