Onze ans plus tard, et toujours la même chose. La Célébration de la Terre, comme chaque année, sous un soleil de plomb. Aliyah devait aller chercher sa nouvelle robe que le voisin lui avait cousue pour l'occasion. Elle ne s'était pas offerte ce plaisir depuis un moment déjà, et elle aimait particulièrement les robes blanches que lui confectionnait monsieur Stish.

Pas besoin de faire un long trajet, il vivait dans la maison en brique d'à côté. C'était l'une des rares maisons faites de cette matière sur l'île, et tout le monde la convoitait pour sa solidité. Avec les bougies, la plupart des autres habitats pouvaient rapidement prendre feu à cause du bois et de la paille majoritairement présents.

Elle frappa à la lourde porte en bois, et le voisin lui ouvrit avec un sourire. Il était légèrement grisonnant, mais pas très vieux. Il avait aussi la chance de posséder encore beaucoup de cheveux. Contrairement à Aliyah, sa peau noire prenait facilement le soleil. Ces yeux gris lui donnaient un air froid quand on le voyait pour la première, mais c'était l'un des hommes les plus chaleureux de Pa-Hao.

- Bonjour Stish, je viens chercher ma robe, sourit grandement la blonde.

- Pas de problème, elle est prête. Je te ramène ça.

Il laissa la porte ouverte, la jeune fille l'attendant sur le palier. Il lui ramena le vêtement tant attendu qu'elle attrapa entre ses fines mains, en échange d'un gros sac en toile. Dedans, se trouvait deux poulets qui venaient tout droit de l'élevage de son père. C'était grâce à ça qu'elle avait pu s'offrir cette robe.

Sans plus tarder, la blonde se dépêcha de courir jusqu'à sa maison pour se réfugier dans sa chambre qui se trouvait au rez-de-chaussée. Là, elle enfila avec une incroyable rapidité son nouvel habit. Le blanc, c'est ce qui lui allait le mieux. Souvent, on lui disait qu'elle ressemblait à un ange avec ses longs cheveux blonds, ses yeux claires, et son teint pâle.

La robe était longue, lui arrivant juste sous le genou, avec des manches courtes. La broderie était simple mais travaillée, la rendant des plus jolies. Il y avait également une sorte de lacet sur le col, qui lui donnait le choix d'avoir le haut de sa poitrine dégagée ou bien fermée. Elle préféra la deuxième option, qui lui allait à ravir.

Un petit tour sur elle-même en se regardant dans la glace, et enfin, elle sortit de sa chambre pour la présenter à ses parents.

- Oh, Ali ! Tu es vraiment magnifique ! s'extasia sa mère en posant une main contre sa bouche.

- Maman a raison, t'es jolie comme ça, la complimenta son frère.

Odilon, lui, était aussi vêtu d'une sorte de pull très fin blanc cassé, avec un short camel qui lui arrivait au dessus du genou, ainsi que de simples chaussures en toile noires. Ses cheveux blonds foncés, tous bouclés, lui donnait un air aussi angélique que sa sœur.

En revanche, la deuxième de la famille, Pollie, avait les cheveux bruns, et les yeux bleus, mais sa beauté était tout aussi éclatante. Elle n'avait rien à envier aux autres.

La famille Stratchie était de toute façon connue pour son immense beauté. Mais le monde dans lequel ils vivaient ne leur donnait pas l'occasion de profiter, ou de se réjouir, d'avoir ce genre de traits fins.

Enfin, ils purent tous se joindre à la Célébration de la Terre, où, comme chaque année, le chef Haven répétait le même discours. Depuis qu'elle était petite, Aliyah n'avait jamais entendu un autre discours que celui habituel à la tradition. Elle avait fini par le connaître par cœur. Avant, elle s'amusait même à s'enfuir avant la fin, ne revenant que pour le buffet.

Enfin, ça, c'était quand elle était amie avec Thomas Heden.

Il y a onze ans de cela, le scandale de la famille Heden avait éclaté. Pris pour des marginaux fou, plus personne n'avait voulu leur parler. Et le père de Thomas avait fini par se suicider environ quatre ans après. Thomas avait été seul, élevé par sa grand-mère, étant donné que sa mère était morte quand le garçon avait à peine quelques mois. Malheureusement, l'an dernier, la dernière personne qui s'occupait de lui était également décédée.

Depuis, Thomas vivait seul, et on ne le voyait presque plus. De temps en temps, Aliyah l'observait déambuler sur l'île. Au moins, cela la rassurait sur le fait qu'il était toujours en vie. Elle ne lui parlait plus, mais il avait un jour était son meilleur ami, elle ne pouvait pas oublier ces moments passés avec lui.

Il avait grandit, il était bien plus grand qu'elle désormais. Ses cheveux blonds,  dorés au soleil, et son teint hâlé prouvait qu'il passait beaucoup de temps au soleil. Il avait souvent les mêmes vêtements, probablement parce qu'il n'en avait pas beaucoup. Mais il avait l'air d'un garçon très débrouillard, qui ne se laissait pas abattre. Elle se disait que tout allait s'arranger pour lui, et qu'un jour, on ne le rejetterait plus. Mais en attendant, le garçon ne semblait plus parler à personne.

