Chapitre 13. - "Aujourd'hui devrait être ta dernière nuit"

Ethan aurait pensé que sa réponse, ce « oui » qui n'était rien d'autre qu'un souffle aurait déclenché une tollé de baisers et que Jason n'aurait plus lâcher ses lèvres de la journée, mais la réaction du démon fut tout autre. Un sourire moqueur étira ses lèvres quand il lui dit :

-Parfait, garde le désir que tu as de moi au chaud pour dans deux jours.

Le vampire faillit hurler de frustration. L'ignorant totalement, Jason l'empoigna par le coude et le tira à l'extérieur de la salle, retournant à la chambre. Il le poussa à l'intérieur.

-Écoute, je vais devoir m'absenter un moment pour régler certaines choses vis-à-vis de Gabriel et, comme tu t'en doutes, Ramiel doit être assez occupé en ce moment... Cependant, je n'ai confiance en personne d'autre, alors je vais te laisser seul. Ne sors pas d'ici, conseilla-t-il en refermant la porte en un claquement.

Ethan entendit les pas de Jason s'éloigner dans le couloir. Il se mordit la lèvre inférieure et compta jusqu'à trois. Il n'avait pas entendu le verrou se mettre en place, il avait la voie libre. Il n'aurait pas une autre chance comme celle-là! Il poussa doucement la porte, regarda des deux côtés et, n'y voyant personne, il sortit dans le corridor. Enfin libre! Oui bon, il ne s'imaginait pas grand-chose, car il ne savait même pas où aller (tout comme la première fois qu'il avait tenté la grande évasion), mais qui ne tente rien n'a rien!

Il laissa ses pas et son instinct le mener. Il ne croisa personne dans les corridors, comme si tout le monde s'était réuni quelque part pour fêter le deuxième jour du Triomphe, ce qui pourrait très bien être le cas, par ailleurs. La lumière commença soudainement à faiblir et ses pas le conduisirent dans un couloir de pierres, puis dans un escalier en colimaçon froid. Il posa la paume de sa main contre les roches gelées qui composaient le mur. Un frisson le parcourut. Il continua malgré tout de s'enfoncer dans l'obscurité.

Au bout d'un moment, il toucha terre et finit par reconnaître l'endroit : il se trouvait dans les cachots de la demeure, là où il avait été lui-même maintenu captif quelques jours plus tôt. L'endroit n'était absolument pas rassurant. Une série de longs couloirs où s'alignaient plusieurs portes de bois possédant ou pas une petite fenêtre à barreaux permettant de laisser passer un filet d'une lumière inexistante dans les cellules. Comme pour montrer aux prisonniers une lueur d'espoir qu'ils n'atteindraient jamais. Ça faisait froid dans le dos.

Cependant, les cellules semblaient vacantes. Ethan n'entendit pas l'ombre d'un râle de douleur jusqu'à la trentième porte, à croire que Jason n'aimait pas beaucoup garder des prisonniers. Il était beaucoup plus utile d'en faire des esclaves, il fallait l'avouer. Néanmoins, le vampire finit par entendre quelque chose : des claquements de chaînes et des grognements. Ethan jeta un œil par la fenêtre de la porte et il discerna, dans la petite pièce sombre servant de prison, une silhouette avec de grandes ailes repliées se balancer dans le vide, suspendue par les poignets. Ses tendons pleinement exploités peinaient à supporter le poids de son corps et semblaient menacer de lâcher d'une seconde à l'autre.

-Éric? Demanda Ethan.

L'ange releva la tête et ils eurent un contact visuel.

-Ne me nomme pas ainsi et ne reste pas là, le démon, il va revenir d'une minute à l'autre.

Il parlait probablement de Ramiel. Ethan n'écouta pas. Comme à l'habitude...

-Tu as l'air de souffrir... Est-ce qu'il t'a fait du mal?

-Je ne souffre pas, c'est simplement le prix à payer. J'étais au courant de tout ça quand j'ai accepté ma mission, je savais... que ça pourrait se terminer ainsi. Je ne regrette rien. Sauf de ne pas avoir pu sauver Lucifer, mais chacun est libre de faire ses propres choix. Lui aussi, un jour, il devra payer.

Après sa tirade, Gabriel souffla bruyamment. Chacun des mots qu'il prononçait lui coûtaient énormément en terme d'énergie.

-Ta mission, fit Ethan en baissant les yeux, c'était de me tuer?

Il devait l'entendre de la bouche de Gabriel, rien qu'une fois, pour y croire.

-Je suis désolé, mais je n'avais pas le choix, ce n'était pas un choix. J'aurais aimé pouvoir faire autrement.

