Il était sept heures du matin quand Juyeon ouvrit les yeux après une très courte nuit. Elle s'était beaucoup réveillée et avait eu beaucoup de mal à se rendormir à chaque fois. Elle n'avait cessé de penser à Hyunjin, de réfléchir à ce qui s'était passé entre eux durant cette soirée. Elle essayait de se convaincre que ce n'était rien, que ça ne signifiait rien, et pourtant elle savait que ce n'était pas anodin. Leurs mains s'étaient frôlées, puis touchées volontairement, jusqu'à se lier tandis qu'ils marchaient sur la rive. Son cœur s'était mis à battre fort, très fort, plus fort qu'il n'avait jamais battu. Et pour finir, Hyunjin avait tenté de l'embrasser.

Le regard rivé sur le plafonnier de sa chambre, les bras le long du corps, elle soupira lourdement. Ce n'était pas un rêve, tout ceci était vraiment arrivé. Elle tendit le bras vers sa table de chevet pour saisir son portable, elle n'avait aucun message, aucun appel, pas même de la part de Hyunjin. Elle secoua la tête et expira tout l'air de ses poumons. Qu'attendait-elle ? Qu'il s'excuse ? Oui, peut-être aurait-elle aimé qu'il prenne conscience que tout ça était trop risqué, ou qu'il lui avoue qu'il avait fait une erreur. Mais rien. Peut-être attendait-il de la voir aujourd'hui pour avoir une discussion face à face ? Elle l'espérait sincèrement et s'il n'osait pas en parler, elle le ferait elle-même. Elle aimait beaucoup Hyunjin, mais elle était sa manager et elle s'était promis de faire passer sa carrière avant tout le reste. Elle ne voulait pas que les choses changent entre eux. Ils avaient appris à s'apprivoiser et à se faire confiance, et ça n'avait pas été simple au début. Elle s'était efforcée de mettre de côté ce qu'elle avait fini par ressentir pour lui, ces questions qui la tourmentaient, afin de se concentrer sur le rôle qu'elle avait à jouer. Elle devait continuer ainsi, même si elle avait un attachement tout particulier envers le mannequin.

Elle ferma les yeux un court instant avant de se lever. Assise sur le bord du lit, elle s'étira en lâchant un large bâillement. Elle avait mal partout tant elle avait bougé cette nuit, la journée allait être compliquée. Elle traîna les pieds jusqu'à la cuisine et ouvrit le réfrigérateur pour se servir du jus d'orange. Ce matin, elle avait un peu de temps devant elle, alors elle allait en profiter pour faire un petit déjeuner un peu plus élaboré qu'une vulgaire barre de céréales glissée dans son sac à main. Elle se prépara un bol avec du yaourt et des rondelles de banane, puis ajouta une poignée d'amandes. Elle avait pris l'habitude de manger ça tous les week-ends depuis des années, le tout accompagné d'un café — voire deux. Installée sur un des tabourets hauts, elle posa le coude sur le bar de la cuisine et alla loger le menton dans le creux de sa main. Elle regarda par la fenêtre, pensive, rêveuse, mais le visage de Hyunjin apparut dans son esprit et elle se redressa aussitôt en secouant la tête. Elle baissa les yeux vers sa main droite, elle avait encore l'impression de sentir la chaleur et la douceur de sa peau. De sentir l'étreinte de ses doigts et le courant électrique que le contact avait provoqué.

