Je découvre que Liv a emménagé pour s'occuper de Jo. Certaines choses ont changé, mais dans l'ensemble, tout est resté tel quel. Je me rends alors compte que j'ai trois ans de souvenirs à rattraper.

— Tu es toujours avec Jesse ? demandé-je. À moins que... pardon.

— Non, il n'a pas été éclipsé, rit Liv. Nos chemins se sont séparés à la fin du lycée.

Je secoue la tête et examine les nouvelles photos qui côtoient les anciennes.

— Je suis dans une boîte d'évènementiel, m'informe-t-elle. Je gagne bien ma vie, du moins suffisamment pour nous deux. Et puis, Tony nous verse une petite pension. Il a été très généreux avec nous.

— Ça ne m'étonne pas de lui.

Je désigne alors Jo qui s'est affalé sur le canapé, une console à la main.

— Il a tellement grandi.

Liv acquiesce puis me prend dans ses bras.

— Il est fort, me chuchote-t-elle. Bien plus que moi. Il a de bonnes notes à l'école, il m'aide à la maison. C'est un ange.

— J'ai raté presque quatre ans de sa vie, soufflé-je, les larmes aux yeux. C'est irrattrapable.

— T'as pas raté grand-chose, me rassure Liv. Tout le monde est comme mis sur pause depuis l'éclipse.

— Comment ça se passe dehors ? demandé-je en m'adossant à la rambarde des escaliers.

— Le monde essaie de se reconstruire, les gens parlent sans cesse des disparus, ils sont tristes mais ils essaient d'avancer.

— C'est horrible.

Liv reste silencieuse. Elle ne peut que confirmer.

— Ils reviendront, assuré-je. On ne peut pas disparaître comme ça.

— Evy... C'est nouveau pour toi, mais nous on vit avec ça depuis bientôt quatre ans. On a tout essayé. Tout.

— Je ne laisserai jamais tomber Peter.

Liv soupire doucement. Elle dégage mon visage d'une de mes mèches et pince les lèvres dans un sourire qui se veut réconfortant.

— Je suis désolée qu'il ait été éclipsé. Ça a dû être dur pour toi de le voir... enfin tu sais.

Mon coeur se tord et je serre les poings pour ne pas laisser libre court à mon chagrin. Je veux ramener mes parents et mes amis disparus évidemment, mais celui qui me manque le plus reste Peter. Je le revois en boucle tomber en cendres et pleurer dans mes bras. S'excuser auprès de Tony, nous dire au revoir. Je touche le collier autour de mon cou, sur lequel pend toujours la bague qu'il m'a offerte. La promesse de son engagement. Liv m'a dit qu'il n'avait pas quitté mon cou durant mon coma.

Devant mon silence, Liv n'ajoute rien. Elle lève les yeux sur les escaliers.

— Tu devrais aller te reposer. Je vais préparer à dîner.

— Je dors depuis novembre 2018, j'ai pas besoin de me reposer.

Liv finit par s'esclaffer. Mieux vaut rire de la situation. Malgré ses années en plus, je remarque qu'elle n'a pas changé. Toujours le mot pour détendre l'atmosphère, le même tic quand elle réfléchit, la même maladresse dans ses mouvements. Jo nous aide à préparer le dîner et je suis heureuse de retrouver mon frère. Il s'est affirmé ces dernières années, il a pris en maturité. J'imagine qu'en l'absence des parents, il n'a pas eu le choix.

Durant le dîner, j'en oublie presque que la moitié du monde a disparu, incluant ma famille et mon petit ami. Jo me raconte ses cours, les amis qu'il s'est fait. Il se détend, nous retrouvons notre complicité. Liv et moi passons ensuite deux heures à discuter de sa vie sentimentale. Elle m'avoue que certains choix ont été compliqués sans mes précieux conseils, que parfois elle venait me parler, attendant désespérément mon avis, des réponses à ses questions. D'une certaine façon, je m'en veux de les avoir abandonnés. Je sais que mon corps avait besoin de temps pour se remettre de l'impact, que mes cellules se sont préservées pour ne pas mourir, mais j'aurais dû me réveiller avant. J'ai perdu tellement de temps. 

Quand je monte me coucher, je m'attarde sur ma chambre inchangée. Mes vêtements sont toujours soigneusement rangés dans mon placard, le roman graphique de Outbreak trône sur mon bureau, incomplet. Liv nettoyait régulièrement, il n'y a aucune trace de poussière. C'est comme si je n'étais jamais partie. Je m'observe dans le miroir un instant. Je n'ai pas vieilli, pourtant la Terre a continué de tourner pendant trois ans et demi. C'est insensé. Mes cellules ont toujours dix-huit ans, mais ma date de naissance stipule que j'en ai vingt. Comment expliquer ça ? Comment vivre ainsi décalée durant le reste de ma vie ? Expliquer à tout le monde que j'ai trois ans de plus qu'il n'y paraît ?

Je me glisse dans les draps et je me rends compte que je suis épuisée. Je ferme les yeux et pour la première fois depuis plus de trois ans, mon sommeil est peuplé de rêves. 

