Chapitre 19. - "C'est toi qui a choisi"

Il restait officiellement moins de quarante-huit heures à Ethan pour prendre la décision qui modifierait le cours de l'histoire tel qu'on la connaissait.

Quand il ouvrit les yeux ce jour-là, il eut la surprise de constater qu'il n'était plus entravé à la tête de lit et que les paumes de ses mains reposaient à plat contre le torse nu et musclé de Jason, le nez quasiment calé dans son cou. Ce dernier l'avait probablement détaché à son insu une fois qu'il se fut assuré qu'il dormait comme une pierre. Un lourd bras reposait autour de sa taille, l'empêchant de fuir.

La tête d'Ethan lui disait qu'il avait envie de s'éloigner du démon, mais bien malgré lui, il ne pouvait guère empêcher son regard de valser sur les abdominaux coupés au couteau du démon. Il se souvenait les avoir admiré de loin le jour de sa mort, mais pouvoir y toucher, c'était différent. Et il n'y avait pas que ça; la chaleur que dégageait le corps endormi près du sien était agréable, lui donnant l'impression qu'il frissonnerait de froid s'il la quittait maintenant.

Un grognement appréciateur fit comprendre à Ethan qu'il était observé. Il releva les yeux et les siens rencontrèrent ceux dorés de Jason.

-Ne te gêne pas pour moi, fit sa voix grave et rauque du matin, tu peux continuer ce que tu étais en train de faire...

Une rougeur envahit les joues d'Ethan, pris sur en flagrant délit. Il déglutit.

-Je... non..., ce n'est pas ce que tu crois...!

Jason eut un sourire moqueur.

-Tu ne profitais pas de mon sommeil pour te rincer l'œil, alors?

Enfin, si, c'était exactement ce que Jason croyait. Il ne répondit rien, détournant simplement le regard, embarrassé. Il était ridicule de chercher à éviter le regard de Jason, alors que ce dernier était si près que son parfum quelque part entre l'épinette et la menthe glacée embaumait, semblant s'enrouler en longues bandes autour d'Ethan.

-J'aimerais resté comme ça pour l'éternité, avoua Jason en faisant craquer ses muscles, mais nous devons nous lever, car j'ai quelque chose à te montrer aujourd'hui.

Le démon sortit du lit et Ethan hésita avant de faire de même. Des vêtements qui lui étaient inconnus lui furent alors jetés au visage et il les rattrapa dans le creux de ses bras.

-Habille-toi, nous sortons!

Les vêtements semblaient être sa taille. C'était probablement des pièces que Jason avait commandées pour lui aux trois couturières qui étaient venues coudre sa tenue pour le premier jour du Triomphe à base des mesures qu'elles avaient déjà pris ce jour-là. Inspectant les vêtements d'un regard perplexe, il se demanda s'il devait se changer là, devant Jason.

-Qu'est-ce que tu attends?! le pressa le démon.

Ethan se retourna pudiquement pour faire dos à Jason. Il retira prestement son haut en le faisant passer par-dessus sa tête, faisant mine de ne pas remarquer le regard de braise qu'il sentait au milieu de son dos comme un rayon laser. Il enfila le nouveau vêtement qui était une mince chemise en lin qui s'attachait avec des cordons au niveau du col et qui possédait des élastiques aux manches. Soupirant, il passa ensuite à son pantalon avec un peu plus de réticence, conscient de la présence de Jason derrière lui. Néanmoins, après une grosse inspiration, il se délesta du morceau de linge en le laissant tomber le long de ses jambes. Aussi vite qu'il le put, il mit les nouveaux pantalons. Il ne fut soulagé que lorsque le vêtement fut attaché. Il se retourna alors pour voir...

Personne!

Jason n'était plus là. Il s'était dépêché de s'habiller comme un malade et celui duquel il se cachait n'était même plus là pour l'observer. Sale démon! Pensa-t-il avec agacement. Une voix finit par lui parvenir de la porte entrouverte de la salle-de-bain privée de la grande chambre.

-Tu as fini de t'habiller, Ethan?

Il ne répondit pas immédiatement, énervé.

-Ethan?

-Ouais, je suis habillé.

Jason poussa la porte et revint dans la pièce principale de la suite rasé (parfaitement sur la ligne droite de sa mâchoire sculptée), coiffé, habillé et parfumé. Son éternel manteau noir qui flottait à la hauteur de ses chevilles couvrait un pantalon qui faisait penser à un jean noir dernier cri et un haut royal à motifs unicolores fleuris posé par-dessus une chemise blanche semblable à celle du vampire sans les lacets au col.

-Parfait, nous y allons, donc.

Ethan souleva un sourcil de confusion.

-Aller où?

Jason ne lui offrit rien de plus qu'un clin d'œil malicieux.

-Tu verras.

Il lui attrapa le poignet pour le tirer à l'extérieur de la chambre.