Son portable vibra pour la ramener vers la réalité et elle déglutit lorsque le nom de Hyunjin s'afficha sur l'écran. Il venait de lui envoyer un message et elle hésita un moment avant d'enfin oser l'ouvrir. Ce ne fut pas sans une certaine appréhension qu'elle le lût, mais il n'y avait rien de spécial, pas une seule allusion à leur soirée. Elle fronça les sourcils, un peu déconcertée. Il lui demandait juste si elle avait une idée de l'heure à laquelle elle viendrait le chercher. Le message était très poli, très professionnel, et elle aurait presque eu envie de lui demander s'il avait tout oublié. Mais elle n'en fit rien et lui répondit de la même manière. Elle irait le chercher de façon à ce qu'ils arrivent à l'agence vers dix heures, ils pouvaient toujours prétexter que le rendez-vous s'était terminé avant ou même qu'il avait été annulé. Juyeon était assez autonome et expérimentée pour gérer les affaires de Hyunjin toute seule, elle n'avait pas vraiment de comptes à rendre au PDG concernant ses activités quotidiennes.

Elle termina son petit déjeuner et alla se préparer. Elle avait opté pour une tenue des plus simples, un jean et un chemisier blanc, puis ses éternels escarpins qu'elle adorait porter même si parfois elle avait mal aux pieds. Elle referma la porte de son appartement et, une fois sur le palier, elle prit une profonde inspiration. Elle devait y aller, elle ne pouvait pas reculer et se terrer chez elle. Elle devait affronter la réalité.

En chemin vers la résidence de Hyunjin, Juyeon réfléchit à la meilleure façon d'aborder la discussion. C'était assez délicat et peut-être ne devait-elle pas discuter de tout ça dans un cadre professionnel. Mais elle ne pouvait pas non plus le faire en privé, ce n'était pas correct. D'ailleurs, elle se demanda s'ils pourraient un jour de nouveau partager une soirée, ou ne serait-ce qu'un moment tous les deux, hors de leurs activités professionnelles. À bien y réfléchir, ce n'était pas une si bonne idée. C'était la porte ouverte aux débordements et aux sentiments, comme il avait été question la veille. Alors non, Juyeon savait que ces instants devraient être proscrits désormais. C'était plus raisonnable ainsi. Elle entra sur le parking et non pas sans avoir la boule au ventre, elle attendit que le mannequin se montre après l'avoir prévenu qu'elle était arrivée.

D'un pas las, Hyunjin avança vers la voiture et y entra en murmurant un faible « Bonjour ». Juyeon lui répondit, incapable de ne pas sourire un minimum pour dissimuler son malaise. Elle déglutit et lui jeta un coup d'œil, il gardait son sac à dos en cuir entre ses bras et son regard se perdait devant lui. Il était on ne peut plus tendu, ça ne faisait aucun doute. Mais Juyeon préféra ne rien dire et elle démarra.

Quelques minutes plus tard, entre des embouteillages, un accident , mais aucun mot échangé, ils arrivèrent à l'agence.

— Qu'avez-vous de prévu ? demanda Hyunjin dans le hall.

Juyeon leva la tête et osa enfin le regarder dans les yeux. Son visage était fermé, sans aucune émotion, et elle pouvait facilement parier que lui non plus n'avait pas beaucoup dormi. Ses cernes et son teint pâle le trahissaient.

— Je dois vérifier que les réservations ont bien été prises en compte pour le défilé à Busan, alors j'ai plusieurs coups de téléphone à passer. Et vous ?

— Je vais faire du sport, j'ai besoin de me défouler.

Elle esquissa un sourire pour faire bonne figure, mais elle comprenait que ce commentaire lui était directement destiné. Hyunjin ne pouvait pas faire semblant avec elle, ou tout du moins elle lisait en lui comme dans un livre ouvert. Elle décelait chaque changement d'humeur, percevait la moindre modification de ton.

— Hm, je comprends.

— Nous nous reverrons sans doute dans la journée.

Elle acquiesça.

— Oui, j'aurai quelques petites choses à voir avec vous.

Il la toisa, l'expression toujours aussi imperturbable.

— Aucun souci. Faites-moi signe quand vous serez décidée.

