» chapitre 3
Chan et Minho étaient installées à la terrasse d'un café à Hongdae. Ils n'avaient fait qu'échanger des banalités durant tout le trajet, Chan prétextait ne pas pouvoir discuter car il était concentré sur la route. Il était simplement trop préoccupé pour avoir une véritable discussion avec son ami. De toute façon, ce dernier savait très bien faire la conversation tout seul, ce n'était pas un problème. Il n'y avait jamais de silence, jamais de répit. Minho débitait des paroles, racontait tout ce qui lui venait en tête. Mais là, face à face, leurs boissons sur la table, le silence était de mise. Chan gardait le menton logé dans le creux de sa main et mélangeait son caramel macchiato glacé de l'autre. Il n'avait pas relevé les yeux depuis près de trente secondes, depuis que la serveuse avait ramené leur commande. Et trente secondes, pour Minho, c'était interminable.
— Bon ! s'exclama-t-il en se calant dans sa chaise, les bras croisés contre son torse. C'est quoi cette tronche que tu tires là ?
Chan exhala et s'humidifia les lèvres. Rien qu'au téléphone, Minho avait déjà deviné qu'il n'allait pas bien, il n'allait pas pouvoir lui cacher en étant juste devant lui. Il avait beaucoup de perspicacité et il percevait les choses différemment. Ils ne se côtoyaient pas souvent, mais Minho le connaissait par cœur.
— C'est juste que ça va pas fort en ce moment.
— Eh oh ! Arrête de regarder ton gobelet, je suis juste en face de toi ! râla Minho en claquant des doigts.
Un mince sourire étira les lèvres de Chan. Mais il disparut très vite quand il releva la tête pour affronter le regard de son ami. Minho pouvait se montrer dur, il le savait, et surtout quand il voyait ses amis douter et se morfondre. Chan en avait déjà fait les frais à plusieurs reprises. Il lui passait toujours des savons, même par message, lui disant d'arrêter de se plaindre et de faire quelque chose de ses dix doigts. Il était du genre rentre dedans et plutôt cru dans ses propos, mais il n'aimait pas voir Chan au fond du gouffre. Il l'avait trop souvent vu mal en point, triste, ou même complètement saoul. Et ça lui faisait mal, il se sentait impuissant.
— Qu'est-ce qu'il se passe ?
Son ton s'était adouci. Même s'il pouvait se montrer dur, il savait aussi être bienveillant. Il avait juste une façon de faire bien à lui, et Chan avait l'habitude.
— J'ai eu un appel de la galerie… Tu sais, celle dans Insadong où j'ai proposé ma série sur la mer ?
— Et ? demanda Minho en recroisant les bras, les lèvres pincées vers l'avant.
— Ils m'ont recalé, encore une fois. Alors vraiment, je pense que je vais tout lâcher.
Minho inspira à pleins poumons pour se contenir. Mais la tâche semblait plus ardue qu'il n'y paraissait. Avec un Chan aussi défaitiste et négatif en face de lui, il avait quelques problèmes de maîtrise de soi. C'était toujours la même rengaine, semaines après semaines, mois après mois. Et depuis le décès de son père, c'était encore pire.
— Tu vas tout lâcher pour la trente-sixième fois, c'est ça ?
— Non, cette fois c'est la bonne.
Un court silence prit place.
— Tu devrais surtout arrêter tes conneries. T'es bourré de talent, tu as une technique impressionnante, mais tu fais n'importe quoi.
Chan déglutit. Il observait Minho sans vraiment savoir quoi rétorquer. Il était un des seuls à croire en lui et en son talent, même lui avait abandonné l'idée qu'il était doué pour la peinture. Il avait beau lui répéter qu'il avait des capacités, il n'y croyait plus. S'il en avait, pourquoi ne réussissait-il pas à marcher sur les traces de son père ? Ses tableaux ne plaisaient pas. Ils étaient sans cesse rejetés et finissaient dans un coin sombre de l'atelier. S'il avait pu les brûler et les oublier…
— Minho, j'ai essayé de percer…
— Chan. Arrête. Tu essayes en faisant quoi ? En envoyant deux propositions à l'année ? Tu préfères passer ton temps à picoler et à t'envoyer en l'air. Si t'as un problème avec l'alcool…
— J'ai pas de problème avec l'alcool ! s'exclama-t-il.
