» chapitre 1
Le soleil matinal s'infiltra dans la grande pièce, à travers les fins voilages blancs qui remuaient au gré de la petite brise. La fenêtre était restée ouverte une bonne partie de la nuit, probablement par simple oubli. Il ne faisait pas encore très chaud, le printemps avait beaucoup de mal à s'installer cette année et les températures restaient encore basses.
Piqué par les rayons lumineux qui caressèrent son visage pâle, Chan fronça les sourcils avant de tenter d'ouvrir les yeux. Il fut obligé de les refermer aussitôt, ébloui par la lumière vive qui baignait désormais la chambre. Sa tête était affreusement douloureuse et lourde, il avait la sensation qu'un marteau-piqueur était en marche et qu'il lui broyait le cerveau.
Avec la soirée qu'il avait passée, il ne devait pas être étonné de se réveiller dans un sale état. Il avait encore une fois trop bu, et sans doute trop fumé. Il était toujours dans l'excès. Il en avait l'habitude à force de remettre le couvert chaque week-end, mais c'était comme s'il ne retenait jamais la leçon. Il savait qu'il ne tenait pas l'alcool et que la boisson mélangée à d'autres subtances ne faisaient pas bon ménage, mais il ne pouvait pas s'empêcher de recommencer. Sur le coup, tout cela lui faisait tant de bien. Il oubliait ses problèmes, sa vie qu'il qualifiait déjà de ratée alors qu'il n'avait que vingt-cinq ans. Il pouvait rire, sourire, deux choses qu'il ne faisait jamais durant son quotidien morose. En dehors de toutes ces fêtes, Chan était un jeune homme solitaire qui s'apitoyait sur son sort.
Il fuyait comme il pouvait, et boire jusqu'à oublier son propre prénom était son moyen de prédilection. De toute façon, dans ces moments-là, il y avait toujours une fille pour le lui rappeler lorsqu'elle le criait en plein ébat. Il en avait fait défiler, des jeunes femmes dans son lit — et même des moins jeunes. Ce n'était pas vraiment qu'il cherchait à cumuler les conquêtes, mais il se sentait un peu important dans ces moments-là. Il avait la sensation d'enfin gérer quelque chose correctement.
Après un effort monumental pour se redresser, il se frotta les yeux. Ses paupières se décollèrent difficilement. Il avait la bouche pâteuse, la gorge sèche, les cheveux en bataille. Point positif : il était dans sa propre chambre, c'était déjà ça. Il passa doucement une main dans ses mèches brunes afin de les discipliner et, alors qu'il lâchait un long bâillement, il constata qu'il avait laissé trainer quelques préservatifs usagés sur le sol. Cela le fit sourire. Il avait encore dû passer une sacrée nuit, et en bonne compagnie. Dommage que son esprit ne fut pas en mesure de lui redonner ses souvenirs. Mais il avait une certitude, il avait dû bien s'amuser pour le faire trois fois de suite.
Il se laissa tomber en arrière, contre les oreillers moelleux, et prit une grande inspiration avant de relâcher tout l'air de ses poumons. Cette nuit était passée et il allait reprendre le cours de sa vie durant toute la semaine à venir. Il chercha à se retourner et sentit une masse à côté de lui. Il l'observa. Sa conquête de la veille était encore là, enroulée dans une grosse couverture, ses cheveux blonds dépassant légèrement. Chan plissa les yeux. C'était rare qu'une femme reste jusqu'au lendemain puisqu'il était clair dans ce qu'il attendait. Il voulait juste s'amuser et profiter de la vie. D'habitude, elles partaient discrètement avant qu'il ne se réveille. Certaines lui laissaient des petits mots avec un numéro, mais Chan n'avait aucune envie de vivre une relation stable et de s'attacher. Il ne savait déjà pas s'occuper de lui correctement, alors il ne les rappelait jamais.