Hyunjin se tourna et se dirigea vers la salle de sport de l'agence, laissant Juyeon seule dans le hall. Elle le suivit du regard, un mélange complexe d'émotions se déchaînait en elle. Cette distance entre eux était désormais inhabituelle et elle se demandait comment elle allait pouvoir la gérer. Elle ne voulait pas retourner en arrière et avoir de nouveau affaire au Hyunjin froid et hautain. Il n'était pas comme ça, elle le savait. C'était un jeune homme doux et sensible, qui dissimulait ses peurs derrière une attitude confiante. Elle se demanda s'il était vexé par l'attitude qu'elle avait eue la veille et s'il cherchait à la lui faire payer en se montrant peu sympathique. Ou peut-être l'avait-elle blessé ? Elle ne fut pas en mesure de réfléchir davantage car elle aperçut Mihee au loin qui lui adressait de grands signes, alors elle la rejoignit.

— Alors, comment s'est passé votre rendez-vous de ce matin ? C'était avec quel client ?

Juyeon papillonna des yeux, il fallait qu'elle trouve quelque chose, et vite.

— Une styliste indépendante, lança-t-elle sans plus réfléchir.

— Super ! Hyunjin va porter ses créations ? Il est convaincu ?

Elle se contenta de hocher la tête, elle n'avait pas prévu de subir un interrogatoire. Mihee croisa les bras contre sa poitrine et son regard enjoué se transforma. Elle fit une petite moue joueuse et Juyeon fronça les sourcils avant que sa collègue ne lui assène une tape sur le bras.

— Pas à moi, j'ai compris votre petit manège, dit-elle.

Cette fois, elle écarquilla les yeux et eut un mouvement de recul. Elle ne savait pas comment interpréter ses paroles et la première chose qui lui vint à l'esprit fut sa main fermement enlacée par celle de Hyunjin. Elle essaya de garder son calme, de ne pas montrer de signe de panique, mais à l'intérieur elle était en train de se liquéfier.

— De quoi tu parles ?

Mihee leva les yeux au ciel.

— Hyunjin et toi, hier soir, dit-elle discrètement.

— Quoi ? Hyunjin et moi quoi ?

Elle était prête à craquer, à dire qu'ils n'étaient rien l'un pour l'autre et que leur escapade nocturne était une erreur. Mais par chance, Mihee la devança.

— Vous n'aviez pas de rendez-vous important ce matin, n'est-ce pas ?

Le temps sembla s'arrêter et Juyeon resta immobile. Ce n'était absolument pas ce à quoi elle s'attendait. D'un côté, elle se sentait soulagée que sa collègue n'ait compris que ce morceau de l'histoire, ils étaient sauvés. Elle se détendit enfin, relâchant ses épaules tout en expirant lentement. Un regard en arrière et elle se pencha vers Mihee.

— T'en parles à personne, d'accord ? demanda-t-elle d'une voix basse.

Mihee lui décocha un clin d'œil complice.

— Je sais me taire quand il le faut.

— Je n'en doute pas. Le reste de la soirée s'est bien déroulé ?

— Nickel, Felix a vraiment fait bonne impression, tout le monde le trouve charmant. J'ai vu que Hyunjin était tout de même allé lui parler malgré le fait que tout le monde dit qu'il a du souci à se faire.

Juyeon s'obligea à sourire à cette remarque. Elle avait pourtant demandé à Mihee d'arrêter ça, de le mettre en compétition, mais la femme semblait déjà avoir oublié. Elle n'allait pas lui répéter la même chose, elle n'avait aucune envie de passer pour une rabat-joie, mais si elle avait été à la place de Hyunjin, ça ne lui aurait pas plu également. Se voir toujours envoyer en pleine figure qu'il risquait de se faire remplacer, ce n'était pas facile. Surtout qu'elle savait à quel point il pouvait douter de lui dans ces moments-là.

— Il reste toujours professionnel, c'est une de ses nombreuses qualités.

Elle repensa instantanément à la scène dans le parking, là où il avait bien failli l'embrasser. Toujours professionnel ? Peut-être pas. Elle chassa bien vite l'image de son esprit, ce n'était absolument pas le moment de rougir.