Minho haussa un sourcil tout en dévisageant son ami.
— Ose me dire que tu ne bois pas pour oublier.
Chan chercha à fuir le regard insistant et accusateur de son ami. Il avait raison, sur toute la ligne. Il faisait n'importe quoi et de surcroît, il avait vraiment des problèmes d'addiction. Mais qui s'en souciait ? Qui à part Minho ? Il n'avait pas de véritable ami à part ce dernier, il n'avait plus de famille puisqu'il avait coupé les ponts avec sa mère. Il était seul. Tristement seul.
— Je suis qu'un gros con… souffla-t-il.
— Non, justement. T'es intelligent et t'es talentueux. Mais tu sais pas comment te gérer. Et puis, tu t'es entouré des mauvaises personnes, ça t'a pas aidé.
Encore une fois, il ne put qu'admettre que son ami voyait juste. L'engrenage avait été rapide et en sortir n'était pas la chose la plus facile. Il avait pris un certain goût aux soirées parce qu'elles lui avaient fait oublier des échecs douloureux, mais aussi la mort de son père. Et puis, tout cela avait causé bien d'autres fiasco. C'était une spirale qui l'engloutissait peu à peu et de laquelle il peinait de plus en plus à sortir. Un cercle vicieux.
— J'en ai marre d'être refusé, ça me motive pas pour continuer les démarches.
— Tu crois que j'ai fait mes premiers défilés à peine sorti de l'école ? Tu crois que mes créations ont eu du succès en un claquement de doigts ?
— Je sais Minho, t'en as chié pour en arriver là.
— Exactement. J'ai bossé pour des connards, dans des ateliers merdiques jusqu'à pas d'heure pour faire des retouches. On m'a même volé mes croquis. Mais j'ai rien lâché. Alors oui, on a pas le même caractère, parce que toi t'es un putain de Calimero, faut le dire. Mais si tu te sors pas les doigts du cul, je vais pas le faire à ta place.
L'honnêteté de Minho ne le choqua même pas. Il ne pouvait pas le contredire, tout était vrai. Ça lui faisait peut-être un peu mal de se l'avouer, mais il était constamment en train de pleurer sur sa vie. Les seuls instants où il ne le faisait pas, c'était quand il s'amusait. Il y avait un temps pour tout, et il devait arrêter de se laisser embarquer par l'euphorie des soirées pour ensuite redescendre six pieds sous terre. Il n'allait pas pouvoir faire ça ad vitam æternam.
Chan soupira et se renfrogna contre la chaise. Le visage du blondinet réapparut dans son esprit, comme s'il n'était jamais parti finalement. Il lui suffisait de quelques secondes pour repenser à lui et à ce qu'il avait ressenti après son départ ; un flot immense d'inspiration.
— Tu sais, je pensais avoir retrouvé un peu d'inspiration il y a quelques jours.
Minho sirota sa boisson, un sourcil levé. Il se redressa, posa le gobelet sur la table, et fit un petit mouvement de tête pour que son ami lui explique.
— C'était assez particulier comme contexte aussi… bredouilla Chan.
— Particulier ? Encore une belle paire de…
— Non ! l'interrompit-il. Enfin…
Il secoua la tête et avala difficilement sa salive. S'il pouvait bien parler de tout et n'importe quoi, c'était avec Minho. Mais là, il appréhendait sa réaction. Il n'allait pas en revenir. Il allait probablement se moquer de lui aussi. Bang Chan, l'homme à femmes, qui cumulait les coups d'un soir et n'était pas près de se caser, avait passé la nuit avec un jeune homme et ça, ça allait faire un sacré remue-ménage dans l'esprit de son ami.
— Qu'est-ce qui s'est passé alors ?
Chan se mordit la lèvre. Il leva les yeux vers Minho, l'air coupable. Il n'en avait pas parlé, à personne, il avait gardé ça pour lui et là, alors qu'il avait l'occasion de vider son sac, il restait muet. Minho expira avant de reprendre une nouvelle gorgée de sa boisson.
