« Tout a commencé avec moi. Et tout doit finir avec moi ». P.

La neige tombait en abondance sur les toits de Londres en cette veille de Noël. La ville, aux multiples sapins brillant de mille feux et aux rues bondées de familles en quête d'un cadeau d'urgence, ne tarderait pas à être recouverte d'une épaisse couche de poudreuse pour le plus grand plaisir des plus petits.

Par la fenêtre de son bureau, l'homme regardait les gens défiler dans les artères touristiques de la capitale. Des amoureux qui flânaient bras-dessus bras-dessous en profitant comme des enfants de cette chute providentielle, d'un blanc que la pollution elle-même n'avait jamais réussi à ternir. Des parents qui pressaient leur progéniture dans les boutiques en essayant, vainement pensait-il, de leur faire croire que ces cadeaux n'avaient rien à voir avec la venue imminente du Père Noël. Et puis de toute façon mieux valait qu'ils écoutent, sinon le vieux barbu à l'air jovial risquait de ne pas passer.

C'était toujours la même chose dans le fond : faire croire à quelque chose de complètement invraisemblable pour garder un minimum de contrôle. Pour faire pression quand les choses nous échappent.

Pourtant, les choses avaient changé. Tout allait plus vite. Trop vite.

Les petites têtes blondes voulaient tout faire beaucoup plus tôt que leurs aînés. Grandir. Se maintenir au summum de la Hype. Consommer.

« Ce n'était pas le cas de mon temps », pensa l'homme du haut du bâtiment dont il était le propriétaire.

En ce moment ses enfants devaient sûrement transmettre à leur propre descendance les valeurs qui étaient les siennes – à des années-lumière de cette façon de penser -, du moins l'espérait-il.

Il était difficile pour lui de se dire que son fils et sa fille ne prendraient pas un jour le mauvais pli qu'il avait lui-même suivi pendant de si longues années. Qu'ils n'oublieraient pas qu'être un bon chef de famille ne signifiait pas uniquement subvenir aux besoins de ses proches, mais aussi et - même surtout - partager de petites choses avec chacun d'entre eux à parts aussi égales que possible. Une partie de jeu de société férocement disputée. Un gros fou rire. Une belle histoire pleine de suspens, racontée avec l'art et la manière avant de glisser dans le pays des songes.

« Mais de quoi rêvent-ils seulement, les enfants d'aujourd'hui ? ». Voilà bien une question à laquelle le vieil homme en costume cravate était bien en peine de répondre. Tout semblait tellement noir aujourd'hui.

Chaque jour, les journaux déversaient leur lot d'horreurs à la télévision. Le matraquage médiatique était maintenant conçu pour faire mouche dès le plus jeune âge et inondait les innombrables écrans auquel l'enfant avait à faire de publicités plus racoleuses et aliénantes les unes que les autres.

Restait-t-il encore une place pour l'imagination dans l'esprit des futurs représentants de l'humanité ? Rien n'était moins sûr selon lui.

C'était d'ailleurs pour ça qu'il devait y retourner. Pour les accompagner, les guider. Et probablement leurs dire adieu.