Chapitre 5
Je suis Flynn dans les couloirs, en promenant mon regard un peu partout.
Tout semble avoir été conçu et aménagé avec minutie, les murs deviennent de plus en plus clair au fur et à mesure que l'on progresse, et ce repère semble vraiment immense.
Je n'ai aucune idée d'où il se trouve, lorsque j'ai été amené ici j'étais si mal en point que je n'ai pas du tout regardé autour de moi.
Cette explosion dans ma tête a laissé des traces, je suis plein de questions, je voudrais absolument tout savoir, tout comprendre.
Pourtant je les ravale, je suis quelqu'un de patient, je peux attendre mes réponses, je sais que je les aurais, mais mon cœur se serre à l'idée de ne jamais revoir mes parents, ni même une vie normale.
C'est peut-être bien la première fois que je me dis que les cours vont me manquer, et le petit quotidien aussi.
Je n'ai aucune idée de ce qu'il m'attend, c'est vrai. Mais je suis assez réfléchi pour comprendre que rien ne sera comme avant.
De ce que je sais, les Parallèles sont traqués jusqu'au dernier, ils doivent se cacher en permanence sans jamais se faire attraper, ils vivent dans l'ombre.
S'ils sont attrapés, on sait tous ce qui leur arrive, seulement pas dans les détails.
Il y a sept ans, alors que je n'étais qu'un gamin, la sœur d'une amie à moi s'est faite arrêtée.
Je n'avais que onze ans, et pourtant j'avais déjà compris ce qui allait lui arriver.
Quand les deux officiers de police se sont approchés d'elle pour placer de force sur sa tête une espèce d'appareil circulaire, ses yeux se sont mis à briller.
D'un jaune brûlant.
Elle pleurait je me souviens, quand ils l'ont attrapé pour les bras, elle s'est débattue de toutes ses forces, jusqu'à ce qu'elle soit brusquement assommée par l'un des policiers.
Ses traits étaient défigurés par la terreur, et sa sœur, je n'en parle même pas.
Elle s'appelait Leslie, je ne la connaissais pas vraiment, je lui avais simplement parlé deux trois fois, elle avait dix ans de plus que nous. Ce qui fait 21 ans, c'est-à-dire trois ans en tant que Parallèle.
A ce moment-là, quand j'ai su qu'elle était Parallèle, vivait à mes côtés et se cachait depuis tant de temps, j'avais été dégoûtée.
Comme si un virus vivait à mes côtés depuis longtemps et qu'il ne se développe que plus tard, comme... Comme un raciste.
Mais maintenant que je suis moi-même concerné, je vois les choses différemment.
Et je suis extrêmement curieux de savoir ce qu'il va m'arriver.
Je ne suis peut-être pas normal, mais sous cette couche de mélancolie qui fait que je ne retrouverai plus mon ancienne vie, le désir farouche de nouvelles choses m'anime.
J'aime l'aventure, parcourir de nouveaux horizons, ne jamais faire la même chose, j'adore le changement.
Cela explique sans doute mon orientation sexuelle, quand j'ai eu ma première copine à seize ans, cela m'a plu pendant allez quoi, deux mois.
Ensuite j'avais envie d'aller voir ailleurs, de goûter autre chose, mais pas forcément une autre fille.
J'ai essayé les garçons. Et sincèrement, ça m'a autant plus que les filles.
Je n'étais pas le moins du monde effrayé par la réaction des gens, d'une part je m'en fichais, et de l'autre, il me paraissait normal de tomber amoureux d'une personne et non pas d'un sexe. S'ils ne l'acceptaient pas c'était leur problème, pas le mien, ça n'allait pas changer ma vie.
En bref, je déteste la routine, ce n'est pas pour moi, j'ai toujours besoin de voir d'autres choses, de découvrir d'autres choses, alors même si j'ai très peur de ce que ce changement-là pourrait engendrer, je suis plutôt curieux de voir la suite.
Flynn finit par m'emmener dans une espèce de grand salon spacieux, et très bien décoré.
