Chapitre Troisième
L'alien sembla se détendre, et se redressa lentement. Lilith, elle, souriait toujours. Elle pointa un doigt vers sa propre poitrine et prononça son nom. L'alien sembla comprendre, car il fit la même chose :
"Rhaena", articula-t-il doucement. Il avait une voix douce et assez pure. Et ce prénom, "Rhaena", sonnait quand même franchement féminin - enfin, selon les standards humains. Mais à bien y réfléchir, ces êtres paraissaient réellement similaires aux humains.... Et, maintenant qu'elle était juste en face de l'alien, la jeune humaine se rendit compte que sa tunique blanche soulignait quelques formes. Lilith se mit à rougir un peu. Cet alien était donc "une" alien !
Communiquant toujours par gestes, de temps en temps accompagnés de mots simples pour que Rhaena puisse commencer à apprendre un peu de la langue anglaise, Lilith lui proposa d'aller se mettre à l'abri dans son appartement. La jeune humaine était décidément tombée juste en pensant que l'alien était aussi curieuse qu'elle en découvrant une toute nouvelle civilisation : Rhaena avait l'air un peu méfiante mais accepta.
La mère de Lilith sursauta violemment en voyant cette jeune fille à la peau bleue et aux oreilles pointues débarquer à côté de sa fille. Lilith lui expliqua tout ce qu'il s'était passé sur Peckham High Street.
"Elle est nouvelle dans ce monde, et tout aussi curieuse que moi d'en savoir plus ! Est-ce qu'on peut l'héberger ici, le temps pour moi de lui apprendre l'anglais et peut-être pour elle de m'apprendre sa langue ?"
"Donc pour une petite semaine, pas vrai ?", répondit sa mère, rieuse. "C'est assez.... inhabituel, mais bon. Disons que c'est comme les échanges scolaires, quand on doit accueillir des petits Allemands ou Français ! Sauf que ce ne sera pas scolaire, et elle vient d'un peu plus loin que la France."
"Léger euphémisme", répliqua Lilith avec un sourire en coin. "Bon, du coup ça veut dire que tu es d'accord, pas vrai ?"
"Si ta nouvelle amie est réellement prête à rester et si ses camarades ne déclenchent pas la Première Guerre Inter-planétaire parce qu'on a kidnappé l'une des leurs, pas de problème."
Lilith réprima un rire victorieux et se contenta d'un :
"Merci."
Rhaena était pour sa part en train d'explorer l'appartement. Quand Lilith la rejoint, elle lui montra plusieurs objets en prononçant un mot dans sa langue si belle à chaque fois. Lilith comprit qu'elle faisait exactement comme elle dans la ruelle et son cerveau se mit automatiquement à retenir chaque mot, chaque intonation. Après quelques instants, Rhaena se détourna des étagères, enleva son respirateur et sortit un drôle d'appareil qui ressemblait à un téléphone portable, quoiqu'un peu plus large et complètement transparent. Elle l'effleura d'un de ses longs et fins doigts et un visage apparut. Rhaena échangea quelques mots rapides avec l'autre alien, qui semblait assez inquiet au début de leur conversation mais se détendit petit à petit. A un moment, la jeune fille à la peau bleue désigna Lilith, qui se sentit encore plus intriguée (si c'était possible) et remarqua que Rhaena souriait en parlant d'elle. Lorsque l'alien rangea son appareil, elle se retourna vers la jeune humaine, pointa un doigt vers le lino au sol de l'appartement puis leva un pouce comme Lilith lui avait montré un peu avant.
"Tu peux rester ? Génial !! Tu vois, M'man, pas de Première Guerre Inter-planétaire !", s'exclama Lilith, se retournant vers sa mère complètement paumée qui hocha la tête, l'air éberlué.
Une semaine passa, et les deux jeunes filles se comprenaient de mieux en mieux. Rhaena s'était révélée être aussi douée pour les langues que son amie humaine et parlait désormais couramment anglais ; et Lilith était fière de considérer comme l'une des langues qu'elle maîtrisait à la perfection le lyréen, la langue de Rhaena. Lilith avait d'ailleurs découvert que la jeune alien avait le même âge qu'elle, même si la façon de compter différait quelque peu d'un monde à l'autre. Elles sortaient de temps en temps, évitant les rues trop encombrées et les humains peu habitués à croiser une jeune fille à la peau bleue ; Lilith lui montra un peu Londres en passant par les toits...
Elles parlaient très souvent, passant d'une langue à l'autre selon leur humeur et de façon très fluide. Lilith n'avait jamais eu d'amie, et n'avait jamais rencontré quelqu'un d'aussi intelligent qu'elle ; les derniers jours avaient donc été les plus beaux de sa vie. Et puis un jour, Rhaena lui expliqua tout. Pourquoi elle et ses camarades étaient là, pourquoi ils portaient ce drôle de respirateur (l'atmosphère de leur planète était similaire à celle de Terra, mais avec un peu plus d'ammoniac. Ils avaient donc besoin d'en prendre de temps en temps, avant de s'habituer à l'atmosphère terrestre) ; pourquoi ils avaient dû fuir leur monde.... Car oui, ils avaient fui. Les Lyréens étaient un peuple savant et majoritairement pacifique (d'ailleurs, Rhaena était apprentie scientifique) ; mais avaient trop tiré sur les ressources de leur planète, Lyra. Le noyau était donc hypersensible, et lorsque le peuple de la planète voisine (il s'agissait d'un système binaire) décida d'attaquer Lyra, la planète ne le supporta pas. Les sept vaisseaux apparus sur Terra étaient donc tout ce qu'il restait de la civilisation lyréenne, et n'avaient pu échapper au cataclysme que de justesse, sauvant les plus jeunes et les scientifiques les plus éminents. Selon Rhaena, les Lyréens tenaient énormément à leur jeunes, car les naissances étaient très rares (c'était d'ailleurs la raison pour laquelle ils s'étaient tournés vers la science, pour essayer de remédier à cette infertilité dangereuse). C'est pour cette raison que son mentor avait l'air si inquiet lorsqu'elle l'avait appelé, le jour de son arrivée.