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Le lendemain matin, dix secondes passent durant lesquelles ma vie n'a pas éclaté en morceaux. Mon coeur se réchauffe en pensant à Peter, à mes parents en bas qui préparent le petit-déjeuner, et au fait que je dois me préparer pour suivre mes cours de Graphisme. Les dix secondes écoulées, le monde redevient gris et la pierre énorme retombe dans mon estomac. Je m'assois dans mon lit et regarde mes mains. J'active mon pouvoir et il circule dans mes veines, les colorant d'un bleu éclatant. Je rabats les couvertures et ouvre en grand ma penderie. Il est là. J'attrape mon costume et le dépose sur mon lit pour l'observer. Il a été rafistolé et nettoyé, c'est comme s'il n'avait pas combattu contre Thanos ni recueilli les larmes de Peter quand celui-ci disparaissait. En regardant par la fenêtre, je remarque que New York se nappe d'un brouillard épais. Il va pleuvoir. La dernière fois que j'ai jeté un œil au ciel de New York, un énorme vaisseau en forme d'anneau descendait sur les rues. Je ne m'y fais pas que cela s'est passé des années en arrière. 

Quand je descends, Liv s'active déjà. Elle m'annonce avoir préparé des pancakes pour mon retour et Jo et moi les savourons avec le sourire. Ils sont heureux de m'avoir retrouvée. Hier, j'ai remercié Liv des milliers de fois de s'être occupée de mon frère. Dorénavant, ils forment une famille. Nous formons une famille. Quand nous étions enfants, Liv et moi élaborions des stratagèmes pour faire partie de la même famille. Nous promettions de nous marier à des jumeaux pour nous considérer comme des sœurs par alliance, nous imaginions ma mère et son père tomber amoureux pour qu'on vive sous le même toit. C'est amusant. Maintenant, je peux affirmer qu'il n'est pas nécessaire de partager du sang ou une alliance maritale pour se considérer de la même famille. 

— J'emmène Jo en cours, annonce Liv tandis que mon frère attrape son sac de cours sur le canapé. Je finis à 17 heures, je passe le récupérer, puis nous rentrons. Si tu as besoin de quoi que ce soit, j'ai redémarré ton téléphone et j'y ai entré le numéro de mon entreprise. N'hésite surtout pas. 

— Ne t'inquiète pas pour moi. Je vais aller rendre visite aux Avengers, ou ce qu'il en reste.

— Très bien. De ce côté-là, rien n'a changé. Les métros sont toujours bondés et les gens ne savent pas conduire. Le seul point positif, c'est qu'il y a moins de monde dans les rues et que tu as donc moins de chance d'arriver en retard.

Elle s'esclaffe puis dépose un bisou sur ma joue avant de claquer la porte derrière elle. Voir Liv aussi responsable est étrange. Or, elle est toujours aussi dynamique. Je m'accroche à ces familiarités pour m'adapter à tous ces changements ; ça me fait du bien. 

Avant de prendre ma douche, je passe faire un tour dans la chambre de mes parents. Je renifle quelques affaires de maman, mais l'odeur s'est estompée. James et elle me manquent terriblement. 

Quand je suis enfin prête, je descends dans le salon. Une idée me frappe alors. Je vais vérifier dans la boîte à clés et empoigne le trousseau qui m'appartenait. La clé de mon pick-up est toujours dessus. Se pourrait-il qu'il marche encore ? En sortant dans la rue, je l'aperçois. Il a subi de nombreuses intempéries, les pneus sont crevés et une des fenêtres est brisée, mais il est là. Je ferme la porte derrière moi et monte sur le siège conducteur en soupirant.

— Pitié, démarre.

Je glisse la clé dans le contact, mais rien ne se produit. La bonne vieille méthode. Je place mon doigt dans l'allume-cigare et envoie un coup de jus. Le moteur ronronne et je souris, le coeur gonflé de joie. Je passe la première, les freins crissent sous la rouille, mais le pick-up s'engage sur la route. Je profite du temps que j'ai pour faire le tour de New York avant de m'arrêter à une station essence pour faire le plein, nettoyer la carrosserie et regonfler mes pneus. Que la moitié de New York ait disparu se ressent. Il y a moins de circulation et surtout bien moins de personnes qui se pressent sur les trottoirs. On se croirait dimanche. Un dimanche interminable. 

Mon pick-up semble comme neuf et je prends note de l'envoyer chez Tony à l'occasion pour qu'il vérifie que tout va bien et qu'il change ma vitre. Mais chaque chose en son temps. 

Je redémarre et m'engage sur la route en direction de la tour Stark.

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Il est temps pour Evy de s'ancrer à la réalité ! On va retrouver Steve et savoir comment il vit l'absence de notre bien-aimée Alix *snif*. J'espère que vous aimez pour le moment ! Encore quelques chapitres pour suivre l'évolution d'Evy sans Peter, puis on passe aux choses sérieuses ^^

Ecrit le 13 Mars 2022, corrigé le 7 Juillet 2022 et publié le 26 Octobre 2022.