— C'est vrai, et c'est tout à son honneur. Au fait, ça te dit de déjeuner avec moi ce midi ?

Juyeon ne voulait pas paraître distante, alors elle accepta. Cela l'aiderait à penser à autre chose et aussi à ne pas croiser Hyunjin à la cafétéria de l'agence.

— Super, on se rejoint ici, on verra où on va manger.

Elles se saluèrent et Juyeon s'empressa de rejoindre l'ascenseur pour s'enfermer ensuite dans son bureau. Elle se laissa tomber sur son siège et bascula la tête en arrière. La journée s'avérerait longue, et elle avait seulement envie de rentrer chez elle. Quoique… Si c'était pour ressasser toujours la même chose, ça ne servait à rien. Il valait mieux encore qu'elle se noie dans le travail, c'était toujours une excellente manière d'oublier ce qui pouvait la tourmenter.

***

Finalement, la journée passa plus vite que Juyeon ne l'avait imaginé. Elle avait dû répondre à des tonnes de mails, passer des appels et convenir de certains rendez-vous. Elle n'avait pas vu Hyunjin, comme s'ils cherchaient à s'éviter, mais elle avait de bonnes nouvelles à lui annoncer. Une grande marque française l'avait repéré et souhaitait décrocher un entretien avec lui. Il était question de faire la promotion d'un parfum avec des shootings photo et même une publicité. C'était une occasion en or pour le mannequin, et elle espérait sincèrement qu'après négociations, il ferait partie du projet. Elle regarda l'heure sur son portable, il indiquait déjà dix-neuf heures et le soleil déclinait considérablement derrière les buildings sur lesquels elle avait vue. Elle soupira quand elle constata que quelques gouttes s'abattaient sur les vitres de son bureau. Elle détestait la pluie, surtout quand elle savait qu'elle devait sortir et conduire.

Mais elle avait encore du travail avant de pouvoir espérer s'en aller. Elle déglutit quand elle prit conscience qu'elle devait raccompagner Hyunjin, elle ne l'avait même pas prévenu qu'elle finirait plus tard et elle ignorait où il pouvait être. Ils ne s'étaient pas croisés, ils ne s'étaient pas envoyé un seul message et de ce fait, elle n'avait toujours pas pu discuter avec lui de ce qui s'était passé la veille. De plus, ils avaient un événement important à préparer, et ce n'était toujours pas fait alors que leur voyage pour Busan avait lieu dans deux jours.

Les yeux rivés sur son portable, elle attendit quelques secondes avant de prendre son courage à deux mains. Elle envoya un message à Hyunjin pour lui demander de la rejoindre dans son bureau, mais elle ne reçut pas de réponse alors qu'il semblait l'avoir lu. Elle pinça ses lèvres entre elles, soucieuse et quelque peu irritée aussi, quand des coups contre la porte retentirent. Son cœur fit un bond dans sa poitrine et ses mains devinrent moites. Elle inspira et expira, puis tenta de prendre un air naturellement détendu.

— Oui, entrez !

La porte s'ouvrit et le visage de Hyunjin apparut, aussi impassible que ce matin. Juyeon lui adressa un sourire qu'elle savait très artificiel et l'invita à prendre place devant elle. Il s'exécuta sans un mot, mais sans la lâcher une seule fois des yeux. Le silence pesant s'installa entre eux alors qu'ils se faisaient face. Le regard intense de Hyunjin ne la quittait pas et elle pouvait sentir l'électricité dans l'air. L'atmosphère était chargée d'une tension insupportable. Elle réfléchit à la manière la plus appropriée d'aborder la conversation, mais peut-être était-ce mieux de régler les questions d'organisation pour les jours à venir avant tout.

