Chapitre 8
Je suis assise sur l'une des chaises de la salle d'attente devant le bureau du maire. Ma jambe tremble en tous sens tellement je suis stressée. Le dossier que je tiens contre moi n'est plus seulement le mien, mais aussi celui de ma mère. Hier, nous avons passé une grande partie de notre soirée à plancher dessus et nous nous y sommes remises ce matin dès notre réveil. Il y avait toujours un détail à améliorer et je crains qu'un plus discret, pernicieux, nous ait échappé...
— Du calme, souffle Nancy en touchant du bout des doigts ma cuisse en mouvement. Je suis sûre qu'il va être fan de ton projet.
Je relève la tête vers ma meilleure amie qui me sourit d'un air doux. Nancy a posé un jour de congé pour m'accompagner. Elle a senti que j'avais besoin de quelqu'un et, vu que mes parents – ma mère surtout, puisqu'elle m'a aidée – n'ont pas pu se libérer, elle s'est dévouée. Elle a appelé son patron ce matin pour lui dire qu'elle avait un empêchement et serait dans l'impossibilité de venir. Comme elle a beaucoup d'ancienneté, qu'elle travaille bien et est respectée dans sa boîte, ça n'a pas posé de problème.
— Merci de m'avoir accompagnée, Nancy, réponds-je sur le même ton en recouvrant sa main de la mienne. Tu peux pas savoir à quel point je te suis reconnaissante.
— Je l'imagine ! Et puis, j'avais pas envie d'aller bosser aujourd'hui, ricane-t-elle. Tu m'as offert une belle opportunité !
— Ton travail ne te plait pas ?
— Oh que si ! s'exclame-t-elle, des étoiles dans les yeux. Tu te rappelles à quel point je voulais devenir graphiste étant gamine ? Ce qui m'enchante un peu moins, c'est mon équipe. Mon boss est cool, hein, mais les gens que j'ai sous ma responsabilité sont des incapables ! J'ai beau leur expliquer x fois les choses, ils ne comprennent rien et continuent de faire à leur manière...
— Manière qui n'est pas la bonne ?
Elle hoche la tête de haut en bas en expirant tout l'oxygène contenu dans ses poumons. Au moment où elle s'apprête à me répondre, l'un des battants de la double porte donnant sur le bureau de monsieur Mills s'ouvre, laissant sortir un homme roux d'à peu près notre âge. Je me fige, car je pense reconnaître cette tignasse unique. Quand il se détourne du maire, après lui avoir serré la main, il pose son regard sur nous et je pousse un soupir à fendre l'âme.
— Tiens, murmure Nancy en se penchant vers moi, l'air dubitatif. Ce ne serait pas William là-bas ?
— Si... Je croyais qu'il était parti à New York pour la fin de ses études.
— C'est le cas, mais il est revenu il y a un an, m'explique-t-elle. Il dirige à présent le journal de notre village. La question que je me pose, c'est pour quelles raisons il sort du bureau de Mills.
Je hausse les épaules. Comme moi, il doit avoir un projet en tête et demande l'autorisation du maire pour le mettre en œuvre. Ou alors, il est là pour un interview... Quand il passe devant nous pour s'en aller, il nous salue rapidement avant de prendre la poudre d'escampette.
— Vu comme il était pressé, il est venu pour le boulot, déclaré-je. Après, c'est clair que tout le monde n'agit pas avec autant de professionnalisme !
— Comment ça ?
Ah ! C'est vrai que je ne lui ai pas raconté mon altercation avec Tyler...
— J'ai croisé Tyler hier, quand je suis allée à la salle des fêtes. Il était avec un groupe de jeunes cavaliers.
La main que Nancy a laissée sur ma cuisse se crispe. Elle déglutit avant de prendre la parole :
— Qu'est-ce qu'il t'a dit ?
— Des gentillesses, pour changer, dis-je avec ironie. Il n'en a rien eu à faire que ses élèves soient avec lui.
Nancy soupire lourdement et, avant qu'elle ne puisse me répondre, la porte s'ouvre à nouveau. Sur monsieur Mills, cette fois-ci.
— Ah ! s'exclame-t-il en se dirigeant vers nous d'un pas sautillant. Lindsey, je suis tellement heureux de vous revoir.
Il me serre la main, puis se tourne vers Nancy pour la saluer chaudement à son tour. Il m'invite à le suivre dans son bureau. Je me lève et jette un dernier coup d'œil à Nancy.
— Allez, courage ! me souffle-t-elle, le poing brandit en guise de victoire. Je t'attends ici.
J'esquisse un sourire, le cœur battant de reconnaissance à son égard, et me détourne pour emboîter le pas à monsieur Mills. Il referme la porte derrière nous et me désigne la chaise face à son bureau.