-Tu ne me bandes pas les yeux?

-Ce n'est pas la peine, tu ne te souviendras pas d'où nous passerons, dit-il en offrant un sourire moqueur, ton petit cerveau ne te le permet pas.

Ethan aurait pu le prendre mal, mais ce n'était qu'une petite taquinerie de la part de Jason comme il en faisait tant d'autres et, de manière surprenante, ça le fit sourire.

Le démon le tira dans tout un dédale de couloir qui, comme Jason avait dit, il ne se souviendrait pas par la suite. Ils finirent par arriver devant une porte en verre ornée de vitraux qui abritait un grillage en fer forgé juste derrière. Le Seigneur des ténèbres la poussa et l'air chaud comme un soir de canicule frappa Ethan en plein visage. Ils étaient dehors. Et il faisait chaud. Ce n'était pas comme la fournaise qui devait régner quelques niveaux plus bas dans les profondeurs des Enfers, mais c'était assez chaud pour pouvoir se balader en maillot et avoir envie de se glisser à l'ombre d'un parasol à cause de la chaleur.

-Où est-ce que nous sommes? Demanda Ethan en jetant un regard interrogateur à Jason.

-Dans mes jardins personnels, déclara ce dernier. C'est la première chose que j'ai faite construire ici, ma jardinière personnelle, Perséphone, s'en occupe bien mieux que moi, cependant.

Ils étaient comme dans une cour intérieure. Des murs de pierres entouraient les quatre coin du jardin couvert d'un toit comme dans une serre à l'exception qu'il y avait une large fenêtre au milieu de celui-ci qui semblait ouverte en permanence et même si elle paraissait pouvoir se refermer, elle semblait surtout être laissée ouverte pour laisser passer la pluie. S'il pleuvait en Enfer... Donc, les quatre murs de pierres étaient couverts de végétation. Des ronces épaisses grimpaient sur la roche mélangées à de superbes roses de toutes les couleurs. Au sol, planté autour d'une fontaine dont la figure de proue semblait avoir été férocement détruite même si on arrivait encore à distinguer ce qui avait pu être de grandes ailes d'ange, des lys noirs poussaient. Malgré le choix un peu sombre des végétaux, le jardin était superbe dans le style gothique.

-C'est magnifique, souffla Ethan.

-J'espère bien, c'est toi qui a choisi l'emplacement des fleurs...

Ethan demeura les yeux ronds.

-Quoi? Moi?

-La Révolution industrielle, expliqua Jason, tu étais un riche héritier dont les parents avaient investis dans la locomotive à vapeur et moi ton majordome. Tu vivais dans un grand manoir et tu avais un jardin qui ressemblait à celui-ci...

Ethan écouta attentivement. Chaque bribe de son passé était comme la pièce manquante d'un puzzle. Il souhaitait plus que tout récupérer tous ses souvenirs. Et maintenant que Jason en parlait, la fontaine lui disait bien quelque chose... Comme s'il l'avait déjà vu quelque part...

-Et... comment je suis mort cette fois-là? Demanda Ethan avec la gorge nouée.

Jason ferma les yeux. Ethan pensa que c'était peut-être de douleur.

-Empoisonnement. Tes cadets voulaient une plus grande part de l'héritage familiale...

Mais clairement, Jason avait dans l'idée que, une fois de plus, Gabriel avait joué sa part dans l'histoire. Probablement était-il même celui ayant glissé le poison dans le thé d'Ethan ou avait convaincu ses frères de le faire.

-Je ne me souviens pas vraiment, murmura Ethan en pensant à cette foutue fontaine qui ne voulait pas revenir à sa mémoire malgré cette impression de déjà-vu, c'est flou. Y penser me fait mal à la tête, comme si les souvenirs avaient été bloqués...

Jason ne dit rien.

-Ne t'épuise pas, finit-il par dire après un moment. Tu veux que je te laisse passer un peu de temps seul ici? Ce jardin est le tiens, tu peux y venir quand tu veux.

Passer du temps seul à seul avec lui-même sans que ce ne soit dans la chambre de Jason? Il n'allait pas laisser cette occasion passer!

-Je peux vraiment?

-Je te laisse une heure et je reviens te chercher.

-De toute manière, je ne pourrais même pas retourner tout seul à la chambre!

-N'y compte même pas.

Jason le quitta, mais alors qu'il avait un minuscule sentiment de liberté, il entendit la serrure du grillage être loquée. Enfermé, voilà ce qu'il était. Jason ne lui faisait pas confiance. Résigné, il s'assit en tailleur devant la fontaine, la regardant en fronçant les sourcils. S'il forçait trop sa tête, il avait l'impression qu'elle allait explosée.

C'était très énervant! Il avait l'impression qu'il y avait quelque chose que personne ne lui avait dit, un secret qui demeurait toujours caché...