• chapitre 36
Le tournage pour la campagne publicitaire de Boompop s'était relativement bien déroulé, même si Juyeon gardait toujours une certaine réserve. Felix n'était pas à la hauteur, bien que plein de bonne volonté. Mais cela s'expliquait par le fait qu'elle était toujours obligée de le comparer à Hyunjin. Et à côté de ce dernier, le jeune homme faisait tache. La différence de niveau était évidente et commençait à l'agacer. Elle avait abandonné l'idée de lui venir en aide, elle ne voulait pas que son petit ami se confronte à lui, ce n'était pas normal. Younghyun, le manager de Felix, essayait toujours de l'encourager, de le secouer aussi parfois, mais il n'était jamais trop piquant dans ses remarques, comme s'il cherchait à le ménager. Ou comme s'il avait peur des éventuelles conséquences.
Juyeon savait qu'il fallait faire preuve de bienveillance et être compréhensif, mais il fallait aussi se montrer un peu plus exigeant parfois. Elle avait toujours eu à cœur de faire ressortir le meilleur des mannequins dont elle s'était occupée par le passé, il était parfois nécessaire de les pousser dans leurs derniers retranchements, de leur prouver qu'ils étaient capables de faire plus que de se reposer sur leurs connaissances de bas. Certains avaient besoin d'un cadre, de quelqu'un derrière eux pour les soutenir et les motiver à se surpasser. Avec Hyunjin, elle n'avait pas besoin de le faire. Il avait assez d'expérience et savait ce qu'il désirait. Il était du genre à chercher à s'améliorer sans avoir besoin d'entrer en compétition, sans avoir besoin d'être encouragé.
C'était sans doute pour cela qu'il était arrivé si loin en peu de temps. Il avait gravi les échelons par sa seule force mentale, parce qu'il avait à cœur de poursuivre ce rêve qui l'animait. Il aimait son métier, il aimait apprendre, s'améliorer et relever des défis. Il vivait pour sa carrière et cela se ressentait dans chacune de ses photos, dans ses regards emplis de détermination. Tout cela, Juyeon ne le voyait pas chez Felix. Il était beau, il était peut-être déterminé et ambitieux, mais sans doute pas assez pour que cela se ressente à travers l'objectif. La beauté ne faisait pas tout et si les clients n'étaient pas pleinement satisfaits par ce qu'il dégageait, alors ils ne feraient plus appel à lui. Il pouvait bien décrocher des contrats avec Hyunjin, ce n'était pas suffisant. Il arriverait un moment où cela ne fonctionnerait plus.
Derrière son bureau, Juyeon soupira lourdement et consulta l'heure sur son ordinateur. Il était bientôt temps pour elle de repartir. Et elle avait hâte. Avec les derniers évènements, la fatigue s'accumulait et elle accueillerait le week-end qui s'annonçait à bras ouverts. La semaine prochaine allait encore être riche en activité. Hyunjin avait une interview et deux séances photo prévues : une avec une petite créatrice, et une autre bien plus importante avec Signorino. Une partie de l'équipe avait fait le déplacement jusqu'à Séoul pour prendre des clichés de sa collection dans un des plus beaux palais de la capitale, et c'était une immense fierté pour Hyunjin que de pouvoir mêler son métier et sa culture.
Alors que Juyeon répondait à un mail, on toqua à la porte. Elle se redressa sur son siège, elle n'attendait personne. Mais peut-être était-ce son petit ami qui avait fini sa séance de sport un peu plus tôt.
— Entrez !
La porte s'ouvrit doucement alors qu'elle se reconcentrait sur son écran, persuadée qu'il s'agissait de Hyunjin.
— Bonjour.
La voix rauque qui retentit la fit sursauter et une désagréable sensation se souleva en elle. Felix venait d'entrer.
— Ah Felix, dit-elle en forçant un sourire malgré le malaise qu'elle ressentait.
Elle haussa un sourcil pour lui demander silencieusement ce qu'il désirait.
— Vous vous attendiez à quelqu'un d'autre, répondit-il avant de pouffer de rire.
L'atmosphère dans la pièce s'était considérablement alourdie. Juyeon secoua la tête, soucieuse de ne pas paraître trop nerveuse ou suspecte.
— J'étais plongée dans mon travail. Il y a un souci ?
Le jeune homme esquissa une petite moue, il semblait quelque peu gêné et la tension n'en fut que plus palpable.
— On peut dire ça.
— Vous vouliez me parler ? Refermez la porte, installez-vous.