D'abord surpris, j'observe l'endroit attentivement, je m'attendais plutôt à un vieux coin pourri, pas le résultat de l'émission D&CO.
Flynn semble remarquer ma surprise, il faut dire que je ne suis pas forcément quelqu'un qui sait cacher ses émotions, alors amusé, il s'avance dans la pièce lumineuse, et dit en écartant grand les bras :
- Oui, tu peux dire que j'ai bon goût. Je t'autorise cette familiarité.
Un peu plus de familiarité ne me dérangerait pas tu sais.
Flynn retire sa cigarette de sa bouche, et l'écrase dans un cendrier de verre qu'il trouve posé sur la table du salon.
Toujours en verre.
Ok, ça a coûté combien tout ce bordel ?
Flynn semble lire ma question dans mes yeux, alors il renchérît :
- Un superbe héritage. Quand tu veux gagner du fric sans rien faire, c'est la solution.
Il éclate d'un grand rire fou, et puis il se laisse tomber sur le canapé blanc.
Debout au milieu de la pièce, j'analyse chaque détail autour de moi. La pièce est fermée, mais très spacieuse, trois canapés blanc immaculé entourent une grande table de verre, il n'y a pas de fenêtres, et de grands tapis s'étendent sur le sol.
- Bon tu viens t'assoir ? Ce n'est pas que je n'aime pas te regarder pendant trois plombes mais j'ai d'autres choses à faire.
Je réplique aussitôt :
- Très bon sens de l'hospitalité. Remarquable. Il ne manque plus qu'à me demander de dégager et ce sera parfait.
Flynn rit d'un air moqueur, et puis lâche :
- Je vais me contenter de te proposer un scotch.
Les sourcils froncés, je m'approche, et l'observe.
- Comment sais-tu que j'adore le scotch ?
Flynn m'observe d'un air amusé, cette lueur joueuse faisant brûler son regard.
Il me fait un signe pour m'assoir, et je décide de l'écouter sans broncher.
Il se penche en avant, permettant à sa chemise entrouverte de se plier en profondeur, et mon regard s'attarde quelques secondes tandis qu'il saisit une bouteille de dessous la table de verre.
Il chope un verre à whiskey, et me serre un grand verre.
C'est complètement paradoxal.
Il y a une heure peut-être j'étais en permanence, à attendre de pouvoir aller choper mon plateau en plastique pourri pour manger la bouffe sans saveur du self, et ensuite retourner en cours pour m'ennuyer à mourir.
Et je me retrouve dans un salon digne des plus belles villas avec un boulet de canon qui veut me servir du scotch alors que j'ai dû m'enfuir du lycée et de ma maison, poursuivi par la police.
Je suis le seul à ne pas trouver ça normal ou ?
Je saisis le verre sans réfléchir, et Flynn m'observe boire avec attention.
J'ai soudain l'impression d'être l'un de ces enfants capturés par des violeurs qui leur administrerait du GHB tout en les mettant en confiance.
Je fige mon geste, le liquide brûlant à la commissure de mes lèvres, et hésite avant de boire.
Flynn ne me quitte pas des yeux. Il semble lire en moi comme dans un livre ouvert. Ces deux cercles translucides paraissent tout connaître de moi en à peine cinq minutes.
Mal à l'aise, je retire le verre de ma bouche, et interroge :
- T'as mis un truc dedans ?
Flynn sourit, semblant visiblement très amusé de la situation, mais ça m'arrangerait beaucoup qu'il paraisse moins effrayant histoire que je puisse boire en confiance, parce que j'aime vraiment le scotch.
- Goûte et tu verras, rétorque-t-il simplement.
J'éclate d'un petit rire nerveux, repose le verre sur la table en verre ce qui lui vaut un tintement sonore, et puis je m'enfonce dans le canapé, les bras croisés.
- D'abord tu me dis ce que tu as à me dire, ensuite je bois.
- C'est dommage, tu en meurs d'envie.
- Tu n'es pas télépathe, ne fais pas comme si tu savais tout ce qu'il se passe dans ma tête.
Cette fois-ci, son regard brûle tant que j'ai l'impression de m'enflammer, et mon cœur s'accélère.