— C'est une histoire de cul, c'est ça ?
— Ouais, on va dire.
— On va dire ? Tu sais quand même si ça en est ou pas, arrête de faire ton farouche avec moi, c'est bon.
Chan prit une grande inspiration et serra les poings.
— Je me suis tapé un mec…
Minho grimaça et battit des cils.
— Quoi ?
— J'ai… couché avec un gars… le week-end dernier…
Incompréhension. Stupeur. Minho manqua de s'étouffer. Il fit semblant de se déboucher les oreilles, un sourire gêné collé au visage.
— Tu te fous de ma gueule là ?
Chan n'en attendait pas moins de lui, après tout, il lui avait assez souvent répété qu'il n'aimait pas les hommes. Ça devait être la chose à laquelle son ami s'attendait le moins de sa part. Il aurait pu dire qu'il avait tué quelqu'un, il n'aurait pas été aussi surpris.
— Non…
— Attends. Toi, Bang Chan, t'as couché avec un homme ?
Il hocha à peine la tête.
— Une question avant qu'on continue cette discussion ! C'est ton cul qui a pris ?
Chan se redressa d'une traite, les sourcils froncés, sur la défensive. Il pouffa de rire et répondit par la négative.
— Tu me prends pour qui ? s'indigna-t-il.
— Oh arrête, c'est bon ! Regarde-moi, y a pas de différence ! Et pourtant je t'assure que…
— Je veux pas savoir, Minho. Épargne-moi les détails ! Et puis j'en sais rien mais j'avais pas mal en me levant alors…
— Par contre, tu vas m'expliquer tout de suite ce que c'est que cette histoire.
Chan dut s'y résoudre. Si Minho voulait comprendre pourquoi il en était arrivé à faire un truc pareil, il devait lui expliquer. Enfin, lui expliquer ce qu'il savait, car les souvenirs de cette soirée étaient flous, et ceux de cette nuit-là étaient inexistants. Son ami l'écouta attentivement jusqu'au bout, et il sembla mieux comprendre ce soudain regain d'inspiration.
— Franchement, ce gars a beaucoup de chance, en fait.
Chan leva les yeux au ciel.
— C'est vrai, reprit Minho, il a réussi à te foutre dans son lit alors que moi, j'ai jamais eu ne serait-ce qu'un petit coup de main.
— Déjà, c'était mon lit, rectifia Chan.
— Encore mieux, il a grimpé les échelons en une soirée. Moi en des années d'amitié je t'ai juste volé un baiser parce que j'étais bourré. Super, on peut vraiment compter sur ses amis.
— Je suis pas gay.
Minho acquiesça et glissa la paille entre ses lèvres. Bien sûr que Chan n'était pas gay, mais ça ne l'avait pas empêché de passer la nuit avec un jeune homme. Et même s'il tentait de se convaincre que c'était une erreur d'avoir fait ça, il savait au fond de lui qu'il y avait trouvé son compte. Pourquoi s'était-il senti aussi enthousiaste après l'avoir mis à la porte ? Pourquoi avait-il été s'enfermer des jours durant dans son atelier ? Parce qu'il se sentait transporté par quelque chose innommable, mais de terriblement grisant.
— Pas gay mais ça t'a donné envie de peindre. T'as aimé ?
— Peindre ?
— Mais non ! Coucher avec lui.
Chan dévia le regard et fixa son gobelet presque vide.
— Puisque je te dis que j'en sais rien, je me souviens plus.
— Peut-être que lui s'en souvient. Peut-être que tu devrais le rappeler et lui proposer de vous revoir. Histoire de confirmer si c'est grâce à votre petite partie de jambes en l'air que t'as eu envie de manipuler tes pinceaux.
Bien sûr, cette éventualité lui avait traversé l'esprit. Il avait sa carte de visite, son numéro de téléphone, il pouvait très bien le contacter et lui parler. Mais comment allait-il réagir en le voyant ? Comment allaient-ils tous les deux réagir ? Il l'avait mis à la porte sans aucune considération, il allait sans doute lui en vouloir et l'insulter de tous les noms s'il revenait vers lui. Il n'avait pas assuré, mais il avait été si choqué qu'il n'avait même pas réfléchi. Il avait agi sous le coup de la colère.