-Mais tu as fait en sorte que je t'engage comme secrétaire, puis comme chauffeur... tu as sournoisement entendu que je descende du véhicule ce soir-là pour me suivre et m'abattre.

Dire tout ça à voix haute rendait les choses plus réelles.

-Résultat? Rajouta-t-il avec sarcasme. Je vais servir de repose-pied et de paillasson au pied du lit de Jason pour tout le reste de l'éternité. Dois-je te remercier?

Gabriel secoua la tête.

-Ce n'était pas censé se passer comme cela, tu étais supposé mourir. Pour de bon.

-Mais je suis vivant.

Ethan soupira. Il regarda Gabriel. Ce dernier était dans un état misérable : ses muscles tremblaient, ses ailes avaient perdu des plumes, sa chevelure était emmêlée et sa respiration haletante. Aucune personne avec un minimum d'intelligence n'aurait voulu qu'une chose pareille lui arrive. Gabriel ne l'avait clairement pas voulu. Ethan pensait qu'il ne mentait pas quand il disait qu'il n'avait pas eu le choix d'accepter une pareille mission même en sachant que ce pourrait se terminer de cette façon.

Les deux parties, Jason comme le Seigneur de Gabriel, avaient leurs torts dans l'histoire. Tout ce qui restait à Ethan, c'était d'essayer de comprendre.

-Tu sais, parfois, il m'arrive d'avoir des flashs. Je me souviens de mes vies d'avant, si ce sont bien les miennes..., commença-t-il. Elles se terminent toutes de manière identiques, tragiques, se soldant généralement par ma mort. Pourquoi cette fois ne pourrait-elle pas être différente?

-Parce que Lucifer n'est pas différent.

-Parce qu'il m'aime encore? De quoi aurons-nous l'air lorsque nous raconterons aux petits-enfants de nos petits-enfants que le monde a été détruit par l'amour?

-Ce n'est pas l'amour qui détruira le monde.

Ethan était sur le point de s'énerver.

-Alors quoi?

-Ce sera l'égoïsme d'un seul homme. Si tu savais que ta vie pouvait en sauver des milliards d'autres, que ferais-tu? Tu pourrais tous les sauver, Ethan, et je suis certain que mon Seigneur t'accueillerait dans son Paradis même si tu es une créature des ténèbres.

Le vampire revit la vision qu'il avait eu toute à l'heure. Il se revoyait abattre la lame sur son cou, tâchant son kimono de cérémonie parfaitement blanc. Si c'était à refaire, le referait-il dans cette vie-ci.

-Aujourd'hui devrait être ta dernière nuit. Si tu es un tant sois peu raisonnable, tu feras ce qui est juste, Ethan. Si non, tu condamneras l'univers et la noirceur s'abattra sur la Terre. Tu as le sort de tout l'univers entre tes mains.

Jason faisait peut-être ce qu'il voulait de lui, il était peut-être son esclave, son jouet ou quoique ce soit d'autre, mais Ethan ne se souvenait pas avoir déjà connu meilleure vie. Il était nourri et logé dans un grand palais royal, quoi demander de mieux? Il avait envie de vivre. Peut-être pour la première fois depuis qu'il était né. La mort lui paraissait tout aussi loin qu'elle l'était voilà cinq ans de cela.

-J'entends des pas, fit soudainement la voix carillonnante de Gabriel, le sortant de ses pensés.

Comme c'était sûrement Ramiel qui revenait finir le boulot, Ethan déguerpi sans demander son reste. Il ne tenait pas à affronter le démon presque aussi costaud que Jason, alors qu'il avait désobéi les ordres et sorti de la chambre.

Il remonta doucement le long escalier, l'interminable escalier, rebroussant chemin. Mieux valait qu'il retourne à sa chambre avant que Jason ne s'aperçoive de son absence. Les paroles de Gabriel le hantaient. Serait-il réellement la cause de la fin du monde?

Le cerveau en ébullition, il remarqua à peine que ses pas l'avaient conduit droit devant la chambre du maître des lieux. Il poussa la porte, subtilement s'y engouffra. Il la referma derrière lui, puis s'y adossa. Il avait l'impression d'y avoir échappé bel. Il soupira de soulagement de n'avoir croisé personne dans les nombreux couloirs traversés.

Il ne remarqua pas la paire de yeux rouges qui le fixaient avec énervement, ni la silhouette assise sur le lit, jambes croisés, l'air de se délecter de sa joie de courte durée. La voix claqua comme un fouet :

-Tu as désobéi, Ethan, je crois que tu mérites une punition.