Chan n'avait plus eu de nouvelles de Hyunjin. Il n'avait pas cherché à en avoir non plus. Ils s'étaient quittés sans vraiment s'être disputés, mais sans trouver un terrain d'entente. Chan s'était montré dur, ses paroles avaient dépassé sa pensée. Mais il était déçu. Déçu que Hyunjin ne lui dise pas qu'il avait des sentiments, déçu qu'il le considère seulement comme un gars avec qui il s'amusait. C'était bien ce qu'ils avaient été l'un pour l'autre pendant des semaines, mais Chan avait fini par voir les choses différemment. Alors maintenant qu'il était sûr que Hyunjin ne le voyait pas d'une manière plus sentimentale, il avait mal. Il avait l'impression d'avoir été pris à son propre jeu. Lui qui, au départ, cherchait seulement de l'inspiration, qui cherchait à se convaincre qu'il ne pouvait pas avoir de l'affection pour un homme, voilà qu'il se retrouvait là comme un imbécile à avoir une peine de cœur. Il n'avait jamais ressenti ça auparavant. Il avait l'impression que plus rien ne comptait plus que cette douleur lancinante au fond de lui.

Ses œuvres allaient être exposées, et il n'arrivait pas à s'en réjouir totalement. C'était surtout grâce à Hyunjin. Il l'avait aidé, il lui avait fait prendre confiance en lui, puis il lui avait redonné goût à la vie. Et il n'était plus là pour qu'ils puissent s'en réjouir ensemble. Chan vivait une victoire sur le plan professionnel, mais un échec cuisant dans sa vie personnelle.

Il avait envoyé deux invitations à Minho, et ce dernier avait répondu à l'appel. Il serait accompagné de Jisung, le jeune homme dont il ne cessait de parler dès qu'il en avait l'occasion. Depuis que Chan ne voyait plus Hyunjin, il évitait tout de même d'étaler son bonheur. Il avait aussi envoyé des invitations au Holy Kiss Magazine, pour Sunmi et Hyunjin, afin de les remercier. Mais il n'avait pas eu de retour. Ils avaient quand même participé à sa réussite, alors c'était le moins qu'il puisse faire. Il ignorait s'ils allaient venir au vernissage et il s'efforçait de ne pas trop y penser. Il avait peur de revoir Hyunjin, d'être confronté à lui et de voir ressurgir sa peine. Il voulait que ça s'arrête. Il voulait arrêter d'avoir mal au cœur. Cela le terrifiait. Ce sentiment d'abandon et de vide était insupportable. Il essayait quand même de passer au-dessus, de penser à l'avenir. Il allait vivre un moment très important et il devait se focaliser sur ce dernier.

Devant le grand miroir de sa chambre, Chan resserra sa cravate et soupira. Il portait une tenue similaire à ce que son père avait l'habitude de mettre lors de ses soirées et, même s'il était heureux de ce qui était en train de lui arriver, il était envahi par des souvenirs indésirables. Sa gorge se noua. Il ne voulait pas devenir comme son père. Il ne voulait pas que sa vie se résume à ses œuvres, et ne vivre que pour ça. Même si pour le moment, il n'avait rien d'autre à quoi se raccrocher. Hyunjin et lui ne se voyaient plus, et il n'avait même plus de vie sociale. Il avait arrêté de voir des gens et de faire la fête. Il n'avait pas de véritable projet de vie de famille, sans doute car cela lui faisait peur à cause de ce qu'il avait vécu dans son enfance. Une chose était sûre, s'il devait un jour avoir une relation, peut-être même des enfants, il ne voudrait pas les faire passer au second plan. Il avait souffert de l'absence de ses parents, de l'indifférence de sa mère, mais aussi de celle de son père. Il contempla son reflet et un sourire triste s'éprit de ses lèvres. Encore une fois, il se sentait seul et abandonné. Hyunjin et lui, ça n'avait été que du sexe, rien d'autre. Et s'il le revoyait ce soir, il ne tomberait pas dans le piège. Il l'appréciait beaucoup, mais il ne voulait pas souffrir inutilement. Il enfila sa veste et quitta la chambre pour rejoindre le hall d'entrée. Ses chaussures noir brillant aux pieds, il attrapa son portefeuille ainsi que ses clés de voiture. Il était attendu.