Quand l'inconnue gigota, il se figea. Il ignorait comment il allait gérer la situation une fois qu'elle se réveillerait. Il était chez lui, il n'avait aucun moyen de fuir. Elle lâcha un petit bruit et pivota pour se retrouver à quelques centimètres de son visage. Il écarquilla les yeux et son cœur s'emballa dans sa poitrine. Le ciel lui tombait sur la tête. La migraine était déjà bien installée mais cette fois, il avait la sensation que des centaines de bulldozers étaient en train de lui passer dessus. Face à lui ne se trouvait pas une jeune femme, mais un jeune homme. Ses cheveux coupés au carré l'avaient induit en erreur. Une horrible sensation lui traversa le corps. De la honte, de l'incompréhension, de la peur. Il ne savait pas ce que c'était réellement, mais c'était fort désagréable. Que faisait-il là, dans son lit ? Et est-ce qu'ils avaient…
Chan secoua la tête pour chasser cette pensée. Impossible. Il aimait les femmes. Il n'avait jamais envisagé quoique ce soit avec un autre homme et ce n'était pas l'alcool qui allait le faire changer d'avis. C'était un non catégorique. Peut-être s'était-il juste endormi là. C'était une explication tout à fait plausible. Après tout, la soirée avait été bien arrosée et comme à chaque fois qu'il en organisait, il n'était pas rare que des inconnus se retrouvent assoupis dans le canapé du salon, ou sur le tapis d'une des salles de bain. Jamais dans son lit cependant.
Chan déglutit. Et s'il soulevait juste un peu les draps pour regarder s'il avait encore ses vêtements ? Il soupira une fois de plus en fermant les yeux. Il devait vraiment arrêter de paniquer pour rien. Il n'avait aucun souvenir de sa nuit, certes, mais ça ne voulait pas dire qu'il avait couché avec ce jeune homme. Il resta un long moment à l'observer, incapable de prendre son courage à deux mains. L'inconnu semblait dormir à poings fermés, ses longs cils noirs reposant sur ses pommettes. Il avait un visage doux, presque angélique. Chan s'attarda sur ses lèvres pulpeuses et plissa les yeux avant d'afficher une moue de dégoût. Il n'aurait jamais pu l'embrasser. Il devait avoir la certitude qu'ils n'avaient rien fait. Dans un élan de bravoure, il saisit la couverture d'une poigne ferme et la souleva brusquement.
Nus. Tous les deux.
Un frisson intense le parcourut et il cacha leurs corps avant de tourner la tête. Il ne pouvait plus regarder ce jeune homme. Qu'avait-il fait ? Il avait vraiment couché avec lui ? Il ne voulait pas y croire et pourtant, il avait l'horrible sensation que c'était bien arrivé. Ils n'étaient quand même pas tous les deux nus dans un lit pour rien. Et les préservatifs jonchant le sol en témoignaient. Chan aurait préféré ne jamais devoir affronter une telle situation. Il se sentait mal. Presque sale. Il n'était pas attiré par les hommes, et même s'il devait avouer que celui à ses côtés pouvait être mignon, il ne ressentait aucune attraction pour lui. Il devait se calmer et réfléchir. Il chercha dans sa mémoire et se repassa le début de la soirée.
Les gens avaient commencé à débarquer vers vingt-deux heures et les bouteilles d'alcool s'étaient entassées sur la table de la salle à manger, ainsi que dans la cuisine. Il se souvenait avoir accueilli Changbin, un jeune homme avec qui il avait gardé contact depuis l'université et qui était un fêtard confirmé. Ils se voyaient uniquement durant les soirées et savaient qu'ils passeraient un bon moment que ce soit chez l'un ou chez l'autre. Il était comme Chan, fils d'un homme célèbre, à la différence près que le sien avait fait fortune dans le domaine de l'automobile.
Ensuite il avait dansé, bu, fumé. Il avait flirté avec quelques femmes, il les avait embrassées aussi. Et il avait encore bu, et encore fumé. Puis le trou noir. Il s'efforçait de faire remonter les souvenirs à la surface, mais impossible. Il lui manquait une grosse partie de la soirée, et elle correspondait sans doute à cette nuit.
Il lâcha un râle, les poings serrés. Il n'arrivait pas à savoir ce qu'il avait fait. Il jeta un autre coup d'œil au jeune homme à côté de lui. Il fit un bond quand il le vit ouvrir les yeux. Il se recula et garda les mains contre son torse, comme s'il se mettait en position de défense. Son regard était un peu perdu, mais terriblement envoûtant. Hypnotisant. Il dégageait quelque chose d'intense et de mystérieux. Il n'avait pas l'air perdu, il était même plutôt détendu. Chan resta immobile mais, quand l'inconnu lui adressa un sourire, il se redressa subitement. Sa respiration s'était faite anormale, saccadée, mais courte. Son palpitant manqua quelques battements et son estomac se noua. Il quitta le lit et ramassa ses vêtements à la hâte pour les enfiler. Il ne tenait pas très bien sur ses jambes, sa tête lui tournait et il avait des hauts le cœur. Mais il était hors de question que cet inconnu reste plus longtemps chez lui, dans son lit.