— Concernant le défilé à Busan…

Elle fut interrompue par la pluie battante qui s'écrasait par vague sur les fenêtres. Le ciel s'était gorgé de nuages et le vent s'était levé. Elle toussa pour reprendre :

— Nous devons monter dans l'avion après-demain à quatorze heures et nous rejoindrons notre hôtel afin que vous puissiez vous préparer. Il y aura votre coiffeuse et maquilleuse avec nous. Un dîner aura lieu le soir même avec d'autres invités de la marque.

Hyunjin haussa un sourcil.

— Et il se tiendra où ?

— Il s'agit d'un grand restaurant dans un hôtel, l'endroit a été privatisé pour l'événement. Le lendemain, il y aura donc le défilé où nous devons arriver dans la matinée afin de faire les essayages et les répétitions sur le podium.

— Et quand repartons-nous ?

— Le surlendemain, à onze heures.

Le jeune homme acquiesça et croisa les bras. Juyeon tenta d'avaler sa salive, mais sa gorge était sèche et nouée. Les yeux noirs de Hyunjin semblaient la transpercer, si bien qu'elle aurait pu en suffoquer. Il n'avait pas décroché un seul sourire, son timbre de voix était monotone, mais elle devinait son agitation intérieure.

— Et ça ne vous dérange pas ?

— Comment ça ? demanda-t-elle, perdue.

Hyunjin leva les yeux au ciel et sa mâchoire se crispa.

— De continuer à vous occuper de moi, de devoir m'accompagner… .

Juyeon cligna des yeux avant de froncer les sourcils. Il s'agissait de son travail, et elle l'adorait, alors elle n'y voyait aucun inconvénient.

— Je vous demande pardon ?

Hyunjin se détourna finalement d'elle et se leva pour marcher en direction des vitres. Il se positionna devant, les mains jointes dans son dos.

— Vous savez très bien de quoi je veux parler, dit-il après quelques secondes.

Elle l'entendit soupirer et elle en fit tout autant. Ils y arrivaient, et elle était totalement démunie. Elle savait qu'ils devaient en parler, c'était nécessaire, mais elle avait peur de la tournure que tout ceci prendrait. Peut-être aurait-elle préféré qu'ils agissent comme si rien ne s'était passé plutôt que de remuer cet événement. À quoi bon ? Ils avaient fait une erreur, ça s'arrêtait là.

— Hyunjin, l'interpella-t-elle en se levant à son tour.

Il tourna la tête dans sa direction, son regard avait changé. Il était rempli d'espoir et d'attentes. Mais Juyeon craignait de les briser. Elle marcha jusqu'à arriver à son niveau et elle leva le menton. Même avec ses talons, elle faisait une bonne dizaine de centimètres de moins, mais ce n'était pas pour autant qu'elle se laissait impressionner.

— Vous savez, j'apprécie de passer du temps avec vous. Ça faisait longtemps que je n'étais pas sortie et que je n'avais pas autant souri.

— Mais ? la devança-t-il.

— Mais j'ai peur que ça devienne moins pro entre nous, et ce ne serait pas sérieux.

Il pencha légèrement la tête sur le côté, un mince sourire étirant ses lèvres pulpeuses. Ce fut assez pour déstabiliser la jeune femme qui sentit son cœur chavirer. Elle était incapable de résister, Hyunjin était sans doute la personne la plus convaincante qu'elle eût connue, sans même qu'il n'ait besoin d'ouvrir la bouche. Elle ferma les yeux pour se reprendre et s'affirmer lorsqu'un éclair suivi d'un coup de tonnerre se manifesta. Ils sursautèrent de concert, la pluie ne cessait de tomber, l'orage était juste au-dessus d'eux.

— Quoi d'autre ? demanda Hyunjin d'un air joueur.

Juyeon n'eut pas même le temps d'ouvrir la bouche qu'un autre grondement fit trembler les murs. Cette fois, les lumières s'éteignirent et elle ne put réfréner un petit cri de surprise.

— Et merde, marmonna-t-elle.