— Je vous sers quelque chose, me propose-t-il, debout à côté d'un grand meuble en chêne.
— Je veux bien de l'eau, s'il vous plaît.
Il acquiesce, remplit mon verre avec ce que je lui ai demandé, puis son mug avec un café brûlant. Il revient vers moi, me tend ma boisson et s'installe dans son siège en cuir.
— Alors ! De quoi souhaitez-vous me parler, Lindsey ?
Je prends une gorgée et repose le récipient à présent à moitié plein. J'ouvre ma pochette à rabats que j'avais gardée contre moi, comme un ultime rempart entre ce rendez-vous et moi. J'étale face à lui mes meilleurs clichés et les plans qu'a dessinés ma mère. Je rajoute le planning que je me suis fait hier soir et relève la tête.
— Durant ces deux dernières années, commencé-je mon discours que j'avais maintes et maintes fois répété, j'ai parcouru les quatre coins de la France, ainsi que plusieurs villes frontalières, dans le but de les explorer par la photographie. Je me suis formée à ce métier et ai exercé dans la capitale trois années avant de partir sur les routes.
Il acquiesce en observant attentivement les clichés qui se trouvent face à lui. Il en prend parfois certains pour mieux voir les détails avant de les reposer.
— J'ai été exposée dans une ville en Provence et, après quelque temps, cela m'a donné envie d'avoir ma propre galerie. Galerie où je pourrais faire beaucoup d'expositions avec toutes les photos que j'ai faites et, pourquoi pas, organiser des ventes accessibles au plus grand nombre.
— Et quel endroit a attiré votre attention ? Parce que, si vous êtes ici, ce n'est pas dans un édifice à l'autre bout du pays que vous souhaitez vous installer, je me trompe.
J'acquiesce et rapproche de lui la planche de présentation du bâtiment où j'ai regroupé toutes les informations que j'ai pu trouver. Je fais de même avec les plans qui concernent la réhabilitation et reprends :
— En effet. J'ai toujours apprécié l'architecture de la salle des fêtes près de la forêt. J'y suis retournée hier et, comme elle me semble délaissée, j'aimerais lui donner une seconde vie.
Je lui détaille tout ce que j'envisage d'y faire comme opérations en lui désignant du doigt les endroits correspondants sur les plans, lui montre les fiches des entreprises auxquelles je compte faire appel et lui présente aussi l'architecte qui sera chargé des travaux... Alias, ma maman. S'il est surpris, impressionné ou totalement indifférent à ce que je lui propose, monsieur Mills n'en laisse rien paraître. Son visage est un masque sans émotion et j'en viens à me demander s'il n'a pas joué au poker étant plus jeune.
— Imaginons que j'accepte votre projet, Lindsey..., dit-il après de longues minutes pendant lesquelles le silence était de mise. Qu'est-ce que cela apporterait à Horseburgh ?
— Nous n'avons pas de galerie, commencé-je prudemment, sachant parfaitement que chacun de mes mots pèsera lourd pour sa prise de décision. Sa construction permettra aux habitants d'avoir accès à un centre culturel. En plus, comme il n'y en a pas aux alentours, cela pourrait attirer des touristes et relancer le commerce de notre village.
Il acquiesce, d'accord avec moi.
— Et puis, je tiens une page Instagram depuis que j'ai débuté mon activité. C'est grâce à cela que j'ai pu avoir de nombreuses commandes. Je m'y suis construit une communauté qui suit mon travail et tout ce que j'entreprends. Sachant que c'est un réseau social à échelle mondiale, cela pourrait permettre à notre village de gagner en popularité et de s'étendre.
— Et si cela ne se déroule pas ainsi ?
— Nous aurons tout de même un rayonnement à l'échelle de l'Angleterre et, si la communication est bien gérée à Horseburgh, nos éleveurs pourront trouver plus facilement acquéreurs pour leurs chevaux à vendre.
Je me tais et le silence prend de nouveau ses aises dans la salle. Malgré son visage aux traits indifférents, je suis confiante. Mon projet est solide, crédible et, surtout, réalisable. J'ai les moyens financiers pour tenir une année sans faire aucune vente une fois que les travaux seront finis et la galerie ouverte. Mais, ça, je le garde pour moi. Monsieur Mills n'a pas besoin de connaître mon capital ou il risque de faire flamber le prix du bâtiment. J'ignore s'il réalise sa véritable valeur et son potentiel, mais je suis prête à me battre pour qu'il me propose un tarif raisonnable.
— J'accepte votre demande de projet, finit-il par dire en plongeant son regard marron dans le mien. À la condition que vous trouviez un sponsor.
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