— Qu'est-ce que…
Le jeune homme n'eut pas le temps de terminer sa phrase que Chan lui balançait ses habits à la figure. Il se mit à faire les cent pas dans sa chambre avant d'aller fermer la fenêtre. Tandis qu'il était en train de se rhabiller, Chan en profita pour ramasser les preuves de ses ébats afin de les jeter dans la poubelle.
— Sors d'ici, cracha-t-il.
— Hé doucement…
— Sors de ma putain de maison !
L'inconnu battit des cils, ses lèvres se déformèrent en une moue d'incompréhension. Et Chan perdit patience. Il le fusilla du regard et, constatant qu'il ne bougeait pas, il lui empoigna l'avant-bras et le tira hors de la chambre. D'un pas décidé, il lui fit traverser la grande pièce à vivre. Il se fichait bien des plaintes qu'il pouvait lâcher. Il était dans une colère noire. Contre ce jeune homme. Contre lui-même. Il ne voulait plus l'avoir dans les pattes, juste qu'il disparaisse loin. Très loin. Et surtout, il ne voulait plus jamais le revoir. Il l'emmena jusqu'à la porte d'entrée et l'ouvrit à la volée. Sans une once de douceur, il poussa le jeune homme à l'extérieur.
— Mes chaussures…
Chan dut se contenir pour ne pas l'insulter. Il attrapa la première paire qu'il avait à disposition et la jeta avec force sur l'inconnu. Sans un mot, il se retourna et claqua la porte.
Il souffla un bon coup puis s'essuya le front. Il transpirait tant il s'était énervé. Il se hâta dans la cuisine pour se servir un verre d'eau fraîche. Cette fois, il ne put que remarquer qu'ils avaient mis un sacré bazar dans la maison. Il allait encore devoir tout nettoyer, tout seul, comme un idiot. C'était amusant de faire la fête, beaucoup moins de devoir ranger après tout le monde. Mais il le savait à force, ce n'était pas nouveau. Son verre à la main, il alla s'affaler dans le grand canapé en cuir qui faisait face à la baie vitrée. Il avait vu sur la piscine qui était encore bâchée. Heureusement, personne n'avait eu la brillante idée d'aller y faire un plongeon. De toute façon, elle n'avait pas été entretenue depuis quelques mois, l'eau était sans doute un peu crasseuse.
Même avec le grand verre qu'il venait d'avaler, Chan n'avait toujours pas les idées claires. Il allait mettre un bon moment avant de se débarrasser de la gueule de bois qu'il avait. Et dans son état, il était hors de question de filer au magasin pour un quelconque médicament. Tant pis, il ferait avec. Ce n'était pas comme s'il avait prévu de faire quoi que ce soit. Il n'allait pas ranger tout de suite, et encore moins travailler de tout le week-end. Peut-être même de toute la semaine à venir. Il se laissa aller un moment et essaya de se détendre un peu. Chacun de ses muscles le faisait souffrir, il avait la sensation d'avoir couru un marathon, ou d'avoir passé une journée entière à la salle de sport. Vraiment, il avait fait fort cette nuit. Si fort qu'il n'avait plus rien contrôlé du tout. Si fort qu'il en était même arrivé à s'envoyer en l'air avec un mec. De rage, il tapa du poing sur l'assise du sofa. C'était tellement frustrant de ne se souvenir de rien.
Il ne cessait de se demander pourquoi. Il revoyait le visage de cet inconnu, paisiblement endormi à côté de lui. Il avait quelque chose d'intrigant, de presque fascinant. Il était plutôt beau et, en y repensant, il avait des traits harmonieux. Mais il ne connaissait même pas son prénom. Il ne se souvenait même pas l'avoir croisé durant la soirée. Avec tout le monde qu'il y avait, ce n'était pas étonnant non plus. Il invitait des gens qu'il avait croisés vite fait, qui eux-mêmes invitaient d'autres gens. Et voilà comment il se retrouvait à accueillir une centaine de personnes chez lui sans connaître l'identité de chacun. Si son père savait ça… Il aurait envie de l'étriper. Mais il n'était plus là depuis un an. C'était son décès qui avait fait sombrer Chan dans cet engrenage infernal.