***

Chan arriva sur le parking de la galerie d'art. Son cœur tambourinait à vive allure. Il avait la tête qui tournait et l'estomac sens dessus dessous. Les nausées se faisaient de plus en plus violentes au fil des secondes. Pour ne rien arranger, les souvenirs du dernier vernissage auquel il avait assisté lui revinrent en tête. L'ombre de Hyunjin à ses côtés paraissait tellement réelle… Il tendit une main vers le siège passager, mais elle se dissipa. Il n'était pas là. Chan soupira et bascula contre l'appui-tête. Il aurait tant eu besoin de lui à cet instant, à ses côtés. Il aurait eu besoin de ses mots rassurants et encourageants. Mais il était seul. Il déglutit dans l'espoir de ravaler sa tristesse, puis il se regarda une dernière fois dans le miroir du pare-soleil avant de sortir. Le ciel s'assombrissait, la nuit n'allait pas tarder à tomber et donc, les invités à arriver. Chan prit une grande inspiration tout en se dirigeant vers l'entrée de la galerie. Le directeur avait envoyé pas mal d'invitations à toutes les personnes qui seraient éventuellement intéressées. Des dirigeants de grandes entreprises, des amateurs d'art, des célébrités… Il appréhendait énormément de rencontrer tout ce monde, de devoir discuter, mais aussi de devoir faire un petit discours pour les remercier de leur venue. Il avait prévu de faire simple, pas de grandes tirades. Parler devant un public n'était pas son fort. Il n'avait jamais été très à l'aise pour cela et il préférait faire court plutôt que de se ridiculiser.

Une fois à l'intérieur, il se présenta à l'accueil et le directeur arriva. Ils firent le tour de la salle où étaient exposés ses tableaux et vérifièrent que tout était bien en ordre pour recevoir les invités. Le buffet était presque entièrement dressé, bien décoré, et un pianiste jouait pour l'occasion. Ils avaient sorti le grand jeu. Après avoir discuté avec le directeur, Chan regarda sa montre. L'heure était arrivée, et les premiers convives commencèrent à entrer dans la salle. Une fois que Chan en eût salué et accueilli quelques-uns, ils se virent offrir une coupe de champagne. Il n'en revenait pas. Toutes ces personnes étaient là pour lui, pour ses œuvres. Il avait l'impression d'être comme dans un rêve. Il ne pensait plus à rien d'autre qu'à ce qui était en train de se produire. Hyunjin avait fini par quitter son esprit et la tristesse s'était envolée.

La pièce se remplit petit à petit et, quand Chan vit Minho arriver, il se précipita vers lui. Ce dernier avait enfilé un costume plutôt original, et qui ne passait pas inaperçu avec ses gros carreaux beiges et gris, et sa petite écharpe en cachemire rouge. Avec lui se tenait un autre jeune homme que Chan reconnut comme étant Jisung puisqu'il l'avait déjà vu sur des photos. Il était un peu plus petit que son ami, et surtout moins excentrique.

— Chan, je te présente Jisung.

— Enchanté, Minho m'a énormément parlé de toi.

— Je peux en dire autant de toi, lança Jisung en souriant.

Il jeta aussitôt un regard à son meilleur ami, les sourcils froncés. Il espérait qu'il ne lui ait pas raconté des choses trop personnelles et intimes. Minho pouvait être une véritable commère quand il s'y mettait et avec lui, les secrets n'étaient pas forcément les mieux gardés.

— C'est dingue tout ce monde présent, s'émerveilla Minho. Mais bon, je savais bien qu'un jour tu finirais par te sortir les doigts du cul et te faire ta place.

Chan hocha la tête, un mince sourire étirant ses lèvres. Minho avait toujours cru en lui et c'était bien pour cela qu'il le secouait si souvent. Il avait eu des mots durs à son égard, mais cela avait toujours été pour son bien. S'il n'avait pas été là pour croire en lui dès le départ, il aurait sans doute tout abandonné. Il avait tant de fois pensé à arrêter de peindre, et il s'était toujours tourné vers Minho quand il hésitait à lâcher sa passion. Et à chaque fois, il le remettait dans le droit chemin, même si ses paroles pouvaient être crues.

— Merci d'ailleurs…

Minho lui asséna une tape sur le bras.

— Arrête, j'ai pas fait grand-chose.

— C'est ce que tu crois. T'es sûrement un des seuls à avoir continué de me soutenir malgré tous mes caprices ridicules.

— Non, j'ai pas été le seul. Tu le sais très bien.

Chan se figea. Effectivement, il y avait eu quelqu'un d'autre, et malheureusement, il n'était même pas présent.

— Minho, intervint Jisung, je vais aller me servir, tu veux que je te ramène quelque chose ?

— Non mon cœur, c'est bon, j'irai après.

Le jeune homme acquiesça et disparut à travers la foule pour rejoindre le buffet.

— Mon cœur ? dit Chan en grimaçant.

L'expression de Minho se métamorphosa. Il semblait à la fois très fier et charmé. Il observa les alentours et se pencha vers Chan.