"Ceux qui nous ont attaqué voulaient s'approprier notre science, notre technologie. Ils sont un peu plus évolués que ton espèce, mais un peu moins que la mienne- sans vouloir me vanter ou quoique ce soit...", avait expliqué Rhaena.
"Donc... Si ton monde était dans un système binaire, leur planète aussi a dû être détruite, non ?"
"Oui. Mais eux étaient déjà loin. Ils ont su interpréter les signes avant-coureurs de l'implosion du noyau... Nous avons à peine eu le temps de fuir, comme je te l'ai dit, et c'était uniquement parce que nous savons utiliser l'énergie noire pour voyager bien plus vite que la lumière. Eux, par contre, même s'ils ne voyagent pas aussi vite que nous, peuvent très bien nous retrouver. C'est pour ça que nous avons essayé de partir le plus loin possible, et de trouver une autre forme de vie qui pourrait nous aider."
"Attends une minute ! J'ai encore plus de questions, là ! Primo, vous maîtrisez l'énergie noire ? L'énergie qui circule partout dans l'Univers, concentrée dans le vide ? Sérieux ? Comment ? Secundo, les affreux jojos peuvent vous retrouver ? Et donc venir ici, c'est ça ? Et tertio : comment on pourrait vous aider ? On est loin d'être aussi évolués que vous !"
"Alors... Oui, nous pouvons la contrôler ; oui, celle qui circule dans le vide ; c'est un peu compliqué, même pour toi et moi, donc on verra ça plus tard ; oui, ils peuvent nous suivre et venir ici ; et mon peuple voudrait vous aider à évoluer un peu plus vite, si tu vois ce que je veux dire... Quoiqu'il en soit, on ne peut pas aller voir s'il y a une espèce plus évoluée que la tienne dans cette partie de Rhuva, donc on a besoin de vous. Et on aimerait bien que vous nous accueilliez ici, sur Terra..."
"Rhuva ?"
"Oui, la galaxie dans laquelle nous vivons tous..."
"Ah d'accord ! Ici on l'appelle la Voie Lactée. C'est moins beau que "Rhuva", comme nom, mais bon...."
"Rhuva veut dire la même chose que le mot "mère" dans ta langue."
"Oh. C'est poétique, j'aime bien !"
Rhaena avait alors sourit à Lilith, d'une façon qui avait fait rougir la jeune humaine. Et puis une pensée surgit dans sa tête, et Lilith redescendit sur terre.
"Tu crois vraiment que tout va bien se passer niveau coopération inter-espèces, après ce qu'il s'est passé la semaine dernière, sur Peckham High Street ?", avait-elle demandé à son amie venue de l'espace.
"Si les Möréens viennent ici, ce qui arrivera sans doute, nous aurons plus que jamais besoin de vous et vous aurez besoin de nous. Je pense que le débordement de la semaine dernière sera vite oublié, dans ce cas."
"Mouais... Advienne que pourra."
Elles parlèrent encore, changeant souvent de sujet, et Lilith apprit que la notion de parent n'était pas aussi forte chez les Lyréens qu'elle pouvait l'être sur Terra. Les enfants étaient confiés comme apprentis dès l'âge de douze ans à des mentors, qui dès lors servaient de famille aux jeunes Lyréens. Elle apprit aussi que Rhaena aimait beaucoup la musique, et se demandait si l'objet qu'elle avait si souvent vu son amie humaine utiliser servait à écouter de la musique.
"Oui, c'est un lecteur MP3. Attends."
Lilith s'était levée de son lit sur lequel elles étaient assises, avait attrapé son MP3 sur son étagère puis déroula le fil des écouteurs.
"Tu veux essayer ?", demanda-t-elle avec un sourire en coin.
"A quoi servent ces espèces de boutons ?", fit Rhaena en tripotant les écouteurs.
"Oh, tu vas voir. Enfin, entendre."
Elle mit un écouteur dans l'oreille pointue de Rhaena et l'autre dans la sienne. La jeune extraterrestre la regardait avec des points d'interrogation dans les yeux. Lilith démarra le petit appareil et les premières notes de Helena retentirent. Rhaena sursauta, regarda autour d'elle comme pour identifier la source de musique et l'écouteur sauta de son oreille. Elle le reprit, le regardant d'un air fascinée et le replaça, une expression cette fois ravie sur le visage.
"J'aime bien la mélodie !!", s'exclama-t-elle d'une voix forte.
"Tu sais, pas besoin de hurler, hein. Je t'entends très bien même avec la musique à fond !", rit Lilith.
Elles restèrent un moment l'une à côté de l'autre, comme dans une bulle rien qu'à elles, ou comme si le monde autour avait cessé d'exister. Rien n'avait d'importance. Elles étaient assises l'une à côté de l'autre, respirant en même temps, leurs mains se rejoignant sur le lecteur MP3. Puis la musique changea, et elles échangèrent un regard. Elles se sentaient mieux que jamais. Invincibles.
Elles se rapprochèrent encore, jusqu'à ce que leurs lèvres s'effleurent, puis s'embrassèrent vraiment, pleinement, pendant que Greg Gonzalez entonnait le refrain d'Apocalypse.
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