Quoi ? Qu'est-ce que j'ai dit ?
Flynn répond :
- C'est vrai. Je ne peux pas lire dans tes pensées. Mais celles des autres, si.
Si j'avais eu mon verre dans la main je l'aurais lâché.
Les yeux écarquillés, j'observe Flynn sans comprendre.
Celui-ci sourit de nouveau, se penche en avant, et sans me quitter des yeux, explique :
- Tu ne t'es pas demandé pourquoi dès que tu es entré ici, les voix dans ta tête se sont toutes tues ? Les couleurs et les formes redevenues à la normale ?
- Bien sûr que si, je réponds.
Je mens, en fait j'étais tellement soulagé de ne plus rien ressentir que je ne me suis même pas posé la question.
Mais ça, il ne peut pas le savoir.
Flynn se sert un verre de scotch, le même que le mien, puis s'enfonce dans le canapé.
- Tu es un Parallèle, mais ça, tu as dû le comprendre. Sais-tu ce que cela implique ?
Je redresse le menton, et rétorque avec arrogance :
- Que je vais être traqué jusqu'à ce qu'on me trouve et qu'on m'arrache les ongles les uns après les autres pour me faire parler.
- Presque. Tu n'auras pas les ongles arrachés, ça sera déjà ça. Tu seras simplement exécuté purement et simplement, et tu disparaîtras, répond Flynn d'un ton très calme.
Je lève les yeux au ciel, non sans un sourire, et puis Flynn ajoute :
- Tu as cependant raison sur un point ; à partir de maintenant, tu ne seras en sécurité nulle part.
Il renchérît en désignant du doigt mon visage juste avant de porter son verre à ses lèvres :
- Surtout avec tes yeux de loup.
- Quoi, c'est tout à fait normal d'avoir les yeux jaunes voyons, je ricane.
Je ne suis vraiment pas à l'aise, la présence de Flynn m'effraie autant qu'elle m'attire, je préfèrerais me trouver face à Astrid, elle paraît déjà plus amicale.
Flynn décolle le verre de ses lèvres, observe quelques secondes son contenu, le fait tourner entre les parois de verre, et puis sans me regarder cette fois, répond :
- Tu es extralucide Swann. A partir d'aujourd'hui, jour de tes dix-huit ans, tu as les capacités d'entendre toutes les pensées des personnes autour de toi. Tu peux voir les auras de chacun. Et en cherchant un peu plus, tu pourras même comprendre leur histoire, leur passé, et anticiper même certaines de leurs réactions.
Sa révélation me fait l'effet d'une douche froide.
Je détourne les yeux, ayant certainement besoin de quelques secondes pour m'en remettre.
- Tout voir, tout sentir. C'est en toi depuis ta naissance, mais la majorité est un élément déclencheur assez violent. Tout ce que tu n'as pas entendu ou vu pendant des années se développe brusquement, c'est comme une explosion, et c'est ce que tu viens de vivre. Tu t'es mis à tout entendre et ressentir en même temps, mais plus tu vas dans des endroits isolés, moins tu en vois, du moins à ton stade. Mais plus tu te concentres et tu sais maîtriser tes aptitudes, plus tu sauras sentir des choses à des kilomètres et kilomètres à la ronde.
Je relève la tête vers lui, et l'observe attentivement.
Aveuglé pendant quelques secondes d'un flash révélateur, je dis doucement :
- Mais les Parallèles n'entendent pas leurs propres pensées. C'est pour ça qu'Astrid m'a demandée de me concentrer uniquement sur elle et sa tête. Tout était vide de son côté. Et ici, il n'y a que des Parallèles c'est ça ? Pour ça que tout s'est arrêté quand je suis entré.
Flynn hoche doucement la tête, et puis il sourit.
- Tu es à la hauteur de ta réputation.
Cette fois, je fronce les sourcils.
- Quelle réputation ?