Malgré la pénombre qui régnait dans le bureau, elle discernait sans difficulté la silhouette de Hyunjin. La tempête faisait rage dehors, et le ciel était étrangement coloré d'éclairs intermittents, projetant des lueurs fugaces à travers les fenêtres embuées. Son pouls pulsait dans ses veines mais bizarrement, l'atmosphère tendue qui régnait dans la pièce semblait s'être atténuée dans le noir.

Hyunjin s'approcha lentement de sa manager, cette dernière pouvait sentir sa proximité, entendre sa respiration forte.

— Juyeon, murmura-t-il.

Elle ferma les yeux à l'entente de sa voix si suave. Elle se mordilla la lèvre inférieure, cherchant de quelle manière elle pouvait fuir cette situation prête à lui échapper. Elle avait été catégorique, mais les sentiments qui se soulevaient en elle compliquaient les choses. Elle décida de briser le silence qui les entourait.

— Je ne veux pas tout gâcher entre nous. Votre carrière, tout comme la mienne, est importante et…

— Est-ce juste ça qui vous fait peur ?

Les éclairs continuaient d'illuminer brièvement la pièce pour leur permettre de voir les expressions sur leurs visages. Hyunjin s'approcha encore plus près, jusqu'à ce qu'elle puisse sentir sa chaleur réconfortante mais terriblement interdite à quelques centimètres d'elle.

— Oui. Enfin… non.

— Allez-vous nier ce qui se passe entre nous ?

— C'est beaucoup trop compliqué.

Il avança une main vers elle et d'un geste empli de délicatesse, il replaça une mèche de cheveux derrière son oreille. Elle en frissonna, puis se figea lorsque la main du jeune homme se posa sur sa joue ; sa peau était bouillante.

— Est-ce que vous avez peur de perdre le contrôle ?

Après quelques secondes, elle hocha la tête. Hyunjin se pencha vers elle, ses yeux cherchant une réponse dans les siens. La pièce était toujours plongée dans l'obscurité, le grondement de l'orage les enveloppait désormais dans un cocon isolé du reste du monde. Elle était tiraillée entre le désir et la raison, entre les règles qu'elle s'était imposées et les sentiments brûlants qui la tourmentaient.
Leurs lèvres se frôlèrent presque, mais avant qu'ils ne se perdent dans ce baiser tant attendu, un éclair aveuglant déchira le ciel, inondant le bureau de lumière. Ils se séparèrent brusquement, leurs regards emplis de confusion et de désir. Juyeon soupira de soulagement. Elle ne pouvait pas franchir la limite. Pas ici, pas maintenant.

— Merde, fit-elle à nouveau.

— Nous devrions peut-être nous éclairer jusqu'à ce que le courant revienne, suggéra Hyunjin.

Elle hocha la tête, bien que dans l'obscurité, il ne puisse pas la voir. À tâtons, elle retourna vers son bureau pour saisir son portable et alluma la lampe torche.

— C'est bien mieux, dit-il.

Elle se sentait un peu plus à l'aise avec la lumière, même si la tension demeurait. Ils avaient évité de justesse un moment de passion, mais l'envie qui les animait brûlait toujours de manière palpable.

— Nous devrions reprendre notre discussion plus tard, dit-elle d'une voix hésitante tout en se tournant vers Hyunjin.

Il esquissa un sourire et accepta la proposition. Elle se sentit aussitôt soulagée, mais elle sursauta lorsqu'elle entendit du bruit provenant de l'extérieur. Hyunjin se dirigea vers la porte du bureau pour l'ouvrir, les blocs d'éclairage verts qui indiquaient les issues de secours illuminaient légèrement le couloir, mais une autre lumière plus forte et blanche vint aveugler le jeune homme.

— Ah ! Je me disais bien qu'il y avait encore quelqu'un !

Juyeon reconnut la voix de Kihyun et elle s'approcha à son tour de la porte. Elle était un peu embarrassée qu'il les trouve à deux dans son bureau, même si c'était tout à fait commun puisqu'elle était la manager de Hyunjin. Mais avec ce qui avait failli se passer, elle ne pouvait s'empêcher de culpabiliser ou de croire que la terre entière savait.