D'un geste de la main, Juyeon lui indiqua le fauteuil face à son bureau et Felix avança jusqu'à lui, mais ne prit pas place. Son attitude était étrange. Il semblait embêté, mais quelque chose dans son regard démontrait une satisfaction étrange, presque pernicieuse. Juyeon déglutit. Elle craignait qu'il ne lui parle de Hyunjin, qu'un problème soit survenu entre eux, un désaccord ou une querelle idiote. Son petit ami essayait de ne pas perdre la face devant Felix, il avait décidé d'agir comme avec tous les autres mannequins de l'agence, mais sa méfiance envers le jeune homme pouvait tout à fait lui faire perdre son sang-froid.
— Je vous écoute.
— Comment dire cela…
Son regard se perdit vers les fenêtres et il se mordit la lèvre. Le temps s'étira et parut durer une éternité. Juyeon restait fixée sur Felix, le cœur battant à tout rompre, attendant un mot, un geste, n'importe quoi tant que ce moment pénible prenait vite fin.
— Je sais que vous couchez avec lui.
Cette fois, Felix planta son regard dans celui de la jeune femme. Il la défia, un mince sourire aux lèvres, et elle en eut le souffle coupé. Elle resta pantoise pendant quelques secondes, incapable de réfléchir correctement aux paroles qu'elle venait d'entendre.
— Vous ne pouvez pas nier, n'est-ce pas ?
— Je vous demande pardon ?
Un rire échappa au jeune homme.
— Vous m'avez très bien entendu. Vous couchez avec Hyunjin, je suis au courant.
Ce n'était pas le moment pour se laisser déstabiliser et Juyeon tenta de retrouver son air inébranlable. Elle ne pouvait pas perdre la face et devait rester forte face aux accusations de Felix. Elle peinait à comprendre comment il avait pu découvrir cela, et ce n'était pas le plus important à cet instant, il fallait qu'elle dise quelque chose et qu'elle se défende. Qu'elle les défende.
— Au courant de quoi ?
— Arrêtez, Juyeon. Hyunjin et vous, ça fait un moment que ça dure. J'avais déjà quelques doutes à Paris, vous vous comportiez bizarrement à ses côtés, mais tout s'est confirmé quand nous sommes allés à Busan. Je vous ai vu sortir de sa chambre en pleine nuit, vous aviez l'air d'une femme comblée.
Elle croisa les bras et l'écouta d'un air presque détaché. Rien ne servait de paniquer, elle ne ferait qu'alimenter la satisfaction qu'il ressentait et lui donnerait raison. Et c'était hors de question qu'elle se laisse manipuler par ses mots ou son expression hautaine. Felix n'était pas prêt de lui soutirer un seul aveu. Dans le fond, elle bouillonnait de colère et détestait le fait qu'il soit assez à l'aise pour lui dire toutes ces choses. Elle était écœurée, mais trop fière pour lui donner ce qu'il désirait.
— C'est vraiment dangereux d'oser agir ainsi, continua-t-il. Vous êtes bien placée pour savoir que cette histoire pourrait gâcher la carrière de Hyunjin, et la vôtre accessoirement. Si le PDG l'apprenait…
— Pourquoi ? l'interrompit-elle. Pourquoi vous agissez de cette manière ? Je ne comprends pas trop ce que vous cherchez à faire là.
Felix eut un mouvement de recul, mais son sourire narquois revint bien vite.
— Juyeon, sérieusement.
— Oui ?
— Vous n'êtes pas bête, vous savez très bien à quoi vous vous exposez. Vous allez lui faire du tort et vous allez gâcher tout ce qu'il a réussi à construire.
Elle se redressa et pencha légèrement la tête sur le côté.
— Vous m'avez l'air bien sûr de vous, Felix.
— Je le suis.
Il avait l'air de s'amuser de la situation.
— Vous ne devriez peut-être pas.
— Oh, et pourquoi ?
Chacune de ses phrases était une véritable provocation. Mais Juyeon allait tenir bon. Elle ne lui offrirait aucun moyen de l'atteindre. Même si elle était terrifiée, même si elle voulait fuir et aller se cacher, elle lui ferait face sans jamais flancher. Elle était décidée à ne laisser aucun homme l'affaiblir.
— Parce que vous n'avez rien, vous n'avez aucune preuve. Que comptez-vous faire ? Annoncer à la presse à scandales que vous m'avez vu sortir de la chambre du mannequin dont je m'occupe ? Et après ? Vous n'êtes pas bête à ce point vous non plus.