Flynn s'explique :
- Comme tu as dû le comprendre, nous devons nous protéger du gouvernement en permanence, ils ont placé des espions de partout. Ici nous ne sommes qu'un groupe parmi tant d'autres, il y en a sûrement des centaines d'autres. Nous ne sommes que celui de la ville. Alors nous avons aussi placé des espions dans les lycées. Certains surveillants de ton lycée que tu connais sont Parallèles par exemple. Ils sont là au même titre que ceux du gouvernement, pour surveiller les nouveaux. Sauf qu'à leur différence, nous cherchons à les protéger avant qu'ils ne soient attrapés avant.
- Comme l'infirmière, je renchérît.
- Mme Poupin c'est ça ? Exact. Elle est à la bote du gouvernement, ils doivent sans doute se douter que nous avons des espions, mais il est impossible pour eux de nous reconnaître. Le seul moyen est nos yeux, mais nous arrivons facilement à les camoufler. Sauf au début, mais ne t'inquiète pas, dans une semaine c'est fini.
- Ils sont encore jaunes là ? Je m'étonne.
- Bien sûr. Ça ne s'arrêtera que lorsque tu te contrôleras.
- Et comment on fait pour se contrôler ?
- Tu apprendras. Nous sommes nombreux ici, et nous avons tous appris à nous défendre. Je te confierais peut-être à Astrid.
- Comment a-t-elle fait pour être sur les lieus au bon moment ?
- Nous surveillons chaque adolescent. Nous avons aucun indice sur leur potentiel risque d'être Parallèle, il y en a très peu chaque année tu sais. Mais nous surveillons tout, et tous les jours, nous sommes près à accueillir un nouveau pour le protéger. Astrid a été prévenue par le surveillant qui est dans ton lycée, je crois qu'il se fait appeler Pat. Il a compris immédiatement, mais ne pouvait pas te protéger de l'infirmière, il aurait grillé sa couverture. Il a prévenu Astrid, qui a anticipé ta réaction et s'est déplacée jusque chez toi.
- Comment connaissiez-vous mon adresse ?
- Je te l'ai dit, nous avons des cont...
- Sauf que Pat est Parallèle ? Ça veut dire qu'il ne s'est pas fait attraper par le gouvernement ?
- Si tu m'interromps toutes les deux minutes, tu ne boiras jamais ton scotch.
Cette phrase cesse immédiatement mon flot de question.
Amusé de ma réaction légèrement enfantine, Flynn sourit, et puis reprend :
- Je ne connais pas l'histoire de Pat dans les détails, mais tout ce que je peux te dire c'est que lorsque le gouvernement repère de nouveaux Parallèles, qu'ils finissent par les attraper ou non ils les effacent officiellement de la circulation.
Ce qui veut dire que...
Flynn semble lire dans mon esprit ma question, alors il répond :
- Oui. Tu es maintenant officiellement disparu. En gros, des envoyés du gouvernement ont prévenus le lycée, et ils t'ont effacé de leur dossier. Pour ta famille, pareil.
Mon cœur se serre à cette idée.
Ma mère a dû réagir, s'ils ont expliqué que j'étais Parallèle... Elle a dû être anéantie.
Lorsqu'un Parallèle est découvert, la famille sait à quoi s'attendre, elle doit faire son deuil.
Et le pire, c'est qu'il n'y a aucune cérémonie de prévue, puisque les Parallèles sont considérés comme des monstres.
Une question effleure alors mon esprit :
- En quoi sommes-nous dangereux ?
Flynn éclate d'un rire mauvais soudain, et je l'observe, dérouté.
- Nous ne sommes pas dangereux, c'est un prétexte pour nous éliminer. Si tu veux mon avis, le gouvernement sait parfaitement de quoi nous sommes capables, et il est jaloux parce qu'il veut la même chose.
Mon sang se glace, et dégoûté, mon regard se perd dans les murs blancs.
- On nous ment depuis le début alors.
- C'est ça, ricane Flynn d'un air amer. Jugés et traqués parce qu'on effraie, par jalousie, ou bien les deux.
Avec le sentiment désagréable de ne plus trouver de port d'attache, je saisis mon verre de scotch comme un automate, et l'avale cul sec.
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