— J'espère que quelqu'un va vite remettre le courant, c'est glauque, lança l'homme pour détendre l'atmosphère. J'étais en train de remettre en ordre mon bureau, c'était un vrai chantier. Et vous, vous faisiez quoi ?

Juyeon laissa filer un rire. Elle savait que c'était une question comme une autre, sans aucune arrière-pensée, mais elle était on ne peut plus nerveuse.

— J'ai un défilé à Busan dans deux jours, la devança Hyunjin. On mettait au clair les derniers détails sur l'emploi du temps.

Il jeta un coup d'œil à la jeune femme et elle acquiesça d'un vif mouvement de tête. Kihyun consulta son portable et afficha une petite moue embêtée. Il ne se doutait de rien, mais Juyeon avait tout de même le cœur qui battait à cent à l'heure, comme si chaque mot ou chaque geste pouvait la trahir.

— Bon… ça va vite m'énerver cette…

Kihyun n'eut pas le temps de terminer sa phrase que le couloir et le bureau furent de nouveau éclairés.

— Enfin ! s'exclama-t-il. Je vais pouvoir terminer, en espérant qu'il ne pleuve pas des cordes pour repartir. Je vous laisse.

Il leur décocha un clin d'œil et s'en alla comme il était venu. Juyeon déglutit. Elle était à nouveau seule avec Hyunjin et toutes les pensées contradictoires qui tourbillonnaient dans sa tête. Elle ne pouvait définitivement pas continuer leur discussion ici. Et même après, chez le mannequin, elle n'était pas certaine d'y parvenir. D'ailleurs, elle n'avait aucune envie d'aller chez lui pour lui préparer son repas, c'était au-dessus de ses forces.

— Je pense qu'il serait préférable d'y aller, annonça-t-elle.

— Vous avez raison.

Elle rangea rapidement ses affaires et ferma son bureau. Une fois dans la voiture, elle sentit tout le poids de la culpabilité et de ses questions peser sur ses épaules. Cependant, elle resta forte et imperturbable. Un silence oppressant régnait dans le véhicule, mais elle ne se laissa pas écraser pour autant. Ce n'était pas le moment de flancher. Le trajet fut long, sans un mot, seule la pluie s'écransant sur le pare-brise pour rompre le calme ambiant. Juyeon arriva dans le parking souterrain et avant qu'elle n'ose enfin annoncer à Hyunjin qu'elle préférait en rester là pour ce soir, ce fut lui qui prit les devants.

— J'imagine que vous ne montez pas.

Elle s'arrêta près de l'ascenseur et tourna la tête vers lui.

— C'est plus judicieux.

Il tenta de paraître totalement compréhensif, mais son expression trahissait sa déception.

— D'accord, je m'en doutais un peu.

— Je suis désolée.

— Non, vous n'avez pas à vous excuser, je comprends tout à fait.

Ils échangèrent un regard qui se voulait à la fois complice et peiné. Si elle n'en avait rien eu à faire, elle serait montée dans son appartement et lui aurait permis de lui sauter au cou. Mais ce n'était pas le cas. Elle se posait beaucoup de questions et sa conscience professionnelle l'en empêchait. Pourtant, elle avait encore la sensation de son souffle s'écrasant sur son visage, de ses doigts sur sa joue, de ses lèvres pulpeuses frôlant les siennes. Un frisson la parcourut et elle serra les jambes.

— À demain Juyeon.

— À demain.

Ils affichèrent un mince sourire avant que Hyunjin ne quitte la voiture pour s'éloigner. Une fois seule, Juyeon ferma les yeux et souffla lentement pour faire redescendre la pression. Leur soi-disant discussion n'avait rien arrangé, bien au contraire, elle était encore plus sous le charme et se demandait comment elle allait pouvoir gérer tout cela.