— C'est de loin mon meilleur coup. Je te jure que lui, je vais pas le lâcher.

De concert, ils laissèrent filer un rire. Chan était heureux pour son ami. Il n'avait pas vraiment de difficultés à tisser des liens, mais avec les horaires qu'il faisait, il ne prenait pas souvent le temps pour avoir des relations. Avec Jisung, ça avait l'air de durer et d'être on ne peut plus sérieux, même si Minho laissait toujours penser qu'il n'était qu'un homme vénal, attiré par les belles choses et l'argent. Il avait plus de cœur que Chan, il avait plus de facilité à s'attacher. Et surtout, il n'avait pas peur de s'attacher. Il prenait la vie comme elle venait et si cette dernière lui offrait une belle histoire, alors il ne s'en privait pas.

— Bon et toi alors ?

Chan baissa la tête et sa joie s'évapora. Il savait où son meilleur ami voulait en venir et il avait terriblement envie d'esquiver la conversation. Mais Minho n'allait pas lâcher l'affaire et insister jusqu'à ce qu'il craque. Autant en finir tout de suite.

— Rien de nouveau.

— Quoi ? Attends, t'as toujours pas rappelé ton mec ?

— C'était que du cul, même lui l'a dit.

— Même lui ? Non mais franchement, t'attends quoi ? Qu'il te passe sous le nez ?

Un soupir échappa au peintre.

— C'est déjà fait. C'est plus important de toute façon.

— Tu l'aimes beaucoup, ça crève les yeux. Franchement, t'aurais au moins pu le rappeler et lui dire ce que t'avais sur le cœur. Pas l'envoyer chier et lui faire une scène parce qu'il a un gosse.

— Non, je m'en fiche. Il avait qu'à me dire la vérité quand on s'est rapprochés. Il a qu'à rester à s'occuper de sa gamine, c'est pas mon problème.

Même s'il voulait paraître détaché par rapport à la situation, Chan avait mal au cœur et sa voix tremblait. Ressasser ce qui s'était passé lui faisait de la peine, et le fait d'en reparler ravivait également sa colère. Il n'aurait jamais dû s'attacher à cette relation ambiguë. Ce n'était pas ce qu'il avait prévu.

— T'es dur avec lui. Surtout que tu sais comme moi qu'au départ tu te servais de lui.

— Je l'ai jamais forcé à se ramener chez moi, il était bien content de venir se faire…

Chan s'arrêta. Hyunjin venait de passer la grande ouverture et de pénétrer dans la salle. Il était accompagné de sa patronne et son regard partait dans tous les sens, comme s'il cherchait quelqu'un. Il fut accueilli par un serveur qui lui proposa une coupe de Champagne et, une fois son verre en main, il avança davantage en compagnie de Sunmi. Le cœur en vrac, Chan se décala légèrement de façon à se cacher derrière Minho.

— T'exagères ! Tu pourrais au moins le saluer au lieu de te planquer.

— Je pensais pas qu'il viendrait. Il m'a pas donné de réponse alors…

Il n'eut pas l'occasion d'avoir du répit car le directeur de la galerie prit la parole à l'aide d'un micro. Après un petit discours qui avait suscité l'intérêt des invités, il demanda à Chan de le rejoindre et ce fut à son tour de remercier son auditoire. Tandis qu'il présentait rapidement le contenu de son exposition, son regard balaya la pièce. Il aperçut Hyunjin, ce dernier était à proximité d'un mur, dans le fond, comme s'il avait cherché la meilleure place pour l'observer en toute tranquillité. Il bégaya un peu avant de se détourner de lui. Sa présence le rendait nerveux et il sentait que ses paumes de mains devenaient de plus en plus moites. Il préféra se concentrer sur quelqu'un d'autre et continua son speech. Il fut bref, mais reçut une horde d'applaudissements. Une fois qu'il rendit le micro au directeur, Chan dut faire face à des allées et venues incessants. Beaucoup de monde désirait lui parler et le féliciter, et il ne connaissait personne. Ça le mettait un peu mal à l'aise que des inconnus viennent lui faire des compliments et discutent avec lui comme s'ils l'avaient toujours côtoyé, mais il n'avait pas le choix que de faire bonne figure. Les invités les plus audacieux lui répétaient ô combien il était talentueux, et aussi beau garçon. Des jeunes femmes n'hésitaient pas à le complimenter sur son apparence et pour les moins timides, à lui faire du rentre-dedans. Il avait du mal à encaisser ce soudain enthousiasme pour sa personne. Il était comme sonné, dans un autre monde. Et c'était autant embarrassant que plaisant. Minho ne restait pas loin, il l'encourageait d'un regard ou d'un sourire quand Chan se tournait dans sa direction.