Le regard assuré de Felix s'estompa un instant.
— Et puis, entre nous, vous n'en avez rien à faire de ce que Hyunjin a enduré pour arriver jusque là.
— En effet, je m'en fiche.
Juyeon serra les poings, sa mâchoire se crispa. Elle détestait avoir raison sur ce point, mais cela ne faisait aucun doute. Felix se comportait d'une manière tellement hypocrite avec Hyunjin que c'en était répugnant. Il aurait dû le respecter pour tout ce qu'il avait accompli, mais aussi parce qu'il était là depuis bien plus longtemps. Sous sa demande, il avait même était là pour l'aider et le conseiller. Et Juyeon s'en voulait terriblement de lui avoir infligé ça. L'intuition de son petit ami, mais aussi de ses collègues, au sujet du nouveau mannequin, s'avérait bonne, et elle avait l'impression d'être la seule à ne pas l'avoir vu dès le premier coup d'œil.
L'heure tournait alors que le temps semblait suspendu, et Juyeon se leva. Il était temps pour elle de quitter ce bureau et de mettre un terme à la conversation qui ne mènerait à rien. Felix cherchait simplement à l'ébranler, et jamais elle ne flancherait face à lui. Il n'était pas prêt de la voir tomber.
— Alors continuez votre route sans vous soucier de Hyunjin et de sa carrière.
— Oui, mais il me fait de l'ombre.
Elle s'arrêta et ne put retenir un rire.
— Il vous fait de l'ombre ? Vous plaisantez !
— Non, absolument pas.
D'une démarche lente, il approcha de Juyeon.
— Je convoite ce qu'il a. Vous devriez l'avoir compris.
Elle déglutit. Le ton de Felix était empreint de contentement, et son regard la transperçait violemment.
— Vous n'aurez jamais ce qu'il a. Votre attitude pourrie ne vous permettra jamais d'arriver à son niveau et d'obtenir tout ce qu'il possède aujourd'hui. Ce n'est pas comme ça que ça fonctionne.
Il tendit une main vers elle, elle le repoussa d'un geste brusque.
— Ne me touchez pas.
— Je comprends pourquoi il aime coucher avec vous.
Son pouls s'accéléra, elle serra les dents et planta le regard dans celui du jeune homme. Pour la première fois depuis qu'il était là, elle eut l'impression qu'il avait réussi à s'infiltrer dans une faille. Il souriait encore, la situation le divertissait.
— Dégagez de mon bureau.
— Tout ce que vous voudrez, manager Kim.
Ses mots, soufflés telle une provocation, la firent tressaillir de mal être. Felix tourna les talons et s'en alla, refermant soigneusement la porte derrière lui. Pendant quelques secondes, Juyeon resta immobile au beau milieu de la pièce, tentant vainement de reprendre son souffle et de ne pas se laisser submerger par l'angoisse. Felix savait ce qui se tramait entre Hyunjin et elle, elle n'en avait aucun doute. Il l'avait vue. Il avait été assez malin pour tout comprendre. Le monde s'était arrêté de tourner dès l'instant où Felix était entré dans ce bureau.
Juyeon éteignit son ordinateur et remit méticuleusement de l'ordre dans ses affaires. Puis elle attrapa sa veste, son sac à main, et quitta l'étage pour attendre Hyunjin devant la salle de sport de l'agence. Elle se sentait observée, comme si tout le monde avait déjà eu vent des accusations de Felix. Depuis qu'il était venu lui parler, elle avait l'impression qu'un froid glacial l'entourait. C'était insupportable.
— Ah, vous êtes là !
Elle se tourna d'un bond vers Hyunjin qui arrivait derrière elle. Il souriait, ses yeux pétillaient et cela suffisait à balayer toutes ses craintes. Quand elle le voyait, quand il était près d'elle, elle se sentait revivre. Ils rejoignirent la voiture de la jeune femme et, durant le trajet, alors que Hyunjin faisait la conversation, les doutes revinrent la tourmenter. La discussion qu'elle avait eue avec Felix tournait en boucle dans sa tête. Son petit ami ne se doutait de rien, il continuait à parler et elle s'efforçait de répondre de temps à autre tout en essayant de se concentrer sur la route.
— J'avais tellement hâte d'être ce week-end ! s'exclama-t-il en étirant les bras vers l'avant. Pas toi ?
— Si, moi aussi.
— Les dernières semaines n'ont pas été de tout repos.