Il avait toujours admiré son père et son travail. Monsieur Bang avait eu une carrière magnifique, il s'était fait connaître à ses trente ans grâce à ses peintures. Il était devenu un célèbre artiste qui exposait dans les plus grandes galeries, les plus grands musées du monde entier. Il avait mené une vie de luxe, entouré de sa femme et de son fils. Et quand son épouse était partie pour un autre homme, il s'était raccroché à sa progéniture. Il avait tout fait pour que ce dernier marche sur ses pas, qu'il devienne aussi doué et connu que lui. Chan avait fait des études dans une école d'Arts très réputée, puis il avait fini par devenir l'apprenti de son père. Malheureusement, le succès ne fut pas au rendez-vous. Ses toiles se voyaient systématiquement refusées. Il avait beau être le fils unique d'un célèbre peintre, les portes se refermaient toutes devant lui. C'était douloureux. Il n'était pas à la hauteur, il était incapable de rendre son père fier de lui. Et aujourd'hui, il avait perdu tout espoir de voir sa carrière décoller. Heureusement que Monsieur Bang n'était pas là pour voir ce qu'il était devenu et ce qu'il faisait de son héritage.
Chan essayait de peindre de temps en temps, mais il n'avait ni inspiration, ni motivation. Tout était fade, sans saveur, sans couleur. Il donnait quelques coups de pinceau et finissait par s'énerver sur ses toiles. Il envoyait tout valser et se réfugiait dans ces soirées pour oublier qu'il n'avait pas de talent. Il était en train de foutre en l'air tout l'héritage que son père lui avait laissé. Il dilapidait l'argent pour se payer un peu de bonheur, la belle villa en plein cœur de Séoul était devenue un dépotoir. Le seul endroit qui n'avait pas trop bougé était l'atelier de peinture qu'il gardait fermé à clé.
En pensant à ce lieu, Chan eut un pincement au cœur. Ça lui manquait terriblement. Il repensait à ce bien-être qu'il ressentait avant quand il peignait. Il se sentait transporté, loin, très loin, dans un imaginaire agréable et réconfortant. Son corps se souvenait de chaque geste, de chaque forme, de chaque couleur, de chaque émotion que son art pouvait lui procurer. Il avait perdu tout ça, depuis bien longtemps. La passion s'était essoufflée. Mais là, à cet instant, il y avait quelque chose qui le poussait à bouger.
Peindre. C'était ça, il avait envie de peindre. Tout de suite.
Il se redressa et se remémora une fois de plus le visage de cet invité inconnu. Il devait s'y mettre avant que son envie puissante ne disparaisse. Il se leva et se dirigea dans sa chambre. Il ouvrit le premier tiroir de la commode et fouilla à l'intérieur pour trouver la clé, mettant une pagaille dans les vêtements qui s'y trouvaient. Une fois l'objet en main, il rejoignit l'atelier.
C'était un endroit assez sécurisé, certaines œuvres de son père se trouvaient encore là. Il ne pouvait pas se résigner à les vendre, elles avaient quelque chose de sentimental. Il ouvrit les volets électriques et saisit le tabouret pour le placer devant une nouvelle toile. Il prépara tout ce dont il avait besoin, méticuleusement. Il avait envie de faire les choses correctement, de s'appliquer, de prendre son temps. Les premiers coups de pinceau embrassèrent le canevas vierge pour le sublimer.
La migraine semblait avoir disparu. Les gestes de Chan étaient fluides, précis, assurés. Il savait ce qu'il faisait, il savait ce qu'il voulait. La toile se remplissait au fil des secondes. Des formes, des couleurs, de la vie. Il ne s'arrêtait plus, englouti par une vague d'inspiration qui balayait tout sur son passage. Un véritable tsunami. Il ne pensait qu'au rendu final, qu'à ce que ses coups de pinceau allaient donner. Il n'avait plus de doutes, plus de peurs, juste cette envie irrépressible de peindre. Le monde pouvait s'effondrer, il s'en fichait. Tout semblait figé dans le temps et dans l'espace. C'était lui, son pinceau, et son tableau.
Il n'avait pas ressenti ça depuis des mois et il avait fallu qu'il se réveille aux côtés d'un beau blond pour retrouver ce qu'il avait perdu.
•••
Hello ☀️
Je suis trop contente de reposter cette histoire, j'avais beaucoup aimé l'écrire ! J'ai corrigé les fautes (j'espère que j'en ai pas oublié lol) et changé quelques tournures de phrases.
En tout cas j'espère qu'elle vous plaira 💜
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