Alors que des gens venaient de le quitter, Hyunjin s'avança vers lui, un mince sourire aux lèvres. Chan en eut le souffle coupé. Cela faisait des jours qu'ils ne s'étaient pas vus ou même échangés des messages. L'avoir face à lui, dans ces circonstances, avait le don de l'angoisser. Il ne savait pas quoi dire ou quoi faire. Il ignorait comment réagir. Hyunjin et lui avaient partagé beaucoup de choses, ils s'étaient découverts au fil du temps, même si les circonstances avaient été un peu spéciales. Chan ignorait comment il devait se comporter. Il n'oubliait pas les bons moments qu'ils avaient passés ensemble, mais il n'oubliait pas non plus que tout ça n'était finalement pas si important.

— Mes félicitations pour ton exposition, dit Hyunjin en s'inclinant légèrement.

— Merci.

La réponse était simple et Chan ne savait pas quoi répondre d'autre. C'était tout ce qu'il était en mesure de lui dire. Un simple « Merci » pour tout ce qu'il avait fait pour lui. Il n'avait pas le temps ou même l'envie de commencer à discuter sérieusement. Et pour dire quoi ? Ils s'étaient déjà tout dit. Hyunjin l'avait toujours vu comme un jeune homme avec qui passer du bon temps, alors il n'allait pas chercher plus loin. Ils avaient eu de bons moments tous les deux, et c'était terminé. Chan n'avait pas la force de continuer et de faire comme si tout allait bien. Il se l'avouait désormais, il l'appréciait plus que ce qu'il avait voulu le laisser penser. Même s'il avait cherché à se divertir sans prise de tête, il s'était attaché à Hyunjin et peut-être même qu'il avait développé des sentiments. Mais ils n'étaient pas réciproques, alors c'était mieux qu'il ravale tout et passe à autre chose.

— C'est vraiment satisfaisant de voir tes tableaux accrochés à ces murs.

— Oui… souffla Chan en regardant l'un d'eux.

— Je suis vraiment heureux pour toi.

Chan n'eut pas l'occasion de répondre quoi que ce soit qu'un homme et une femme l'interpelèrent. Ils étaient là dans le même but que les autres : le féliciter. L'homme avait la trentaine, des cheveux longs et ramenés vers l'arrière, et un style plutôt décontracté. Il se présenta comme propriétaire d'une petite galerie de Gangnam, la femme qui l'accompagnait était sa sœur et directrice d'une marque de cosmétiques. Chan s'empêcha de l'analyser, mais son visage était vraiment hypnotisant. Elle avait quelque chose, dans son regard, qui l'intimidait. Elle paraissait douce, calme, mais dans le fond, il sentait quelque chose d'explosif. La tension était palpable et il se détourna d'elle pour éviter de se perdre dans ses pensées. Il ne remarqua même pas que Hyunjin s'était éclipsé. De toute façon, ce n'était pas comme s'il avait envie de lui porter grand intérêt. Il était plutôt dans l'optique qu'il devait l'oublier et passer à autre chose.

— Vos tableaux sont d'une beauté ! s'exclama l'homme. J'ai un projet pour vous et si vous l'acceptez, je vous assure que vous serez bien payé.

— Pardon ? Un… un projet ?

— Oui ! J'aimerais beaucoup vous voir sur des micro-tableaux, quelque chose de très minimaliste mais qui dégage énormément de choses. Et avec ce que je vois là, je suis sûr que vous pouvez me faire des miracles.

Les pommettes de Chan s'empourprèrent. C'était beaucoup en peu de temps.

— Si vous voulez, nous pourrions en discuter plus tard dans mes locaux. Tenez, je vous donne ma carte de visite et vous pourrez me rappeler quand vous le désirez.

Il lui décocha un clin d'œil et, alors qu'un serveur passait, l'homme attrapa une coupe de Champagne au vol. Il la confia à Chan et ce dernier força un sourire. Il était peut-être question de son vernissage, mais il n'avait pas prévu de boire. Ça lui faisait peur de toucher à l'alcool. Il craignait de perdre le contrôle. Mais quand la jeune femme devant lui avança sa coupe vers la sienne, il ne put se résoudre à refuser. Leurs verres s'entrechoquèrent et, ne voulant pas paraître impoli, il but deux gorgés de la boisson pétillante.

— Je vous laisse, je m'en vais faire un tour du côté du buffet !

Chan acquiesça. Il ravala sa salive, gêné par la présence de cette jolie femme qu'il n'avait pas pu se retenir de reluquer d'un bref coup d'œil. Il amena la coupe à sa bouche pour la terminer. Il allait avoir besoin d'un coup de pouce s'il voulait vraiment tout oublier le temps d'une soirée.