— Je l'ai dégagé de chez moi et je lui ai balancé ses chaussures à la figure. Je sais même pas si c'était ses chaussures en fait.
Minho pouffa de rire.
— Finalement, je sais même plus si j'aurais aimé être à sa place ou non.
En y réfléchissant, Chan avait un peu honte de s'être comporté comme un rustre. Il avait sa part de responsabilité, ce n'était pas la première fois qu'il buvait à en perdre toute notion de réalité et qu'il faisait des choses sous l'emprise de l'alcool — et autres substances. Dans ce genre de soirée, ils étaient tous dans le même état, et peut-être que le blondinet avait lui aussi trop consommé. Peut-être que lui aussi avait été pris de court.
— Je devrais faire quoi ?
— Va le voir.
— T'es sûr ?
— Tu risques quoi ? Au pire qu'il te mette un pain dans la gueule. Au mieux, qu'il accepte tes excuses et que vous vous revoyiez, même pour…
Chan déglutit. Il n'avait pas vraiment pensé à cette éventualité. Il n'aimait pas les hommes et de là à recommencer juste pour retrouver un soupçon d'inspiration, il ne fallait pas exagérer. Cependant, il avait besoin de réponses à ses questions et s'il ne retrouvait pas l'inconnu, il n'en obtiendrait jamais.
— C'est pas tout ça, mais il y a Jisung qui m'attend.
— Qui ?
— Jisung, le gars qui fait des photos pour des magazines de mode. Je t'en ai déjà parlé, putain tu retiens rien. Arrête de fumer ça attaque ton cerveau.
— Tu veux que je t'y emmène ?
Minho secoua la tête de gauche à droite, un petit rictus fit son apparition.
— Il va venir me chercher avec sa grosse voiture de sport, dit-il fièrement.
— T'es vraiment vénal, s'amusa Chan.
— Si tu le dis. Bon, je vais y aller, il va arriver. Tu me raconteras comment ça s'est passé avec ton mec.
Chan grimaça et son ami se leva. Il glissa quelques billets de mille Wons sur la table et lui décocha un clin d'œil. Quelques secondes après, une Audi bleu électrique se gara au coin de la rue et Minho se dirigea vers elle pour grimper à l'intérieur. Chan termina sa boisson et décida qu'il était aussi temps pour lui de repartir. Ça lui avait fait du bien de pouvoir discuter, et surtout de se faire secouer par Minho. Même s'il pouvait sembler acerbe dans ses propos, il n'en restait pas moins de bon conseil. Heureusement qu'il était là pour lui remettre les pendules à l'heure de temps en temps.
De retour chez lui, Chan retrouva le canapé sur lequel il se laissa tomber. Il ferma les yeux un court instant et soupira longuement. Le portefeuille du jeune homme était encore sur la table de salon. Soudain, son estomac se tordit. Une sensation qu'il ne connaissait que trop bien, un mélange d'excitation et d'impatience. Même son corps se mettait à réagir bizarrement et là, il ne pouvait pas rejeter la faute sur l'alcool. Ses paupières s'étaient de nouveau closes. Il ne fallut pas plus de cinq secondes pour qu'une image apparaisse dans son esprit. Elle était très nette. Chan aurait presque pu entendre le bruit de leurs soupirs, sentir la chaleur émaner de leurs corps humides, avoir le goût de leurs baisers sur ses lèvres… Il se releva et se mit à faire les cents pas dans le salon, le cœur fou et les mains tremblantes. Il craignait que son imagination ne lui joue des tours, mais la scène avait l'air bien réelle. Il avait vraiment couché avec ce jeune homme et peut-être qu'il avait apprécié. Il devait en avoir confirmation. Il devait le revoir et qui peut-être que l'inspiration pourrait revenir.
•••
Hello ☀️
J'espère que vous allez bien !
Notre très cher Chan n'a pas le choix que de retrouver Hyunjin, quel dommage 👀
À mercredi prochain pour la suite 💜
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