- Toujours le même blah-blah, soupira Odilon, les épaules affaissées.

- Oh, oui. C'est chiant, souffla la blonde en imitant son frère.

- Taisez-vous, c'est important ! gronda l'autre sœur.

Les deux complices se regardèrent, et le garçon fit la grimace en faisant mine d'imiter les dire de la brune. Ali ne put s'empêcher de glousser face aux moqueries de son frère, mais ils durent malgré tout se re-concentrer sur le discours du chef.

Ils savaient tous deux que Pollie trouvait le chef Haven charmant. Ses cheveux courts, tirant sur le roux, et sa barbe de trois jours le long de sa mâchoire carré le rendait assez charismatique. Et puis, il possédait cette carrure qui faisait de lui le chef de l'île.

Mais, impossible pour la plus petite de garder son attention sur lui. Elle allait bientôt avoir dix-sept ans, et cela ne faisait pas d'elle une adulte mentalement pour autant. Elle ne voulait pas rester ici, c'était insupportable, et le soleil lui tapait sur la tête. Quelle idée de ne pas avoir pris de chapeau.

Elle décida, finalement, et comme tous les ans au final, de se reculer lentement de la foule, jusqu'à s'échapper du discours ennuyeux d'Haven. Ce fut en soupirant de soulagement qu'elle se dirigea vers la plage. Une main sur le front en guise de visière, la blonde observa les alentours. Personne en vue, elle pouvait se promener sans problème.

Gardant ses chaussures aux pieds, elle s'enfonçait dans le sable chaud sans avoir mal, jusqu'à la mer, ou elle retira enfin ses souliers. Les pieds dans l'eau, elle observa l'horizon avec nostalgie.

Et comme chaque année, elle se rappelait ce dernier moment qu'elle avait passé avec son ancien ami. Pendant longtemps, le garçon lui avait énormément manqué. Mais, au fil des années, ça lui était passé. Thomas n'était ni plus ni moins qu'une personne qu'elle avait côtoyée autrefois.

Elle avait compris qu'il ne valait mieux pas rester avec ce garçon. Ses idées de voyages, de partir loin d'ici, c'était trop dangereux, et il avait voulu l'entrainer avec elle. Mais des gens étaient morts en tentant cette traversée, et elle ne voulait pas risquer sa vie pour un rêve aussi stupide. Son père avait littéralement voulu entrainer toute l'île avec lui, quitte à les tuer.

C'est alors que son regard se tourna vers les rochers, en bas des falaises. Cet endroit, par contre, elle n'y était pas retournée. Même si elle avait grandi, elle avait encore peur du noir et des autres petites choses ridicules, qu'elle n'arrivait pas à surmonter pour la plupart.

Elle se sentait stupide d'être aussi trouillarde. Et, sans même s'en rendre compte, ses pieds la menèrent jusqu'à cette grotte, pendant qu'elle longeait le bord de la mer.

Etait-elle vraiment si faible ? Après tout, elle n'avait jamais tenté d'y aller une nouvelle fois, seule. D'ailleurs, elle n'avait jamais réussi à aller jusqu'au bout de la grotte.

Inspirant un grand coup, Aliyah serra ses souliers dans ses mains, et s'engouffrant dans la caverne sombre, froide, et humide. Un frisson lui parcourut l'échine alors qu'elle n'était encore qu'à l'entrée de celle-ci.

- Vas-y, Ali... T'es plus un bébé... se murmura la fille à elle-même pour s'encourager.

Sur ces simples mots, elle continua son chemin, et fut surprise de remarquer qu'au final, elle n'avait pas si peur que ça. Son cœur ne s'affolait plus autant qu'avant, elle se maîtrisait même plutôt bien. Cela ne put que la ravir.

Enfin, c'était jusqu'à ce qu'elle n'entende du bruit au fond de la grotte. Son cœur manqua de sortir de sa poitrine, et elle perdit instantanément son sourire. Elle ne put d'ailleurs s'empêcher de pousser un cri, avant de plaquer rapidement ses mains contre sa bouche.

Elle se maudissait intérieurement d'être aussi peureuse. Et d'ailleurs, le bruit qu'elle entendait depuis quelques secondes s'était arrêté.

Jusqu'à ce qu'il ne soit remplacé par des pas lourds.

Ils étaient rapides, frappant le sol, se qui effraya encore plus la blonde. Elle avait l'impression que quelqu'un courrait vers elle, et la pénombre ne lui permettait pas de bien distinguer la chose. C'était peut-être un animal sauvage ? Ou pire, un monstre ?

Respirant trop vite, elle se recula de quelques pas, jusqu'à ce que, à nouveau, elle n'entende plus rien.

Elle observa autour d'elle, confuse. Elle avait halluciné ? Se connaissant, cela ne l'étonnait pas d'elle. Alors, soupirant, elle fit marche arrière. Loin de là l'idée de continuer à s'enfoncer dans cette grotte, c'était hors de question.

Et tout à coup, alors qu'elle s'apprêtait à regagner la sortie, une main se posa brutalement sur sa bouche, et une lame sous sa gorge.

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