Elle acquiesça avec un sourire et le main de Hyunjin se posa sur sa cuisse. Le contact l'électrisa, mais les menaces de Felix revinrent la tourmenter. Désormais, elle avait l'impression qu'elle ne pourrait plus jamais profiter pleinement de ce qu'elle vivait avec son petit ami.
— Et ça n'est pas fini, dit-elle.
— Hm, m'en parle pas, je suis déjà épuisé !
Elle sourit, mais ce n'était qu'une façade. Elle ignorait si elle devait tout raconter à Hyunjin ou lui cacher cette conversation avec Felix. Mais ils se faisaient confiance, c'était la base de leur relation. Cependant, elle savait que son petit ami pouvait avoir une vive réaction. Prise entre deux feux, Juyeon avait l'impression que l'un et l'autre allait de toute façon consumer toute son énergie. Si elle gardait cette altercation pour elle, elle trahirait la confiance de Hyunjin et devrait porter un lourd fardeau toute seule, sans soutien. Si elle la lui dévoilait, elle avait peur des conséquences.
Ils arrivèrent dans le parking souterrain de la résidence. Elle se gara, mais ne coupa pas le moteur.
— Tu ne descends pas ? s'étonna Hyunjin.
— Je… Non, je ne peux pas.
Le jeune homme lui attrapa la main pour la serrer avec force.
— Pourquoi ? Il y a un problème ? C'est à cause de la dernière fois à Busan ?
Elle secoua négativement la tête.
— Non, c'est…
Son cœur se mit à battre à tout rompre, jusqu'à la faire souffrir. Elle ferma les yeux et serra la main de Hyunjin en retour. Elle ne pouvait pas garder tout ça pour elle, c'était trop difficile et surtout, c'était important qu'il sache ce qui se passait.
— Felix est au courant.
— Pour ?
— Nous.
L'étreinte de Hyunjin sur ses doigts se fit plus légère.
— Comment ça "nous" ?
— Il sait pour notre relation.
— Il ne peut pas en être sûr, on a fait attention et…
— Il m'a vue sortir de ta chambre dans la nuit à Busan, l'interrompit-elle. Il sait, Hyunjin. Il n'a pas de preuves concrètes, mais il le sait.
Un lourd silence s'installa dans la voiture, le temps s'arrêta. Ils se fixèrent longuement, pour trouver du soutien chez l'autre, ou pour se rappeler à quel point ils s'aimaient. Ou les deux. Juyeon ne parvenait pas à décrypter ce qui se passait dans la tête de son petit ami. Il restait immobile, sans aucune émotion.
— Dis quelque chose, l'implora-t-elle d'une voix basse.
Mais il ne dit rien. Il se pencha vers elle, attrapa son visage en coupe et l'embrassa à en perdre la raison. Et elle se laissa faire, parce qu'elle ne pouvait pas lutter contre l'amour qui la submergeait, plus que la peur. Les attentions de Hyunjin étaient pressées, même maladroites, mais terriblement libératrices. Avec lui, c'était facile d'oublier ses tourments et de se laisser aller. C'était bien pour cela qu'elle avait craqué et qu'aujourd'hui ils entretenaient cette relation ô combien dangereuse.
— Hyunjin, attends… souffla-t-elle entre deux baisers.
La pointe d'une culpabilité que Felix avait à nouveau permis de noircir son cœur l'obligea à le repousser doucement.
— Je t'en prie Juyeon, murmura-t-il contre ses lèvres. Je veux pas te perdre parce que ce connard se croit plus fort que nous.
— J'ai… j'ai aucune idée de quelle manière on va pouvoir gérer ça.
Il lui caressa la joue.
— Je vais lui faire fermer sa gueule.
— Non, dit-elle en se reculant. Tu ne lui en parles surtout pas. Je ne veux pas que ça lui offre une occasion supplémentaire de nous atteindre.
— Alors qu'est-ce qu'on fait ?
— On continue de se cacher. On ne lui donne rien, pas une miette.
Hyunjin acquiesça, même s'il faisait la moue. Se jeter sur Felix pour essayer de nier plus que de raison serait contre-productif. Ça ne ferait qu'attiser sa curiosité et lui donner raison. Juyeon préférait rester silencieuse, tenir bon, et continuer sa vie. Mais ils allaient rester vigilants.
— Du coup, tu montes ou pas ?
Sa décision fut vite prise. Elle ne pouvait pas résister. Elle avait besoin des bras de Hyunjin plus que tout.
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